Hémar Marguerite-Marie (1881 – 1949)

« Journal »

1. La témoin.

Marguerite-Marie Hémar née Flourez, mariée en 1909 à Marcel Hémar, exploitant de la ferme de La Motte, sise au Bizet (Nord), au bord de la Lys à proximité d’Armentières et de la frontière belge. Après la mobilisation de son mari en septembre 1914, c’est elle qui devient chef d’exploitation, alors qu’enceinte, elle a déjà 3 enfants en bas âge. Elle aura 13 enfants au total jusqu’en 1925, dont un mort-né et un autre décédé à 2 ans. Jean-Louis Decherf la décrit comme une femme de tête, instruite et capable de diriger l’exploitation.

2. Le témoignage

La Société d’Histoire de Comines-Warneton a publié dans le volume 44 de ses Mémoires (2014) ce Journal de Marguerite-Marie Hémar, présenté par Jean-Louis Decherf (p. 143 à 162) ; le récit va du 3 septembre 1914 au 13 juin 1916. Le rapporteur signale n’avoir rapporté dans ces pages que les faits de guerre en omettant volontairement les travaux agricoles.

3. Analyse

Ce récit de guerre continue un carnet commencé en 1906, nommé « Éphémérides des principaux ouvrages de la ferme de La Motte et annotation des faits les plus saillants. ». Marcel Hémar consignait des travaux à la ferme, l’évolution du cheptel et des transactions commerciales, l’exploitation avant-guerre disposant de quatre chevaux et employant plusieurs ouvriers. À partir du 3 septembre 1914, c’est sa femme Marguerite-Marie qui gère l’exploitation et tient ce journal, jusqu’à l’évacuation en 1916. Les mentions sont courtes, et comme souvent ont tendances à s’espacer (10 pages denses pour 1914, deux pages 1915 et ½ page 1916) : en fait ce recueil d’informations est surtout significatif pour le début de la période, avec l’arrivée des Français, des Allemands puis des Anglais (octobre – décembre 1914).

L’inquiétude grandit en septembre 1914 avec l’incertitude sur la position du front, mais le travail continue, avec un premier exemple de description d’ambiance à la ferme (28 septembre 1914, p. 147, avec autorisation de citation) : « Reçu lettre recommandée de Marcel. Répondu de même, envoyé mandat de cent francs. Journée fort chargée, un peu triste à cause de la grande inquiétude que témoigne Marcel dans sa lettre et des différents ennuis : vols de poires et de raisin ; le vacher boit une bonne partie de l’après-midi ; inquiétude pour Henri ; pas de nouvelles rassurantes au sujet de la guerre. »

Arrivée des Allemands

Le 4 octobre les uhlans sont annoncés, mais c’est l’infanterie française et des chasseurs à cheval qui surgissent, allant combattre vers Ploegsteert, puis repassant devant eux : « Ils ont dispersé la patrouille, fait deux ou trois blessés prisonniers. La foule les hue au passage. » Le 7 octobre, les troupes françaises ont quitté les lieux, les Allemands menacent, l’incertitude domine : « Vers onze heures une panique… (…) des femmes, des enfants chargés de paquets s’en vont en courant vers Armentières. Ici, on rassemble ce qu’il faut sauver ; puis on attend l’arrivée de l’ennemi, mais encore une fausse alerte. Le soir, le poste de cuirassiers est renforcé. Les braves sont heureux qu’on leur porte à souper. Ils ont élevé une barricade en face de la ferme.» Le 9, les hommes valides de 18 à 50 reçoivent l’ordre préfectoral d’évacuer vers l’arrière, et le 10 on voit les premiers Allemands. «Il est passé des Uhlans (50 à 60). Leur tenue était correcte, ils ne se sont pas arrêtés à la ferme. » Ces Allemands restent une petite semaine, exigent des livraisons d’avoine, demandent des œufs en les payant, puis font sauter les ponts sur la Lys, ils se retirent le 16 octobre.

Arrivée des Anglais

17 octobre 1914 p. 151 « On a fait du pain hier, on a recommencé aujourd’hui car la population a faim et on ne trouve pas de pain. Vers neuf heures grande nouvelle ! Les Anglais occupent la ville ». Le récit évoque alors le travail qui continue dans les champs malgré les bombardements, les demandes anglaises répétées (foin, vivres…) et l’inquiétude pour les absents. Le front est stabilisé et il bougera peu à cet endroit jusqu’à l’offensive allemande de 1918. Un passage illustre cette vie quotidienne sous la menace les obus (18 octobre 1914) au moment de « la grand’messe de 10 h, à 10 moins le ¼ le voici (Monsieur le Curé) qui se sauve avec sa bonne, le sacristain et tous les habitants de la place de l’église. (…) nous nous réfugions dans la cave jusque midi ; puis voyant que tout le monde circule, on remonte et on se met à travailler. » Marie-Marguerite Hémar est très croyante, et les mentions du carnet évoquent souvent des prières, des remerciements liés aux événements vécus, et elle implore protection pour les siens (1er nov. 1914) « Nuit et jour terribles. Mon Dieu ayez pitié de nous, mettez un terme à cette épouvantable calamité. Que vous êtes bon de nous avoir préservés de tout mal jusqu’à présent. (…) Ses enfants subissent aussi la situation, « Les petites filles parlent sans cesse de leur cher petit papa, Madeleine surtout. Quant à Marie-Louise elle se met parfois à pleurer et dit que son papa est trop longtemps sans revenir. Marie-Thérèse répète tout ce que disent ses aînées. Ces chers enfants sont nos anges protecteurs… et notre consolation. »

Une vie de cultivatrice en troisième ligne

Le mois de novembre 1914 est le plus fourni en mentions, décembre manque et des notes espacées reprennent en 1915. La diariste mentionne comment s’est passée la nuit (terrible ou très calme), le bruit du canon, des mitrailleuses, la difficulté à aller aux champs malgré les obus, les impacts proches de la ferme… ainsi le 3 novembre « épouvantable pluie d’obus sur la ville pendant vingt minutes environ. On descend dire son chapelet à la cave, puis on se remet au travail. Les Anglais font rentrer Jérémie [l’ouvrier agricole]» Fin 1914, beaucoup d’évacués, c’est-à-dire des individus qui ont fui l’avance allemande et qui ne peuvent rentrer chez eux, n’ont pas encore trouvé de point de chute, ils sont sans ressources (8 novembre 14) : « Beaucoup ont misère : souvent ils demandent du pain ; tous les soirs on en abrite plusieurs. » Des errants sont embauchés pour remplacer les absents mobilisés : « Nous avons deux évacués de Bondues qui travaillent pour la nourriture depuis huit jours. Ils s’appellent Ducatillon et sont bien convenables. » Les relations avec les Anglais sont correctes, mais même alliées, ces troupes représentent une gêne, et il faut s’en accommoder, ainsi que peut le monter ce long extrait d’ambiance (21 novembre 1914) : « Quelle journée de fatigue et de tracas !… Environ 250 soldats anglais sont arrivés hier soir vers 7 heures. Ils se sont casés un peu partout dans toutes les places de la ferme. Ils nous ont pris une lanterne. On a beau se mettre en peine tour à tour pour la redemander. Ils ne veulent pas la rendre. Ce matin, il a fallu faire le travail à moitié dans l’obscurité. Tous les soldats en se levant sont venus demander du café. On en a fait une bonne portion. Certains ont bu sans payer. D’autres ont payé 1 sou la jatte. Puis ils se sont mis à circuler partout, cherchant du bois, brûlant des bons piquets, des perches à haricot, etc. etc. Il y en a sans cesse dans les étables. Il y en a qui se rasent, qui se lavent à grande eau. On remarque qu’ils ont tous de bonnes flanelles et de bons tricots en laine couleur naturelle. Ils sont bien gais. Ils font la lessive tour à tour. A midi la pompe est vide. » À la fin de novembre, les parents de la narratrice arrivent à la ferme après un périple de plusieurs semaines, ils ont dû fuir leur ferme située elle-aussi sur la ligne de front (Lorgies), et c’est à nouveau l’occasion d’une action de grâce. En novembre 1915, les Anglais commencent à détruire la grange, en empilant et récupérant systématiquement les briques qu’ils emmènent. Le père de M.M. Hémar écrit au général Huguet pour protester, ce qui semble efficace (13 déc. 1915) : « Il semble que les travaux sont suspendus nous n’avons plus vu les démolisseurs. » Les rares mentions de 1916 font mention de l’aggravation des bombardements, et c’est en juin de cette année que les habitants doivent être évacués vers Bailleul, le 10 pour les enfants, puis c’est l’occasion de la dernière mention (13 juin 1916) : « Amené toutes les vaches et génisses à Bailleul. »

Donc un témoignage intéressant, certes pour une période assez courte du conflit, mais représentatif de ces exploitations agricoles, situées à la fois suffisamment loin de la première ligne pour tenter de continuer l’exploitation, mais aussi trop près pour ne pas présenter un risque sérieux. C’est aussi l’expérience d’une fermière, qui prend la direction de l’exploitation, négocie avec les Anglais et nous livre une restitution vivante de son quotidien.

Vincent Suard (janvier 2024)

Share

Tondelier, Edmond (1869 – 1944)

Journal 1915 – 1918

1. Le témoin

Edmond Tondelier, originaire de l’Avesnois, habite à Mouvaux (Nord) avec sa femme Amante et ses trois enfants au moment de la mobilisation. Professeur de mathématiques, il exerce depuis 1913 au lycée Faidherbe de Lille, et sa femme est institutrice à Mouvaux. Il quitte seul la région le 3 octobre 1914, et en 1915, au moment où commencent ces carnets, il est sergent dans la Territoriale, dans la Région retranchée de Paris. En 1916, versé dans l’auxiliaire, il enseigne à plein temps au lycée Montaigne à Paris. Son fils Jehan (1904) est rapatrié par la Suisse en juin 1917, puis sa fille Suzanne (1895) arrive en septembre 1918. Reprenant son enseignement à Lille après-guerre jusqu’à la pension, il se retire ensuite à Valenciennes.

2. Le témoignage

Jérôme Michaut, arrière-petit-fils de l’auteur, a achevé le long travail de transcription de ces carnets en 1998. Ce journal de guerre (307 pages), non édité, a été directement proposé sur internet. On le trouve (mai 2023) sur un site qui s’intéresse à Ozoir-la-Ferrière :

http://www.arrozoir.fr/sites/default/files/Carnets%20de%20Guerre%20%20-%20Edmond%20Tondelier.pdf de même que sur un site plus ancien, mais qui semble durable : http://jeromemichaut.free.fr/tondelier/deuxguerres.htm Je n’en ai pas moins vivement conseillé à l’auteur (conversation en mai 2023) de verser aussi ce texte numérique aux AD de son choix. Les carnets courent du 23 février 1915 au 29 octobre 1918.

3. Analyse

Au début de 1915, moment où commencent ces carnets, l’auteur est affecté dans une batterie d’artillerie qui effectue des travaux dans le camp retranché de Paris. Il est affecté à Nogent-sur-Marne, Pontault-Combault puis à Ozoir-la-Ferrière. Les carnets, rédigés presque quotidiennement en 1915, puis de manière plus espacée, relatent essentiellement les faits du jour, l’évolution du front, des conversations, les lettres écrites et reçues, et plus globalement ses préoccupations personnelles et l’état de son moral. Ce poste de l’arrière comporte surtout des tâches routinières, et il évolue vers des travaux de bureau en intérieur: il s’agit d’effectuer de nombreux calculs pour établir des tables de tir. En 1916, ces carnets d’un militaire se transforment en un journal d’un civil qui décrit son métier d’enseignant au lycée Montaigne, ainsi que la guerre vécue dans la capitale : les préoccupations familiales mais aussi matérielles (alimentation, chauffage…) sont l’objet principal des notations.

La Gare du Nord

C’est le lieu de rencontre le dimanche à Paris pour les « expatriés » des régions envahies. On vient bavarder, chercher des connaissances, des informations, et surtout, pour l’auteur, des nouvelles des siens ; chaque « pays » a son café (Lillois, Valenciennois, Cambrésiens…). E. Tondelier n’attend pas trop de ces dimanches (mars 1915)  « Toujours des tuyaux sûrs, chacun a les siens. Tous sont crevés. », mais il lui est difficile de résister à l’attrait de ces réunions (février 1917) : « À la gare du Nord, c’est toujours la même cohue mais j’y vais quand-même pour entendre parler le langage rude du Cambrésis. Chaque fois j’en suis désabusé et abruti par le bruit, n’ayant rien appris. Cela ne m’empêchera pas d’y retourner dimanche prochain. »

Communiquer avec les siens

Une des richesses de ce témoignage réside dans la description précise des moyens variés mis en œuvre pour essayer de communiquer avec la famille au-delà du front, tout au long de la guerre, les résultats étant presque toujours décevants.  On peut évoquer, comme biais, des relations nordistes qui connaissent un « moyen » non précisé, le passage par la Hollande, l’intermédiaire de prisonniers en Allemagne (mais il signale qu’il est interdit aux militaires d’écrire en Allemagne), la Croix-Rouge (cartes-messages), plus tard le biais des internés en Suisse, etc…  Pour l’auteur, les cartes inter-zone sont décevantes parce que très lentes et presque vides (20 mots) : (septembre 1917) « j’ai écrit deux cartes-message (…) Aurai-je une réponse dans six mois ? J’ai si peu de confiance dans le mode de correspondance que je vais préparer avec Démaretz une nouvelle annonce pour le Matin. » En effet mystérieusement, le journal parisien Le Matin paraît être lu, au moins sporadiquement, dans la zone occupée (en tout cas il le pense). Les autorités françaises interdisent toutefois ces annonces à destination de la France occupée en 1918, par crainte de l’espionnage.

