Moulin, Albert (1894-1937)

Le témoin
Albert Moulin, fils d’un négociant en bois de Villeneuve-le-Comte (Seine-et-Marne), est charpentier à Lagny à la mobilisation. Il passe avec succès fin juillet 1914 son brevet d’aptitude militaire pour pouvoir intégrer le Génie. Appelé en septembre, il intègre le 9ème Régiment du Génie aux Ponts-de-Cé en octobre et arrive sur le front belge en novembre (Compagnie 6/3, 42ème DI). Blessé une première fois légèrement le 18 décembre, il retrouve le front en Argonne et est alors blessé par balle le 14 mai 1915. Hospitalisé jusqu’en juillet à Agen, il est classé service auxiliaire en décembre 1915 ; démobilisé en mai 1919, il reprend l’entreprise de son père; il meurt en 1937 des suites d’un accident de ski.
Le témoignage
L’édition de Ma guerre de la Belgique à l’Argonne Villeneuve le Comte, mon village de Brie 1913 – 1919, Editions Fiacre, Montceaux-les-Meaux, 2008, 291 pages, est établie d’après un texte manuscrit, rédigé sur plusieurs supports et formats (cahiers d’école et registres), qui représentent 347 pages. L’auteur raconte sa campagne et ses convalescences, mais tient aussi une chronique précise de son village dans les six premières semaines de la guerre, en y ajoutant un condensé des informations lues dans les journaux. Son récit militaire s’arrête début 1916, et des notes personnelles éparses, sur sa situation ou sur son village, complètent l’ouvrage pour 1918 et 1919.
Analyse
Le journal d’Albert Moulin se partage en deux parties inégales, qui montrent d’une part son parcours militaire, relativement court (5 mois de front au total) et d’autre part la guerre décrite à Villeneuve-le-Comte. Appelé en septembre 1914, il décrit « août 14 » dans un village de la Brie, avec la mobilisation, les noms de ceux qui partent (p.17) : « L’impression qui se dégageait de tous ces départs subits était triste à voir. » Il évoque dès le 10 août la distribution de soupe et bons de pains pour certaines femmes de mobilisés, « il y a environ 74 portions à distribuer pour la commune », ou les Anglais qui passent au bourg. Il recopie chaque jour une synthèse des nouvelles, largement positives: cette sélection d’informations nous donne un bon aperçu, malgré son caractère outrancier ou fantaisiste, de la façon dont la situation était perçue au jour le jour.
Après dix-sept jours dans le secteur d’Ypres, il est soufflé par une marmite allemande qui le laisse fortement contusionné. Évacué, il décrit l’hôpital 101 de Rennes et, après une convalescence, il réintègre la compagnie 6/3 fin janvier 1915 à Bagatelle, en Argonne (Vienne-le-Château). Ses quatre mois en ligne n’occupent qu’une vingtaine de pages (p. 109 à 127), on peut évoquer la description plaisante de deux cadres (p. 111) : «L’adjudant Roland est un ex-colonial, du Dahomey, Sénégal, etc., plutôt « gueulard » et se piquant très souvent le nez. Son gourbi recèle des bouteilles de gnole et de vin, de quoi régaler toute une section ; pas très calé au point de vue boulot, s’en tirant quand même, notre section ne faisant pas de travaux bien compliqués. Just, le sergent de notre demi-section, crâneur au dépôt mais depuis son arrivée au front très doux et gentil (…), un peu trop tatillonnant, habitude de gratte-papier, vous prodiguant des    « comment dirais-je » à profusion et surnommé ainsi. » Il évoque aussi l’arrivée de la classe 15 (p. 120) « Les jeunes ardents les premiers jours se calmèrent vite et firent comme les copains : leur besogne normale et rien de plus. »
