Herse H. Après la guerre. Une visite au patelin (Suite aux Récits du Grand-Père)

1) Le témoin

Pour sa présentation, nous renvoyons le lecteur à la fiche consacrée à la première partie de ce témoignage (Herse H., Pendant la guerre. Récits d’un Grand-Père à ses Petits-Enfants, Soissons, Imprimerie A. Laguerre, 1932, 111 p.) présentée sur ce site.

2) Le témoignage

Herse H., Après la guerre. Une Visite au Patelin (suite au Récits du Grand-Père), Soissons, Imprimerie A. Laguerre, 1933, 20 p.

Ce deuxième volume, plus court que le premier, s’inscrit dans une parfaite continuité. Après une longue période d’exil qui s’est étendue de septembre 1914 à 1919, la famille du témoin revient dans un village non localisé précisément, situé dans la vallée de l’Aisne, à l’est de Soissons et appartenant au canton de Vailly-sur-Aisne.

Ce deuxième témoignage nous apporte cependant un détail précis de localisation géographique : « Nous l’aimions bien notre petit bien notre petit patelin ! Bâti en amphithéâtre, face à la jonction de l’Aisne et de la Vesle, il date de bien des siècles. Les Romains y avaient jeté sur l’Aisne un petit pont en pierre. Notre montagne qui domine et où se trouve le fort, avait été, par eux, au 1er siècle de notre ère, transformée en camp retranché. » (p. 5) Il s’agit donc très probablement de Condé-sur-Aisne, commune possédant un fort Serré-de-Rivières.

Comme pour la majeure partie de la première fiche consacrée à ce témoin, nous ne recenserons ici que les passages les plus intéressants.

Chronologiquement, le récit se situe après la signature de la paix, donc après juin 1919. A l’évidence, l’année 1920 est aussi mentionnée, du fait de l’évocation du retour des corps des soldats pouvant être inhumés dans une tombe familiale (article 106 de la loi de finance du 31 juillet 1920).

 

« Nous quittons Paris, jusqu’à Crépy, en apparence rien n’a souffert ; les armées allemandes n’ayant guère venu jusque-là. Rien n’a changé, si ce n’est que les gens que l’on coudoie en chemin de fer manquent pour la plupart d’élégance ; on n’est plus aussi bien qu’avant la guerre. Dame ! on a bien d’autre chose à penser. D’ailleurs, ce sont des gens comme nous qui vont à la recherche du patelin.
Nous faisons le voyage tantôt en troisième classe, tantôt en première, enfin dans les wagons à bestiaux. Tout arrive à présent. Heureux encoure quand il n’y a pas d’autres ennuis.
Nous Voici à Villers-Cotterêts ; on commence à voir des maisons et des arbres blessés, aussi, nous ressentons un frisson, on a froid au cœur. » (p. 4)

« A présent, plus on avance vers le Nord, plus les villages semblent torturés ; enfin nous arrivons face à Soissons ; c’est un spectacle navrant, une ruine. Nous voilà place de la République ; il est épargné à demi le monument élevé à la mémoire de nos moblots et de E. Ringuier, c’est toujours autant. Il va y avoir des volumes à écrire sur ces destructions. De plus qualifiés que moi le ferons. Seulement deux mots en passant.
Rafistolés par tous les bouts, tels sont les établissements des commerçants qui se réinstallent. Vous y voyez des fenêtres aux vitres en papier huilé. Dans l’intérieur, des bancs grossiers, pas de chaise, des tables boiteuses. Dans les bars, des consommateurs attendent pour prendre leur café que le voisin ait bu le sien. Verres et tasses sont rares. On voit des gens, qui mangent à table, passer vivement cuillères, fourchettes et assiettes aux camarades impatients ; c’est qu’il n’existe plus rien d’avant-guerre.
Tout est cassé, brisé… Infortunés Vases de Soissons ! Mais, loin de nous, les soucis du passé. Aujourd’hui, le devoir, c’est d’organiser la solidarité qui nous aidera à tout réparer et à tout remettre debout. » (pp. 4-5)