Il reçoit de premières nouvelles ténues seulement après 6 mois (avril 1915), ce sont des bribes indirectes « d’une famille qui connaît la mienne (…) C’est peu, mais je vais me raccrocher à cette nouvelle qui est la première ayant quelque caractère personnel. ». Le premier contact sérieux à lieu en mai (7 mois, p. 27) « Je reçois enfin par Mr Dewez une lettre de Virginie destinée à André [son neveu au front], mais rédigée pour nous deux. Enfin ! J’ai des nouvelles précises. Toute la famille est en bonne santé.» La première vraie lettre arrive par un biais inconnu, probablement par la Hollande, après huit mois de séparation (juin 1915, p. 35) « Enfin je reçois directement une lettre d’Amante et même une photographie. Ce n’est plus par intermédiaire. Quelle joie ! ». On s’aperçoit aussi qu’une source essentielle d’informations récentes réside les récits des femmes rapatriées récemment, mais encore faut-il qu’elles soient de Mouvaux et qu’il les puisse les contacter : on vient se renseigner Gare du Nord sur les convois, et les arrivées récentes à Paris. « Aujourd’hui (fin décembre 1915) je reçois une lettre de madame Garraud qui s’est fait rapatrier. Enfin, j’ai des nouvelles de tous, et des récentes. Tous sont bien portants. (…) Amante a reçu cinq ou six lettres de moi. Elle me sait sans nouvelles et en souffre. » Une mention de la fin du conflit laisse rêveur à propos des probables millions de lettres jamais distribuées : que sont-elles devenues ? (5 février 1918) «  Weill m’a renvoyé une lettre de moi, lettre que j’avais écrite à Mouvaux en octobre 1914 et qui n’est pas parvenue. Elle a mis trente-neuf mois pour me revenir. Il y en a une centaine, en Belgique, en Hollande, en Suisse qui sont au rebut puisqu’elles n’ont pu atteindre Mouvaux. »

Vie quotidienne, souffrance et solitude

Edmond Tondelier souffre beaucoup de la séparation d’avec les siens, et la fréquentation de camarades territoriaux en 1915 et 1916 ou celle de collègues au lycée en 1917 et 1918 est pour lui une bien faible compensation : «Cette séparation inhumaine bouleverse ma vie et je suis, en somme, plus malheureux que le prisonnier de droit commun qui peut, à jour fixe, voir les siens, recevoir des lettres. » Le travail lui fournit un utile dérivatif, avec des journées abrutissantes, passées à faire des calculs pour l’établissement de tables de tir pour l’artillerie lourde et par la suite avec la correction des copies au lycée (fin 1915) : « Ma vie est de plus en plus remplie par le travail, et je ne saurais m’en plaindre car cela m’empêche de penser pendant le jour. Mais il reste les nuits, et elles sont longues… » La description du quotidien du lycée Montaigne, où il loge et enseigne à plein temps à partir de la rentrée d’octobre 1916, donne des informations intéressantes sur la vie scolaire pendant le conflit. Les effectifs sont d’environ quarante élèves par classe et il a « des noms célèbres : Rostand, Lavedan, Flammarion etc, etc. ». Lors de l’offensive allemande sur Montdidier et du tir sur Paris du canon à longue portée en mars 1918, il relate la fuite vers la province des parisiens, ceux-ci croisant les réfugiés picards qui arrivent dans la capitale ; la rentrée des vacances de Pâques est particulière (11 avril 1918) : « La rentrée est déplorable en Quatrième B, 17 élèves sur 35, en Cinquième A1, 12 sur 47, en Cinquième A5, 9 sur 32, en Sixième A5, 8 sur 30, en Sixième B, 17 sur 49. Il y a des classes de un élève, deux, trois. »

L’impression de solitude, parfois de désespoir qui découle de la séparation, et de l’absence ou l’extrême rareté de nouvelles est récurrente dans les mentions, elle en devient presque obsessionnelle par sa répétition ; difficile de dire si ces plaintes récurrentes ont un aspect pathologique (dépression) ou si notre diariste est simplement de tempérament dépressif, la tristesse n’étant pas une maladie. Il est certain qu’Edmond Tondelier souffre beaucoup, et il est probable que ces plaintes récurrentes mises à l’écrit ont une fonction de soulagement. Pas dupe lui-même, il produit cette intéressante remarque en novembre 1917 « Hier je passe ma soirée à feuilleter mes précédents carnets de Pontault, Ozoir, etc, quelle monotonie ! Toujours la même plainte : si Amante les lit un jour, elle ne la trouvera guère intéressante, mais elle aura la preuve que son cher souvenir ne me quitta jamais et que notre séparation fut cause d’une longue lamentation. ».

La guerre

Les notations sur l’évolution de la guerre occupent une place importante dans le journal, elles sont glanées dans la presse et dans les conversations. L’auteur parle très peu des Allemands et de politique, son patriotisme est solide mais sans illusions, il note ainsi le départ de son neveu pour le front (juin 1915) « Jour à marquer d’une pierre noire. André vient de m’envoyer une dépêche, il part au front demain.» Ce neveu meurt à Dun en juin 1916, après avoir été capturé blessé à Verdun. L’auteur a toujours une attitude critique par rapport à ce que les journaux rapportent, et se montre lucide sur l’évolution du conflit. Il refuse une paix blanche : (9 mars 1917, réflexions après une conversation) « Où est le devoir ? Comment concilier l’humanité et l’idée de patrie dans un conflit comme celui qui nous écrase. (…) Il y aurait un million de jeunes hommes tués et deux millions de blessés pour arriver à un compromis dont nous serions les dupes et les victimes ! Non, je souffre depuis trente mois, et les miens souffrent plus encore, mais si nous nous retrouvions sans que le conflit ait été solutionné en notre faveur, il semble que notre vie serait brisée aussi sûrement que par les deuils ou la mort. (…) Nous ne pouvons que souffrir en silence.». La souffrance morale liée à la solitude est un temps apaisée après le rapatriement par la Suisse de son fils Jehan (12 ans) ; celui-ci est scolarisé à Montaigne et logé avec son père dans l’établissement (3 juin 1917) : « Je ne suis plus seul. J’ai vécu ces huit jours comme dans un rêve. Minutes inoubliables, celles qui marquèrent l’arrivée à la gare de Lyon. Lettre d’Amante écrite sur un morceau d’étoffe et que j’ai lue avec une émotion poignante.». Sa fille Suzanne est à son tour rapatriée en septembre 1918, alors que l’inquiétude persiste jusqu’à la fin pour Amante et surtout pour Edmond, l’autre fils de 19 ans, qui est prisonnier civil en Belgique.

Donc ici un témoignage original de nordiste « parisien », qui montre qu’une position de territorial puis de civil abrité des dangers n’apporte que peu de répit moral, en comparaison des souffrances constantes liées à la séparation pour ce couple uni. Lorsqu’on observe, de la part de cet intellectuel habile à manier l’écrit, l’échec récurrent de ses tentatives variées pour établir des liaisons épistolaires, on devine aussi en creux la souffrance muette de la majorité du contingent nordiste d’origine ouvrière, peu à l’aise avec l’écrit, et incapable d’élaborer ces stratégies de communication. À contrario, les propos mentionnent souvent des évacuations de civils vers la France non-occupée, elles sont importantes et régulières, donnent des nouvelles précieuses, et même si Suzanne arrive très tard, le père termine le conflit avec deux enfants sur trois dans son foyer, alors qu’il était seul au début. Revient plusieurs fois, vers la fin du témoignage, une incantation de colère et de désespoir, « Si j’avais su ! Que de peines, que d’inquiétudes, que d’angoisses j’aurais évité aux miens et à moi-même. » [= il aurait fui avec toute sa famille dès le début] En 1940, l’Exode montrera que cette leçon a été retenue.

Vincent Suard, septembre 2023

Share

Lebrun, Mathilde (1879 – )

Le témoignage

Mathilde Lebrun (1879, Nantes – ?) habitante de Pont-à-Mousson, où elle tient un commerce, est en 1914 veuve d’un militaire (adjudant) décédé en 1908, avec lequel elle a eu trois enfants. La guerre déclarée, et ayant eu une culture militaire qui l’a habitué à côtoyer ce milieu (elle a habité plusieurs années dans des forts, dont à Toul, et a été élevée par un oncle, ancien combattant de 1870), elle monte un débit de boissons ambulant au plus près des troupes, activité qu’elle poursuit alors que la ville est envahie pendant quelques jours entre le 4 et le 10 septembre 1914. Sur sa répugnance à côtoyer « les boches », elle se justifie et dit : « Je domptai mon instinctive répugnance, en songeant que j’avais tout intérêt à approcher ces gens, à les étudier, à les connaître » (p. 39). Elle profite de ce côtoiement pour visiter les organisations de l’ennemi et collecter tout renseignement qui lui semble utile. Le recul allemand et la cristallisation du front font qu’elle pense pouvoir être utile aux français ; elle veut « jouer un rôle », non en s’engageant comme vivandière ou infirmière, mais comme espionne, destination qu’elle se fixe possiblement après avoir désigné un espion présumé en pleine bataille pour défendre la ville, mais peut-être aussi en ayant été désignée elle-même comme telle après la réoccupation de la ville. Le 1er décembre suivant, elle est approchée puis finalement, le 13, recrutée à Nancy par le Service des Renseignements de l’Armée de Lorraine. Son « agent recruteur » la missionne de se rendre à Metz, toute proche, afin d’y collecter tout information utile. Elle dit sur son nouveau « métier » : « On m’apprit mon rôle et je compris que j’étais un peu dans la situation de quelqu’un qu’on jette à l’eau pour lui apprendre à nager ». Laissant à la garde de tiers ses enfants qu’elle a éloignés du front à Contrexéville, et devient alors Simonne autrement surnommée « Tout-Fou ». Sa première mission, le 23 décembre 1914, consiste à passer la ligne de front (à Norroy-lès-Pont-à-Mousson) ce qu’elle fait avec une étonnante facilité. Après plusieurs jours d’enquête, elle est finalement approchée par le capitaine Reibel, puis plus tard le lieutenant von Gebsattel, autrement appelé monsieur de Bouillon. Pour les Allemands, elle devient R2, ou madame Blum, autrement surnommée également « Faim-et-Soif ». Le 4 janvier 1915, elle revient en France par la Suisse, fait son compte-rendu au capitaine de B… sur ce qu’elle a vu et entendu durant les 15 jours en territoire allemand qu’a duré sa mission : « Je pus révéler l’emplacement des batteries de Norroy et les dépôts de munitions, la profondeur des lignes de tranchées, le numéro des régiments. Je signalai l’importance des envois de troupes sur la Belgique. Je ne manquai pas non plus de parler des espions que j’avais rencontrés, travaillant pour l’Allemagne » (p. 99). A partir de cette première mission réussi, Simonne, pendant toute l’année 1915, fait des allers et retours entre Nancy et l’Allemagne, en passant par la Suisse (elle cite successivement Metz, Montmédy, Luxembourg, Mondorf, Trêves, Mayence, Coblentz, Cologne, Francfort et même Berlin, passant par Offenburg, Saverne, Appenweiher, Strasbourg et Sarrebourg dans une liste certainement non exhaustive). En tout, elle réalise 13 voyages entre lesquels, missionnée par l’ennemi, elle se rend dans le sud de la France (Marseille et Nice) afin de contacter des agents doubles françaises dont elle sera à l’origine des arrestations. Ce sont Félicie Pfaadt (agent R17), exécutée le 22 octobre (elle dit août) 1916 à Marseille [voir dans ce dictionnaire la fiche de Jauffret, Wulfran (1860-1942) – Témoignages de 1914-1918 (crid1418.org) qui décrit l’exécution de l’espionne le 22 août, qu’il avait défendue vainement devant le conseil de guerre en mai et dont il témoigne de sa réprobation] et Marie Liebendall, épouse Gimeno-Sanches, également condamnée à mort et emprisonnée dans la même ville. Côté allemand, elle distille des informations fournies par le Service de Renseignements qui, apparemment savamment construits, lui valent même en novembre 1915 la Croix de Fer ! Elle reçoit de côté-là des missions dont l’une des dernières confiées est rien moins que de récupérer la formule des gaz de combat français. Risquant, par ces deux principaux « faits d’armes » d’être « brûlée », c’est-à-dire découverte en Allemagne, elle est « mutée » quelques jours à Tours, revient à Nancy avant de participer aux enquêtes et aux procès Pfaadt et Liebendall puis d’être convoquée, le 16 août 1917 à Marseille pour témoigner dans l’enquête sur le député C[eccaldi], mentionné dans ses rapports, accusé lui aussi d’intelligence avec l’ennemi. C’est très possiblement ce qui lui vaut d’être « rayée du service », teintant son dernier chapitre comme une conclusion amère qu’elle a été mal utilisée et oubliée, tant dans l’honneur que dans la récompense nationale.

