Beaufort, Gustave (1848 – après 1923)

Ces choses-là ne s’oublient pas…

Carnets journaliers d’un senlisien (1914-1923)

1. Le témoin

Gustave Beaufort est né à Crépy-en-Valois (Oise) en 1848. En août 1914, il est chef cantonnier de la ville de Senlis : non mobilisable (66 ans), il poursuit toute la guerre son activité professionnelle au service de la ville, en y ajoutant celle de responsable du cimetière. Mutualiste militant, il a un bon niveau de rédaction écrite. Marié sans enfants, l’auteur a de nombreux neveux mobilisés. Les notations du carnet vont jusqu’à 1923, mais les mentions des missions pour la commune s’arrêtent en 1919, ce qui fait supposer qu’il a arrêté sa charge vers l’âge de 70 ans.

2. Le témoignage

René Meissel (préface et établissement du texte) et Philippe Villain (initiative et choix des illustrations) ont fait paraître en 1988, de Gustave Beaufort : Ces choses-là ne s’oublient pas…, carnets journaliers d’un senlisien (1914 – 1923), aux éditions Corps 9, soit 331 pages de texte avec en fin de volume 16 pages d’illustrations, essentiellement photographiques. Le manuscrit est conservé à la Médiathèque de Senlis. G. Beaufort s’est astreint à la tenue d’un journal de guerre, avec mention quotidienne jusqu’à mars 1919 et le texte proposé ici est fidèle à l’original, il a seulement été allégé de redites, comme par exemple à l’occasion d’un travail poursuivi sur plusieurs jours, et de nombreux noms de soldats inhumés en 1918 et 1919 n’ont pas été repris. R. Meissel précise aussi qu’il a rectifié l’orthographe, amélioré la ponctuation, et parfois rectifié la syntaxe, tout en gardant (p. 10) certaines tournures incorrectes qui, restant compréhensibles, « constituent un élément très personnel du style de l’auteur. »

3. Analyse

Le témoignage de Gustave Beaufort est précieux : il restitue méticuleusement la vie d’une petite ville de l’Oise pendant toute la guerre, et sa position de chef des travaux de la commune, en relation directe avec le maire, le met en relation avec le quotidien et les moments exceptionnels d’une cité de l’arrière plongée dans la guerre. Senlis est à la fois une ville provinciale, une cité proche de Paris et un axe routier important : l’auteur voit passer pendant toute la guerre un grand nombre d’unités qu’il mentionne dans ses carnets. Le témoignage est évidemment marqué par l’épisode initial dramatique de l’occupation allemande du 2 au 9 septembre 1914 (avancée extrême avant la Marne). La rue de la République et la gare sont incendiées et le maire Eugène Odent est fusillé sur la plaine de Chamant, ainsi que six autres otages pris au hasard. Le récit de l’auteur abonde en détails techniques, mais cette rigueur descriptive n’empêche pas l’auteur d’avoir un style à lui, fait à la fois de précision, de dignité (il insiste souvent sur sa conception du devoir) et d’humour, ce qui rend le personnage attachant. Même si la modération orthographique et stylistique du texte pour la publication oblige à rester prudent sur ce point, la maîtrise de l’écrit de cet ouvrier municipal en fait un autodidacte accompli : cet homme de devoir sait raconter.

a. Les Allemands à Senlis

L’auteur évoque les heures dramatiques de l’arrivée des Allemands, et il raconte ce qu’il sait de l’exécution des otages, le maire lui ayant demandé de se mettre à l’abri des bombardements peu avant d’être arrêté et fusillé. L’ennemi déclenche volontairement des incendies en ville et prend dans sa progression ce que l’on n’appelle pas encore des boucliers humains. G. Beaufort cite les noms des civils senlisiens concernés (p. 25) et « ils firent marcher ce groupe dans le milieu de la rue et eux étaient sur les bas-côtés, tirant sur l’arrière garde des troupes françaises. ». Lors de l’occupation, l’auteur hérite, en plus de ses fonctions de cantonnier, de la charge de responsable du cimetière, le titulaire ayant été tué par des cavaliers allemands entrant en ville ; le 4 septembre, il se rend au cimetière et « constate qu’on avait amené 13 corps, 10 soldats et 3 civils. » L’auteur décrit longuement l’identification des corps, les blessures apparentes, le lieu où on les a trouvés, et le travail d’inhumation (p. 27) : «Quelques-uns avaient des photographies, soit de leurs pères et mère, soit de leur femme et de leurs enfants. C’était navrant. J’ai passé là des heures bien douloureuses, mais je n’ai pas failli à mon devoir. » L’après-midi se passe à ces travaux d’inhumation alors que toute sorte de troupes allemandes passent de l’autre côté du mur en chantant, « c’était un triste contraste pour la besogne que nous faisions ». Les jours suivant, il décrit les pillages des Allemands dans les boutiques, les cadavres de chevaux épars qu’il doit ensevelir, et les nombreux chiens errants d’habitants ayant fui qu’il attrape et abat à l’abattoir (il décrit sa méthode qui ne les fait pas souffrir). Le 9 septembre la fusillade reprend dans la ville, et il aperçoit des zouaves rue de Paris (p. 33) « Je cours chez moi leur chercher du café que je leur distribue. » Le 10 septembre, des prisonniers allemands sont escortés par un détachement de dragons, et les prisonniers sont hués par les civils (p.34) « Ces pauvres Boches n’ont pas l’air fier », c’est la première mention du terme, elle est précoce mais les carnets ont été recopiés par l’auteur postérieurement (p. 11) « je résolus donc de transcrire mes deux carnets sur un livre d’un format plus grand », le terme Boche a peut-être remplacé Allemand à cette occasion.

b. Missions funéraires

Les jours suivants, G. Beaufort doit notamment faire exhumer de Chamant (le lieu d’exécution) et réinhumer à Senlis les dépouilles du maire et des six otages exécutés, ainsi qu’aller enterrer provisoirement sur place les cadavres de soldats qui lui sont signalés dans les bois. Début octobre, c’est au contraire l’ordre de regrouper les tombes dispersées sur le territoire de la commune, pour ré-enterrer les soldats dans le cimetière de la ville. Ces travaux occupent beaucoup l’auteur et son équipe à l’automne, et celui-ci note consciencieusement dans son journal les identités des soldats et la description des corps ; le 8 octobre, il a exhumé au total 26 corps, très dégradés, sur tout le territoire de la commune. Ce travail est pénible et il remercie solennellement ses aides, qu’il cite nommément (p. 57) : « les hommes courageux qui m’ont aidé à faire cette triste besogne se nomment : etc… ». L’auteur reçoit les familles des tués identifiés, et on trouve ici la mention de scènes qu’on rencontre d’ordinaire à partir de 1918 ou 1919, lorsque le temps long a atténué la douleur. Ici, avec la proximité de Paris, des proches viennent sur la tombe d’un des leurs deux ou trois mois après le début de la guerre. Ainsi par exemple, en novembre 1914, la femme et la sœur d’Adrien Thomas, du 294e RI (p. 80) : «Elles eurent une crise de larmes sur la tombe de leur frère et mari. Ensuite, je les conduisis à la mairie où on leur remit ce que j’avais recueilli sur le soldat Thomas. Sa dame en voyant ces objets tombe en syncope ; on a beaucoup de peine à lui faire reprendre ses sens. Je suis tout bouleversé de voir la douleur de ces pauvres gens. » Plus rares à partir de 1915, ces travaux au cimetière reprennent de l’importance à partir de juin 1918 : avec les offensives allemandes le front se rapproche de nouveau, et G. Beaufort signale régulièrement, jusqu’en 1919, des enterrements de soldats décédés à l’hôpital militaire de Senlis.

c. La guerre vue de l’arrière

L’auteur décrit les unités qui passent à Senlis, ainsi que les Anglais ou les ressortissants des colonies, avec des détails intéressants, ainsi de la mention de la présence des femmes avec les troupes indigènes le 18 août 1914 (p. 17) : « Il passe deux régiments de tirailleurs sénégalais. Ils ont une très belle allure. Il y a de beaux hommes. On les acclame. Ils ont l’air heureux ; beaucoup ont leurs femmes. » et le 28 août (p. 18): « Il passe deux régiments de tirailleurs marocains. On les acclame et on leur offre à boire. (…) beaucoup, comme les Sénégalais, ont leur femme avec eux, portant leur gosse sur le dos. C’est très pittoresque.» Des régiments territoriaux stationnent dans la ville, et G. Beaufort développe de bonnes relations avec eux, comme ici avec des Bretons du 86e RIT. Même s’il est bien plus âgé qu’eux, il s’en sent proche : « Beaucoup se promènent en ville avec des gosses par la main. Cela leur rappelle leurs enfants à eux, qui sont restés là-bas. Ils ont l’air très heureux, les bons gars, de la réception qu’on leur a faite à Senlis. » Cette fréquentation amicale le fait s’identifier à ces territoriaux (p. 92) : « je fais monter un poêle dans le vestibule de la mairie qui sert de poste de police au 85e Territorial [ce doit être le 86e RIT, appartenant à la 85e DIT]. Mes bons Bretons me remercient (…) je les tutoie tous du reste. Depuis la guerre on a pris cette habitude. Du reste en ce moment, tout marche militairement. Étant continuellement avec des soldats, je me considère un peu comme un soldat. » En avril 1917, il découvre l’existence des ambulancières anglaises (p. 239) : « Elles ont une allure très crâne avec leurs habits masculins couleur kaki, et un petit calot sur le coin de l’oreille. Elles sont très acclamées des habitants. »

d. Les travaux et les jours

Aide aux déplacés, réaménagement de l’école, transport de matelas, réfection des chemins défoncés par le trafic important, préparation des hivers… notre narrateur est un homme très occupé, mais il tient au repos dominical (les « c’est dimanche » rythment les carnets), avec repos, promenade avec sa femme et manille en fin d’après-midi avec les copains. Il lui faut aussi trouver le temps de rédiger une importante correspondance avec ses nombreux neveux mobilisés (28 février 1915 p. 124) : «Je n’ai jamais écrit tant de lettres que depuis les hostilités. Cela me donne du tintouin car je ne veux laisser aucune de leurs lettres sans réponse. J’estime qu’il est de mon devoir de leur donner de bons conseils et à bien faire leur devoir de soldat.»

En novembre 1914, il signale avoir témoigné devant une Commission qui enquêtait sur les crimes allemands. Au printemps 1915, le maire lui demande d’être guide pour des excursionnistes parisiens, les cinq guides (1000 visiteurs sur un week-end) devant être choisis parmi (p. 129) « des personnes convenables et des ouvriers ayant resté à Senlis pendant l’occupation allemande. ». Senlis est une belle ville à patrimoine antique et médiéval, mais il n’est pas dupe, et c’est ici une des premières occurrences du tourisme organisé sur les champs de bataille de la Grande Guerre (juin 1915) « Je guide un groupe d’excursionnistes de la Société des Arts et Sciences qui viennent pour visiter les monuments de la ville. Je crois plutôt que c’était pour visiter les ruines, car des monuments ils ne s’en occupent guère ! ». En septembre 1915, l’auteur va, sur la demande du maire, rencontrer Henri Brispot à Chamant. Ce peintre veut réaliser un tableau des derniers moments du maire Odent, avant qu’il ne soit fusillé le 2 septembre 1914. G. Beaufort se fait accompagner par un des otages épargnés, et celui-ci « a retracé devant ces Messieurs toutes les péripéties du drame. » Le peintre prend des notes, fait des croquis, et en novembre il revient faire des études des protagonistes de la scène. Ce tableau est actuellement à la mairie, on peut s’en faire une idée avec une carte postale (mots clés : L’Armarium Odent adieux).

René Meissel et Philippe Villain ont donc eu une idée précieuse en publiant dans une édition soignée ce journal de Gaston Beaufort, un témoignage tel qu’on souhaiterait en retrouver plus souvent, fait à la fois d’apports factuels, de précision et d’humanité.

