Ce
documentaire envisage la bataille de Verdun, non dans son déroulement,
cependant présenté brièvement, mais à travers l’empreinte laissée sur le siècle.
Il alterne l’intervention de trois historiens, Gerd Krumeich, Pierre Laborie et
Antoine Prost - qui interprètent les enjeux de mémoire de la bataille, de la
guerre à nos jours – et des images d’archives sur le front et lors des célébrations
postérieures. Beaucoup de ces images sont peu connues et fort intéressantes
pour les mises en scènes symboliques de la Grande Guerre qu’elles déploient. Le
film commence avec la cérémonie de 1936 qui fait se rencontrer anciens combattants
allemands et français, au cimetière du Faubourg-Pavé puis à l’Ossuaire de
Douaumont pour le serment de paix.
Après la
présentation de la bataille, la mémoire de l’entre-deux-guerres est analysée
par Prost et Krumeich, en France et en Allemagne. Prost souligne notamment que
ce qui fait l’importance de Verdun, dès la guerre même, est le sentiment français
que c’est une bataille décisive lancée par les Allemands et donc que le sort de
la guerre se joue là. Son caractère défensif permet aussi l’exaltation du
combat, dans un pays qui n’aime pas de poser en agresseur dit encore Prost.
Chez les
Allemands, explique Krumeich, avec la parution des propos de Falkenhayn
affirmant avoir voulu saigner à blanc l’armée française, bien des soldats décèlent
une trahison de leur confiance ; puisqu’on les a fait se sacrifier au nom
de la percée et non pour un tel objectif. L’historien insiste aussi sur
l’instrumentalisation de la Première Guerre mondiale par les Nazis, comme sur
les discours de paix tenus aux Anciens Combattants (ainsi avec ce plan qui présente
des drapeaux dont celui des Nazis au dessus d’une inscription Pax). On
appréciera particulièrement, pour la période de l’entre-deux-guerres, le
discours, très ampoulé, de Paul-Boncour devant l’ossuaire - le plan est
suffisamment long pour bien en saisir la rhétorique – ou celui de Bernard
Lecache, qui met en garde contre les persécutions antisémites en Allemagne.
La période
de l’occupation est fort bien analysée avec des séquences montrant le retour
des Allemands à Verdun en 1940, prenant soin de filmer le drapeau nazi apposé
sur le monument du centre ville à la Victoire et aux soldats de Verdun, ou la
visite de Douaumont par des soldats de la Seconde Guerre mondiale. Pierre
Laborie explique comment le Pétain qui a protégé à Verdun propose implicitement
cette même capacité protectrice en 40. La séquence montrant le maquis d’Oyonnax
célébrant le 11 novembre 1943 en déposant, après un défilé public, une gerbe au
monument au mort : "Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18" est un
moment marquant du documentaire.
Ce
dernier avance en suite vers les années 60 et le discours de De Gaulle en 66
pour s’achever, pour l’essentiel, autour de la venue de Kohl et Mitterrand à
Verdun en 1984. Krumeich remarque alors que cette image si longtemps utilisée
partout a perdu de sa force tant le rapprochement franco-allemand paraît évident
aujourd’hui.
On sait
que les cinéastes et documentaristes se méfient souvent du discours historien
perçu comme trop complexe ou trop peu vivant. Il faut ici au contraire saluer
P. Barbéris qui a non seulement choisi un angle a priori difficile pour l’écran
(la mémoire et ses enjeux), sans abuser du sensationnalisme facile de l’horreur
de la bataille, et laissé les historiens dire des choses pas toujours simples,
mais avec clarté, restituant aussi les hésitations orales. Une réussite servie
par des images inédites.
Nicolas Offenstadt
Sur ces enjeux signalons la parution de
Cochet François éd., 1916-2006. Verdun sous le regard
du monde, 14/18 éditions, 2006, 388 p.
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