Mathilde Lebrun, Mes treize missions, préfacé par Léon Daudet (Député de Paris) Paris, Arthème Fayard, sans date, ca 1920, 285 p.

Commentaires sur l’ouvrage
Ecrit en 1919 et les années suivantes, apparemment publié plusieurs années plus tard (1934), ce récit simple, chronologié, sans réel talent d’écriture et descriptif, mais manifestement sincère peut apparaître comme une curiosité littéraire voire fictionnelle. Pourtant, le livre de Mathilde Lebrun est bien la narration testimoniale d’un parcours d’espionne agent double comme les Services de Renseignements français en ont utilisé de nombreuses pendant la Grande Guerre. Le parcours et les actions de Mathilde, manifestement à la personnalité évidente, se construit et évolue en territoire ennemi avec une apparente facilité et légèreté malgré les risques énormissimes pris par ces femmes particulières qui exercèrent leur patriotisme par des voies aussi dangereuses que volontaires. L’ouvrage n’est pas iconographié et contient quelques erreurs topographique (Noviant pour Novéant) ou points tendancieux qui mériteraient des vérifications plus approfondies pour en confirmer la véracité ou la plausibilité. Par exemple, son premier parcours débute en pleines fêtes de Noël et du réveillon dans la Lorraine envahie de l’hiver 1914 et elle n’en décrit pas une ligne. De même par exemple, elle attribue à ses renseignements l’origine d’une contre-offensive sur le Hartmannswillerkopf (entre le 8 et le 15 mars 1915) qui ne semblent pas correspondre à une telle activité sur le massif. Enfin, sa narration est aussi le prétexte à des tableaux, le plus souvent grotesques voire injurieux des personnages qu’elle croise et qu’elle caricature à l’envi (cf. la famille Rihn à Metz dont elle garde les enfants et dont elle dit par que le père à « une bonne tête… d’abruti »), celui lui permettant d’appuyer sur son patriotisme exacerbé.


Renseignements tirés de l’ouvrage :
Liste des missions effectuées en Allemagne par Mathilde Lebrun
1re mission : Du 23 décembre 1914 au 4 janvier 1915
2e mission : Du 11 au 17 janvier 1915 (avec une erreur de date page 112)
3e mission : Du 27 janvier au 1er février 1915
4e mission : Du 15 au 21 février 1915
5e mission : Du 08 au 15 mars 1915
6e mission : Du 26 mars au 2 avril 1915
7e mission : Du 19 avril au (jour non précisé) avril 1915
8e mission : Du 04 au 22 juin 1915 (dont voyage à Berlin)
9e mission : Entre le 26 juin et le 18 juillet 1915, d’une durée de 18 jours
10e mission : Du 18 au 23 juillet 1915
11e mission : Du 11 au 23 août 1915
12e mission : Du 07 au 09 septembre 1915
13e et dernière mission en Allemagne : Du 3 au 11 novembre 1915


Page 22 : Vue tonitruante et sonore de la mobilisation à Pont-à-Mousson
33 : Distribue des bouteilles de vins en pleine attaque allemande
34 : Décrit Pont-à-Mousson sous attaque
176 : 2 canons de 75 français et 6 belges en trophée à Berlin
: Taux de change 100 pour 87,50 marks
178 : Croix de fer en bois plantée de clous d’or et d’argent achetés (elle en plante un)
219 : Obtient (mais trop tard) un sauf-conduit pour toute l’Allemagne
227 : Manque d’être arrêtée en Allemagne à cause de la Gazette des Ardennes (pas logique)
230 : Doit récupérer la formule des gaz de combat français
233 : Obtient la Croix de fer

Yann Prouillet, juillet 2023

Share

Lehmann, Othon (1896 – 1968)

Le témoin

Othon Lehmann (1er janvier 1896 – Froeschwiller (Bas-Rhin) – 11 décembre 1968 – Epinal (Vosges)) est un jeune mosellan de 18 ans dont le père, de souche alsacienne, habitait Landau, quand la guerre se déclenche. Les premiers jours mêlent impressions militaires, ignorance de la situation et conscience du drame. Un mélange d’effervescence et d’inquiétude comme en témoigne ce tir sur un espion imaginaire (?) en gare de Landau mais aussi de doute déjà. Ainsi le maire de Landau doutant d’une grande victoire en constatant la prise de … 10 canons. Othon, qui a peur que la guerre se termine victorieuse sans lui, intègre enfin, fin août 1914, le 23e RI bavarois de Landau. Il démarre à Landau puis à Kaiserslautern une vie de caserne et de formation, dont les exercices sont difficiles sous les ordres d’un Kompagnie-Exerzieren, modèle de « véritable vieux soldat ». Il dit : « Je ne me souviens pas d’avoir vu un officier pendant mon séjour à Landau », (il refait d’ailleurs la même réflexion après plusieurs jours de première ligne). En effet, il précise que c’est au sous-officier qu’est confiée l’instruction du soldat brossant quelques tableaux divers de personnages représentatifs. Jeune, il est parti inconscient, confiant espérant avec sa mère « qu’on ne mettrait jamais de si jeunes gens en première ligne, qu’on nous emploierait plutôt pour transporter des munitions, du matériel, des malades… ». Après un mois d’instruction, il est feldmarschbereit, prêt à entrer en campagne. Le 6 novembre 1914, il est enfin dirigé sur le front et dit : « Nous ne chantions pas. (…) Au fond de nos cœurs, nous étions restés optimistes, ne croyant pas au triste sort qui planait au-dessus de nos têtes ». Le train qui l’emporte dépose le soldat à Comines (Belgique) puis, affecté à la 4e compagnie, il est dirigé dans un secteur « formant une chaîne de protection, véritable bastion avançant dans la ligne ennemie » en avant de la ferme du Eickhof (ferme des Trois-Chênes), à l’ouest de la ville. Au créneau, à la défense de la ferme, il prend corps avec le front et en découvre les dangers. Mais il dit : « Je n’avais pas peur ; je crois que je ne me rendais même pas compte de la situation. C’était peut-être très dangereux, peut-être rien du tout ! Pas un coup de fusil, aucune trace d’ennemi. En face de nous, il y avait probablement les mêmes « héros » qu’ici, c’est-à-dire de pauvres gamins sans expérience, déguisés en soldats ». La guerre commence toutefois de l’impressionner. A la vue d’un mort, il dit : « Jamais de ma vie, je n’oublierai la vision de ce beau mort ». Mais le créneau de nuit est fantasmagorique et il déclenche des fusillades, voyant des français dans des troncs de saule, et tuant probablement… une vache. Il se forme toutefois à la guerre, apprend à utiliser se pelle de tranchée « trop petite » (page 15) et expérimente la pitance immangeable et sans pain. Mais rapidement il commence à en éprouver la douleur sous l’omniprésence d’une déprimante artillerie, augmentée du froid et de la pluie. Il dit : « Mais nous étions déprimés et pas assez aguerris pour supporter de telles épreuves » (page 16). Il n’a à ce moment connu que 4 jours de première ligne pourtant. Il avoue avoir abattu un français ayant agi par imprudence (et pour lui manque d’expérience) mais avoir manqué d‘être tué en retour pour le même motif. Très en pointe, il semble oublié, sans ravitaillement, et souffre de la faim. Mais c’est bientôt l’attaque devant son front, impressionnante, terrible et meurtrière, à son avantage. Il dit : « La situation des assiégés était devenue intenable. Les Français sortirent sans arme, se rendirent et furent conduits vers l’arrière. Aucune violence sur eux. C’était la guerre sincère entre braves soldats de première ligne » (p. 21). Atteint d’une balle, il n’ose plus utiliser son fusil et tente de récupérer sans succès celui d’un mort qu’un soldat enterre. Le 14 novembre, pris dans un bombardement, il est blessé au dos par plusieurs éclats d’obus en protégeant un camarade, tous deux blottis dans le parapet d’une tranchée. Se sentant en sureté avec ses camarades et ne voulant pas les exposer au feu, il refuse d’abord son évacuation. Il dit : « Dans le danger de mort, dans les situations sombres de la bataille, les camarades sont toute notre vie, ce sont seulement eux qui comptent. Et si au commencement d’une bataille, on hésite, pour des raisons humaines, de tirer sur des hommes d’en face, tout sentiment de pitié ou de générosité nous abandonne dès qu’un camarade tombe ou est blessé à côté de nous » (p. 25). Il est finalement évacué à la nuit mais dois menacer de son revolver des « infirmiers froussards » qui se trompent de direction et partent vers l’ennemi. Doté d’un revolver civil acheté pour le front avant d’y arriver, ils le prennent pour un officier ! Arrivé à l’ambulance, il est hissé dans un fourgon sanitaire, veut encore aider un français en pantalon rouge, lui rappelant les images d’Epinal de son adolescence (évoquant ici la francophilie de sa famille, précisant « Du roi de Prusse, nous ne parlions jamais ») et la guerre de 1870. Evacué par trains, dans un desquels, par imprudence il manque de retourner au front, il échoue dans un hôpital où il souffre atrocement. Au printemps de 1915, il est dirigé sur le dépôt de son régiment, à Kaiserslautern et jugé « apte seulement pour le service de garnison » (p. 32) et employé au bureau de la Ersatzkompagnie. « Jamais je n’ai vu un seul de mes camarades du front. Peu à peu, j’ai appris que tous étaient morts dans les combats devant Ypres. Parmi mes camarades de chambre, 13 avaient subi l’examen du service militaire d’un an. De ces 13, je suis le seul survivant. Pendant mon temps de service au bureau de la compagnie, j’ai obtenu de temps en temps quelques renseignements sur la mort de mes camarades et les communiquer à leurs parents. C’est le seul service que j’ai pu rendre à ces malheureux » (p. 32). Il cite d’ailleurs parfois le nom de quelques-uns de ses camarades (cf. p. 19). 35 ans après sa blessure, des médecins ont découvert qu’un éclat d’obus se trouvait encore dans le dos d’Othon Lehmann.
Othon Lehmann, 1914 dans l’infanterie allemande, Epinal, chez l’auteur, 1963, 33 p.

Le témoignage
Ce court ouvrage, souvenirs écrits par l’auteur en 1962 « sans jamais avoir rien noté » (p. 27), est simple et superficiel tout en étant relativement descriptif de sa place dans son minuscule morceau de front devant sa femme belge cominoise et des états psychologiques d’un jeune soldat sous l’uniforme feldgrau blessé après seulement 8 jours de front. Il renseigne peu sur sa position sociale mais semble indiquer en note finale avoir un équivalent de brevet supérieur. Il fait aussi montre d’une certaine francophilie qui pourrait s’expliquer en sa qualité de mosellan du nord, d’une commune, Reichshoffen, fortement marquée par la guerre de 1870. Sa narration se veut pédagogique, Lehmann traduisant systématiquement en français les termes militaires, uniformologiques ou techniques dont il a conservé voire expliqué en note la signification.
L’ouvrage n’est pas iconographié mais comporte un croquis et une carte de la ferme Eickhof, seul champ de bataille qu’il aie jamais connu. Se reporter à l’ouvrage pour son usage de terminologie allemande « de guerre » (organisation civile et militaire, uniformologie, usages, expressions, etc.).

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Parcours suivi par l’auteur : Landau – Kaiserslautern – frontière belge à Herbesthal – Liège – Lille – Comines (Belgique) – Eickhof / ferme des Trois-Chênes – Bruxelles – Dillingen an der Donau – Kaiserslautern.