Vincent Suard, décembre 2023

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Dubourg, Gabriel (1896 – 1992)

Mes guerres

1. Le témoin

Gabriel Dubourg (1896 – 1992), originaire du Tuzan (Gironde), en Gascogne forestière, est étudiant en droit lorsqu’il est appelé en avril 1915 (classe 16). Volontaire pour un stage d’aspirant à Joinville, il arrive au front avec ce grade en janvier 1916. Il combat au 418e RI de 1916 à 1918, avec une blessure au Chemin des Dames en 1917. Sous-lieutenant en 1919, il requiert régulièrement comme commissaire en Conseil de Guerre. Candidat conservateur aux élections législatives de 1936, il est battu par le candidat du Front Populaire. Mobilisé comme officier au 443e régiment de pionniers en 1939, il est fait prisonnier en 1940.

2. Le témoignage

Mes guerres de Gabriel Dubourg (186 pages) a paru aux Nouvelles Éditions Debresse en 1984. Le récit, assez précis au début, est centré sur la Grande Guerre, avec une structure chronologique qui devient thématique. La fin du livre évoque rapidement l’entre-deux-guerres, 1940 et des considérations diverses, de « l’énigme Rudolf Hess » à « la retraite et la carte du Combattant ».

3. Analyse

Le récit de Gabriel Dubourg est rédigé tard dans la vie de l’auteur, et celui-ci demande, lorsqu’il évoque sa formation d’aspirant à Joinville (p. 24) : « Des camarades dont j’ai cité le nom, combien subsistent encore? (…) S’il en reste un, il a plus de 85 ans. Je lui demande de se faire connaître. » Enfant, l’auteur fréquente des camarades de métairies éloignées, qui ne parlent que le gascon, mais devenu interne au sortir de l’enfance, puis étudiant en droit à Bordeaux, il vient probablement d’une famille de notables ruraux. Le récit est intéressant surtout dans sa première moitié, lorsque l’auteur décrit en détail sa formation et ses débuts sur le front. Les évocations thématiques qui suivent, (Soldats, Sous-officiers, Combats, Défaillances, Les Armes…), sont plus disparates : ce sont surtout des jugements personnels, plus difficiles à traiter comme matériaux factuels historiques.

La classe 16

L’auteur témoigne d’abord de la chance qu’il a d’être de la classe 16, la première à être « économisée » par le commandement (p. 26) : « après les effroyables hécatombes du début de la guerre, on décida de ménager le matériel humain et la classe 16 fut la première à bénéficier de ce répit. » Il insiste pour être versé au 418e RI, unité de Bordeaux qui jouit d’un « prestige immense » dans le Sud-Ouest. C’est un régiment de marche associé à la 153e DI, qui emploie aussi des zouaves et des tirailleurs ; de par son emploi offensif, ce régiment d’attaque est régulièrement décimé, et d’après lui, c’est une unité qui « déteste les tranchées ». Formée essentiellement des classes 15 et 16 puis 17, en dehors des offensives elle passe beaucoup de temps à l’arrière, par exemple deux mois au Crotoy sur la Manche à la fin de l’été 1916 et l’hiver suivant aux Salines de Lorraine.

Un régiment de jeunes

Dès la page 45, l’auteur quitte le récit chronologique et passe à des jugements personnels. Pour lui, une des qualités militaires de son unité réside dans la jeunesse de ses soldats, et dans le fait qu’ils ont été bien formés dans les dépôts. À son avis, les soldats de la classe 14 et 15, qui n’ont pas connu la servitude des casernes, sont généralement enthousiastes et « ont infusé un sang nouveau dans nos unités » (p. 55). De même, après les hécatombes de la Somme (43 officiers, dont 18 tués, pour le 418e RI), la quasi-totalité des effectifs a été renouvelée par des éléments jeunes, bien instruits et disciplinés, des classes 16, 17 et 18. Si l’auteur anticipe avec la classe 18, il semble bien que la jeunesse soit pour lui une des caractéristiques les plus significatives de son unité.

Un soldat de 19 ans enthousiaste

L’auteur se décrit, en 1915, volontaire pour l’encadrement et un régiment de choc, tout en s’en étonnant lui-même après toutes ces années. Il s’inspire d’une lettre à ses parents, qui témoigne de son état d’esprit d’alors, et dit « tenir cette lettre jaunie à la disposition des sceptiques ». Il évoque l’enthousiasme d’un tout jeune homme, pris dans l’ambiance d’un patriotisme général, « elle donne bien le ton moyen des cadres subalternes, surtout des plus jeunes » (courage et naïveté). Il se réjouit de rejoindre de 418e RI « de choc et d’attaque » (p. 54), et pense son attitude représentative de sa génération. On peut considérer qu’elle l’est effectivement pour les plus jeunes volontaires aspirants qui l’entourent, mais cet enthousiasme n’est pas partagé par beaucoup de sous-lieutenants de réserve plus âgés, qui ont en 1916 une longue expérience du front. Cette jeunesse de l’auteur lui fait lui fait aussi méconnaître les conditions sociales précaires vécues par ses hommes : il mentionne que ce sont des conversations d’après-guerre, lors de banquets des anciens du régiment, qui lui ont fait prendre conscience de ces réalités et que son ancien ordonnance lui a appris beaucoup de choses (p. 81) «ignorées des chefs qui ne vivent pas dans l’intimité de la troupe, en particulier qu’il n’a jamais reçu de son père ou de sa famille, pendant toute la guerre, ni argent ni colis, mais seulement de rares lettres. « Il y en avait beaucoup d’autres comme moi, me dit-il, aussi les pièces d’un ou deux francs que vous me donniez de temps en temps m’étaient bien utiles. » .

Prisonniers exécutés

G. Dubourg évoque à deux endroits différents des exécutions de prisonniers allemands, au Chemin des Dames en avril 1917 (Cerny, Sucrerie). Blessé et soigné à Cahors (été 1917 ?), il rencontre une infirmière qui est la cousine du colonel de Valon, son commandant de régiment. L’auteur est invité à déjeuner un mois plus tard chez des parents du colonel, chez qui celui-ci est de passage (p. 35). On citera un long extrait :

« Puis, au dessert (in cauda venenum), le Colonel me déclare tout net : « vous étiez bien à la 10e compagnie, en première vague ? » Sur ma réponse affirmative, je reçois ce compliment brutal : « je ne vous félicite pas, vous avez tué beaucoup de prisonniers. » J’encaisse très mal l’insulte (…) ma réponse jaillit : « Mon Colonel, je ne sais pas, je ne regardais que devant moi et n’ai tiré que sur des combattants armés ; ces faits se sont produits derrière moi. Et puis, mon Colonel, vous savez bien que le but de la guerre est la destruction de l’ennemi : nous l’avons dit et redit à nos soldats, ce sont des simples, ils ont obéi aux consignes. Ma section s’est bien conduite et je suis arrivé au Chemin des Dames ; il ne me restait qu’une dizaine d’hommes sur 45.  (…) » La réponse est plus feutrée : « Oui, je sais, mais il n’en reste pas moins qu’il ne faut pas tuer un soldat désarmé. » Puis d’un ton plus aimable, le colonel lui affirme sa considération et sa volonté de le promouvoir.

À un autre endroit, l’auteur relate en détail ce même assaut du 16 avril au 418e, et c’est un récit de bonne qualité documentaire (p. 74 – 78) ; il mentionne que sa section sort bien, progresse et atteint ses objectifs ; le combat se poursuit à la grenade mais ne peut évoluer vers l’avant, et les hommes indemnes appartenant à des unités mélangées doivent se terrer. Puis au cœur du récit, comme dans un flash sordide, au cœur du combat vers l’avant (p. 78) : « La troupe de l’avant ne s’intéresse pas aux prisonniers qui lèvent les bras ou emportent nos blessés ; (…) Dans le désordre provoqué par les pertes subies et le mélange inévitable avec l’unité d’arrière, je me heurte à deux de mes soldats entourant un blessé allemand à genoux. Le premier, accroupi, fouille sa tunique ; le second lui tire à bout portant un coup de feu dans le dos, au risque de blesser son camarade. Je donne un coup de pied dans les côtes du premier, une bourrade au second et crie de nouveau : « En avant ! ». Je continue la progression avec eux. » Rien n’oblige notre narrateur âgé à citer ces faits. En général, dans les autres témoignages écrits, ces occurrences se rencontrent plutôt sous une forme inversée, avec des récits de soldats qui en empêchent d’autres d’exécuter des prisonniers. Cela mériterait une étude plus fine, mais ces freins semblent venir majoritairement de soldats ou de sergents d’âge « mûr » (plus de 30 ans), qui s’opposent aux excès de soldats beaucoup plus jeunes. Ici, on a un tout jeune cadre qui, dans le tumulte du combat, ne maîtrise pas les excès de ses jeunes soldats.

G. Dubourg, à un troisième endroit (p. 108), évoque la courbe d’apprentissage allemande, ici lors d’un assaut dans la Somme : «Des Allemands ont levé les mains pour aller vers l’arrière, ils doivent traverser nos troupes, chez lesquelles la bienveillance ne leur est pas acquise. A ma grande surprise, je vois les soldats ennemis rechercher nos blessés et nos morts, très nombreux, les charger sur leur dos ou se mettre à deux pour les porter, assurés ainsi que personne n’attentera à leur vie. ».

Un témoin conservateur

L’auteur ne dit presque rien de 1918, sinon qu’il a été trois mois adjoint au commandant d’une école de grenadiers près de Tarbes. Alors qu’il était convalescent à Cahors pour sa blessure de 1917, un intermède sur le foirail situe politiquement notre auteur (p.87) :

« Un indigène m’aborde :

– alors, lieutenant, elle est bientôt finie, cette guerre ?

– dès qu’elle sera gagnée.

– c’est qu’on en a assez de se battre pour les riches, les capitalistes et les châtelains, nous qui n’avons rien à défendre.

– Occupez-vous de vos vaches et foutez-moi la paix. »

Dans ses fonctions de commissaire au Conseil de Guerre en 1919, il raconte avoir fait acquitter un soldat basque accusé d’abandon de poste (p. 105) « Aujourd’hui, c’est un soldat basque de 30 ans, illettré, qui comparaît. Ils le sont presque tous, les enfants basques ne fréquentant pas l’école en raison des brimades de la République contre les établissements catholiques et leurs curés, dont on a supprimé les traitements. Beaucoup d’appelés ou de permissionnaires ont passé la frontière pour aller en Espagne ou en Amérique ; cette guerre n’est pas la leur ; elle ne les concerne pas. » Le procès se déroule avec un interprète, le soldat n’a pas compris les ordres, et G. Dubourg se satisfait de sa relaxe. Par contre, à Mulhouse, lors des grèves de 1919, des gendarmes ont été insultés (p. 104) : « la salle du Conseil est pleine de mineurs, certains à la mine patibulaire. On sent le public hostile (…) je requiers durement. Tout le monde est condamné. La gendarmerie sera respectée. »

Le ton de la narration pour les années Trente, au moment de la défaite de 40 puis pour les années soixante, est amer, sans que l’on sache si cette acrimonie est accentuée par le grand âge du rédacteur (p. 123) « Mais la guerre a fauché nos élites physiques, intellectuelles et aussi morales, soit cinq pour cent de la population. Que reste-t-il après quatre ans de guerre ? Si l’élite a disparu, le déchet est intact. » ou « La représentation parlementaire ne tarde pas à être à l’image de la population restante.» Le recueil mentionne aussi la détestation de De Gaulle et à la fin, le regret de l’abandon de l’Algérie.

Donc au total, une publication tardive, qui essaie de retrouver l’ambiance d’un monde disparu, celui de l’univers patriote d’un jeune étudiant issu d’une famille conservatrice vers 1915 : ces écrits souvent désabusés sont intéressants en ce qu’ils révèlent une guerre revécue, à travers la remémoration, comme un moment d’authenticité lié à la jeunesse, la paix revenue n’apportant, surtout sur la durée, qu’un long cortège de désillusions.

