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Monatte, Pierre (1881-1960)

Les éditions Smolny à Toulouse (43 rue Bayard) viennent de publier, avec le soutien de la région Occitanie, le livre de Pierre Monatte, Lettres d’un socialiste sous l’uniforme 1915-1918, lettres choisies et annotées par Julien Chuzeville, 2018, 112 pages. Ces lettres sont principalement adressées à sa femme et à ses amis, Marcel Martinet et Fritz Brupbacher.
Pierre Monatte est né le 15 janvier 1881 à Monlet (Haute-Loire). Son père était forgeron, sa mère dentellière. Il a pu étudier jusqu’au baccalauréat mais a dû ensuite entrer dans la vie active à Paris, comme correcteur d’imprimerie. Il se marie en 1909 avec Léontine Valette, couturière. Il s’investit dans la CGT syndicaliste-révolutionnaire et crée La Vie ouvrière avec Alfred Rosmer, Marcel Martinet et Alphonse Merrheim.
Très hostile à la guerre, il stigmatise la participation des leaders socialistes et syndicalistes à l’Union sacrée en août 1914, notamment dans sa lettre de démission du comité confédéral de la CGT (7 décembre 1914), reprise dans le livre et dont j’extrais deux passages : « Parler de paix est le devoir qui incombe, en ces heures tragiques, aux organisations ouvrières conscientes de leur rôle. » Et : « L’alliance russe, déjà la honte de la République française, a précipité notre pays dans le gouffre. L’alliance russe et les ambitions marocaines de nos coloniaux. » Sans citer Jaurès, il s’agit là des thèmes que celui-ci répétait avant son assassinat.
Réformé, Pierre Monatte est cependant récupéré au début de 1915 et il reste sous l’uniforme jusqu’en mars 1919. D’abord en caserne au 52e RI dans la Drôme, il part vers le front avec le 252e en janvier 1916. Il connaît la vie des tranchées, puis devient signaleur télégraphiste en mai. Dans une lettre de juin 1918, il se présente comme téléphoniste à la compagnie hors rang du 62e RI. Comme tous les soldats, il écrit qu’il attend avec impatience son courrier, que les journaux manquent (malgré leur évolution, il préfèrerait lire L’Humanité et La Guerre sociale – mais il ne dit rien du parcours de Gustave Hervé) ; il parle du temps qu’il fait, de la boue, d’une vie presque animale.
Mais il y a autre chose. Les sentiments pacifistes et internationalistes s’expriment dans ses lettres à ses amis zimmerwaldiens. Son réseau est constitué d’un noyau de militants fiables, mais il pense que peu le sont vraiment. Autour, il mentionne Albert Thierry (voir ce nom dans le Témoins de Jean Norton Cru et dans le présent dictionnaire), Léon Werth (Témoins), Romain Rolland et Jeanne Halbwachs (voir la correspondance de Marie-Louise et Jules Puech, notices dans le présent dictionnaire). Il pense qu’une minorité « se constitue silencieusement » contre la guerre (1er août 1915), mais qu’il ne faut pas se laisser entraîner par l’imagination et que l’avance se fait au « pas de tortue » (27 décembre 1915). Il critique Griffuelhes et Jouhaux qui ne font que recouvrir la thèse gouvernementale « d’oripeaux révolutionnaires » (17 avril 1916). Il se réjouit de la révolution russe et annonce la scission du mouvement ouvrier.
Il est bien placé pour observer l’attitude des soldats qui, tous, désirent la paix, mais (14 juillet 1915) : « Ce n’est pas tout de la désirer, faudrait voir et accepter les moyens de la réaliser. Ils n’ont pas l’air de le soupçonner même, malheureusement. » En lisant cela, je pense aux remarques d’André Loez sur la faible participation des hommes aux mouvements sociaux et aux mutineries.
Après la guerre, Monatte relance La Vie ouvrière. Il adhère au PCF en 1923 et son attitude critique le fait exclure en 1924. Il fonde la revue La Révolution prolétarienne. Il prend sa retraite de correcteur d’imprimerie à 71 ans.
Rémy Cazals, octobre 2018

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