Platel, Anne-Marie (1897-1998)

Tout témoignage, même très conformiste et soumis sans esprit critique à une intense propagande conservatrice, patriotique et catholique, doit être pris en considération à condition d’en connaître le contexte. Celui des carnets d’Anne-Marie Platel est donné dans la présentation générale de Magali Domain au livre Mes années de guerre 1914-1919, aux éditions du Camp du Drap d’Or, Balinghem, 2018, 317 p., encart de 8 pages de photos. Cette présentation, sur 18 pages, très complète, rend possible une lecture en survol du témoignage lui-même.
Anne-Marie est née à Lille en 1897, fille aînée d’un industriel de Calais. Etudes chez les Ursulines. Elle demeure pendant la guerre à Calais (bombardée par avions et zeppelins) ou dans la résidence secondaire de Polincove, puis à Rennes à partir de l’automne 1917. Elle écrit sur de petits carnets dont le contenu n’était pas destiné à la publication, même s’ils ne contiennent rien d’intime. Elle restitue les informations données par L’Echo de Paris et La Croix ; elle en reçoit des officiers belges qui logent à Calais ; elle suit la marche des drapeaux sur une carte du front affichée par son père. L’épisode qu’elle décrit précisément est le bombardement du dépôt de munitions des Anglais à Audruicq dans la nuit du 20 au 21 juillet 1916. Du début à la fin, elle reste convaincue que la guerre menée par les Français, une juste guerre, sera victorieuse. Le 8 janvier 1917, s’interrogeant sur l’avenir, qui n’appartient qu’à Dieu, elle écrit : « Nous avons grand espoir que ce sera l’année de la victoire décisive de la Justice et du Droit sur la Barbarie et le Mensonge. » Et le 11 novembre 1918 est « le jour de Gloire ».
Les notations sur le début de la guerre évoquent la panique vers les banques et les épiceries. Les réclames de Kub et de Maggi sont des signaux placés par l’espionnage allemand. Avec cette note complémentaire (20 août 1914) : « La ruse du bouillon Kub et des potages Maggi était connue de l’état-major depuis 2 ans. Ils ont toujours fermé les yeux, laissant les Allemands compter dessus. Ceux-ci auraient pu, se voyant découverts, inventer autre chose qui nous aurait peut-être échappé. Ils ont donc fait semblant de rien et aussitôt la déclaration de guerre tout s’est trouvé arraché. A trompeur, trompeur et demi. » De plus, les Français possèdent cette poudre miracle qu’est la turpinite. Les Allemands ne tiendront pas car ils meurent de faim ; les Russes vont de victoire en victoire. Mais (26 août 1914), la France anticléricale avait besoin d’une punition. Elle l’a eue.
Par la suite, Anne-Marie signale le début de la bataille de Verdun (25 février 1916), les troubles en Irlande provoqués par les Boches (28 avril 1916), l’abdication du tsar (17 mars 1917), le recul des Allemands ce même mois, signe de déroute, l’offensive du 16 avril, la nomination des très catholiques généraux Foch et Pétain, le « monstrueux canon » qui bombarde Paris (30 mars 1918). Le 12 novembre 1917, Anne-Marie écrit que la victoire des maximalistes est ce qui peut arriver de pire à la Russie. Et le 2 décembre : « Les chefs du parti maximaliste sont Lénine et Trotski – de purs Boches dont la véritable identité est « von » quelque chose. » Malvy et Caillaux sont des traîtres. Un passage du 12 décembre 1917 mérite d’être largement cité : « Il [Caillaux] projetait de décider l’Italie à signer une paix séparée, puis, pensant arriver promptement au pouvoir, entraîner notre France dans cette déchéance et former une alliance avec l’Italie et l’Allemagne contre l’Angleterre et la Russie ! Il avait déjà conçu ces plans avant la guerre, et pour empêcher le perspicace et énergique Calmette qui avait vu clair dans son jeu, d’en signaler le danger, sa femme ne recula pas devant le crime monstrueux dont le retentissement fut étouffé par la grande catastrophe qui fondait sur le monde. Dernièrement, il fit une criminelle propagande en Italie, qui contribua en grande partie aux douloureuses défaites de ses armées. Enfin le voilà pris, il a beau se défendre en discours et en tirades, le « Tigre » Clemenceau est là pour faire la justice de ce traître qui, pendant que nos soldats se battaient généreusement, leur tirait dans le dos ! »
Rémy Cazals, avril 2019

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