Vincent Suard, mai 2023

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Perrin, Léon (1895 – 1988)

Avec la piétaille

1. Le témoin           

Léon Perrin (1895 – 1988) est né à Bourg-en-Bresse dans une famille ouvrière. Titulaire du certificat d’études primaires, il est appelé en décembre 1914 (classe 15) et combat au 407e RI jusqu’en septembre 1915. Blessé et passé au 53e RI de Perpignan, il est muté au 147e RI de 1916 jusqu’à la fin de la guerre. Blessé plusieurs fois, il est en convalescence lors de l’armistice. Il est démobilisé en septembre 1919.

2. Le témoignage

Léon Perrin a fait paraître « Avec la piétaille 1914 – 1918, Mémoires d’un poilu bressan » à compte d’auteur en 1982. L’ouvrage de 139 pages présente quatre reproductions photographiques. L’auteur explique avoir composé ses « mémoires militaires » à l’aide d’un simple carnet, retrouvé dans un tiroir, et mentionnant des noms de villages, et quelques dates.

3. Analyse

L’auteur, âgé de 87 ans au moment de la parution de ses mémoires, signale qu’il évoque uniquement ce qu’il a vu et vécu, et il présente son ouvrage comme neutre, exempt de pensée politique, mais il précise que son but est quand même de convaincre « de faire en sorte qu’il n’y ait plus de guerre. »

A. Débuts avec la classe 15

L’auteur, appelé en décembre 1914, est instruit au Camp des Pareuses (Pontarlier) avec des conditions rudes (froid et neige), mais il semble ne pas en souffrir, disant (p. 16) « être habitué à faire du travail manuel de force. » Il évoque une manœuvre avec balles à blanc, avec une chapelle comme objectif d’attaque: il y a des caméras qui filment, et chacun a son rôle ; il faut souvent recommencer, avec des « engueulades », quand c’est « loupé » : ces films (p. 17) sont destinés aux civils, ainsi « bernés car croyant que c’est filmé sous de vrais bombardements : il n’y a que la foi qui sauve ! ». L’auteur est engagé avec le 407e RI dans l’offensive d’Artois de septembre 1915 (secteur Neuville-Saint-Vaast). Il participe à une contre-attaque locale, et – le fait est à noter tant la mention en est rare – , évoque une botte d’escrime à la baïonnette (il a des connaissances en combat à la canne et au bâton, p. 40) : « Je réussis à sauter dans une proche tranchée (…), pour me trouver face à un Allemand qui, surpris, tire deux ou trois balles et me manque : je lui bondis dessus en lui faisant faire une vrille à son fusil pour l’en déposseder. Tout hébété, il lève les bras en l’air (…) les copains qui me suivent lui disent « raoust » prisonnier. » Il décrit les durs moments de l’attaque du 25 septembre, avec quatre attaques meurtrières sur deux jours (p. 44), « Dans la matinée [du 26], nouvelle attaque, même méthode, même carnage même résultat : retour dans les tranchées de départ, nouveau recommencement des tirs de notre artillerie, nouvelle accalmie ; il y a des cadavres plein la tranchée et sur le sol. ». Ils finissent par atteindre leur objectif, et il est blessé le 28 septembre par un éclatement au seuil de son abri. C’est un très bon témoignage sur ces combats meurtriers.

B. Quatre blessures

Léon Perrin, engagé sur de rudes théâtres d’opérations (Artois, Somme, Chemin des Dames, bataille de la Marne de 1918), est régulièrement blessé, et le témoignage est intéressant à cet égard ; la gravité est à chaque fois légère ou moyenne, et les hospitalisations sont suivies de convalescence et de changement de régiments, avec au total de plus d’un an à l’écart du front, étant arrivé en ligne en avril 1915 ;

blessure 1.      septembre 1915, crête de Vimy, dans son sommeil, dans un abri, rafale de shrapnell, trois voisins d’abri tués ; multiples éclats, hospitalisation et convalescence, retour en ligne en février 1916. Il lui reste des séquelles légères : il mentionne que pendant trois ans, sa femme lui a enlevé des reliquats à la pince à épiler. Cinq mois à l’arrière.

blessure 2.      Février 1916, devant Massiges: en ligne, dans l’eau glaciale jusqu’aux cuisses, il obtient (pieds gelés) l’autorisation de se traîner vers l’arrière, avec un fusil comme béquille, salué à son départ d’un « bonne évacuation, françouse ! » venu d’en face (p. 56). Sa convalescence dure 18 jours, mais elle est « interrompue » par son imprudence, il y a des musiciens dans sa salle des 40 « pieds gelés », et l’état du groupe s’améliorant rapidement, ils improvisent des chants et surtout des danses précisément au moment où les majors passent pour la visite… (p. 58) : « Quelle tuile ! j’ai pensé, mais trop tard, que j’aurais pu tirer dix jours de plus. » Il ne revient en ligne qu’en mai 1916. Trois mois à l’arrière.

blessure 3.      À Avocourt en janvier 1918, il enterré dans une sape par un éclatement, des voisins sont tués ; il est dégagé après une demi-heure avec une cheville touchée « j’ai le pied de travers ». Guéri, il remonte en ligne en avril 1918. Trois mois à l’arrière.

blessure 4.      Pendant les combats en rase campagne de juillet 1918, il a la cheville traversée par une balle de mitrailleuse à Chézy. Il raconte son retrait difficile vers l’arrière, une odyssée de 36 heures avant de pouvoir être secouru. Alors qu’il s’est assoupi dans l’auto ambulance qui l’a enfin pris en charge, il se réveille avec le sourire  (p. 123) : « je suis encore une fois bien vivant, sans être trop handicapé, et avec l’espoir que cette guerre sera terminée avant que je sois apte à y retourner. » 3 ½ mois à l’arrière, ne regagne pas son unité avant le 11 novembre.

C. Troubles dans son unité

Abrités dans des baraques Adrian à Wancourt dans la Somme, une violente fusillade de nuit les réveille et quelques balles traversent les parois de leur abri ; (p. 69, août 1916) « Au matin, en sortant, à environ 100 mètres, on aperçoit des cadavres étendus sur le sol. Ce sont des tirailleurs noirs africains de tribus différentes, ennemis chez eux, cantonnés trop près les uns les autres, qui se sont massacrés à coup de fusil et de coupe-coupe. Triste vision ! ». Il évoque aussi l’agitation de juin 1917 sur deux pages (91 et 92), et la rébellion du régiment, « nous refusons les ordres quels qu’ils soient. » Des gradés respectés pour leur engagement au feu essaient de les convaincre, et ce sont deux jours de pleine liberté qui finissent par décider les hommes à reprendre le fonctionnement normal ; ils reprennent la route le 7 juin vers Troissy, mais « nous sommes assaillis par des rafales de balles de fusils mitrailleurs. Il y a quelques blessés sans trop de gravité (…) C’est un régiment qui se mutinait et tirait sur ceux qui ne voulaient pas se révolter. » Il est net que c’est ici le grand repos à la fin juin qui permet au moral de remonter.

D. Mentions diverses

L. Perrin mentionne des difficultés récurrentes pour comprendre des compatriotes,  des Bretons de Quimper lors d’une convalescence,  les Catalans de son unité de Perpignan, ou encore les Sedanais du 147e RI, son unité en 1916 : (p.60) : « Comme les catalans, ils ont leur patois, souvent à ne pas les comprendre. ». Il signale ailleurs que dans son unité, les regroupements amicaux se font par affinité de situation familiale, les pères de jeunes enfants aiment à se regrouper, pour parler entre eux de leur famille. L’auteur, dans le domaine des permissions, pratique la classique fraude au tamponnage, poussée le plus loin possible avant la déclaration officielle de désertion (deux jours de gagnés à l’aller et deux jours au retour). En première ligne, et isolé sous un feu violent, son caporal est tué devant lui : il envoie ses papiers à la famille et celle-ci l’invite à leur rendre visite à Bézier après-guerre, mais (p. 99) : «après cette guerre, les voyages sont rares, et l’après-guerre de 39-45 a fait oublier beaucoup de choses, même de n’avoir jamais fait connaissance. » En avril 1919, l’auteur débarque à la gare de Lille avec des chevaux que l’armée rétrocède aux cultivateurs de la région. Il participe à cette distribution dans les régions dévastées, « avec souvent pas un arbre pour attacher les bourrins. » (p. 127)

La conclusion d’Avec la piétaille, un document équilibré qui présente un témoignage utile,  est désabusée, car Léon Perrin avait pensé ne plus revoir ces « horreurs » (p. 129): « Illusions ! Je n’aurais jamais pensé que l’homme serait assez bête pour remettre cela en 1939 ! » Il dit aussi avoir revu, avec la Résistance, « des horreurs souvent plus cruelles qu’en 14 – 18 », signalant avoir perdu un frère et un neveu morts pour la France dans le maquis de l’Ain.

Vincent Suard, février 2023

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Flacher Stéphane (1897 – après 1986)

1. Le témoin

Stéphane Flacher est né en 1897 à Saint-Pierre-de-Bœuf (Loire). Cultivateur, il est incorporé à 19 ans au 3e zouave en janvier 1916. Il est évacué « pieds-gelés »  à Verdun en novembre 1917, et on lit aussi sur sa fiche matricule qu’il a été gazé à Villers-Bretonneux en mai 1918, et légèrement blessé à l’omoplate en août 1918. De ce fait inapte à l’infanterie (gêne au passage de la courroie du sac), il termine la guerre dans l’artillerie (54e RA) en septembre 1919. Il restera toute sa vie cultivateur au hameau de Bois-Prieur, et il a 89 ans lors de la publication de son récit.

 2. Le témoignage

L’association « Visages de notre Pilat » (42 410 Pélussin) a publié en 1986 ce petit document de Stéphane Flacher, intitulé : Verdun Cote 344, Témoignage de la guerre de 14/18 (43 pages). Le document est préfacé par Emmanuel et Régis Bouttet. L’auteur indique à la fin du récit avoir rédigé ces lignes en 1979.

3. Analyse

Ce court témoignage d’un jeune soldat de la classe 17 est une curiosité. Centré autour d’une mission d’une semaine, une période de première ligne après une attaque locale à Verdun en novembre 1917, ce récit a une unité de temps (six jours), une unité de lieu, ce petit poste à tenir après une attaque réussie, et une unité de condition, l’immobilité dans le froid mordant qui amène la souffrance et le désespoir. Ce format court n’évoque ni les durs combats de Champagne auxquels l’auteur a participé en octobre 1916, ni l’année 1918, pendant laquelle il a fait six mois de combats d’infanterie. L’auteur, qui a 82 ans lorsqu’il rédige ce texte, a prélevé dans ses deux années de guerre cet épisode très court, et ce choix fait ici irrésistiblement penser, en littérature, au genre de la nouvelle.

Le récit raconte, devant Verdun (Samogneux, cote 344), le 25 novembre 1917, une attaque partielle à réaliser par le régiment (3e Zouave). On vit avec l’auteur la montée en ligne, l’assaut, et surtout la tenue du secteur avancé jusqu’à l’évacuation six jours plus tard pour pieds gelés. La narration est réaliste, froide, c’est un triste récit de souffrance, et en même temps le propos est traversé de prises à témoin du lecteur (« avions nous mérité ce sort ? »). L’aspect tantôt désincarné, tantôt théâtral de la narration, à la fois solennelle et empruntant parfois au style religieux, lui donne une résonance très particulière. L’auteur, non « défaitiste », est fier d’accomplir son devoir, mais il tient à souligner la dureté injuste de ce qu’on lui a fait subir.