Page 5 : Tableau d’une mobilisation à Landau qui l’impressionne (« Landau était le siège de deux régiments d’artillerie (n°5 et n°12), d’un régiment d’infanterie (n°18), du premier bataillon du 23ème RI, d’une formation de mitrailleuses et d’un dépôt de cavalerie (chevaux-légers) » (sic)).
6 : Voit les premiers blessés français dont certains portent des chaussures civiles vernies !
: Tir surréaliste sur espion sur un toit proche de la garde Landau, espionnite
7 : Couleur des uniformes, il touche le felgrau plus tard
8 : Liste des unités de Landau
9 : Poursuit sa formation à Kaiserslautern
18 : Pain surnommé Pumpernickel, dû à Napoléon qui l’avait donné à son cheval en disant « Bon pour Nickel » !
24 : A acheté avant de partir en guerre un revolver Hammerless
30 : Vue d’une dysenterie dans un train, expédients divers (bottes, casques puis « marche du train hors de la porte, retenus aux mains par des camarades ») pour déféquer
31 : Solution de Sublimé pour traiter sa blessure

Yann Prouillet, juillet 2023

Share

Pichot-Duclos, René (1874-1968)

Le témoignage

Le général René Agis Pichot-Duclos (9 mai 1874 – Fort d’Aubervillers (93) – 18 janvier 1968 – Biviers (38)), d’un père officier, présente dans ce fort volume les souvenirs des deux grands temps forts de sa vie militaire, de sa formation (enfance, écoles, premier régiment, Ecole de Guerre, états-majors et temps de commandements) à son affectation au 3e Bureau du GQG de Joffre, ce jusqu’à la fin de l’année 1915. Il y rapporte et dépeint son action comme les dessous du commandement des grandes unités au cours des différentes phases de la guerre jusqu’à son affectation, à la toute fin de 1915, au commandement du 11e BCA (qu’il commandera effectivement du 10 février au 26 octobre 1916). Par ses yeux et son esprit incisif, on entre dans l’intimité des états-majors et il n’élude rien des personnalités, innombrables, qu’il côtoie, parfois juge et critique ou encense avec une liberté de ton indéniable et directe. Très en lien avec les états-majors des grandes unités qui combattent à l’Est sur la ligne de feu, il renseigne très largement sur les actions de commandement et d’organisation des secteurs dirigés par le général Dubail et ses subordonnés dont on retrouve la liste dans une imposante table des noms cités (près de 700 noms) qui témoigne à elle seule de l’intérêt documentaire des souvenirs de ce lien entre le haut commandement et la guerre appliquée sur les différents théâtres d’opérations. L’ouvrage regorge ainsi d’anecdotes ou de chapitres qui partent dans une infinité de directions tant sur la formation militaire que sur différents aspects qu’il touche au fur et à mesure des activités d’analyse et de lien avec l’état-major de Joffre, fournissant ainsi un regard précieux du début de la guerre à toute l’année 1915. Ainsi, il évoque pêlemêle sa genèse d’une vocation aéronautique, les analyses des offensives de 1914 (La Marne et ensuite), l’adaptation à une guerre longue après le rétablissement de septembre, le GAE et les grandes attaques sur les Vosges, les études, recherches, travaux et réalisations, comme ses réflexions, sur de nombreux sujets divers, y compris sur certains fronts extérieurs.
Général Pichot-Duclos, Réflexions sur ma vie militaire. Au G.Q.G. de Joffre. Souvenirs, Paris, Arthaud, 1947, 399 pages.

Commentaires sur l’ouvrage :
Très autocentré bien entendu et donnant le plus souvent la part analytique la plus profonde et effective à ses actions et analyses, ce témoignage, qui allie en effet souvenirs (dont il dit, page 99 « les présents souvenirs sont écrits sans consultation d’une seule note pour l’excellente raison que je n’en ai pris au cours de ma vie que pendant les dix-huit mois vécus au GQG. ») et réflexions, en forme d’autobiographie sur le temps long de sa formation, écrit après la 2e Guerre mondiale, dont il fait parfois, voire souvent référence, est précieux car profond et précis. Eludant peu de noms, y compris sur l’ensemble de sa période très observatrice et rédactionnelle au GQG, il s’érige en témoignage incontournable pour toute étude concernant le haut commandement, son fonctionnement, les hommes qui le composent, concourant à la petite comme à la grande Histoire. Ce fort volume est un livre de souvenirs très documenté et le plus souvent très opportun pour qui veut connaître le « dessous des cartes » de l’Etat-Major de Joffre pour toute la période 1914 et 1915, surtout à l’Est. Il est en effet plus spécialement affecté à la liaison avec la 1ère armée de Dubail, abondamment cité, et dont on peut facilement dégager un portrait. Il y démontre l’extraordinaire complexité de la gestion d’une guerre moderne, avec son infinité d’hommes et de paramètres à prendre en compte. Le livre est également référentiel sur le haut commandement du front des Vosges pour la période du 6 septembre 1914 à décembre 1915. Il l’est aussi en filigrane sur l’aviation de la période 1913-1915, l’auteur ayant occupé une position en lien avec l’organisation de l’arme aérienne militaire et ayant profité de sa fonction à l’entrée de guerre pour tenter de passer le brevet de pilote. Il serait intéressant d’en dégager l’ensemble des passages et de les comparer avec son ouvrage.

L’ouvrage n’est pas iconographié mais comporte quelques cartes, contient très peu d’erreurs et est agrémenté d’une table patronymique et toponymique.

Renseignements tirés de l’ouvrage :

Plusieurs tableaux intéressants dans de nombreux emplois divers dans lequel l’auteur a eu une action, soit en formation, soit comme « observateur », soit dans les prises de décision de commandement ou de critique de celui-ci.

Extrait utile de la table des matières :
Formation : Enfance et écoles, mon premier régiment : Sous-lieutenant (76e RI) à Paris, lieutenant à Orléans, l’Ecole de guerre : chefs, professeurs, choix d’un Etat-major, Etats-majors et temps de commandement : Lyon, ; Grenoble, crises et troubles (dont vinicole), commandant de compagnie alpine (5e Cie du 158e à Lyon), grandes manœuvres (1909).
La Grande Guerre vue du GQG : Avant-guerre et début de l’aviation militaire, à Nancy (garnisons de Nancy et Toul), Genèse d’une vocation aérienne et section d’aéronautique du ministère, direction, organisation à la veille de la guerre
Entrée en campagne : certitude et préparatifs, couverture, appel du 3e bureau et ses conséquences, son rôle avant et après La Marne, exécution du Plan XVII à la 1re Armée, réhabilitation de l’offensive, Dubail et son Etat-major, contrôle parlementaire, l’épreuve de la 2e armée, plans consécutifs à La Marne.
Stabilisation progressive du Groupes des armées de l’Est
Front de Woëvre, officiers de liaison, coup d’œil sur la 4e armée, front mouvant des Vosges en 1914, déplacement présidentiel, front de Lorraine, Rocques et Dubail ; reconstitution et emploi des réserves, opérations sous bois, note du 16 avril 1915 et ses applications, second déplacement présidentiel, offensives des Vosges, Maud’huy, assauts du Linge, Hartmannswillerkopf, mort de Serret, « les cas » Sarrail et Schérer, mutations des grands chefs.
Pendant la stabilisation, études, recherches, travaux et réalisations : unités au repos, reconstitution et instruction, utilisation des ressources et places, recherche et expérimentation de matériels nouveaux, guerre des mines et des gaz, questions de 2e Bureau, rédaction de règlements et codification des enseignements tactiques, enseignements et réflexions tirés de la bataille de Champagne, mesures prises en vue de l’hiver, nuages sur Verdun, conduite progressive de la guerre, un match au sujet d’Alexandrette, l’intervention bulgare, les Dardanelles et Salonique et ses difficulté de commandement, velléités roumaines et plan d’opérations, mainmise de Joffre sur le théâtre balkanique, conférences interalliées et leur préparation, choix d’un adjoint, les distractions de Chantilly et Départ.
Annexe : Voyage dans les Vosges les 10 (Gérardmer), 11 (Epinal, Saint-Amarin, Moosch) et 12 février (Belfort) 1915.

Notes de lecture
Page 14 : Général (non cité) enterré avec son épée
32 : Galon d’Anspessoir (1re classe) donné aux 75 premiers au classement fait à Pâques
33 : Chien vert : dans l’argot de Saint-Cyr, nom donné au Sergent-major
56 : Les premiers 75 distribués en unités circulant en ville recouvert d’une housse sombre pour dissimuler son frein et sa hausse indépendante
83 : Vue des Gros Frères, les Cuirassiers
89 : Sur le système de fortification d’Epinal, réponse à la question
106 : Sur la guerre en montagne
122 : Bruit de la balle, « méthode de calcul des distances basée sur le phénomène de claquement que produisent les balles pendant qu’elles parcourent certaines parties de leur trajectoire »
140 : Sur Andlauer (vap 318)
: Réquisition des véhicules
141 : Lit du général Bailloud placé face à l’Est à Nancy
: Plan des mots de passe à Nancy
153 : Mort d’Edouard de Niéport, dit Nieuport par accident d’avion à Verdun
154 : Ecrit (en 1912 alors qu’il était capitaine) Les Reconnaissances en aéroplane, publié par Imhaus et Chapelot, éléments et chiffres de tirage et de ventes.
173 : Epuration du commandement (vap 206 et 334)
177 : Nombre d’escadrilles en août 14 ; 22 + 3 récupérables
178 : GQG restreint : Pichot-Duclos, Lt-col Buat, Brecard, col Paquette
181 : Habite 7 rue Valentin Haüy le 4 août 14
: Sur le retrait des 10 km
: Foch, 20e Corps (Nancy), Legrand-Girarde, 21e Corps (Rambervillers), leur personnalité dans leur bureau, trajet, temps et conducteurs (Boileau et Rigal, pilotes de course Paris-Belfort)
183 : Sur la rumeur de tranchées allemandes creuses dès le temps de paix en Lorraine
184 : Joffre dit : « J’aime mieux faire commander des divisions par des capitaines que de les laisser aux mains de gens incapables de les conduire ».
: Les stratèges sont les officiers qui ont fait une troisième année à l’Ecole de Guerre
: Veut profiter de sa position pour passer le brevet de pilote ; il dit « le mauvais départ de notre organisation d’aviation, la peine qu’elle avait à se militariser ».
187 : De Goÿs, chargé d’organiser l’aviation turque (en fait avril 1914 par Hirschauer, inspecteur de l’aéronautique militaire)
: Il précise son poste et sa réaffectation après La Marne
189 : Comment l’EM fonctionne à Vitry-le-François
190 : Opinion de Joffre le 6 septembre 1914 dans une école de Bar-sur-Aube : « … dans huit jours nous serons à genoux ! »
: Colonel Pont, chef du 3e Bureau
: Recul prévu un temps jusqu’au… Morvan, opiné par le Général Belin
194 : La Woëvre est censée envahie par la boue (colonel Poindron), mais les Allemands arrivent jusqu’à Saint-Mihiel
196 : (Note) Sur les inconvénients de la carte au 200 000e en deux couleurs, sans nivellement ni zone boisée
199 : Général Bastidon a fait une étude sur la bataille de Sarrebourg à Domptail
201 : Sur le rôle majeur mais sous-évalué de la forêt de Haye (vap 202)
202 : Dubail amputé (d’un pied en mars 1896 à la suite d’une chute de cheval)
203 : Son action sur les conseils de guerre spéciaux (vap 206 son Etat-major) et leur devenir
207 : Sur Saconney qui adapte le Drachen, de meilleure stabilité
22 : Raison du débarquement de Messimy (affaire du 15ème Corps) et devenir (fin 213)
216 : Renseignement récupéré à Coinches sur le moral allemand
226 : Nombre de coups par pièces et par calibres (155 et 120)
: Incident d’Apremont
228 : Sur les officiers de liaison, rôle, contact avec Joffre
233 : Général Gérard menteur, enquête de Pichot-Duclos (mais résultat non dit)
238 : « Le goût de la pioche n’était pas assez répandu dans l’infanterie qui avait en général trop compté sur le génie pour faire les travaux ; seul le colonel Barrard du 91ème s’était constitué une section de pionniers ; exemple à suivre ».
: Organisation du front d’Argonne chiffrée par compagnies d’une division
239 : Garibaldiens, valeur
241 : Front des Vosges
242 : Général Bolgert insuffisant pour « une région où le commandement à la fois compartimenté et distendu par le terrain devait être entre les mains de chefs susceptibles d’autonomie »
243 : Secteur du HWK et Serret
245 : Description du front des Vosges par Dubail : « Les Vosges ne sont pas un pays de montagne, mais un pays coupé et couverte. Sauf exceptions motivées par des vues particulièrement étendues ou intéressantes, les postes n’y sont pas faits pour garder du terrain, mais pour garder des gros »
: Belfort et le Général Thévenet
246 : Voyage de Poincaré dans les Vosges et en Alsace (vap annexe p. 376 à 380)
247 : Tardieu puis de Pierrefeu historiographes officiels des 3 premiers mois de guerre
249 : Poincaré ostensiblement non reconnu par une infirmière alsacienne
: Comment on choisit une infirmière religieuse alsacienne à décorer
251 : Front de Lorraine
258 : Utilise Minenwerfer au lieu de crapouillot
264 : « La crainte de Limoges » influe sur les chefs, et le pourquoi
: Observatoires dans les arbres
268 : Difficulté du combat sous bois et le pourquoi
: Sur les formules creuses des jusqu’auboutistes et qui ils sont
271 : Visite de Poincaré, donner l’illusion de la 1ère ligne et visite dans les Vosges, organisation en partie par Pichot-Duclos
273 : Sur la bataille des Hautes-Vosges de Pouydraguin
274 : Sur l’intervention du pouvoir civil
275 : Sur la mystique
286 : Sur ce qu’est la guerre dans les Vosges, concept de la guerre de montagne
: Sur la mort de Serret, utilisée de manière propagandiste par les Allemands
292 : Sur les chicanes dans les réseaux de fils de fer barbelés
297 : Territoriaux tarés
298 : « On gaspille les projectiles allongés de 90 et de 155 qui sont très précieux pour l’artillerie, en les faisant jeter par les avions ; les aviateurs ne veulent pas les lâcher parce qu’ils se sont entraînés au tir avec ces projectiles ».
: Sur les fusées
: Sur les sections de réparation auto de Lunéville « mal dirigée »
304 : « Je n’admet pas qu’un chef considère que son supérieur n’a pas le droit de lui faire une observation » dit le général Dubail
: Liquidation des places fortes, décret du 5 août 1915
306 : 730 infirmiers à Verdun
307 : Sur le Chauchat, l’histoire de sa mise au point et signification de CSRG (page 309) : Chauchat (colonel d’artillerie), Sutter (officier d’artillerie), Rybeyrol (ingénieur civil), Gladiator (du nom d’une fabrique de bicyclette).
310 : La boue et les armes
: Obus D, portée
313 : Sur le carnet d’explosion de la guerre des mines
314 : Klaksons + clairon + feux puis sirènes électriques pour l’alerte aux gaz et inconvénients divers de son audition
316 : Sur la méconnaissance de l’anglais chez les officiers
318 : Sur les Alsaciens, leur mentalité, leur surveillance
323 : Bruit du canon et compétence des troupes à les identifier
330 : Attaque et calendrier, l’amiral Amet dit : « Avant de fixer la date de vos attaques, que vous faites tomber aux équinoxes, regardez donc que diable votre calendrier ».
331 : Batterie de catapultes vosgiennes à deux pièces et description
332 : Bombes Save utilisée en forêt d’Apremont, à la « Tête de vache », à raison de 175 par jour, arrêtant des travaux de mines allemands (photo existante par aiilleurs)
333 : Charbon de bois fabriqué en forêt de Commercy par les Morvandiaux, utilisé en 1re ligne
: Mort du général Benzino, attribué aux renseignements des Services Spéciaux écoutant les communications allemands
334 : « Nettoyage des cadres »
: Sur les aménagements de tranchées et cantonnements par les généraux (cf. Lebocq pour le Bois-le-Prêtre)
336 : Eléments recueillis sur la préparation de Verdun par les Allemands d’après un renseignement fourni par des … religieuses + destructions de clochers
337 : 2 000 F. donnés pour monter une fanfare par le général Renouard
: Sur l’abus de vin distribué… aux habitants ; 720 litres par familles, qui les revendent aux militaires « pour le plus grand dam de l’hygiène ; de la discipline et de la bourse de ces derniers »
345 : Sur l’échec du débarquement en baie de Suwla (Dardanelles) « qui n’échoua que par l’inconscience tactique absolue des exécutants » (par des troupes) « plus sportives que militaires (qui) prirent d’abord des bains de mer et ne se mirent en marche pour occuper les hauteurs dominantes qu’après avoir laissé aux Turcs le temps de s’y incruster, de recevoir de l’aide et enfin d’ouvrir un feu suffisamment ajusté pour nécessiter l’organisation d’une attaque en règle, de sorte que l’insuccès de cette dernière entraîna l’échec définitif de l’opération »
346 : Sur l’enseigne de Vaisseau Simon, rescapé du Bouvet (coulé par une mine le 18 mars 1915) et qui échappa à Mers-el-Kébir comme capitaine de Frégate, commandant en Second du Dunkerque en 1940
351 : Atlas Stieler et Vidal-Lablache
362 : Idée de déposer par avion des troupes derrières les lignes ennemies
: Sur Saconney et cerfs-volants
: Sur la même invasion en cheminant par les mines s’étendant sous les lignes allemandes, « plan de termites » abandonné car jugé impossible à réaliser
: Sur un débarquement par les côtes par les canaux par bateaux à fond plat
363 : Sur l’invasion par la Suisse (dossier H) et troupes concentrées à Belfort en lien avec ce plan
372 : Comment on décide d’une décoration belge
373 : Sur l’idée d’instaurer la polygamie pour pallier au manque d’hommes
374 : Il passe au 11e BCP (en fait BCA) (il commandera aussi le 363ème RI (cité p. 255)
376 : Vue de Gérardmer, la Schlucht, l’Altenberg avec Poincaré, échanges sur la prospérité des Vosges et plans pour elles, l’Alsace et la Lorraine après la guerre le 10 février 1915
377 : Visite d’Epinal
378 : Hansi présenté au général Mauger
: Vue de Bussang (11 février 1915)
379 : Méthode Berlitz à l’école alsacienne
: Enfants allemands invités à garder leur langue aussi après la guerre
380 : Pains K et KK

