Desbois, Georges (1891-1916)

Sa biographie et son témoignage sont indissociables de ceux de Georges Descolas. Les deux condisciples à Normale Sup étaient fils d’instituteurs. Desbois est né à Préty (Saône-et-Loire) le 6 novembre 1891 et a étudié au lycée de Mâcon. Descolas est né à Maillet (Indre) le 1er avril 1893 et il a étudié au lycée de Châteauroux. Ils se sont rencontrés ensuite au lycée Henri IV de 1910 à 1912 et se sont retrouvés dans la section de 1ère année formée en novembre1913, dont 47 élèves furent mobilisés, parmi lesquels 28 tués. Descolas n’a pas fait la guerre : ayant contracté une pleurésie, il a été soigné en sanatorium de juin 1914 au 12 août 1915, date de sa mort. Desbois a été mobilisé comme simple soldat ; il était sous-lieutenant au 79e RI lorsqu’il a été tué à Curlu (Somme) le 9 juillet 1916. Leur correspondance a été publiée dès 1921.
Le frère de Descolas, tué au tout début de la guerre (le 25 août 1914), avait écrit avec lucidité : « Ce n’est pas une guerre entre hommes ; c’est une guerre d’engins. » Mais les deux normaliens ont gardé une relation à la guerre via les auteurs classiques. Ainsi, Desbois à Descolas, le 25 septembre : « Celui que je pleure avec toi n’a pas eu de tristesse avant de mourir. Il a été ensuite relevé par des mains fraternelles qui lui ont donné, avec leur dernière caresse, le plus saint viatique qu’il aurait pu désirer. Il est tombé comme un héros d’autrefois, et les paroles sacrées de Virgile, sur le bonheur qui atteint de tels morts, sont pleines de vérité pour lui. » Du sanatorium, Descolas reste dans le ton (5 mars 1915) : « Oui c’est là-bas mon ami, dans la tranchée, parce que tu n’auras aucun pacte de durée, que tu vivras le plus intensément et que tu penseras le mieux. » Et encore, le 21 avril : « C’est là leur leçon dernière à tous, Michel, Rigal, Jourdain, qui sans doute n’avaient jamais pensé sérieusement à la guerre, mais qui, placés entre la vie et l’honneur, n’ont pas balancé. La maturité leur est venue d’un coup. » Retour à Virgile dans une lettre écrite par Desbois quelques jours avant la mort de son camarade : « Je lis tranquillement mon Virgile de campagne, installé dans ma cantine à côté de mes vivres, de ma pipe et de mes cartouches de revolver, dont je possède une provision considérable. Je fume interminablement des pipes, et je lis des pages et des pages de Virgile, mais je suis toujours aussi maladroit pour tirer au revolver. »
Le jeune officier a décrit à son ami son contact avec les hommes qu’il doit commander (20 juillet 1915) : « Je commence à faire connaissance avec les poilus de la première section, qui me revient dans la compagnie, et je m’exerce à repérer leurs physionomies ; il y a d’ailleurs des instructions extrêmement minutieuses pour cela, et il faut que nous connaissions non seulement les noms et les figures, mais encore certains renseignements sur la profession, le pays d’origine, la famille, etc. C’est d’ailleurs le moyen de gagner la confiance de ces braves gens, dont le dévouement patriotique et le sentiment du devoir en général est très grand et très élevé, bien au-dessus de leur niveau intellectuel et de leur éducation sociale. Le monde est ainsi fait ; il est dix fois plus facile de faire un bon soldat que de former un bon citoyen. J’ai un petit Parisien de la classe 15 qui fait partie de la fédération du bâtiment ; je lui ai montré que cette société ne m’était pas inconnue, et qu’il y avait certainement puisé des principes d’ordre et de discipline utiles à pratiquer maintenant. Je ne sais pas s’il a compris ; dans tous les cas, il sera content que je pense du bien de ses camarades syndiqués. Les natures simples, aussi bien celles de la campagne que de la grande ville, doivent être les plus faciles à s’attacher. » Desbois dit aussi sa satisfaction de voir que « les adversaires de la loi des trois ans ont été unanimes pour prendre les armes » (31 décembre 1914). Il y revient quelques jours plus tard : « L’héroïsme, c’est bien de jouer volontairement sa vie pour donner aux idées chères la haute consécration que confère seul le désir de la mort : c’est ainsi que fut Jaurès, et après lui tous les adversaires de la loi des trois ans dont t’a parlé H. [Herr] et dont L’Humanité et La Bataille Syndicaliste relèvent chaque jour les noms. »
Autre satisfaction, dont les deux normaliens ne pourront vérifier si elle n’était pas pleine d’illusions, cette parole d’un officier supérieur rapportée par Desbois en juillet 1915 : « Ceux qui auront fait la guerre auront une autorité extraordinaire sur la génération suivante, […] la jeunesse en particulier aura en eux une confiance illimitée. Voilà bien ce qui doit encourager les intellectuels combattants… »
Rémy Cazals (d’après les notes de Nicolas Mariot)
*Georges Desbois et Georges Descolas, Correspondance de deux élèves de l’École Normale Supérieure pendant la guerre, Paris, Union pour la vérité, 1921, coll. « Documents sur la civilisation française ».

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