Au début du récit, les hommes arrivent dans le parallèle de départ, épuisés après un long cheminement ; accablé de fatigue, l’auteur s’endort brutalement, sans se rendre compte que ses pieds reposent dans une profonde flaque d’eau. (p. 8) « Lorsque je m’éveillai, je me rendis compte que mes pieds étaient pris dans une carapace de glace ; ils avaient commencé de geler pendant mon premier sommeil.» Le récit évoque les pensées qui agitent l’auteur juste avant l’attaque, il a caché à sa famille qu’il montait en ligne pour attaquer. Son style devient solennel (p. 10) « La fumée de l’éclatement des obus rendait le ciel bas et noir, comme au Golgotha. Ceux qui allaient tomber pendant l’attaque se doutaient-ils qu’ils vivraient les dernières minutes de leur vie terrestre ? » Les zouaves prennent leur élan, et S. Flacher, en marchant sur le glacis, évoque ses craintes (p. 13) [faudrait-il se battre à la baïonnette ?] « Cette dernière perspective était pour nous la plus terrible et la plus répugnante car l’homme contraint à se livrer à ce combat horrible se rend bien compte que, bon gré mal gré, il descend vers les bas-fonds de la déchéance et de la dégradation humaine.» De fait, les Allemands rencontrés se rendent, et il le mentionne avec un style marqué par l’usage du passé simple (p. 14) : «Ils levèrent tous spontanément leurs bras comme pour nous demander, dans un geste de supplication, de les épargner (…) nous ne leur fîmes aucun mal (…) nous devions respecter leur vie. »

Il décrit ensuite le départ de son capitaine, blessé lors de l’action, celui-ci lui serre la main au passage (p. 15) « Et je crus voir, dans son regard empreint d’une grande bonté, la peine qu’il ressentait de quitter ses hommes qu’il appelait ses amis. » Son remplaçant se présente en leur faisant un discours d’autorité qu’il termine en faisant ostensiblement jouer son pistolet : « Je n’aurai pas de pitié. Le premier qui flanche, je lui brûle la gueule. ». Ce lieutenant l’emmène ensuite avec deux camarades vers une position à occuper, et l’auteur constate en cheminant la présence de nombreux cadavres allemands : (p. 17) « Je détournais les yeux de ce spectacle d’horreur, et une fois de plus je maudissais la guerre, cause de tant de malheurs et de souffrances pour tous ces hommes qui auraient voulu vivre en paix. » Le chef leur donne un petit poste à aménager, et à tenir coûte que coûte, et il ajoute, en s’en allant « vous êtes bien avertis. Le premier qui recule sans mon autorisation, je l’abattrai comme un chien. »   Commence alors une lancinante description des souffrances causées par le froid, mais aussi par la faim, car les trois hommes n’ont pas de réserves, et le barrage allemand empêche tout ravitaillement. Les heures sont interminables, car à la fin de novembre, les jours sont très courts. Les gelures commencent, les pieds gonflent, et les hommes se donnent un répit passager en ouvrant au couteau le dessus de leurs souliers. La deuxième nuit se termine, et  la douleur augmente (p. 22) « Il nous semblait que des mains invisibles, armées de tenailles, nous arrachaient, lambeau par lambeau, la chair de nos orteils. »  La troisième journée se passe encore dans la solitude, personne ne vient les voir, et S. Flacher mentionne (p. 23) « dans notre désarroi, il nous sembla qu’au-delà de notre avant-poste l’humanité tout entière avait sombré dans le néant. » Alors que pendant la nuit, il assure son tour de garde, il se met à pleureur (p. 24) « comme un enfant, longuement, abondamment, en silence pour ne pas éveiller mes camarades. » Son style devient nettement biblique lorsqu’il prend à témoin les mères des soldats (p .25) « Si vous aviez vu vos fils dans ce dénuement le plus complet, votre cœur eût été transpercé par la douleur ! Ils avaient faim et ils n’avaient rien à manger ; ils avaient froid et n’avaient rien pour se couvrir ; ils avaient peur et n’avaient pas d’abri pour se préserver des dangers.» L’ambiance lunaire, sépulcrale, n’en reste toutefois pas moins extrêmement bruyante (p. 26) : « Nous aurions voulu crier notre détresse à la face du monde, mais, hélas, personne ne nous entendrait, le bruit des canons et le sifflement lugubre des obus qui hurlaient sans cesse à la mort, étouffement de nos plaintes et nos cris de désespoir. » La cinquième nuit, l’auteur signale que leurs pieds sont maintenant inertes, devenus comme des morceaux de bois n’obéissant plus à leur volonté. Il maudit la guerre,  liée à la folie des hommes, aux gros industriels qui (p. 28) « y entassaient des fortunes colossales ». Il fait des va et vient entre ce passé, décrit heure par heure et le présent de la rédaction : « N’est-il pas de notre devoir à nous, anciens combattants, qui l’avons malheureusement vécue, de la maudire et de la dénoncer comme étant l’une des plus grandes calamités ? » Le 30 novembre à 9 heure du matin, un caporal vient enfin jusqu’à eux, et leur annonce leur relève. Il n’y a pas assez de brancards et c’est alors la description d’hommes qui se traînent vers l’arrière, rampant, ou s’appuyant sur des fusils abandonnés et ramassés comme béquilles. Ce n’est pas une débandade larmoyante, car (p. 30) : « nous partîmes vers l’arrière en emportant, au fond de nous-mêmes, une grande satisfaction intérieure, celle de n’avoir pas failli aux consignes sévères qui nous avaient été dictées par notre commandant de compagnie. »  L’auteur signale être arrivé au poste de secours, situé au bas d’une pente, en effectuant les derniers cents mètres sur les mains et sur les genoux. Ils sont immédiatement évacués, et lorsque leur véhicule, dans la zone de l’arrière, commence à rencontrer des civils, l’auteur mentionne avoir entendu une femme, parmi un groupe féminin qui se signait à leur passage, dire (p. 35) « ils ressemblent à des damnés sortis de l’enfer. » Le récit se termine, toujours avec solennité, par un hommage aux morts de Verdun, et à des souhaits de paix (p. 39)  « Je terminerai en souhaitant que notre vie d’ici-bas ainsi que notre cher pays de France, ne revoient plus jamais les horreurs de la guerre. »  Une mention à la dernière page qui suit ce récit lunaire, nous ramène brutalement à la lumière, dans un tintement apaisant de cloches, et plein d’odeur des prés :

 « Récit terminé le 16 juin 1979,

Que j’ai écrit, dans sa plus grande partie, en gardant les chèvres »

Pourquoi ce récit, si intense, pour ce tout petit moment de guerre,  qui semble avoir tant marqué l’auteur ? Dans son registre matricule (AD42 1917-1, 247), on trouve, tout en bas de la grande feuille, une petite note collée, tamponnée « rectification », et datée de 1978, ce qui est très tardif pour ce genre de mention : « Pieds de tranchées le 30.11.1917 au Bois des Caures (Meuse)- Évacué- décision n° 191 du Colonel cdt le BCAAM en date du 18.04.1978 »

On proposera l’hypothèse selon laquelle une réclamation administrative de la part de l’auteur, pour faire reconnaître la totalité de son passé militaire, espérant peut-être ainsi une augmentation de sa pension (il a 10% d’invalidité pour sa blessure à l’épaule de 1918), l’a amené à se replonger dans son passé, et de ce fait, lui a fait ensuite rédiger, pour lui et pour nous, ce témoignage original.

Vincent Suard, mai 2022

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Dedryver-Debeire, Jeanne (1908- après 1986)

Souvenirs et grâces d’état d’une enfant durant la Première Guerre mondiale en zone occupée

1. Le témoin

Jeanne Dedryver (1908 – après 1986) est née et a vécu à Tourcoing (Nord). Fille d’un couple d’instituteur et institutrice, elle a exercé longtemps la profession de dentiste, rue de Gand, dans cette même ville.

2. Le témoignage

Souvenirs et grâces d’état d’une enfant durant la Première Guerre mondiale en zone occupée a paru aux éditions de la Morinie (Lille, 1986, 86 pages) ; les textes, assez succincts, sont illustrés de dessins de l’auteure.

3. Analyse

Jeanne Dedryver commence son évocation, au titre un peu cryptique, en disant ressentir le besoin et l’intérêt de « raconter simplement ce qu’elle a vécu », notamment pour ses petits-enfants. Elle a 78 ans lorsqu’elle couche sur le papier ses souvenirs d’occupation, et ceux-ci se rapportent à une période où elle était âgée de six à dix ans. C’est un récit bref, qui évoque en fait plutôt des souvenirs d’enfance et des évocations de l’ambiance de la maisonnée familiale. Son père, mobilisé comme territorial, est resté de l’autre côté du front : sa famille, demeurée dans Tourcoing occupé, restera longtemps sans nouvelles de lui et l’auteure signale qu’elle avait perdu jusqu’au souvenir de son visage : (p. 23) « il était impossible de me le représenter, ce qui peut paraître étrange, puisque j’avais déjà six ans quand il est parti pour la guerre. » Les faits documentés sont rares, et c’est ici plutôt le ton intimiste qui peut présenter un intérêt dans ce document. J. Dedryver en est consciente : (p. 36) : « il peut apparaître dans tout ceci que la guerre elle-même eut peu d’importance pour moi. Mais j’étais une enfant, avec la capacité de vivre des instants sans en rechercher le pourquoi (…) ». La famille est évacuée vers la France non-occupée par la Suisse, probablement à la fin de 1917 ou au début 1918, mais les réfugiés doivent passer plus de quatre mois en Belgique : l’auteure signale le bon accueil des habitants belges lors de cette période et elle souhaitera « payer sa dette » en mai 1940, en allant chercher au hasard, sur la place de la gare de Tourcoing, une famille nombreuse de réfugiés belges pour les héberger. Ils retrouvent finalement le père qui les attend à Limoges. Ses dernières lignes signalent (elle a dix ans alors) n’avoir pas compris l’ampleur du drame vécu par le pays. Après la guerre, son père quittera l’enseignement scolaire pour enseigner la comptabilité aux mutilés de guerre.

Le recueil pose le problème du témoignage de l’enfant très jeune, ici restitué 70 ans après les faits ; ce petit ouvrage ne permet guère d’avancer sur cette question, on dira simplement que des impressions, des bribes, si ténues soient-elles, peuvent ressortir et représenter fidèlement un moment, certes fugace, mais qui appartient quand-même au témoignage : (p. 55), [les écoliers jouent dans la cours de récréation – peut-être en 1915, elle a sept ans] « des chevaux immenses montés par des uhlans au grand casque, entrèrent au galop par la porte cochère laissée ouverte, caracolant sur les pavés de la cour. Les enfants, effrayés par les chevaux, le bruit des sabots, la rapidité de l’action, n’eurent que le temps de se sauver, se rabattant contre les murs de la cour. Épisode de cruauté et d’arrogance qu’on n’oublie pas. Je suis sûre qu’aucun des enfants présents ne l’a oublié. »

Vincent Suard septembre 2021

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Pascaud, Martial (1894-1980)

Une vie, un exemple Mémoires

1. Le témoin

Martial Pascaud (1894 – 1980) est né à Saint-Junien (Haute-Vienne) dans une famille de cultivateurs pauvres. Classe 14, il sert au 42e RI, étant engagé dans l’Aisne et dans l’offensive de Champagne en 1915. Convalescent au moment de Verdun, il passe au 116e RI de Vannes en 1916, et est en ligne en 1917 au Chemin des Dames. Il est fait prisonnier en juin 1918 lors de l’offensive allemande sur ce même Chemin des Dames. Blessé trois fois durant la guerre, c’est sa captivité qui s’avère la plus éprouvante pour sa santé. Après la guerre, redevenu ouvrier (papetier-sachetier), il se syndique, fonde avec d’autres une coopérative ouvrière de fabrication, et adhère au parti communiste en 1933. Résistant proche des F.T.P., il devient après la guerre maire de Saint-Junien sous l’étiquette communiste de 1945 à 1965.