Yann Prouillet, juillet 2023







Share

Galopin, Arnould (1863-1934)

Le témoin

Arnould Galopin est né à Marbœuf (Eure) le 9 février 1863, d’un père instituteur qui exerçait également la fonction de secrétaire de mairie. Après des études au lycée Corneille de Rouen puis à Paris, son service militaire effectué, il devient maître répétiteur avant de s’orienter vers le journalisme, métier qu’il exercera pendant une dizaine d’années, notamment pendant la période de la Grande Guerre, pour différents médias comme La Nation ou Le Soir. Il publie son premier ouvrage, Les Enracinées, en 1903, ainsi qu’un roman de cape et d’épée, puis se lance ensuite dans l’écriture de romans feuilletonnisés tels L’espionne du cardinal ou La petite Loute. Il prend la relève d’Henry de la Vaulx pour la rédaction des fascicules de Cent mille lieues dans les airs puis, obtenant un succès avec le Docteur Oméga, récit d’un voyageur sur la planète mars, en 1906, dans la revue Mon beau livre. Ayant de surcroît cosigné des ouvrages avec Emile Driant, alias le Capitaine Danrit, il est qualifié du titre de « Jules Verne moderne ». Il continue d’écrire dans des domaines divers, touchant à nombreux styles littéraires (jeunesse (il publie 2 500 fascicules d’aventures pour les enfants), sentimental, policiers, historique voire science-fiction) pour Fayard et Tallandier, participant à la réédition de mémoires historiques, puis se met au service d’Albin Michel tout en publiant également des feuilletons pour Le Journal ou Le Petit Journal. Pasticheur de talent, dans un style simple et élégant, on lui doit les personnages de Ténébras, rival de Fantômas, et d’Allan Dickson, coéquipier remplaçant Watson auprès d’un Sherlock Holmes vieillissant. En 1922, il récidive en publiant les mémoires d’Edgar Pipes, pastiche d’Arsène Lupin. Pendant la guerre, il se mue en correspondant de guerre et publie, outre Sur la ligne de feu, son pendant maritime Sur le front de mer, lequel sera couronné par l’Académie française. Il va d’ailleurs y ajouter plusieurs romans sur le thème de 14-18, tel Les gars de la flotte, tous chez Albin Michel, dont deux seront repris en films : Les Poilus de la 9ème (qu’il rencontre fortuitement dans une tente anglaise lors d’une visite d’un camp en décembre 1915 !) et La Mascotte des Poilus. Auteur finalement d’une centaine d’ouvrages, Arnould Galopin décède brutalement à Paris le 9 décembre 1934. Sa biographie complète sur | Arnould GALOPIN (franceserv.com)

Résumé de l’ouvrage

Alors qu’il est correspondant de presse pour le quotidien Le Journal (page 56), il brosse dans Sur la ligne de feu 17 tableaux répartis du 10 septembre 1914 au 15 avril 1916, portraitisant ainsi « nos soldats », « nos alliés » qu’il complète par des anecdotes « sur la mer ». Il rend tout au long de l’ouvrage un long hommage aux alliés anglés, écossais et surtout indiens, sikhs et gourkhas, redoutables guerriers, ce sur le front, à l’arrière comme sur mer.

Analyse
Bien que publié en 1917, l’ouvrage, issu d’un journaliste, Sur la ligne de feu. Carnet de campagne d’un correspondant de Guerre (E. de Boccard, Paris, 1917, 208 pages) est sans étonnement un modèle de « bourrage de crâne » issu d’un « reporter » qui, si il est vraisemblablement allé au front, en fantasme la réalité de la guerre, magnifiant ses acteurs, caricaturant l’ennemi et héroïsant les alliés, de toutes origines de l’Empire colonial anglais, en diables implacables, victorieux et invincibles. Quelques rares informations sont dégageables avec toutes les réserves inhérentes à ce style testimoniale particulier, par trop impacté par une vision journalistique tronquée de la réalité de la guerre. En contrepoint, le livre vaut en tous cas pour le long défilé des archétypes de la littérature de bourrage de crâne, en multipliant les tableaux outranciers destinés à des civils crédules et avides d’aventures victorieuses et inoffensives. Etonnamment, alors qu’il s’évertue à cacher l’ensemble des patronymes, il en rétablit un toutefois (dans une note page 87) en indiquant que l’objet de sa page de bravoure est le lieutenant Langlamet, professeur de mathématique au lycée de Cherbourg.
L’ouvrage est agrémenté de 20 illustrations de lieux, matériels ou de soldats de toutes origines alliées.


Renseignements tirés de l’ouvrage :

Liste des « tableaux » rapportés par l’auteur et dates :
Nos soldats
Quelques heures vécues au milieu de la bataille (10 septembre 1914)
Une charge décisive (18 septembre 1914)
Parmi les ruines (20 septembre 1914)
Horrible aspect d’un champ de bataille (22 septembre 1914)
Sous les obus (5 octobre 1914)
Procédés de Barbares (10 octobre 1914)

Trois braves (16 octobre 1914)
La leçon de français (30 octobre 1914)
Nos alliés
Dans le camp des indiens (6 novembre 1914)
Le départ pour le front (7 novembre 1914)
L’enthousiasme belliqueux des terribles Gourkhas (10 novembre 1914)
Les Ecossais marchent en jouant la Marseillaise (16 novembre 1914)
Les Gourkhas à l’assaut des tranchées (18 novembre 1914)
Les Castors (25 novembre 1914)
Un camp anglais (30 décembre 1914)
Le triomphe de « Jack ». Comment un ballon de football amena la destruction d’un bataillon de la Garde prussienne (août 1916)
Sur la mer
Devant Zeebruge (13 décembre 1914)
Le pirate capturé (15 avril 1916)

Eléments utiles au fil de la lecture :

Page 12 : Obus Robin, dits craquelins, obus à balle type 1897
17 : Illustration du train blindé « Vendetta »
36 : Voit des cadavres flottants qui « même après la mort, s’étreignent » !
46 : Balles allemandes tirées de trop loin, n’ayant pas assez de force pour pénétrer profondément
51 : Espions allemands déguisés en femmes
61 : Obus peu dangereux, éclatant sans dommage trop haut
63 : Artilleurs allemands tirant sur les villages pour s’éclairer
97 : Espionnite
84 : Cavaliers piétinant les morts, barbarie
88 : Thann, l’école, l’instituteur
99 : Vue d’indiens Sikhs (fin 156) et de Gourkhas (surnommés les castors (p.150))
127 : Bhangs, hachich indien
135 : Ecossais
142 : Sur le combattant anglais par rapport aux français
144 : Honneur du combat à l’arme blanche des Sikhs
156 : « Capstan », tabac anglais
157 : Vue de camp anglais
167 : Chien
170 : Voit des funiculaires

176 : Footballeurs du 8e Est Surrey qui attaquent avec un ballon de foot
177 : Mads, camarades en anglais

Yann Prouillet – juillet 2023

Share

Benéteau, François Hippolyte (1882 – 1915)

1. Le témoin
Né le 1er février 1882 à Taugon (Charente inférieure) dans une famille de cultivateurs propriétaires. François Hippolyte Benéteau réside en 1914 dans ce même village charentais où il reprend l’activité d’agriculteur. Il effectue ses classes au 18e RI en tant que tambour en novembre 1903, puis mis à la disponibilité du 123e RI de La Rochelle où il effectue deux périodes d’exercices en 1909 et 1913. Il entame une correspondance avec sa famille très fournie dès les premiers jours de la mobilisation générale en août 1914. Agé de 32 ans, 4 enfants, il incorpore le 138e RIT de La Rochelle avant d’être désigné quelques mois plus tard pour rejoindre le 167e RI. Ce témoignage permet de suivre son parcours de territorial puis dans l’active. Parcours qui le conduira jusqu’au front dans le secteur du Bois Le Prêtre.

2. Le témoignage
La correspondance entre François Hippolyte Benéteau et sa famille est regroupée dans livre ce épistolaire de 152 pages paru aux éditions Edhisto en avril 2022. Les 90 lettres du poilu couvrent la période d’août 1914 à avril 1915 et s’articule autour de 5 axes : l’attente, le casernement, les premières tranchées, les derniers jours, les recherches post mortem.

