- Témoignages de 1914-1918 - https://www.crid1418.org/temoins -

De Witte, Frantz (1884- 1971)

1. Le témoin

Son père était mécanicien à la Compagnie des Sablières de la Seine, la famille logeait sur une péniche appartenant à la société. Né à Boulogne (Seine) le 11 janvier 1884, Frantz (ou François) est le quatrième de six enfants. Il devient employé de banque, fait le service militaire en 1905-1906 puis s’engage pour un an en 1907 dans l’infanterie de marine et sert à Madagascar. Marié le 10 juillet 1909 à Vigneux-sur-Seine avec Renée Dobricourt, couturière. A la veille de la guerre, le couple a deux enfants. Renée tient un petit commerce de mercerie et confection féminine à Paris, rue Popincourt. Frantz se décrit lui-même comme un « mécréant » ; il est politiquement à gauche.

Après la guerre, naîtront deux autres enfants. Le couple tient un hôtel-restaurant au Raincy dans les années 1920 et 1930, puis divers autres commerces jusqu’au milieu des années 1950. Frantz meurt en 1971 à l’âge de 87 ans, Renée en 1974.

2. Le témoignage

Les lettres adressées par Frantz à Renée, du 14 août 1914 au 18 février 1917, puis du 3 octobre au 22 novembre 1918, ainsi que quelques-unes de 1909, avant le mariage, ont été récupérées par leur fils aîné Camille et publiées par le fils de celui-ci :

– Jack-François de Witte, Lettres d’un mécréant (1909-1918). François de Witte, s. l., Olympio, 2001, 148 p. Portrait de Frantz sur la couverture. L’avant-propos et la postface du petit-fils fournissent les renseignements biographiques repris ci-dessus.

3. Analyse

En 1914, Frantz de Witte est secrétaire et agent de liaison cycliste au 41e régiment d’infanterie coloniale. Le 14 août il souhaite que la campagne soit brève ; le 22, il constate les horreurs de la guerre et en plaint les victimes, Français et Allemands. Le souci d’être délivré du cauchemar revient fréquemment : « Est-ce pour vivre ainsi que l’intelligence a été donnée à l’homme ? » (24 août 1915) Mais il n’est pas défaitiste. Ainsi, en pleine attaque allemande sur Verdun (2 mars 1916) : « Impossible de songer à autre chose qu’à la grande tragédie qui se joue en ce moment, et d’où peut dépendre le destin de la France. La brutalité et la formidable puissance de l’Allemagne auront-elles raison de notre résistance ? »

La correspondance contient les thèmes habituels : villages en ruines (p. 84) ; les hommes transformés en paquets de boue (p. 88) ; mépris pour les embusqués ; attachement à la famille…

La grande originalité apparaît à l’automne de 1916. Frantz semble en butte à la haine d’un chef. Les lettres ne sont pas explicites là-dessus parce qu’il a dû exposer la situation à sa femme au cours d’une permission. Dans sa postface, le petit-fils cherche l’explication dans les positions politiques de son grand-père, mais sans donner de preuves. Frantz devient extrêmement précis dans une lettre à sa femme transmise par un permissionnaire pour échapper à la censure. Il y dévoile dans les moindres détails le plan de sa désertion (20 décembre 1916) : qu’elle vende toute la marchandise du magasin, même à perte, pour accumuler du numéraire ; qu’elle lui fasse confectionner des vêtements civils ; qu’elle loue sous son nom de jeune fille une maison dans une ville loin de Paris… « Je suis poursuivi par la haine de cet homme et il me brisera si je ne me dérobe, écrit-il. Plus tard, nous gagnerons la Hollande ou tout autre pays, et nos garçons y gagneront de n’être jamais soldats. Cette décision est d’une gravité exceptionnelle. Elle engage non seulement mon avenir mais le tien. » Le plan est mis à exécution en profitant d’une permission en février 1917. Sur le registre matricule, il est déclaré déserteur le 21 mars. On n’a évidemment plus de lettres à partir de cette date, mais son fils a gardé le souvenir de la période où son père se cachait.

La situation étant devenue intenable au bout de quelques mois, Frantz de Witte se serait rendu en septembre 1917 et porté volontaire pour le 21e bataillon colonial (de fait, la mention de désertion est barrée sur le registre matricule). On le retrouve à Arkhangelsk, mais seulement le 3 octobre 1918 (description intéressante, p. 122-124). Il apprend le russe. Le 12 novembre, il s’écrie : « Quel bonheur ! Etre là, intact, au bout de quatre ans. »

4. Autres informations

– Le livre cité plus haut contient des extraits « du journal de campagne du docteur Louis Lucas », médecin au 41e RIC, sans précision de l’origine de la source. Cela pourrait être un JMO. Si c’est le cas, le texte a un caractère contestataire inhabituel.

– On peut trouver des copies de lettres originales de F. de Witte, ainsi que du registre matricule que le petit-fils a réussi à se procurer (sans autre précision), et des photos familiales, dans le mémoire de maîtrise de Nathalie Dehévora, Quatre combattants de 14-18, université de Toulouse Le Mirail, septembre 2005, 2 vol., 149 et 121 p. (Les trois autres combattants sont Lucien Cocordan, Jules Laffitte et Roger Martin.)

Rémy Cazals, mars 2008

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