2. Le témoignage

Une vie, un exemple, Mémoires, de Martial Pascaud a paru en 1981, avec une préface de Marcel Rigout, aux éditions S.P.E.C. – L’Écho du Centre (198 pages). Le récit de sa participation à la Grande Guerre occupe les pages 33 à 89 ; la première moitié de l’ouvrage va de l’enfance à 1919, et a été terminée en 1943 ; la suite (luttes syndicales, participation à la Résistance) a été rédigée vers 1965.

3. Analyse

Le récit de Martial Pascaud est marqué par la volonté de décrire la réalité vécue, c’est la narration de l’expérience du combat d’un jeune « classe 14 », au contact de secteurs souvent exposés, des offensives ou de l’hôpital et de la captivité. Le ton général n’est pas antipatriotique, mais est très réservé par rapport à la guerre elle-même, et l’auteur fait, dans la description de chaque bataille où il est engagé, le constat de l’horreur et de l’absurdité de ces sanglants affrontements.

Après son baptême des tranchées sur le front de Vingré, il est engagé dans la bataille de Crouy en janvier 1915, dans une action de résistance, avant de repasser l’Aisne. La mort brutale à ses côtés de son capitaine lui montre rapidement la réalité : (p. 38) « Avec un frisson dans le dos, j’ai alors compris que la guerre n’était pas une promenade joyeuse où les héros meurent le sourire aux lèvres. » Il raconte la défense devant Soissons: isolé de sa section avec un camarade, il a perdu le contact avec son unité, et on le voit faire tout son possible pour se couvrir, pour prouver sa bonne foi : p. 41 « Je pensais aux soldats de Vingré qui avaient été passés par les armes au sujet d’un motif futile. » Plus loin, toujours devant Soissons, il contemple au loin les cadavres verts [des Allemands], et repense aux taches rouges [des Français] devant Vingré deux mois auparavant : p. 42 « N’ai-je pas l’occasion d’être satisfait de ce qu’on pourrait appeler une juste revanche ? Positivement, je ne peux avoir la même pitié pour cette dernière vision ; mais cela est tout de même atroce de voir que des victimes s’ajoutent à d’autres victimes ; de voir que la haine appelle la haine. ». Au repos en janvier 1915 à Saint-Pierre-Aigle, il doit participer à un bataillon qui encadre le peloton d’exécution d’un homme qui, ivre, avait mis en joue un gradé, puis s’était enfui des arrêts peu après. (p. 45) « J’ai vu partir la salve qui a désarticulé son corps, puis le coup de grâce. Malgré la faute de ce soldat (entraîné malgré lui dans la fournaise), cela nous a paru cruel et des larmes ont coulé sur nos visages impassibles. »

Son combat le plus dur de toute la guerre est celui de Quennevière en juin 1915 (Moulin-sous-Touvent) dans l’Oise, une bataille localisée pour réduire un saillant allemand, acharnée et sanglante et sans autre résultat que 600 m de progression sur 1.2 km de large, pour plusieurs milliers de pertes : « Bientôt le plateau sera arrosé de sang innocent et couvert de cadavres. Pour servir qui ?…Pour défendre quoi ?… C’est encore une question qui met en contradiction mon idéal et la réalité.» Il tente de décrire ce « lieu infernal », dans des tranchées bouleversées, où il faut résister, sous le bombardement, à une violente contre-attaque allemande avec des effectifs qui fondent. Son récit, fait presque 30 ans après les faits, trouve des accents qui permettent de bien se représenter ce qu’a éprouvé l’auteur.

Lors de l’offensive de Champagne, il décrit l’assaut du 25 septembre, sous une pluie fine. Ils franchissent sans obstacle les deux premières lignes allemandes, mais la troisième est intacte et se défend : « En quelques instants la bataille se transforme en un affreux massacre dont nous ne sommes pas exclus. (…) en un clin d’œil, j’enregistre des scènes incroyables dont je ne frémirai que plus tard.» Agent de liaison, au moment où il essaie de déployer au sol un calicot blanc visible par l’aviation, un projectile fait exploser sur lui ses fusées de signalement, et il est blessé, surtout à la tête. Il met toute son énergie à rentrer, se retrouve seul dans un entonnoir avec un Allemand désarmé (p. 61 et 62) : M. Pascaud essaie de le ramener prisonnier, mais l’Allemand refuse ; mis en joue, celui-ci pleure, agenouillé. L’auteur pense qu’il avait peur d’être massacré dans les lignes françaises. Il l’abandonne (« je ne suis pas un barbare ») et rejoint sa ligne de départ. Plus tard, un camarade lui avait dit : « fallait le zigouiller ». « Non, l’idée de tuer un homme blessé et désarmé ne m’est pas venue. Je l’ai laissé en pensant qu’il était aussi malheureux que moi. » En 1916, il signale qu’un concours de circonstance lui permet d’échapper aux débuts de la fournaise de Verdun. Il passe au 116e RI, refait des séjours à l’hôpital, et en 1917, il est en secteur au Moulin de Laffaut, puis vers Heurtebise. Il ne parle pas du 16 avril, mais centre un chapitre sur le 9 mai, jour qui voit sa 2ème blessure et son évacuation. Il a évoqué pour cette période le fait que (p. 69) : « le grand élan du début faisait place au découragement et aux actes de révolte dans plusieurs unités. J’étais moi-même ébranlé, et il m’arrivait de penser que le néant était une douce chose à côté de cette réalité cruelle», mais il n’entre pas dans les détails.

Soufflé par une torpille, alors qu’il tentait avec quatre camarades de réoccuper un petit poste abandonné, il est hospitalisé à Amiens. Il évoque le repos, et l’idylle qui s’ébauche avec Marthe, une infirmière avec qui il fait de lentes promenades, à petits pas, lorsqu’elle a fini son service. Il souligne qu’ils sont conscients de la folie de ce rêve, et au 53ème jour d’hôpital, il est envoyé chez lui (p. 74) : « Marthe est venue m’accompagner à la gare où, sans retenue et sans honte, nous avons mêlé nos larmes. Bien longtemps nous avons échangé des correspondances, mais ma captivité de juin 1918, devait rompre le dernier lien et ne laisser en moi qu’un bien doux souvenir. » Ayant rejoint son unité, il est à nouveau blessé légèrement en octobre 1917 lors des préparatifs de l’attaque de la Malmaison. Convalescent jusqu’à janvier 1918, le début de l’année est calme pour lui, mais son unité est engagée contre la poussée allemande de mai 1918. Il raconte le quotidien du combat de résistance en rase campagne, avec le décrochage tous les soirs, pour éviter l’enveloppement. Lui et sa section sont faits prisonnier le 2 juin 1918. Il évoque ensuite le triste sort des prisonniers français, qui doivent suivre le repli allemand, condamnés à des travaux de défense toujours recommencés par le déplacement des lignes, et très rapidement épuisés par ces travaux forcés et la sous-alimentation (p. 82) « En peu de jours, nous allons ressentir les morsures de la faim, de la maladie, de la vermine. Amaigris et épuisés, nos corps prendront bientôt, des formes squelettiques et la dysenterie creusera de grands ravages dans nos rangs. ». Le 11 novembre le trouve en Belgique, et lui et un camarade s’échappent dès le 12, et rentrent à pied en France (Sedan) par Bouillon.

Il est à noter que malgré le contexte de rédaction, pendant la dure année 1943 et la menace de la Gestapo, il n’y a jamais de haine des Allemands, sauf peut-être à l’occasion de la description de l’esclavage famélique auquel il est condamné à l’automne 1918 (p. 85) « Non ! Je ne pouvais, si tôt, pardonner à ceux, à tous ceux qui avaient été les fomentateurs et les bourreaux de tant de souffrances, de larmes et de deuils.» Dans ce récit intéressant se pose globalement la question de l’influence que la conscience politique de l’auteur et son engagement communiste des années 30 – 40, ont pu avoir comme empreinte sur son écriture de la Grande Guerre. S’il est probable que ses convictions politiques ultérieures ont influencé son témoignage, la seule certitude, en inversant les termes, est que c’est son vécu de la guerre qui a déterminé, au moins en partie, ses engagements d’après, avec par exemple son expérience Espérantiste des années 20. Cette guerre vécue a ainsi été déterminante pour la suite de son existence : (p. 86) : « Je m’efforce de renouer avec la vie normale, mais je n’arrive pas à chasser de mes pensées les scènes d’épouvante vécues au cours de ces quatre dernières années. »

Vincent Suard septembre 2021

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Bastide, Auguste (1896-1983)

Né à Castelnaudary (Aude) le 16 janvier 1896. Fils ainé, il doit interrompre ses études en classe de seconde pour aider son père dans son commerce d’épicerie. En janvier 1915, il s’engage et il est affecté dans un bataillon de chasseurs alpins à Die. Il fait toute la guerre, notamment dans les Vosges (La Chapelotte) et dans l’armée d’Orient. Il en ramène le paludisme. Il termine la guerre comme caporal à Carcassonne, secrétaire d’un capitaine.

Démobilisé, il reprend le commerce familial et se marie. Il s’intéresse à l’aviation et fait partie des fondateurs de l’aéro-club de Castelnaudary. Retraite à Fendeille (Aude) où il meurt le 31 décembre 1983 après avoir vu son témoignage de 14-18 publié en août 1982.

C’est tardivement qu’il a rédigé son texte : « J’ai écrit ce cahier l’hiver 1980-81. Pourquoi ? Parce que, sous l’empire des souvenirs, j’ai pris peu à peu conscience que je devais les soustraire à l’oubli. J’ai jugé que quatre ans terré dans les tranchées, avec la mort pour compagne, était quelque chose de barbare et d’impensable. J’ai pensé que je devais porter ces faits, ainsi que l’héroïsme et les souffrances des « Poilus », à la connaissance de mes enfants, de mes petits-enfants et de mes arrière-petits-enfants. J’aurais dû l’écrire plus tôt, cela aurait été plus précis et plus détaillé car, à bien des moments, la mémoire me fait défaut. » Confié à la FAOL, il porte comme titre Tranchées de France et d’Orient, et prend le n° 4 dans la collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc ».

Il s’agit d’une série d’anecdotes personnelles sur la guerre des tranchées, les souffrances des combattants, les rats, les poux, les heurts avec les officiers, etc. En 1917, longue description de la traversée de l’Italie pour aller s’embarquer sur le Charles Roux, transport de troupes escorté par trois bateaux de guerre car, peu de temps avant, l’Amiral Magon avait été coulé par un sous-marin allemand. Description de Salonique, bonnes relations avec les Serbes.

Comme Auguste Bastide l’a reconnu, il s’agit de souvenirs lointains ; ajoutons les risques de confusion avec les jugements politiques de l’entre-deux-guerres.

En plus : le témoignage de Mme Bastide qui se trouvait à Narbonne lors de l’arrivée des premiers blessés. Sa description est à mettre en parallèle avec celle de Louis Barthas.

Une originalité intéressante de ce petit livre est constituée par l’échange entre l’auteur et l’animateur de la collection, celui-ci posant des questions pour susciter compléments et précisions. Par exemple :

– Texte d’Auguste Bastide : « Je ne me hasarderai pas à raconter ce que furent dans les tranchées ces deux années de ma jeunesse, précédant mes deux années d’Orient. Des écrivains de talent l’ont essayé. Mais ce n’était pas ça ! Ce ne pouvait pas être ça ! Car ces souffrances, ces héroïsmes, ces horreurs ne peuvent pas se décrire. »

– Question : « Vous avez fait allusion à des écrivains de talent. Pouvez-vous préciser ? »

– Réponse : « J’ai lu Au seuil des guitounes de Maurice Genevoix, Le Feu d’Henri Barbusse, Les Croix de bois de Roland Dorgelès. Mais je l’ai dit : ce n’était pas ça. Le seul livre vrai est Les derniers jours du fort de Vaux, par le commandant Raynal. Il ne traite pas de la vie des tranchées, mais de celle toute particulière qu’il a passée dans le fort. Celle des tranchées, et d’ailleurs toute la guerre, est décrite d’une façon simple et totalement vraie par Louis Barthas, tonnelier. Ce livre est une merveille, c’est une véritable fresque de 14 à 18 par un poilu qui l’a vécue. Ce livre est tellement beau et tellement vrai que j’ai pleuré à plusieurs reprises en le lisant. »

Rémy Cazals, août 2021

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Daia, Alexandru (1900-1993)

Le témoin:

Alexandru Daia est né à Bucarest dans une famille de petits bourgeois. Il a fréquenté le prestigieux lycée de Gheorghe Lazare, devenant membre d’organisations scoutes du Royaume de Roumanie. Les scouts roumains étaient généralement recrutés parmi les lycéens, qui représentaient à l’époque la source des futurs cadres intermédiaires de l’État : enseignants, médecins, avocats, officiers, etc. Au moment où la Roumanie entre en guerre aux côtés de l’Entente, il doit se retirer en Moldavie avec l’armée et l’administration, et dans cette situation, il est témoin et indirectement participant à la guerre.