3. Analyse
Le 16 août 1914, les trois bataillons du 138e Régiment d’Infanterie Territoriale) quittent La Rochelle. Le régiment cantonne du 17 août au 13 septembre à Marigny-les-Usages, dans le Loiret, pour sécuriser les villes, porter assistance aux blessés, surveiller les gares. François Hippolyte Benéteau est spectateur indirect de la première bataille de la Marne quand il rend compte à sa femme de ce qu’il voit, ce qu’il entend. En effet, devant l’avancée allemande, la population parisienne, traumatisée par le siège de 1870, fuit la capitale par centaines de milliers. « Il y avait des femmes, des enfants de tous âges qui ne marchaient pas encore. Seuls, ils ont couché dehors et le matin ils tremblaient. Aucun endroit pour les loger, il faut le voir pour le croire » (p. 18).
Le 13 septembre, son bataillon quitte le cantonnement Loirétain pour rejoindre la caserne Excelmans de Bar-le-Duc (Meuse), garnison du 94ème RI mais qui participe à la première bataille de la Marne. François Hippolyte Benéteau exprime sa confiance en l’avenir ; il pense que la guerre sera courte et que la victoire sera proche. Il est affecté le plus souvent à la surveillance de la gare, des hôpitaux et parfois à l’assainissement du champ de bataille sur les communes de Laimont et de Villers-aux-Vents. Tenant à être mis au courant de l’avancée des travaux de la ferme, il questionne régulièrement son épouse à ce sujet. Il souhaite également être averti des blessés, des morts qui sont annoncés dans le village de Taugon. La vie de cantonnement se prolonge, occasionnant parfois un sentiment de lassitude ; il va régulièrement à la messe, dont celle que Mgr Charles Ginisty organise le 19 novembre 1914 à l’église Notre-Dame à Bar-le-Duc.
Le 21 novembre 1914, le bataillon de François Hippolyte Benéteau fournit un contingent de trois cents hommes au dépôt du 167e régiment d’infanterie. Il part le jour même pour Toul et y intègre la 5ème compagnie, 2ème bataillon. Sa confiance s’amenuise et n’imagine pas rentrer pour la naissance de son cinquième enfant fin décembre ; « il faut s’attendre que ce soit très long. Et au moment où tu me parles, c’est presque sûr que je ne serai pas présent » (p. 58). Son entrainement a repris, plus intense avec des manœuvres, des exercices. Il continu a jouer son rôle de territorial dans les gares, décharger les péniches qui arrivent par le canal et qui transportent les cailloux de consolidation des voies de chemin de fer pour le front. Plus proche de la zone de combats, il entend le canon, voit affluer plus de blessés, de malades. Fin décembre, il pense être protégé par la naissance de son cinquième enfant, et ne pense pas être désigné pour partir dans les tranchées. Il y échappe une première fois mais le 12 février 1915, il est informé de son départ imminent : « J’étais parti à mon ouvrage comme d’habitude ce matin. Mais l’on est venu me chercher en disant que je partais avec ceux qui étaient désignés. » (p. 92).
Le 15 février 1915, après avoir reçu son écusson du 167e RI d’active et habillé de neuf, il rejoint Jezainville au sein de sa section à trois kilomètres de la zone de combats du Bois Le Prêtre. Il exprime dans ses lettres la peur de mourir mais aussi l’espoir de revenir. « Chère femme, si par malheur Dieu voulait nous séparer pour toujours, souviens-toi de moi » (p. 93). Le courrier à des difficultés à parvenir ce qui ajoute à ses craintes. Il prie, se donne force et courage pour affronter ce qui lui semble inéluctable. Du 8 au 17 mars 1915, le bataillon de François Hippolyte Benéteau quitte Jezainville pour relever le 5ème bataillon du 346e au Bois Le Prêtre. Ce sera pour lui sa première expérience de tranchées. Il décrit les scènes de combats, avec la neige, le froid, qui surprennent les soldats. A chaque attaque, il entend les coups de fusils, les obus qui passent sur sa tête, la terre qui vole partout, les blessés à côté de lui. Il raconte notamment la journée du 15 mars : « A huit heures du matin, les Allemands ont fait sauter plusieurs tranchées et aussitôt la fusillade a commencé. Toute la journée sans desserrer ; il y avait du danger partout en première ligne comme en deuxième ou en troisième. C’était tout pareil. Les balles, les obus, les grenades et les torpilles pleuvaient. Les arbres sont d’une bonne épaisseur dans ce bois là et bien souvent les obus Allemands tombaient en plein dedans. D’une grosseur d’une brassée, ça les coupait en deux ». De retour en cantonnement le 18 mars 1915, il continu a écrire, rendant compte a son épouse des combats. Il rend grâce à Dieu, participe aux messes et se rend sur la tombe de ses compagnons. La peur de mourir est là. Dans sa dernière lettre datée du 30 mars 1915, François Hippolyte Benéteau est de nouveau dans le Bois-le-Prêtre aux abords de la tranchée de Fey. Il sera mortellement blessé au combat du 30 mars ou du 1er avril. Identifié par les soins de l’officier gestionnaire de l’ambulance 3/64 (ambulance 64 du 13e corps rattaché provisoirement à Avrainville). Il est inhumé fosse numéro sept au Gros-Chêne le 20 avril 1915 et le 20 novembre 1920, son corps sera transféré à la nécropole nationale du Pétant près de Montauville.

William Benéteau – Yann Prouillet

Share

Lemoine Maurice, Déplanque Octave, Chappey Marcel

Trois Nordistes sur le front d’Orient (1915 – 1916)

1. Les témoins

Maurice Lemoine (1887-1962) appartient à une famille aisée d’agriculteurs de l’Avesnois (Etrœungt, Nord). Il part combattre en Macédoine avec le 284e RI à partir d’octobre 1915, est rapatrié malade en mars 1917 et ne rejoindra plus ensuite le service armé.

Octave Déplanque (1887-1915), né à Éterpigny dans le Pas-de-Calais, est garçon boucher à Guise (Aisne) au moment de la mobilisation. Engagé dans les combats du 284e RI depuis le début de la guerre, il est transporté en Macédoine en octobre 1915 pour participer à la fin de la campagne de Serbie. Il y est tué en décembre 1915.

Marcel Chappey (1890 – 1971), né dans une famille de commerçants d’Avesnes, a réussi le concours d’entrée à Normale Supérieure en 1914. Sous-lieutenant à la mobilisation, il participe aux combats du 284e RI, puis est transféré en Macédoine en octobre 1915. Passé au 260e RI en 1916, il sert pendant toute la guerre en Orient. Homme de cabinet entre deux-guerres, il fut maire de Garches de 1947 à 1971.

2. Le témoignage

Trois Nordistes sur le front d’Orient (1915 – 1916) a été publié sous la direction d’Agnès Guillaume, Thierry Hardier, Jean-François Jagielski et Raymond Verhaeghe (2021, 140 pages). La publication a été assurée conjointement par Edhisto, le FSE du Collège Éluard de Noyon et le CRID 14 – 18. Le volume est constitué de la reproduction du carnet de route de Maurice Lemoine, des cartes postales d’Octave Déplanque et d’extraits de lettres de Marcel Chappey. Ce petit volume dense se partage entre ces trois témoignages, avec un appareil scientifique développé et une riche iconographie (40 illustrations).

3. Analyse

La publication de ces témoignages a été accompagnée, dans sa phase d’élaboration, par un travail réalisé par des collégiens, aidés de leurs enseignants d’histoire et de français. Ces jeunes ont travaillé sur la retranscription des carnets, l’élaboration de statistiques et la recherche des noms des combattants du 284e RI : « ce n’est pas rien », pour eux, d’avoir désormais leurs noms mentionnés (p. 3) dans un ouvrage respectant les critères scientifiques du haut niveau. Un autre intérêt du volume est de montrer la complémentarité que peuvent présenter, pour une même unité et un même théâtre d’opération, trois types de sources différents. Enfin, ces récits apportent un éclairage sur les opérations vécues en Orient, en Macédoine et en Grèce, théâtre d’opérations assez délaissé par les publications de témoignage.

Témoignage de Maurice Lemoine : un carnet de route

Le carnet de route de Maurice Lemoine est ramassé dans le temps (octobre 1915 – janvier 1916) et surtout factuel, avec en général quelques lignes par date, certaines descriptions étant parfois développées. Il décrit la traversée sur le « Lorraine », l’arrivée à Salonique, les combats en Macédoine contre les Bulgares, avec comme élément central du récit la lente retraite en bon ordre, le long du Vardar, jusqu’à la frontière grecque. Il arrive aussi que les mentions soient plus longues, et on a alors des éléments utiles sur la perception, par un poilu d’Orient, du combat de moyenne montagne, de la combativité de l’ennemi ou des habitants de la Macédoine qu’ils côtoient. Les Grecs ne sont pas perçus comme très fiables, et c’est bien pire pour les Macédoniens (novembre 1915 p. 31) : « Cette Macédoine est un véritable pays de bohémiens rempli de Comitadjis. La moitié de la population est d’origine turque. ». Les carnets mentionnent les combats, les destructions opérées (chemin de fer ou ponts), et l’auteur, combattant au ras du sol, a une bonne clairvoyance d’ensemble (fin novembre 1915, p. 34) « notre recul provient d’une obligation dictée par la faiblesse des Serbes à notre gauche et que nous n’avons pu les rejoindre à Vélès ». Ayant repassé la frontière grecque, il signale l’arrêt de la poursuite par les Bulgares (la Grèce est neutre) et le reste du carnet décrit alors l’élaboration du camp retranché au nord de Salonique et de ses avant-postes, et le changement de condition du soldat (p. 43) « jamais on ne s’est trouvé aussi bien depuis le début de la campagne d’Orient ! Aussi bien ravitaillé et bonne cuisine ! Nous voilà passés travailleurs ! Tous les jours au chantier de 8 heures à 11 heures et de 1 heure à 4 heures. » Le carnet s’arrête en janvier 1916, il est alors durement touché par le paludisme : rapatrié en France en 1917, mais non guéri, il ne rejoindra plus le front avant l’armistice.

Témoignage d’Octave Déplanque : des cartes postales pour faire signe de vie

Le livre présente ensuite une dizaine de cartes postale écrites avec seulement quelques lignes, mais ce lien, si ténu soit-il, marque une volonté de donner des signes de vie et constitue aussi une forme de témoignage. O. Déplanque est tué dès le début de décembre 1915, et l’équipe de rédaction produit un intéressant petit dossier sur le passage du deuil à celui de la mémoire, avec des objets qui accompagnent les générations ; une carte au 200 000ème appartenant à la veuve est reproduite, carte avec un petit cercle rajouté à l’encre, où serait hypothétiquement la tombe d’Octave Déplanque, mais la sépulture ne sera jamais retrouvée. On signale que la fille se voit offrir par sa mère, avec l’argent des indemnités de veuve de guerre, une chambre à coucher (lit, armoire) et un crucifix, avec au dos une étiquette : « 31 mai 1925. En souvenir de mon père mort pour la France. ». La petite-fille, à travers sa mémoire insatisfaite, est évoquée dans un article de la presse locale (La Voix du Nord, 12 novembre 2014, p.56) : « Chantal Homola a « les oreilles fatiguées » comme elle dit. Depuis plusieurs jours, pour évoquer la Grande Guerre, « on ne parle que de la Somme ou de Verdun » explique l’Aulnésienne quelque peu dépitée. « La guerre est mondiale et de nombreux Avesnois sont morts durant la guerre d’Orient » tient à préciser celle qui a perdu son grand-père Octave Déplanque, le 7 décembre 1915 en Serbie. Il avait 27 ans. « Ça me dérange qu’on les oublie. Ils ont combattu comme les autres et on n’en parle pas. » C’est ici, en relation avec un « Front oublié », une « mémoire oubliée »…

Témoignage de Marcel Chappey : des lettres qui évoquent les opérations

Ces lettres de Marcel Chappey sont adressées à son frère, alors qu’il occupe des positions dans la Meuse et dans l’Aisne (p. 69), puis sur le front d’Orient (p. 78). Ce témoignage vivant est écrit sur un mode énergique, et on peut y glaner, par exemple, un intéressant mode d’emploi, exprimé sur le mode plaisant, sur la manière d’opérer une fraternisation (Noël 1914, p. 69) : on amorce en chantant « die Wacht am Rhein », s’ils reprennent le refrain, « il y a du bon ! » ; il faut être très progressif  « Comme on ne sait jamais si on affaire à de sales types ou à de bons types, toute une gradation est nécessaire. » Fin mars 1915, il décrit à son frère, sur le front de Champagne, une attaque allemande de nuit, à l’échelle d’une compagnie ; leur feu nourri d’infanterie est efficace (p. 72) « Alors, manœuvre insensée, les Boches se déploient sous notre feu. La plupart tombent, les autres se terrent dans les trous d’obus, certains continuent cependant. Ils sont tués à quelques mètres de la tranchée. » (…) « Au jour, nous pouvons constater le résultat de notre tir. Une trentaine de Boches gisent tués sur le terrain. Quelques blessés râlent.» Comme lecteur régulier de diaristes français, familier de descriptions de dizaines d’attaques françaises de détails, on éprouve ici un curieux sentiment de familiarité, mais en miroir : habitué de ces attaques de détail qui se terminent par de sanglants échecs, on a ici une très bonne idée de ce que peuvent éprouver ces Allemands en montant sur le parapet. Au moment du départ en Orient, l’auteur témoigne à son frère de son enthousiasme. Au sud de la Serbie, il apprécie sa vie « très dure mais combien saine », et il décrit une retraite en bon ordre (p. 79), avec comme seul regret de laisser « les petits cimetières au creux des vallons, que notre main pieuse ne pourra plus entretenir, je ne conserverais de cette première expédition qu’un souvenir réconfortant.» Il décrit ensuite une reconnaissance offensive en mars 1916 (p.87), ou évoque les habitants d’un petit village de Macédoine (mai 1916, p. 94) « J’ai accompagné dernièrement le médecin chargé de visiter les indigènes du petit village voisin. On y trouve quelques Grecs et beaucoup de Turcs. Quelques beaux types rappellent encore l’ancienne splendeur des races, mais la plupart des habitants sont affligés de quelques tares. Les enfants seraient jolis dans leurs haillons éclatants, s’ils n’avaient presque tous le ventre gonflé par la tuberculose et le paludisme. Les femmes se flétrissent et se dessèchent vite. Sous leurs pauvres poitrines maigres et jaunes ronflent sourdement les bronchites chroniques. »