« Aujourd’hui, nous ne rencontrons que notre matériel de culture et nos machines agricoles démolis ou à moitié brûlés. Après, c’est de barbelés, des trappes prêtes à nous happer au passage. Encore faut-il se méfier, car tout est camouflé. Et, que malgré des artificiers aient déjà passé, de la mitraille ça-et -là est savamment dissimulée. Ce qui n’empêche pas encore des fils tendus partout comme des toiles d’araignées.
Les champs de bataille ne laissent rien d’aussi tragique ni d’aussi dangereux. C’est pourquoi, que, malgré toute la prudence qu’on y apporte, cela fait encore des victimes. Oui, cela désoriente, c’est navrant.
Nous arrivons en face de ce que fut notre maison… eh bien ! on a pleuré… » (p. 6)

« Et l’on marchait les yeux égarés et toujours dans les ruines. Là, c’est la place où l’on venait jouer, ensemble, tous les petits camarades. On y installe une baraque : la mairie. A côté, une autre baraque, c’est l’école. La municipalité est réinstallée, le curé revient, un baraquement va resservir au culte. Beaucoup de choses sont encore embryonnaires, mais, on sent qu’un monde est là qui se refait. » (p.7)

« Nous venons de rencontrer des voisins qui reviennent aussi au pays. On est content de se revoir ; il y avait cinq ans qu’on ne s’était vu. Avant la guerre, on vivait en indifférents vis-à-vis les uns des autres, mais, aujourd’hui, en se revoyant, on se prend le cou et l’on s’embrasse. L’adversité est bonne conseillère. D’ailleurs n’avons-nous pas couru les mêmes risques, les mêmes tourments, les mêmes peines, les mêmes misères : la douleur d’être séparés de la famille et des amis. » (p. 8)

« Une démarche qui nous tient à cœur, nous allons au cimetière. C’est un devoir pour nous ; les père et mère, les grands-pères et grands-mères, tous les ascendants sont là en attendant que nous allions les retrouver […] Et beaucoup de tombes ont été atteintes par les obus ; certaines sont complètement abîmées et des sépultures à découvert. Mais on a le culte des Morts dans nos patelins et avant peu tout sera religieusement réparé. » (pp. 8-9)

« En attendant, voilà encore un aperçu de la triste situation que nous lègue la guerre. Nous passons près d’un tertre nouvellement remué. C’est là que vient d’être enterré un honorable citoyen de la commune, terrassé par les inquiétudes et le chagrin. Il était à peine entré au pays ; rien n’était encore organisé ; pas de médecin, pas de pharmacien ; les rues, des précipices, aucune communication ; on ne peut même pas se porter secours ; la désespérance en tout. » (p. 10)

« Maintenant au chef-lieu de canton fonctionne une Commission des Dommages de Guerre et le District pour toutes les réparations et rétablissement à faire.
Il nous faut justifier nos droits aux dommages de guerre.
Voilà les entrepreneurs de maçonnerie et les architectes qui s’apprêtent, qui multiplient.
La Coopérative de Reconstruction s’amène à l’œuvre. Il semble que tout va reprendre vie comme avant le désastre.
Un détail : on commence à revoir des chats : pas les nôtres. Ceux que nous avions en 14 sont devenus sauvages ; ils habitent les bois : on ne peut plus les approcher. » (p. 11)

« Aussi, malgré toutes les peines qu’on a à se ravitailler en pain, en lait, en épicerie et autres comestibles et, malgré tous les achats qu’on a faits pour se remettre en ménage, on s’aperçoit qu’il en manque toujours. Tantôt il faut courir chez la voisine, tantôt chez le voisin. Une fois, il manque une marmite ; une autre fois, c’est un broc. Prêts, échanges, échanges et prêts et c’est ainsi tout le temps
Il y a encore plus malheureux ; quelquefois, le soir, des gens qui regagnent le lointain patelin entrent en passant. – Ah ! Monsieur, auriez-vous un petit grenier et une botte de paille pour nous coucher ! – Ah ! mes pauvres gens, qu’est-ce que vous me demandez là ! Regardez donc ? Et l’on reste bouche bée. C’est une scène pénible. Alors, quoi ! L’hospitalité est-ce encore un coin derrière les pierres ? Non, dans l’étroite baraque, on se serrera. » (pp. 13-14)