Après la fin de la Grande Guerre, il devient enseignant et est un membre actif du mouvement scout. Au fil du temps, il a publié plusieurs livres et articles, dont un journal de guerre. Avec la chute du communisme, il a été le militant le plus actif pour rétablir la recherche, réussissant à relancer ce mouvement en Roumanie.

Le témoignage :

Héros à 16 ans. Les notes d’un ancien scout. Journal de guerre 1916-1918, Bucarest, Maison d’édition Ion Creanga, 1981.

Ion Creanga est une maison d’édition d’État qui publiait exclusivement de la littérature pour enfants et jeunes et qui contribuait, au-delà de l’enrichissement de la culture générale, à l’éducation des enfants dans l’esprit nationaliste et communiste du régime totalitaire. Le travail d’Alexandru Daia parlait de courage, de patriotisme, de la Grande Union de 1918 et n’abordait naturellement pas les sujets politiques, ni l’apologie de la monarchie et des institutions de l’ancien monde capitaliste. Certes, sur la base des pratiques des maisons d’édition de l’époque du régime totalitaire communiste, le manuscrit a été modifié ou coupé par endroits par l’œil vigilant de la censure qui était le plus souvent directement liée à la police politique – Securitatea.

Le meilleur argument à cet égard est que le récit se termine par la description du défilé militaire du 1er décembre 1918, lorsque l’armée roumaine dirigée par le roi Ferdinand et la reine Mary défile victorieusement à travers Bucarest. La presse de l’époque, mais aussi les documents, ont évidemment enregistré que les souverains et l’armée ont été accueillis sous les acclamations de la foule, et comme c’était naturel au cœur de la fête était la famille royale. Or, dans les sept dernières pages dans lesquelles l’auteur décrit le défilé et l’atmosphère du 1er décembre 1918 à Bucarest, les souverains ne sont pas mentionnés, on ne parle que d’un héros collectif – l’armée, les soldats et la population en liesse…

Analyse de livre :

Le livre d’Alexandru Daia est une œuvre singulière dans le paysage de la mémorialisation de guerre dans l’espace de l’ancien royaume de Roumanie. C’est l’histoire de la guerre vue du point de vue d’un adolescent, mais aussi de sa participation aux opérations à proximité du front. Le gouvernement roumain a pris la décision de faire quitter aux jeunes dès l’âge de 15 ans le territoire du sud du pays, qui devait être occupé par les armées des puissances centrales. La raison d’être de cette décision était évidemment militaire, en cas de guerre durable, ils devaient être intégrés dans l’armée et envoyés au front lorsqu’ils seraient aptes à combattre.

En conséquence, de tout le pays, des milliers de jeunes sont partis en retraite pour la Moldavie. Dans l’histoire de la guerre roumaine, il y a aussi un épisode unique dans lequel les scouts se sont engagés, y compris dans les combats. Le 27 octobre 1916, à Târgu Jiu, lorsque le 12e Régiment de chasseurs du Corps alpin bavarois attaqua de façon inattendue la ville, et la résistance armée des scouts et des habitants permit à l’armée roumaine d’arriver et de repousser l’attaque. Les scouts étaient des forces auxiliaires derrière le front, maintenant grâce à une activité inlassable des institutions et des entreprises fonctionnelles. Alexandru Daia raconte en 282 pages son point de vue sur la guerre, avec acribie dans son carnet de notes, qui a ensuite été à la base de l’écriture du journal.

Son histoire commence chronologiquement le 1er août 1916 et se termine par le 1er décembre 1918. En août 1916, la vie du lycéen est insouciante, il participe à diverses excursions et erre dans la ville. Il est jeune et a le monde à ses pieds. Puis, tout à coup, la guerre commence. Il capture l’atmosphère électrisante et l’enthousiasme des Bucarestiens lorsque l’armée roumaine entre en guerre, traverse les montagnes et commence sa marche triomphale apparente à travers la Transylvanie. Soudain, la situation change et l’armée roumaine doit commencer à se retirer en menant de violents combats à la frontière de Transylvanie. L’enthousiasme a péri, et l’inquiétude est omniprésente. En novembre 1916, l’auteur nous raconte le moment de son départ de Bucarest pour la Moldavie dans un groupe de 200 jeunes scouts organisé par les autorités. Fait intéressant, le 13 novembre, lorsque le groupe commence à se déplacer, les Bucarestiens qu’ils croisent ne semblent pas paniqués et inquiets que les autorités déplacent ces jeunes en Moldavie.

En fait, il nous révèle, en quelque sorte, un état d’esprit irréaliste et illusoire qui, induit par les autorités, régnait encore sur le pays, même si les résultats sur le front étaient inquiétants. Si les Bucarestiens avaient su que 23 jours plus tard, les troupes d’August von Mackensen entreraient dans la ville, leur calme et leur apathie les auraient sûrement quittés. À la gare du Nord, le groupe monte à bord d’un train et se rend à Perim, où il s’arrête aux champs de la Couronne; l’arrêt a l’apparence d’un voyage, comme l’adolescent perçoit cette expédition. De Perim à Ploieşti, leur route se déroule à pied, en conservant l’apparence d’une randonnée. Arrivés à la gare de Ploiesti, les scouts sont mis dans un train à destination de la Moldavie. Leur train s’arrête dans toutes les gares et laisse passer d’autres trains qui évacuent les biens de l’État. C’est pourquoi leur voyage, à destination finale de Vaslui, dure cinq jours.

La première nuit, ils la passent à dormir sur les bancs d’une école qui les abrite, et d’ici, ils se sont rendus au village de Solesti, où ils se sont installés. Peu à peu, ce sentiment de voyage, d’expédition disparaît, car les pénuries commencent. Depuis un certain temps, le seul plat est les haricots, et aussi quelques pommes de terre, et le désespoir et le pessimisme font leur place dans les pensées du jeune scout : « Nous commençons une nouvelle année (il note le 1er janvier). Le 13 novembre 1916, quand nous avons quitté Bucarest, on disait qu’au plus tard pour les vacances, nous serions de retour chez nous. Et voilà que nous sommes toujours dans les terres moldaves. Quelques réfugiés  loin de la maison, loin de leurs proches qui sont sous le talon de l’ennemi ». Les nombreuses privations, la solitude et l’éloignement de la famille, l’épidémie de typhus et la mort de camarades de classe représentent de véritables moments où l’adolescent mûrit avant l’heure.

Parti à Iasi, où il rencontre des amis et des parents, Alexandru Daia est témoin de la plus grande catastrophe de l’histoire des chemins de fer roumains – le déraillement d’un train surchargé de personnes à Ciurea, qui a fait 650 morts. Sous l’impression de nouvelles et d’images là-bas, l’auteur enregistre dans son journal le chiffre irréaliste de 2500 morts, laissant néanmoins l’un des rares témoignages sur l’accident. En janvier 1917, Alexandru Daia est affecté à l’hôpital mobile de l’armée II en tant que scout-hygiéniste, et dans les mois qui suivent, il assiste fièrement à la renaissance de l’armée : « Dans le champ voisin, les officiers apprennent le maniement de nouvelles armes, que nous recevons, après tant de temps, des usines et des usines françaises… Maintenant, les soldats ne peuvent plus se plaindre qu’ils manquent d’outils… Équipés à nouveau, équipés d’armes modernes, chargés de munitions abondantes, ils sont impatients de faire face à l’ennemi ».  Alexandru Daia est témoin, à l’été 1917, des batailles de Mărasesti et d’Oituz, qui pour l’espace roumain sont de véritables légendes de la guerre. Il est témoin de ces combats parce qu’il opère maintenant à un point de triage sanitaire à Bacau, à proximité du front. À Bacau, l’éclaireur passe encore une grande partie de l’année 1918, même après que les hostilités cessent par la signature de la paix du Buftea-Bucarest, servant toujours dans un hôpital de la région. Sa mission se termine fin juillet à son retour à Bucarest. Le livre d’Alexandru Daia se termine par le récit du 1er décembre 1918 à Bucarest, avec le moment du défilé de la victoire. Son journal, écrit dans un style simple reste toujours l’un des témoignages de la Grande Guerre. On en tire des extraits sur l’histoire et le sacrifice des scouts roumains de l’époque.

Dorin Stanescu, juin 2021

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Ricadat, Paul (1893-1987)

1. Le témoin

Paul Ambroise Edmond Ricadat est né le 14 octobre 1893 à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) dans une famille originaire des Ardennes, à Sedan. Après des études supérieures dans la capitale, il fait une carrière à la Bourse de Paris où il termine chef du service des opérations à terme. Il fait son service militaire à Sedan en 1913 et termine la guerre comme aspirant, achevant finalement sa longue période militaire de 6 ans lieutenant de réserve. Blessé deux fois et plusieurs fois médaillé, il sera fait chevalier de la Légion d’Honneur. Il décède le 27 février 1987 à Villeneuve-Saint-Georges dans le Val-de-Marne.

2. Le témoignage

Ricadat, Paul, Petits récits d’un grand drame. (1914-1918). Histoire de mes vingt ans. Paris, La Bruyère, 1986, 233 pages.

Sur sa démarche d’écriture, réalisée en différentes étapes, Paul Ricadat indique lui-même : « J’avais eu l’occasion de lire dans la presse, au début de 1966, une appréciation qui estimait que, pour les Anciens qui l’avaient vécue, la guerre de 1914-18 c’était le bon temps… Je décidai, sur-le-champ, de relever le gant et j’écrivis un récit intitulé : « Le bon temps », qui fut publié par le journal la Voix du Sancerrois. Ce récit fut retenu par un jury, présidé par Jules Romains de l’Académie française dans un livre, les Camarades, de Roger Boutefeu. Il y eut dix lauréats de ce prix Verdun : six lauréats français, dont je fis partie, et quatre lauréats allemands. Voilà l’origine de ce titre, qui ne devait pas être ignorée du lecteur » (p. 207). Ces récits forment la base de ce livre, Paul Ricadat dédiant ses pages à ses enfants, petits-enfants et à son arrière-petit-fils « en sa 93e année ». Il précise encore sur la rédaction de ses « vieux souvenirs », débuté à sa retraite, en 1956 : « Pour 1916 et 1917, je pus confronter ma mémoire avec les deux petits agendas de poche que j’avais tenus alors au jour le jour. (…) Quant à 1914, époque à laquelle toute note écrite était interdite, je n’avais besoin d’aucune aide. Je me souviens de chaque jour, sinon de chaque heure, comme s’ils dataient d’hier » (pp. 230 à 232). Sur les conditions de son écriture, il nous renseigne un peu plus loin : « Il me faut dire ici que j’eus une chance inouïe. C’est grâce à ma blessure et à mes pieds gelés que je dois la vie sauve. Les longs mois d’hôpitaux, suivis de séjours prolongés au dépôt de mon régiment, me maintinrent à l’abri au cours des années 1915 et 1918. Mais aussi et surtout, cette survie, je la dois à la protection efficace du Ciel, à cette intervention continue, que je qualifie de miraculeuse, de la Divine Providence, écartant sans cesse le danger au moment où il semblait devoir me frapper. J’aurais dû mourir cent fois plutôt qu’une, mais, en, chaque circonstance, le « coup de pouce » était donné qui faisait dévier la balle ou l’éclat d’obus. Ma vie, depuis un demi-siècle, est une action de grâce continue pour tant de bienfaits ». Poursuivant dans un ultime chapitre en forme de « conclusion (au soir de ma vie) », il pense prophétiser : « Les années ont passé. La génération de « Ceux de 14 » ainsi que l’a défini Maurice Genevoix, achève de disparaître. Bientôt le linceul de l’oubli ensevelira les événements, les acteurs du drame et leurs souvenirs. Et les livres d’Histoire ne mentionneront plus qu’il y eut en 14-18 un conflit pas comme les autres » ! » (p. 232).
Paul Ricadat débute ses souvenirs en juin 1914 à la caserne Macdonald du 147ème RI à Sedan (il avait été incorporé le 27 novembre 1913) alors que « les classes des contingents 1912 et 1913 étaient enfin terminées. Elles venaient d’être couronnées par les marches d’épreuve dont la dernière était l’itinéraire Sedan-Charleville, aller et retour, avec le chargement de guerre. Au total 55 km, sous un soleil torride. L’Etat-major local était parait-il satisfait, l’entraînement intensif que nous avions subi avait porté ses fruits » (p. 20). Suit la narration de sa guerre sous la forme de 20 tableaux commentés de sa guerre, tour à tour réaliste et terrible, à laquelle il finit par échapper pour cause de pieds gelés, à la fin de 1917, alors qu’il est passé au 33ème RI d’Arras.