Les cartes postales photos de Marius Labruyère, le quatrième homme

La partie « Marcel Chappey » est illustrée de nombreuses cartes postales photos, envoyées de Macédoine et de Grèce, par Marius Labruyère (235e RI, ill. 21 à 38, collection T. Hardier). Il s’agit de photographies de bonne qualité montrant M. Labruyère et son unité au campement, dans ses activités quotidiennes, avec les paysages qu’il voit… Ces photos transformées en cartes postales et envoyées à la famille, avec des textes concis, un peu comme chez O. Déplanque, sont très précieuses car le 235e RI opère dans des lieux et des conditions similaires au 284e, et cette iconographie incarne des visages, des attitudes et des paysages qui fournissent une heureuse illustration aux trois autres témoignages.

L’ouvrage se termine avec un tableau de synthèse très parlant sur l’évolution au 284e RI du nombre de tués et de morts de maladie, pendant la durée de la guerre, ainsi qu’avec une liste de 642 noms, fruit d’un comptage méticuleux, de tous les soldats morts au 284e RI, avec le lieu d’origine et la cause du décès.

Vincent Suard, décembre 2022

Share

Mirabaud-Thorens, Henriette (1881-1943)

Fille du médecin Henri Thorens. Famille protestante des Vosges. Mariée en 1903 avec le banquier Robert Mirabaud. Après la guerre de 14-18, elle préside avec son mari la Société de secours fraternel de Gérardmer qui vient en aide aux familles vosgiennes éprouvées par la guerre. Traductrice de divers auteurs, notamment Emerson et Rabîndramâth Tagore, prix Nobel de littérature. Elle a publié deux volumes de témoignages sur la guerre : Journal d’une civile, en 1917, et En marge de la guerre en 1920, les deux chez le même éditeur, Émile-Paul frères à Paris. Une réédition des deux est envisagée par Edhisto. Je ne peux faire ici que l’analyse du premier titre, acheté chez un bouquiniste. Il est publié avec seulement pour nom d’auteur les initiales H. R. M. La présentation dit que le livre a été victime « des mutilations de la censure, qui ont fait disparaitre d’intéressantes critiques ». Espérons qu’elles pourront être rétablies.
Milieu social
Le texte se présente comme un journal tenu régulièrement du dimanche 26 juillet 1914 (« dans les Vosges ») au vendredi 2 juillet 1915. Le témoignage est sincère (en tenant compte de la crédulité de la narratrice) et de lecture facile. Bien entendu il est marqué par le milieu social d’Henriette : ses fréquentations (des officiers, une marquise, une princesse qui trouve que « le service est plus que défectueux, en ce temps où il n’y a plus de domestiques nulle part », p. 85), ses loisirs (« un bridge de guerre, dont nous étions un peu honteux », p. 87). Même sentiment pour évoquer une « journée mondaine » qui suit l’enterrement de deux soldats (p. 249). Phrase intéressante, p. 70 : « Les enfants, le peuple, ont besoin d’être trompés pour avoir du courage. Pour nous, nous devons en avoir en regardant les réalités en face ! »
Patriotisme
Le 1er août, jour de l’annonce de la mobilisation générale, Henriette écrit : « Si l’on frissonne en pensant aux deuils prochains, on vibre aussi, en imaginant la joie de tant de cœurs alsaciens, quand nos trois couleurs passeront les Vosges… » Elle se réjouit à l’annonce du ralliement des socialistes à l’Union sacrée (« Hervé voulait s’engager », p. 13). Le 9 août, elle décrit des scènes d’enthousiasme et évoque Déroulède (mais elle a aussi noté le ridicule de Hansi « se baladant en pioupiou français », p. 13). Des lettres reçues disent la vaillance du peuple de Paris (p. 27). Les Allemands sont lâches et repoussants ; des Bavarois ont été fusillés par des Prussiens ; « on ne dit que la moitié des atrocités allemandes » (p. 100). Le portrait des Allemands est cependant nuancé ; des actes de bonté sont signalés (p. 103 et autres). Mais « le pauvre curé de la Bourgonce avait mille deux cents bouteilles dans sa cave : il n’en reste plus ! » (p. 108). Quant au pape, il est accusé (p. 330) de soutenir l’Autriche et l’Allemagne.
Rumeurs
« Des bruits divers circulent : Metz et Strasbourg brûleraient. La révolution agiterait l’Allemagne » (2 août). Ce sont les Allemands qui ont fait assassiner Jaurès (p. 13). Une femme aurait raconté à un officier français que « son fils, âgé de sept ans, n’ayant pas voulu donner sa tartine, fut tué d’un coup de sabre » (30 août). Sur plusieurs pages (250, 253, 257, 264, 326, 335) des témoins prétendent avoir vu des enfants aux mains coupées et autres atrocités. Dès les premiers jours, les Français auraient remporté des succès écrasants ; les Russes marcheraient sur Berlin. Parfois elle précise (p. 67) : « Je répète ce que j’entends ! » Un caporal de chasseurs alpins décrit des massacres à la baïonnette (p. 113). En secteur tenu par les Anglais, « à l’heure du thé, les tranchées restent vides » (p. 182) ; comique involontaire ici, mais que Goscinny a repris dans Astérix chez les Bretons ! Quant au commandant F., il a chargé à la baïonnette à la tête de ses hommes et tué de sa main huit Allemands (p. 222).
Espionnite
Dès le 4 août il est question d’espions allemands. Le 30 août, Henriette retranscrit une information venant d’un ami officier : les Allemands sont « renseignés par un espionnage admirable fonctionnant dans nos lignes mêmes, au moyen de téléphones souterrains ». Le 25 septembre, il s’agit d’espions « déguisés en prêtres et en ambulanciers ». Le 27, on aurait fusillé trois espions dont une femme. Le 25 octobre, c’est une femme qui a installé un téléphone dans les W.C. et « un autre truc d’espionnage consiste à faire varier la couleur d’une fumée de ferme : grise, bleue, jaunâtre, blanche. Chaque teinte a une signification. » D’autres espionnes encore le 6 mars 1915.
Opinions politiques et autres
La comtesse de P. lui a décrit « nos gouvernants [qui] actuellement font la fête à Bordeaux où ils ont fait venir leurs maitresses » (p. 104). Antiparlementarisme (« la retraite des quinze mille », allusion au chiffre de l’indemnité des députés, p. 105), mais pas antisémitisme (les Juifs aussi donnent leur vie pour la patrie, p. 102). Henriette pense que le féminisme a fait fausse route (p. 70) : « Nous nous sommes occupés d’antialcoolisme, de socialisme, de féminisme, de syndicalisme, de coopératisme, etc.. Nous cherchions l’esprit de justice. C’était bien, mais ce n’était pas l’essentiel. Il fallait faire du patriotisme. » Et plus loin (p. 260) : « Mes sentiments féministes reçoivent de rudes atteintes ! » Et les « grands précurseurs du pacifisme » nous ont fait beaucoup de mal (p. 209).
Une certaine évolution
Dans sa sincérité spontanée, Henriette est bien obligée de tenir compte aussi de notes discordantes. Elle a des doutes sur l’avance des Russes (28 octobre). Un ami officier signale l’état d’esprit déplorable dans les dépôts où « chacun cherche à exagérer ses incapacités » pour ne pas partir (17 novembre). Le 10 janvier 1915, elle nous dit qu’elle demeure patriote mais que la guerre est une chose « effroyable », tandis que certains industriels « gagnent beaucoup sur la fourniture des munitions ». À Annonay, il y a des Alsaciens qui se comportent mal et qui refusent de s’engager et même de travailler (p. 276 et 289). Des femmes d’Aubenas, « de petite condition », sont heureuses d’avoir leur mari sur le front car, en indemnité, « elles touchent une somme rondelette », tandis que « le mari ne va pas boire au cabaret » (p. 286).
Le Midi
Le 9 novembre 1914, Henriette a déjà évoqué les Méridionaux en citant une lettre d’un ami officier : « Les populations du Midi qu’épargne la guerre auraient grand besoin d’être éduquées par la souffrance. On les sent molles et égoïstes. » À partir de mai 1915, elle entreprend un voyage vers le Sud pour rendre visite aux Alsaciens réfugiés : Lyon, Annonay, Tournon, Privas, Aubenas, Alès… Elle n’aime pas Nîmes (16 mai) : « Beaucoup de monde dans les rues. Du monde prétentieux, et vêtu à la mode d’il y a cent ans. Les voix sont criardes, les robes de couleurs voyantes. Beaucoup de soldats errent par les rues. Visiblement, ils ne sont pas allés au feu […] Ils semblent très satisfaits d’eux-mêmes. » Les réfugiés sont plus ou moins bien accueillis. Ils font baisser les salaires (p. 300). Si Nîmes est laide, Montpellier est pire (p. 303) ; l’hôtel est « de goût fort boche » ; « les cafés pullulent de soldats ». Si Béziers a bien traité les réfugiés, Narbonne est si laide que mieux vaut n’en point parler. Perpignan est bien, mais Madame E. affirme qu’on y voit « quatre ou cinq duels au couteau par semaine ». Henriette aperçoit le Canigou, elle passe à Prades, Carcassonne, Villefranche-de-Lauragais, et retourne à Paris.
Finalement, si sa crédulité est compréhensible – qui rappelle celle de François Blayac, voir ce nom – que dire des bobards contenus dans les lettres qu’elle reçoit de ses amis officiers ?

Dans En marge de la guerre, Henriette Mirabaud-Thorens, bourgeoise parisienne, protestante, féministe d’origine alsacienne possédant une villa à Gérardmer dans les Vosges poursuit ses souvenirs (la période du 26 juillet 1914 au 2 juillet 1915 a été publiée dans l’ouvrage Journal d’une civile, publié aux mêmes éditions en 1917) couvrant la période du 5 juillet 1915 au 30 décembre 1917. L’auteure, très active dans l’aide médicale et philanthropique des poilus poursuit son journal après avoir quitté la cité vosgienne depuis la Suisse puis Paris, où elle côtoie le monde artistique et mondain, puis en faisant quelques retours dans les Vosges. Elle y poursuit sa description d’une petite ville d’arrière-front avec sa sensibilité alsacienne protestante.

Analyse

Deuxième volume du plus important témoin publié de la cité géromoise, ce témoignage d’une bourgeoise active – elle a 5 filleuls de guerre (p. 105) et fait de la photo (p. 295) -, idéalement placée dans l’intelligentsia locale et connectée largement avec les milieux militaires, médicaux et philanthropiques, – elle a également des envolées politiques (p. 228) – en fait un témoin de première importance, notamment sur le paradigme des Alsaciens. Bien entendu, elle rapporte, parfois en toute connaissance de fausseté, les ragots et rumeurs de la guerre mais ceux-ci ne lui sont pas servis par les journaux, mais par son entourage, hétéroclite. De très nombreux éléments sont à dégager et de différents ordres. Un témoignage (presque) complet (il manque l’année 1918) qui mériterait une réédition.

