- Témoignages de 1914-1918 - https://www.crid1418.org/temoins -

Brothier, Célestin (1873-1915)

1. Le témoin

[1]

Célestin Brothier, né le 12 avril 1873 à Jarcy (Vienne), est brigadier de gendarmerie, commandant la brigade de Maulévrier (Maine-et-Loire). Engagé volontaire au 68e RI (Le Blanc et Issoudun dans l’Indre), il quitte ce régiment au grade de sergent en 1897, signe un engagement supplémentaire au 117e RI (Le Mans) et est admis en gendarmerie le 13 mars 1900. Le 10 novembre 1911, à 38 ans, Célestin Brothier devient le brigadier de Maulévrier. Dès la mobilisation, il est affecté au sein d’une formation prévôtale attachée aux armées et intègre comme gendarme à pied l’équipe du capitaine Jules Allard à Angers. Dysentérique, il est évacué, le 7 septembre 1914 et il meurt, semble-t-il des suites de cette affection, en 1915 sans être jamais retourné au front.

2. Le témoignage

Kocher-Marbœuf, Eric – Azaïs, Raymond, Le choc de 1914. La Crèche, Geste éditions, 2008, 147 pages.

Célestin Brothier entame son journal de guerre le 1er août 1914. Après avoir mis en place les instructions de mobilisation de sa circonscription, il répond à son propre ordre de mobilisation qui lui prescrit de rejoindre la caserne Saint-Maurice d’Angers où il est reçu par le capitaine Jules Allard « commandant la force publique de la 18ème division d’infanterie (….) [qui] fait l’appel de son personnel. Il ne manque personne. Cet officier prend contact avec nous, fait quelques recommandations et un petit speech, dans lequel il nous assure de sa bienveillance ». Le lendemain le détachement, qui « se compose de : un capitaine, deux maréchaux-chefs, 2 brigadiers et 18 gendarmes » est embarqué avec l’état-major de la 18ème D. I. du général Lefèvre. A partir de ce point, les expériences des deux gendarmes, l’un à la tête du détachement, l’autre à la tête d’une de ses cellules, sont communes, même si celle de Brothier, dysentérique, s’achève le 7 septembre 1914. Son témoignage est écrit le 20 septembre 1914, à son retour chez lui à Maulévrier, alors qu’il attend « un nouvel ordre pour partir à la guerre ».

Eric Kocher-Marbœuf, professeur à l’université de Poitiers, présente dans l’édition de ce double témoignage un des très rares carnets de guerre de gendarme dans la campagne de 1914-1918 (voir dans ce dictionnaire la notice du second témoin, André Bourgain, du 114e RI) . Dans une préface opportune, résumant bien les enjeux historiographiques récents autour du témoignage, décrypte les apports de la publication du carnet de Brothier. Il est en effet constaté l’absence de témoignages sur cette arme, en rien révélatrice d’une absence de devoir ou de sacrifice. Et le présentateur de rappeler la réhabilitation faite par Pétain en août 1919 du rôle de surveillance et de maintien de l’ordre, outils également nécessaires pour la victoire. En effet, « 1 200 gendarmes sur les 70 000 gendarmes engagés sur le font pendant la première guerre mondiale ont été tués au champ d’honneur » (page 18). Ainsi le témoignage de Célestin Brothier reste exceptionnel par le statut du témoignage, exhaussé par les nombreuses descriptions des moments intenses de ses missions, même si quelques poncifs de bourrage de crâne ne sont pas évités. Il a été rendu d’autant plus intéressant par l’éclairage de la publication postérieure du journal de guerre du capitaine Jules Allard, son supérieur dans le détachement prévôtal.

En première ligne sur la question redondante, parangon de la littérature de bourrage de crâne, de l’espionnite, le gendarme se nourrit de ces rumeurs qu’il combat dès la vérité obtenue. Loin à l’intérieur, à Maulévrier : « Des espions allemands ont fait sauter des ponts dans les environs, des routes stratégiques ont été ont été coupées. Des personnes viennent me demander des renseignements à ce sujet. Je leur dis que tout cela est insensé, qu’il ne faut attacher aucune importance à ces faux bruits, absolument faux. J’ai ajouté que j’allais procéder à une enquête à ce sujet ; et que je ne désespérais pas d’arrêter celui qui avait lancé ces nouvelles, aussi fausses que dépourvues de bon sens » (page 40). Il nous renseigne sur l’ambiance dans sa commune lors de la mobilisation et fait état des télégrammes reçus, préconisant entre autres « l’affichage de l’état de siège programmé dans toutes les communes de France, la suppression de tous les appareils de télégraphie sans fil, l’application immédiate des instructions au sujet des étrangers résidant en France, au sujet des personnes munies de laissez-passer… » (page 40). Il précise que le « rappel des permissionnaires s’effectue, tous revenus sans faille » (page 41) et décrit l’ambiance dans les gares, les wagons enguirlandés sur lesquels sont dessinées inscriptions et caricatures (page 43). Lui-même devenu agent prévôtal, il fait état des consignes reçues, telle la censure des correspondances : « Nous recevons l’ordre de remettre au capitaine nos correspondances cachetées qui ne devront mentionner ni l’endroit où nous nous trouvons, ni aucun renseignement concernant la guerre. L’infraction à cet ordre entraînerait l’auteur devant le conseil de guerre ».

Confronté à la réalité de la guerre, il découvre l’horreur des cadavres frais (page 82), dont ont fait des barricades (page 86), un adjudant blessé devenu fou (page 104) sans que l’on puisse sur ses constatations douter de ses propres expériences, différentes de sa souscription à la rumeur dont il fait lui-même état à plusieurs reprises, mais par procuration. Ainsi, il rapporte que « les Allemands, qui veulent la peste, s’opposent à l’assainissement du champ de bataille » (page 92) mais aussi la multiplicité des espions et des faux bruits (page 93) ou des balles explosives (page 108). Il est lui-même se demande si guerre et barbarie ne seraient pas apprises à l’école allemande et rapporte qu’ils achèvent leurs propres blessés inaptes à servir la nation à l’avenir (page 110). Enfin, « il paraît que ces gredins sont allés jusqu’à achever leurs propres blessés ; ceux qui n’étaient plus d’aucune utilité à la nation, c’est-à-dire les misérables et ceux qui devaient rester infirmes » (page 110).

Enfin, comme beaucoup de témoins, il relate sa fascination du spectacle de la guerre (page 94) qui abrutit le soldat et lui fait perdre sa notion du temps (page 109).

Lieux cités (date – page) :

1914 : Maulévrier (1er – 4 août – 37-44), Angers (4-5 août – 45-46), Blois, Beaugency, Troyes, Mirecourt, Flavigny (6-7 août – 47-50), Saint-Nicolas-de-Port, Ludres, Faulx (8-11 août – 50-53), Belleau (12-20 août – 54-62), Toul, Commercy, Lérouville, Sampigny, Verdun, Sedan (19-24 août – 62-70), Nancy (25-26 août – 71-74), Velaine-sous-Amance, Cercueil, Réméréville, (27 août – 3 septembre – 73-98), Nancy, Bazeilles, Sedan (4-5 septembre – 100-101), Arcis-sur-Aube, Herbisse (5-7septembre – 102-105), Orléans, Châteauroux, Limoges, Brives, Cahors, Castelsarrasin ; Montauban, Angers, Maulévrier (8-20 septembre – 106-120).

Rapprochements bibliographiques

Allard, Jules (Cpt), Journal d’un gendarme. 1914-1916. Montrouge, Bayard, 2010, 263 pages.

Yann Prouillet, février 2011

Share [2]