3. Analyse
Son récit est alors un mélange de souvenirs et de réflexions, souvent opportunes, le poilu réfléchissant sur son environnement comme sur son rôle au fur et à mesure de ses fonctions. Il dit de l’Armée : « j’ai eu la possibilité de bien la connaître parce que j’ai souffert de toutes ses contradictions » (p. 94) ce qui rend son témoignage réflexif selon les tableaux qui résument les grands chapitres de sa guerre, en forme de récit chronologique.
Le premier tableau, Leçon d’histoire, fait un rapide tour d’horizon du ressenti de sa vie militaire. En guise de préliminaire, il pose la question : « Comment avez-vous pu tenir ? », ce à quoi il répond : « Nous n’avons pas eu à nous interroger sur ces questions du moins pendant les trois premières années de guerre. La raison est que notre génération avait été élevée sous le signe du devoir ». Il attribue au pangermanisme une autre réponse à cette question. Il fustige ensuite ce qu’il qualifie comme étant les mensonges de son époque, « journalistes partisans [écrivant] l’Histoire à leur façon » et de dire « qu’ils attendent au moins que les acteurs du drame de 14-18 soient tous disparu » ! (p. 14). Il y rappelle l’état d’esprit de la jeunesse d’alors : « Non, les jeunes de 14 ne voulaient pas la guerre, tout au contraire, ils la redoutaient, sachant qu’ils en seraient les premières victimes. Personnellement, j’avais visité, dès que j’eus l’âge de raison et plusieurs fois par la suite, l’ossuaire de Bazeilles et ces pauvres restes de combattants de 1870 me laissaient une impression de terreur que rien que le mot « guerre » me faisait trembler ». Poursuivant ses questionnements, il dit : « On nous reproche aujourd’hui d’être partis en chantant (…) et, qui plus est, avec la fleur au fusil, ce qui prouve soi-disant notre volonté de guerre. Pauvres ignorants qui méconnaissent jusqu’à l’A B C de la psychologie des foules. Puisque le sort en était jeté et que nous ne pouvions rien contre lui, nous considérions qu’il valait mieux partir en chantant plutôt que les larmes aux yeux » (p. 16).
Dans Avant la bataille, il décrit son départ pour le front et la montée dans les wagons à bestiaux « aménagés de bancs à dossier et même de râteliers pour les fusils » (p. 24), les heures de marche qui agonisent les pieds. Sur ce point, il décrit : « Ordre est donné de se déchausser, de se laver les pieds avec un linge humide et de les exposer toute la journée. Ce fut un excellent cicatrisant, au point que le lundi 3 août, nous pûmes remettre nos chaussures, les plaies étaient presque refermées et la souffrance devenue supportable » (p. 26). A Marville, dans la Meuse, Ricadat dit : « Ce que nous ne savions pas, c’est que notre départ de Marville signifierait pour nous un point de rupture dans notre vie. C’en était fini de notre jeunesse, de notre insouciance, de notre sérénité. Une période commençait qui durerait plus de quatre ans et pendant laquelle nous serions confrontés perpétuellement avec la Mort. Les trois mille hommes qui pendant huit mois avaient vécu une vie commune, allaient tomber les uns après les autres, ne laissant subsister qu’une poignée de rescapés. Pauvres gars ! » (pp. 28-29). Son régiment, qui a quitté Sedan le 1er août, reste stationné dans cette commun jusqu’au 18 avant de se diriger vers le nord où il franchit la frontière belge : « Traversant les villages, nous trouvons devant les maisons, sur le bord de la route, de vastes récipients ou des baquets remplis de vin et d’eau. Nous plongeons notre quart sans nous arrêter et buvons en marchant. Les quarts suivants que nous pouvons remplir sont destinés au bidon. Des enfants nous donnent leur tablette de chocolat, d’autres nous mettent en main des paquets de cigarettes. Quelle fraternité ! » (p. 37). A « Robelmont, village belge évacué par tous ses habitants. Pour éviter des dégâts, ils ont laissé les portes ouvertes. Nous sommes autorisés à entrer à condition de tout respecter » (p. 38). C’est dans ses environs qu’il reçoit le baptême du feu, sous les ordres d’un adjudant (Simon) qui tient sa troupe, apeurée, en distribuant des cigares ! (p. 40) alors qu’heureusement « il fut admis que dans les premiers jours des hostilités, les Allemands tiraient trop haut » (p. 41) ! Très descriptif et pédagogue, l’auteur continue de décrire ses premières heures de combat : « Enveloppez les baïonnettes dans le pan de la capte pour en amortir le cliquetis et marchez sur la pointe des pieds » (p. 42). Il décrit aussi les affres de la bataille des frontières, telle cette femme accouchant sur un chariot d’exode (p. 44) ou ce soldat en sentinelle devenu fou en tuant son frère par erreur (p. 46). Il dit devant cette phase des combats d’août 14 : « Nous ne comprenons rien à la situation. Au fond, n’est-il pas préférable pour nous de ne rien comprendre » (p. 48). Ses descriptions virent parfois au cocasse près de Stenay, quand il fait un plat-ventre dans une de ces « servitudes de notre frère le corps » en rappelant que « chacun sait ce que l’on trouve souvent le long des haies ! » (p. 49), ou quand, faute de ravitaillement, chacun se rue sur des pommes, mêmes vertes, et qu’ensuite, « il faut avoir vu ces milliers d’hommes s’égailler dans les champs et poser culotte à perte de vue pour imaginer cette souffrance » de la dysenterie (p. 54). Cette retraite précédant le sursaut de La Marne occasionne également de la fraternité, certains portant le sac de ceux qui s’apprêtent à flancher (p. 56). Le 21 septembre, devant le bois de la Gruerie, il s’horrifie de la guerre en forêt : « Je considère ces hautes futaies, ces arbres de vingt-cinq mètres de haut, ils m’écrasent et leur masse, qui se referme sur nous sans nous laisser voir le ciel, m’étouffe. Petit à petit, j’en prends conscience, c’est la peur qui m’étreint. Je lutte contre elle, je voudrai pouvoir fuir, je n’en ai pas le droit » (p. 65). Après un accrochage ayant causé une vingtaine de morts dans le camp d’en face, il fait cet étonnant bilan : « Mais, faut-il l’avouer, c’est moins le nombre qui nous intéressait que les provisions que nous pouvions trouver dans leurs sacs. Ils avaient en effet, ce que nous n’avions plus depuis longtemps, des vivres de réserve, biscuits et conserves, et nous avions faim. Ces récupérations furent les bienvenues » (p. 69). Le 24 septembre, il rapporte l’exécution d’un soldat du 147 et, fait rare, il fait partie du peloton d’exécution. Toutefois, la base Guerre 1914-1918 ~ Les fusillés de la Première Guerre mondiale — Geneawiki ne relève pas d’exécution ce jour là mais le même jour un mois plus tard. A-t-il exécuté Maurice David Séverin ce jour-là ? (pp. 70 et 71). Le lendemain Paul Ricadat est blessé à la tempe : « Je prends conscience que je vais mourir » (p. 74) ; il quitte la tranchée pour un poste de secours. Là, il tombe alors sur un major fou (Guelton) qui menace d’abord de le faire fusiller pour désertion, avant de le faire effectivement évacuer devant la gravité de sa blessure dont il finit pas prendre conscience ! Sa vision de la cave d’ambulance où il passe la nuit en attendant son évacuation est « apocalyptique », même si elle est atténuée par les « gestes maternels » que se prodiguent les blesses entre eux. Toutefois, devant la désorganisation du service de santé, et devant la, finalement, faible gravité de sa blessure, il finit par s’évacuer lui-même et prendre un train sanitaire qui mettra 19 heures pour faire Sainte-Menehould/Dijon (pp. 78-79). Il passe 4 mois à l’hôpital de cette ville puis rejoint le dépôt du 147ème RI à Saint-Nazaire. Il y apprend alors avec stupéfaction qu’il a été cité à l’ordre de la Division « qui me donnait le droit au port de l’étoile d’argent sur ma croix de guerre » (p. 84). Dans le chapitre Le baiser, il indique que « ce n’est pas le récit d’un combat, mais celui d’une émotion, associée à la souffrance et provoqué par la bonté ». Il décrit l’état des soldats après la retraite de La Marne ; « nous n’étions plus des hommes, mais des loques » (p. 89). Retapé, son changement de régiment lui donne le cafard et lui rappelle ses copains déjà morts, dont Eugène Pasquet qui avait le pressentiment funeste qu’il « ne sortirai pas vivant de ce métier », l’invitant, lui, très pieux, à se pencher sur ce sentiment. Le 18 mars 1916, il quitte la cité portuaire pour revenir dans la Meuse, à Longeville. Il est donc versé à la 8ème escouade de la 2ème section de la 4ème compagnie du 33ème RI. Sur la route pour rejoindre le Chemin des Dames, au cours d’une étape, sa compagnie est rassemblée par son capitaine qui déclare : « Je vous ai rassemblé afin de prendre contact avec les nouveaux venus. Je tiens à ce qu’ils sachent à qui ils ont affaire et ce qui les attend. Nous sommes ici pour faire la guerre, c’est dire qu’il ne faut pas que vous conserviez le moindre espoir de rentrer un jour dans vos foyers ! Rompez les rangs et rentrez dans vos cantonnements » (p. 110). Le lendemain, il est au Village nègre de Bourg-et-Comin et, prenant la ligne de feu sur le plateau, il relève : « Les gradés se passent les consignes, les hommes chuchotent à voix basse. Nous apprenons qu’il y a une entente tacite existe depuis des mois avec l’ennemi. Aucune dépense de munitions, pas de pertes d’un côté comme de l’autre, c’est le secteur idéal. Oui, mais ce n’est pas la guerre, et, à ce train, elle pourrait durer cent ans. L’état-major du corps d’Armée est, parai-il, scandalisé par un tel abandon de responsabilités et projette d’y mettre fin » (p. 11). Le 2 mai, ayant appris que son père est mourant, il obtient in extremis une permission pour assister à ses derniers instants, à Fismes. Il quitte le Chemin le 17 juillet 1916 pour la Somme où, jusqu’au 7 août, « nous connûmes cette vie de camp pour laquelle nous n’avions plus beaucoup d’affinités » (p. 126). Celle-ci lui donne toutefois le temps de voir griller des Saucisses et leur observateur par un orage ou tirer un 380 de marine sur voie ferrée. « Le 1er septembre marque notre entrée dans la bataille de La Somme », sur un autre plateau, celui de Maricourt (p. 128). Il y subit de terribles épreuves : « Nous restons ainsi quatre jours sans nourriture, souffrant encore plus de la soif que de la faim. Avec notre couteau nous arrachons des fibres de bois aux matériaux que nous trouvons et nous les mâchons pendant des heures pour tromper la faim » (pp. 135 et 136). Très pieux, il est aux anges quand, sorti un temps de l’enfer, « l’abbé Vitel décide une journée complète de spiritualité. Nous en avions besoin après ces trois semaines de vie purement bestiale » (p. 137). Après la Somme, on le retrouve en Champagne, sur la butte du Mesnil ; il y connaît l’angoisse d’entendre sous ses pieds des bruits de creusement, qu’il nous fait vivre heure par heure. La mine explose en même temps qu’il est attaqué et il s’en sort miraculeusement. Il conclut ce chapitre, Agonie, en revenant sur sa blessure à la tempe en septembre 1914, « la mort subite », et sur son expérience de la guerre souterraine, « la mort lente » : « Ah ! qu’il est donc facile de mourir à vingt ans ». Le 12ème chapitre, Espions vrais et faux, revient ce qu’il qualifie de « véritable épidémie » : « l’espionnite ». Il en fait une analyse correcte en alléguant : « Ce fut le début d’une suite d’aventures et d’erreurs qui, parfois, tournèrent au comique, mais, trop souvent aussi, hélas, eurent une conclusion tragique » (p. 152). Toutefois, il rapporte cette anecdote d’un vacher dénonçant aux allemands l’arrivée du 33ème RI en faisant bouger ses bêtes dans le secteur de Vendresse-et-Troyon en avril 1916. Il dit également avoir rencontré un artilleur-espion dans la tranchée le 22 mars suivant non loin de la ferme du Temple puis un autre encore plus tard, faux cette fois-ci. Et de conclure : « … je dois avouer que j’ai joué de malchance dans mes démêlés avec des espions. J’ai laissé filer le vrai et j’ai arrêté le faux » ! (p. 159). Son 14ème chapitre est consacré aux mutineries. Sur ce point, il dit : « J’eus la chance d’appartenir à un corps d’armée, le 1er Corps, qui ne se laissa pas gagner par la contagion » (p. 171). Il est désigné pour tenter, à plusieurs reprises, de contenir les mouvements des hommes, isolés manquant de pinard ou de permissionnaires excités, tâches dont il s’acquitte brillamment évidement. Il gardera de cette époque une haute estime à Pétain qu’il qualifie de magicien.
Est-il un témoin fiable ? L’épisode qu’il rapporte, le 27 juillet 1917 semble le confirmer. Ce jour-là, il assiste effectivement à la mort « accidentelle non imputable au service » dans le canal des Glaises à Wahrem (Nord) du soldat Camille Xavier Derrouch (cf. DERROUCH Camille Xavier, 02-02-1896 – Visionneuse – Mémoire des Hommes (defense.gouv.fr)). Il en décrit ensuite l’inhumation (pp. 188-189). On pense donc pouvoir le croire quand quelques jours tard, il atteste qu’un soldat a abattu un avion à coup de fusil (p. 195). La guerre avançant renforce sa religiosité… ou sa superstition. Pris dans un bombardement en octobre 1917, il dit : « La main dans la poche de ma capote, je récite mon chapelet, arme suprême quand les autres sont impuissantes » ou sur ce qu’il qualifie de miracle du fait de la prière d’un de ses soldats, pourtant athée (pp. 201 et 202). Mais rien n’atténue l’horreur croissante de ses conditions en première ligne sur l’Yser. Il dit, « Depuis notre arrivée ici, nous urinons sur place, sans bouger, augmentant ainsi la puanteur de ce cloaque » (p. 210). En novembre, après quatre jours d’enfer au fond d’une tranchée, il est relevé mais, comme les deux tiers du bataillon en ligne, il a les pieds gelés. Hospitalisé à l’hôpital d’Abbeville, sa guerre est terminée.
20 octobre 1918, on retrouve Paul Ricadat à Champigny-sur-Yonne (Yonne), à la veille d’être inscrit à suivre à Issoudun un cours d’élève-aspirant. C’est dans cette ville qu’il vit le 11 novembre en une longue minute de silence avant qu’« alors, c’est une clameur, une ruée, un déchaînement comme je n’en ai jamais connu ». Réflexion faite, il dit : « J’ai toujours regretté de n’avoir pas assisté au « Cessez-le-feu », au front, en première ligne, minute inoubliable pour ceux qui l’ont vécue ». Et de conclure : « Qu’étions-nous, en fait, à cette heure ? Des condamnés à mort qui, depuis quatre ans, attendaient chaque jours leur exécution et à qui on venait dire : « Vous êtes graciés, partez, vous êtes libres » (p. 224). « L’armistice n’est pas la paix ». En mars 1919, son stage se termine, complété par quinze jours à l’école d’artillerie de Poitiers à l’issue desquels il devient instructeur à Tours. Il est enfin démobilisé le 1er septembre 1919, achevant sa vie militaire commencée le 27 novembre 1913.