Renseignements tirés de l’ouvrage

Page 12 : Succès de la Fontenelle appris le 27 juillet
13 : Lits démontable des ambulances alpines
14 : Suisse entendant le canon de Verdun
22 : Sur un foyer du soldat refusé à Wesserling par Serret
23 : Sur la guerre manquant au soldat permissionnaire : « Assis pensivement sur les bancs, ils semblaient… s’ennuyer un peu, bien que poliment, sans vouloir le montrer. On sentait que leur âme était ailleurs. La guerre, cela excite, cela agite ; c’est l’imprévu, c’est l’inconnu… Je comprends mieux, depuis que je les ai vus, leurs joyeux retours au front. »
24 : Colis non reçus par les prisonniers
: Marquise conduisant des véhicules à la Croix rouge (fin 28)
25 : Extrait d’un carnet d’un soldat de la Chipotte, abbé Collé ?
28 : Tirs sur des cigognes !
: Lutte contre les alambics par Ribot
32 : Vue de Paris, où le noir est à la mode
33 : Vue du dépôt des éclopés des Champs-Elysées
34 : Retour à Gérardmer, le 10 septembre 1915, trajet, voyage avec Hansi : « … toujours le même, avec son allure de bon géant, taciturne et dégingandé. Mais le pioupiou de 1914 est aujourd’hui sous-lieutenant et décoré. »
35 : « Cela « sent le front » Ceux qui n’y ont jamais été ne peuvent comprendre ce que c’est : mélange d’attente d’angoisse, de vie intense et de mort ». Description de sa villa.
36 : Aviatik descendu au Saut des Cuves
: Rumeur que les Alpins ne font plus de prisonniers
: « Lorrain, vilain ; traître à Dieu et à son prochain » !
37 : Spectacle de la guerre
39 : Général Maud’huy, aimé de ses hommes et le pourquoi
: Promesse de récompense de 20 francs pour l’arrivée au sommet du HWK, qui coûte à un officier 1600 francs
41 : Pouydraguin (vap 79)
42 : « Le pessimisme pour un civil, c’est la désertion pour le militaire »
45 : Orphelines fabriquant des masques à gaz
46 : Rencontre une survivante du Lusitania
49 : Foyer du Gaschney fermé à cause d’un Suisse
54 : Gâchis au front
57 : Artistes camoufleurs, dont Flameng, faux ?
58 : Prophétie d’avant-guerre
62 : Visite de Polybe, Barrès, Rostand, Haraucourt et Daudet.
63 : Mauvais traitement des civils alsaciens (vap 269, 66 le contraire)
: Maquette au cimetière d’un monument aux morts
64 : Anecdote sur un filleul de guerre
70 : Voyant un fumiste mutilé de guerre (borgne), réflexion sur le changement social de la guerre
71 : Joffre à Gérardmer « incognito » !
: Pathéphone
74 : Accident de tramway au Hohneck
75 : Soldat regardant sa femme et sa fille en zone envahie près de Cirey
77 : Grand froid
: Exécution d’un espion
79 : Description de Villaret, Pouydraguin
80 : Anecdote sur l’occupation de Saint-Dié
: Anecdote sur l’alcool
84 : Tardival, couteau de tranchée donné aux Alpins
: Sur les soldats à Paris « trop gâtés »
85 : Sur la capture du 152ème au HWK
86 : Sur les prisonniers de l’ile de Croix, allemands et alsaciens
87 : « J’aurai ou la médaille militaire ou un petit jardin sur le ventre »
89 : Explosion d’un train de munition à Dollwiller
: Espionnite, homme badigeonné de citron pour révéler de l’encre sympathique sur son corps
94 : Récit de la bataille du HWK
97 : Sur les lumières de Paris
101 : Livres français envoyés dans les camps par la société Franklin
102 : Zeppelins sur Paris, ambiance
: Prix pour la capture d’un espion, 3 000 F.
103 : Vue de Jérôme Tharaud, mariage, sa femme
104 : Vue de Barrès et madame
105 : Espionnite à Paris et à Nancy
112 : « Rencontré trois permissionnaires, probablement fraîchement débarqués du train, qui regardaient… on aurait pu croire des magasins d’articles de Paris, des fleurs, etc., non, ils étaient en contemplation devant… des couronnes mortuaires. Ces hommes qui vivent en face de la mort, sont attirés par ce qui la rappelle ».
114 : Phrase attribuée au Kayser : « Si jamais vous reprenez l’Alsace, vous la reprendrez chauve. »
115 : Bruits de Révolution en Suisse, affaire des colonels (vap 116)
116 : Rumeur d’achat d’enfants par les Allemands
117 : Problème médical après le HWK
122 : « Marie me damne », code pour Dannemarie
: Chiffres et statistiques sur les prisonniers
123 : Cite Altiar (une femme, vap 130, 176, 261)
125 : Victime (à Paris) de l’explosion de l’usine de grenades de La Courneuve
129 : Drame populaire intitulé « La Défense de Schirmeck » de Bruno, maire du XVIème arrondissement et professeur à La Sorbonne
130 : Poincaré, nouveaux obus au cyanure de potassium « pouvant tuer instantanément des milliers d’hommes à la fois »
134 : Vue de Mme Péguy, Ferry
135 : Vue de Mme Jules Ferry
138 : « A Mulhouse, on va embrasser les éclats d’obus français qui y tombent !»
: « Je voudrais être une punaise écrasée par les glorieuses bottes de nos poilus »
141 : Vue de Gide
145 : Sur Pétain, qui « saute à la corde tous les matins » (vap 216)
146 : 3 femmes, 3 lumières, espionnite !
150 : Anecdote de la capture de l’ambulance de Perrin en août 14, mais inexactitude (fin 151)
151 : Coterie bourgeoise, princesses, comtesse, etc. et Colette ex-Willy
152 : Usine de brome
: Vue de Mme Brandès aidant des aveugles
154 : Sur la censure touchant la citation d’un fils d’Alfred Dreyfus, infamie ! (vap 265, anecdote)
156 : Boy scouts défilants
177 : Surnoms de tanks anglais, qu’elle appelle « automobiles anglaises blindées qui sautent, sans roues, par-dessus tout », appelées « baleine, requin, limace ». Commentaires sur.
182 : Ambiance et description sociales de Paris, militaires et ouvriers, état d’esprit, mode
184 : « On dit que les Allemands ont choisi pour le rapatriement des prisonniers en Suisse des repris de justice et autres échantillons de ce genre afin que les Français fassent mauvaise impression chez les neutres ».
188 : A son petit musée à la villa, abondé par des militaires en visite
189 : Sur l’assassinat de prisonniers
195 : « Pour le 1er janvier on offrira aux amis un sac de charbon, si l’on en trouve, en guise de sacs de chocolat »
200 : Sur l’alcool au front
204 : Sur les 5 coups de canon de Belfort annonçant la guerre
206 : Subterfuge pour envoyer de la poudre de chocolat à Mulhouse
208 : Œuf dito ?
211 : L’internationalisation de la guerre par l’uniforme
212 : Sarrail épouse Oki (pour Octavie) de Joannis, qui fut infirmière à Gérardmer : « Cette alliance du protestantisme le plus sévère avec l’agnosticisme le plus complet me trouble. Trente printemps alliés à soixante-quatre hivers, c’est amusant. »
217 : Description au 2ème degré de l’horreur des grenades incendiaires
219 : Rumeur d’évacuation de Mulhouse
220 : Barrès à Verdun… pour aller chercher une poupée d’une orpheline de guerre
221 : Sur la TSF et la Tour Eiffel
223 : Sur les champs magnétiques déviant les balles !
227 : Lassitude d’écriture
232 : Long récit sur la fuite de Serbie par les montagnes (fin 255)
249 : Le devenir des Serbes, sont étudiants en France
250 : Colonie pénitentiaire de La Grande Chartreuse pour les délinquants serbes
261 : Indiscipline (mutinerie) à Laveline-devant-Bruyères en juin 1917 : « A Laveline, des officiers ont été sifflés et obligés de se cacher »
: Contact, Allemands bien renseignés, messages lancés par arbalète
263 : Sur sa 1ère parution
264 : Pierres jetées sur un cercueil protestant
267 : Prévision de fin de guerre par un abbé
271 : Contrefeu à l’indiscipline
272 : Consommation d’alcool (vap 279)
275 : Nancy ville morte
276 : Avion français descendu par des Français
: Sur les surintendantes d’usine, femmes à poigne pour gérer les ouvrières femmes
281 : Joute sportive sur le terrain de Ramberchamp (qui leur appartient ?) (vap 295)
283 : Traitement des Kabyles
286 : Vue intéressante d’une scierie canadienne à Martimprey (vap 292, 302, 307)
288 : Vue de Dieterlen (vap 301, 309, 318)
: Vue d’une mission chinoise
289 : Allemands déserteurs
291 : Pétition d’Alsaciens
293 : Visite de Poincaré, Pétain, le roi d’Italie (vap 301)
295 : Faux prisonniers allemands jouant une attaque
296 : Madelon
299 : Pourquoi on met les Américains dans les Vosges, pour les éloigner des Anglais !
306 : Vue du cimetière de Gérardmer
307 : Ambrine contre les brûlures
308 : Vue de l’ouverture du foyer du soldat de La Poste
312 : Tonkinois et Cochinchinois
313 : Epopée d’un Alsacien déserteur
317 : Récriminations contre les grévistes
322 : Noël 17, distribution chaotique de cadeaux aux poilus, contenus des colis. Puis arbre de Noël aux enfants

Rémy Cazals et Yann Prouillet, mai 2021

Share

Jacques, Pierre (1879-1948)

1. Le témoin
Pierre Jacques est né le 9 avril 1879 à Halstroff, village de Moselle situé dans le Pays des Trois frontières (France-Allemagne-Luxembourg). Il est issu d’une famille modeste ; sa mère a travaillé comme femme de chambre au Grand Hôtel de Metz et son père est cocher. Après leur mariage en 1872, ils retournent s’installer à Halstroff et ouvrent une auberge-épicerie. Ils ont plusieurs enfants dont Pierre qui fait des études et cultive de hautes valeurs morales. Formé à la Lehrerausbildunganstalt, centre de formation des maîtres de Phalsbourg, il est nommé instituteur à Coin-sur-Seille puis Moyeuvre-Petite, deux villages mosellans francophones. En 1913, il passe professeur à la Handelsschule, l’Ecole de Commerce, de Metz. En février 1915, il est envoyé à Neuss en Rhénanie pour sa formation militaire mais il est jugé inapte en août et rejoint alors son poste d’enseignant. De fait, il ne fera pas l’expérience des combats et de la tranchée. Il décide toutefois d’écrire un « récit symbolique et didactique », une « fiction allégorique » dans laquelle il mêle ses sentiments et son « expérience ». Il l’attribue à Paul Lorrain, avatar combattant d’un professeur pédagogue qui ne combat pas mais souhaite dénoncer la guerre, seul « ennemi haïssable » à ses yeux, et soucieux de faire comprendre l’arbitraire des frontières et la tragédie des guerres. Il fréquente les milieux catholiques messins et est ami de Robert Schuman. S’il est un « produit du système d’éducation [allemand] de l’époque », il est sensible aux valeurs humaines et chrétiennes et ne se départira jamais de son esprit pédagogue. Pierre ne se mariera jamais et Chantal Kontzler et Véronique Stoffel, parentes de l’auteur, présentatrices de cette édition, indiquent que « sa jeune sœur, Lisa, l’accompagnera dans chacun de ses postes ». Resté à Metz pendant l’autre guerre, il revient un temps dans son village au printemps 1945 et meurt dans la métropole lorraine le 2 octobre 1948. Il est enterré dans son village natal.

2. Analyse
Jacques, Pierre, Prussien malgré lui. Récit de guerre d’un lorrain. 1914-1918, coédition Metz, Les Paraiges – Nancy, Le Polémarque, 2013, 127 pages.
Jean-Noël Grandhomme, préfacier de ce singulier ouvrage nous éclaire très opportunément sur celui-ci. En effet, d’abord, il indique que l’auteur « a maintenu intégralement le texte déjà paru du 21 janvier au 8 février 1922 sous le titre Paul Lorrain. Novelle aus dem Kriegsleben eines Lothringers d’un certain Pierre du Conroy (…) dans la Lothringer Volkszeitung, journal des catholiques germanophones de Metz et de l’Est mosellan, dont le groupe « la Libre Lorraine » publie Muss-Preusse en 1931. » Dès lors, il s’agit bien ici d’une fiction à très fort message politique, revendicateur de la notion de Muss-Preusse, « Malgré-nous », dans la lignée de l’association éponyme créée à Metz le 20 mai 1920 par le Sarthois André Bellard. Prussien malgré lui se veut un plaidoyer pacifiste du paradigme. Pour ce faire, l’auteur donne à son épopée l’apparence d’un récit de guerre, mixant réflexion identitaire et histoire d’amour corrompue par le tiraillement des nations, ce sur fond du drame des populations du Reichsland : « tantôt assujetties et délivrées par l’un puis par l’autre, les provinces sœurs Alsatia et Lotharingia subissent le sort des enfants du divorce qui ne peuvent trouver la tranquillité et la paix que si les parents se réconcilient » (p. 23) ! De fait, à l’étude, l’ouvrage vaut certes pour ses informations opportunes sur l’ambiance mosellane et une analyse plus ou moins directe de la question des Alsaciens-lorrains, de leur âme et des grandes questions qui en font la spécificité plutôt que sur la réalité d’une éventuelle part testimoniale à tenter de retrouver dans le récit. On peut toutefois retenir des éléments sur le Gott Strafe England d’Ernest Lissauer (1882-1937) (p. 74), la germanisation des territoires conquis, cf. la défrancisation des noms et des enseignes (p. 79), des exemples nombreux de bourrage de crâne ou le mot Alboche (p. 105).

Yann Prouillet, février 2021

Share