« Voilà notre petit village qui se repeuple. C’est la reconstruction qui amène un grand nombre d’ouvriers : Limousins, Bretons, et toutes les provinces de France et aussi une masse d’étrangers.
Depuis six mois, les travaux vont bon train. Des Portugais m’installent une baraque dans mes vignes. Maintenant, on déblaie les ruines pour pouvoir reconstruire ; on commence à tailler de la pierre. Des gens du pays et des Espagnols y sont occupés. Des Italiens et des Grecs trouvent aussi des emplois. On voit quelquefois des Allemands avec les initiales : P et G, marqués entre les épaules et qu’on traduit par : prisonnier de guerre, mais, quelques fois aussi, par ironie et un peu par égard, ce qui vaut mieux de : Pauvres garçons. Ils sont calmes et travailleurs.
Ici, maintenant, on entend parler dans toutes les langues, car nous avons aussi des Chinois, des Annamites et que sais-je encore. Tous les soirs, on entend chanter. De graves et mystérieuses voix nous arrivent de la plaine, c’est, dit-on, des Russes. On rencontre aussi, ce qui est naturel des Algériens et des Marocains. Cela est bien, mais que ce ne soit tout de même pas une nouvelle tour de Babel. » (p. 14)

« Depuis peu, le Gouvernement autorise les familles à faire revenir la dépouille mortelle de ceux qui leurs sont si chers pour les inhumer non loin de leur foyer paternel aux frais de l’Etat. (Ainsi, on pourra fleurir les tombes.) » (p. 15)

« Nous allons entrer dans un autre ordre d’idée. Il nous faut présenter devant la Commission des Dommages de guerre. Nous avons fait parvenir à la dite (sic) Commission le devis qui représente nos pertes et le devis qui représente nos pertes et évaluations. Vous savez que ce n’est pas une mince affaire.
Quant à moi, je ne m’en cache pas, je crois avoir présenté tout ce qu’il y a de plus baroque en fait d’évaluation. D’ailleurs, je vous dirais, comme excuse, qu’à vivre dans les ruines et à leur contact, le cerveau est anémié, malade. » (p. 16)

3) Analyse

Ce court témoignage est pourtant riche sur la période de l’après-guerre pour la région dévastée du Soissonnais. On ne peut bien sûr s’empêcher de le comparer au futur roman de Roland Dorgelès, Le Réveil des Morts, paru en 1923, narrant des faits comparables situés dans une région très proche de celle décrite par H. Herse.

Là où le roman de Dorgelès décrit un tableau noir, peint au vitriol des dessous d’un petit monde de profiteurs peuplant les régions dévastées, notre témoin est à l’évidence beaucoup plus mesuré, serein et optimiste. Il est vrai aussi que son témoignage n’évoque que le tout début de ce retour et de la reconstruction de son village.

Sans doute y a-t-il aussi une différence de perception de l’après-guerre entre ce civil qui a vécu un long exil et l’ancien soldat qui, quant à lui, a connu toutes les affres du combat. Là où le premier comme le second constatent un tableau affligeant de l’ampleur des dévastations, l’espoir d’une renaissance possible transparaît cependant chez H. Herse. Ses propos au sujet de la main d’œuvre étrangère dénotent à l’évidence de ceux de Dorgelès quant aux préjugés raciaux, notamment au sujet de la main d’œuvre étrangère, en particulier celle des Chinois et des Annamites.

De l’importance de multiplier et croiser les sources et les points de vue, de toujours peser le pour et le contre, pour tenter de se construire un regard critique quand on aborde un fait historique par le biais d’une œuvre purement littéraire qui tend toujours à défendre une thèse sans nuances pour mieux capter son lecteur.

JFJ, septembre 2020

Share