Bibliographie complémentaire à consulter : Boutefeu, Roger, Les camarades. Soldats français et allemands au combat. 1914-1918. Paris, Fayard, 1966, 457 pages.

Yann Prouillet, février 2021

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Dyson, William, Henry (1880-1938)

Le témoin :
William Henry Dyson, plus connu sous le nom de Will Dyson, est un dessinateur et caricaturiste australien né le 3 septembre 1880 à Ballarat dans l’Etat du Victoria en Australie et mort le 21 janvier 1938 à Chelsea, en Angleterre. Il est considéré comme l’un des caricaturistes du paysage politique australien les plus célèbres. Avant la guerre, il se fait connaître en publiant ses dessins dans The Bulletin, une revue hebdomadaire australienne très en vogue. Comme la plupart des artistes australiens reconnus de l’époque, un séjour dans la capitale impériale, Londres, est un passage obligé pour faire avancer sa carrière, perfectionner ses techniques et s’exposer à l’art européen, érigé en modèle dans les anciennes colonies britanniques australiennes, qui se fédèrent en 1901. Will Dyson part pour le Royaume-Uni en 1910 après s’être marié à Ruby Lindsay (sœur de l’artiste australien Norman Lindsay). Dyson obtient un poste de caricaturiste en chef au journal britannique le Daily Herald où il se forge une excellente réputation. Doté d’un humour sarcastique, il ne cache guère ses convictions travaillistes, dénonçant les bidonvilles qui regroupent alors de nombreux travailleurs exploités selon lui par le capitalisme et les propriétaires. Son art se veut politique, grand public et humaniste. Dyson est prolifique et ses caricatures se comptent par milliers. Une grande partie des originaux est conservée au British Cartoon Archive de l’Université de Kent à Canterbury (Royaume-Uni) ainsi qu’au centre de recherche du mémorial de guerre australien de Canberra (Australie).
Le témoignage
Au cours de sa carrière, sept livres rassemblant certains de ses dessins sont publiés, dont Kultur cartoons en 1915 qui reçoit les éloges de la presse. Dyson soutient l’effort impérial et, comme beaucoup, conçoit la guerre contre l’agresseur allemand comme juste et nécessaire. L’année suivante, l’Australie lui propose de devenir l’un de ses artistes de guerre officiels. Il reçoit une commission et un traitement pour dessiner les Australiens en guerre. Dyson part au front, où il demeure entre 1916 et 1918. Il y dessine les soldats australiens et est blessé à deux reprises. C’est cette vie, au front, qu’il s’attache de représenter, à montrer en détails à une population australienne si loin du canon. Ses œuvres de temps de guerre sont publiées en 1918 dans l’anthologie Australia at War, ouvrage de dessins très largement diffusé en Australie. Il croque également en couleur des scènes de la vie quotidienne au front encore aujourd’hui exposées à l’Australian War Memorial de Canberra. Sa femme est emportée en 1919 par la grippe espagnole à l’âge de 32 ans, ce qui le jette dans une profonde tristesse. En 1925, il rentre en Australie pour 5 ans afin de travailler au Herald de Melbourne, puis finit par retourner au Royaume-Uni. Son témoignage est donc celui d’une œuvre éclectique, avec une production intense lors des années de guerre qui fait date dans l’histoire de l’art australien.
Analyse
A bien des égards, les dessins de temps de guerre de Dyson se démarquent de ceux des autres artistes officiels de l’Australie. Contrairement au Canada, et dans une moindre mesure le Royaume-Uni, pays qui sélectionnèrent l’avant-garde de leurs artistes pour représenter la guerre, l’Australie choisit des artistes de guerre dont elle exige la maîtrise d’un style classique et non pas avant-gardiste ou moderniste. Il s’agit pour l’Australie de se construire une tradition militaire, alors que la Première Guerre mondiale est pensée et vécue comme l’entrée du pays dans le concert des nations. Dès lors, les peintures et sculptures commandées sont peu originales, accumulant les motifs les plus communs et sont souvent d’une facture d’une autre époque, inspirées par l’art européen du 19e siècle (on pense aux artistes officiels employés par l’Australie tels que George J. Coates, Web Gilbert, Leslie Bowles et George W. Lambert par exemple). Le but des commissions d’Etat est non seulement de constituer une collection d’œuvres nationales mais également de contribuer à la propagande de guerre et à poursuivre l’œuvre de justification de cette dernière en représentant des soldats australiens offensifs et presque invincibles. Il s’agit de constituer la légende des Anzacs (Anzac Legend), l’Anzac étant un acronyme pour les soldats australiens et néo-zélandais du corps expéditionnaire britannique des Dardanelles en 1915 ; le terme est resté pour désigner le soldat australien.
Dyson, lui, est unique dans ce moment de création de la tradition et, à bien des égards, s’oppose au classicisme de rigueur. Les soldats de Dyson sont humains : ils ont peur, froid, faim, sont épuisés, résignés, perdus, endeuillés mais également stoïques, résilients, riant parfois, ou partageant de bons moments avec des civils français ou belges. Contrairement à la légende des Anzacs, les soldats australiens représentés par Dyson sont, tout simplement, des hommes avec leur grandeur et leurs travers, leurs vices et leurs vertus. En cela, ses œuvres se démarquent des clichés de l’Anzac surhomme, clichés dénoncés par les anciens combattants eux-mêmes une fois la guerre terminée. Enfin, les œuvres commandées aux artistes de guerre australiens insistent sur le combat ou la vaillance comme si la guerre n’était que combat. Les dessins de Dyson, eux, montrent un temps plus long : celui des marches, des repas, de la convalescence, des femmes, de l’attente, de la cantine ou du coiffeur, en somme de la vie quotidienne des hommes, de leur ennui et de leurs brefs moments de joie lors de parties de cartes par exemple. Le témoignage de Dyson est à la fois riche (par ses thèmes) et simple (par ses lignes et couleurs), il est distinctif dans un cadre australien et la vie menée au Royaume-Uni par le dessinateur l’a largement influencé. Le sarcasme et l’absence de glorification apportent parfois une vision décharnée et pessimiste du conflit. On pourra consulter quelques œuvres de guerre de Dyson conservées par l’Australian War Memorial de Canberra, Australie, en suivant ce lien :
https://www.awm.gov.au/advanced-search?query=will%20dyson&collection=true&facet_type=Art&page=2
ou à l’Art Gallery of New South Wales en suivant cet autre lien : https://www.artgallery.nsw.gov.au/collection/works/?artist_id=dyson-will
Références :
« Dyson, Henry William » in Australian Dictionary of Biography, Bede Nairn and Geoffrey Serle (eds.), (Melbourne : Melbourne University Press, 1981), volume 8 1891-1939.
Romain Fathi, Représentations muséales du corps combattant de 14-18 : L’Australian War Memorial de Canberra au prisme de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, (Paris: L’Harmattan, 2013). 

Romain Fathi, décembre 2020.1.

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