Daguillon, Jean (1896-1918)

En présentant le journal de guerre de son oncle, l’historien François Bluche écrit : « Si grand soit le talent d’un écrivain, il nous instruit moins sur les mentalités du temps de guerre que le journal honnête et régulièrement tenu, d’un simple combattant dépourvu de souci littéraire. » Son journal, Jean Daguillon l’a tenu à partir du 1er avril 1915 et jusqu’en février 1918, comme artilleur puis observateur en avion. Né à Paris, le 27 juin 1896, il appartenait à la « moyenne bourgeoisie semi-provinciale attachée au service public » (son père était professeur de botanique). Marqué par une éducation catholique, lecteur de Léon Daudet, brillant élève, Jean fut reçu à Polytechnique, mais tout de suite mobilisé au 3e RAC. Il devint sous-lieutenant en août 1916, lieutenant en juillet 1917.
Avant de partir, il exprime une « impatience guerrière » qui lui fait décrire des blessés pressés de remonter, mais les a-t-il vus ou a-t-il lu les journaux ? Ces sentiments demeurent après qu’il ait rejoint un état-major du côté des Hurlus : « Quand serons-nous en Bochie ? » ; « Quel plaisir d’être artilleur et de pouvoir alors faire une bouillie de ces animaux-là ! ». Tout va bien (mai 1915) : « Partout où nous attaquons, nous réussissons ; partout où ils attaquent, ils échouent ou se font tuer beaucoup de monde pour un mince résultat. » Le 143e RI est « un très chic régiment », et le 80e aussi. Un séjour dans les tranchées avec une batterie de crapouillots constitue un utile stage : il apprend à s’adapter, à se garer des marmites (qui peuvent cependant pulvériser les abris avec leurs habitants). En juillet, les fantassins ne tirant pas sur un officier allemand qui regarde parfois par-dessus le parapet, il prend un fusil et le descend (sans en être assuré, sans remords).
En septembre, des indices montrent qu’une offensive se prépare. « Et ce sera la poussée, la vraie percée celle-là, parce que tous nous la voulons, et parce que nos ennemis nous ont appris qu’il ne fallait user avec eux ni de ménagements, ni de pitié. » Joffre est « vraiment l’homme qu’il nous fallait. Lentement, mais sûrement, il nous conduit à la victoire. » Les soldats ont reçu « le grand couteau de cuisine, l’arme qui fera les nettoyages sommaires dans les tranchées conquises ». Le 25 septembre, il voit arriver les blessés. Ils sont « joyeux malgré leurs souffrances », ils sont « tous enchantés ». « La guerre en rase campagne va donc enfin recommencer. » Au 23 octobre, propos plus nuancés : « Ce fut une victoire, certes, les premiers jours, mais, après, que de monde on a perdu ! »
Le journal alterne ensuite les récits détaillés de certaines journées cruciales et de séjours en secteur calme. Le 7 décembre, par exemple, agent de liaison lors d’une attaque allemande, il montre comment il échappe à la mort et, en même temps, il décrit comment les assaillants, portant sacs de terre et chevaux de frise, aménagent la position conquise afin de résister à la contre-attaque à la grenade. Au repos, le 6 janvier, il s’extasie devant les « champs non coupés de boyaux » et les « arbres avec des branches et non réduits à l’état d’allumettes ». En mars 1916, du côté de Soissons, le secteur est tellement calme qu’il cesse de prendre des notes, sauf en ce qui concerne le baptême de l’air, expérience jugée « épatante » par celui qui a déposé une demande pour entrer dans l’aviation. Il n’obtient pas immédiatement satisfaction, mais part trois mois à l’arrière dans une école de perfectionnement. En février 1917, il revient dans une batterie du côté de Verdun et s’emploie à perfectionner les liaisons avec l’infanterie (« Quelle vie pour nos pauvres fantassins ! », note-t-il le 15 mars).
Enfin, le voici dans l’aviation, comme observateur du secteur de Verdun qu’il connaît bien au niveau du sol. Le même souci du détail lui fait noter les noms de ses nouveaux camarades, leurs accidents (voir dans le glossaire les termes qui les évoquent : atterrir dans les choux, se mettre en pylône, réaliser un avion, c’est-à-dire le détruire), les pannes de moteur ou de radio, l’enrayage de la mitrailleuse, l’impossibilité de sortir en cas de mauvais temps. L’avion d’observation, lent et vulnérable, doit être protégé par des chasseurs. C’est l’absence d’une telle protection qui explique que l’avion de Jean Daguillon et de son pilote Joseph Piton soit abattu, le 23 février 1918 en Alsace.
Rémy Cazals
*Lieutenant Jean Daguillon, Le sol est fait de nos morts, Carnets de guerre (1915-1918), Paris, Nouvelles éditions latines, 1987, 377 p., illustrations. Très riche index des noms de personnes, parmi lesquelles le capitaine Bonneau (voir notice).

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