« Cette journée qui fut sanglante et qui ne s’effacera jamais de ma mémoire. » p. 114 : A. Moulin fait partie de ces poilus qui n’ont participé qu’à un seul  coup dur, et qui en ont d’autant plus été marqués. Il participe à un assaut dans l’Argonne (Fontaine-Madame), après explosion de trois mines (17 février 1915) : sa section du génie attaque avec le 151ème RI et le 16ème chasseur, il est chargé d’aménager un boyau entre l’entonnoir et la tranchée allemande conquise; il travaille jusqu’au milieu de l’après-midi, «à ma place une dizaine de boches sont étendus dans la tranchée « empilés » l’un sur l’autre (…) Je barbote un porte-monnaie contenant deux marks en argent, des pfenings et du papier monnaie ; un chasseur du 16ème qui monte la garde en fumant sa pipe sur les cadavres, a eu la main heureuse, est maintenant propriétaire d’une lampe électrique et d’un bidon de gnôle. » Puis la contre-attaque allemande se déclenche à 15 heures « Puis voilà une fusillade infernale et, enfin, les boches s’élancent à l’assaut en poussant des gueulements effroyables. (…) Par-dessus le parapet, au jugé, nous attendions les boches la baïonnette levée, mais ils descendirent dans la tranchée vingt mètres plus loin et commencèrent à nous refouler avec des grenades et pétards, boîte de singe, etc. » C’est un mouvement général de fuite pour évacuer les possessions de la matinée. «Mais marche mortelle, les bombes pleuvent drues sur ce troupeau humain. On se baisse à chaque fois au « encore une ». D’autres profitant de ce tapis de dos courbés marchent dessus à quatre pattes pour avancer plus vite. » (…) Tant de monde tué pour aboutir à aucune avance, puisque l’ennemi réoccupa le soir la majeure partie de la tranchée.» p. 118
Au travail à installer un gabion, la terre qu’il rejette le fait repérer et il reçoit par ricochet dans la tranchée une balle dans le dos. Inévacuable et opéré à l’ambulance de La Harazée le 15 mai 1915, il décrit la douleur des suites de l’opération p. 127 « Meurtri par la douleur, je comptais les heures (…) Combien moururent, de mes compagnons que le hasard avait fait voisins de souffrance. Tous les jours il en décédait un , crevait serait plus juste, car on ne fait pas plus cas d’une bête que d’un homme. Hélas, c’est la guerre, c’est la boucherie qui dure depuis neuf mois, qui nous a endurci le cœur à ce point. L’indifférence est maîtresse (…) La douleur vous fait perdre les qualités humaines de charité et de compassion. » Transféré dans les services auxiliaires en décembre 1915, le récit suivi s’achève à cette date : la suite du recueil contient des retours chronologiques (« Villeneuve-le-Comte mon village de Brie » 1913-1919) et des considérations sur la fin du conflit. L’auteur évoque notamment son activité avant-guerre aux Jeunesses républicaines de Coulommiers; il s’agissait de regrouper des jeunes gens, dans un but de républicanisme, pour les soustraire à l’attirance des Sociétés catholiques. Les notes éparses décrivent aussi en détail son conseil de révision et les festivités qui l’accompagnent, deux jours minutieusement décrits p. 224 à 228 – aucune mention « des filles » -, éléments à joindre à une anthropologie du Conseil de révision qui complètera utilement les pages de Jules Maurin.
Les notes reprennent en 1918 et l’auteur décrit ses démarches auprès de la tombe de son frère Henri (12ème Cuirassiers), tué au fort de la Pompelle en juillet 1917. Du 28 au 30 novembre 1918, il se rend d’abord avec sa mère à Puisieux sur la tombe de son frère, puis le 27 mars 1919, revenu seul, il fait procéder à l’exhumation et reconnaît le corps (p. 253, « reconnu facilement le corps décomposé de ce pauvre grand à des signes distinctifs. Maman me fit d’amers reproches le dimanche 30 quand je lui annonçais cette opération, prétextant qu’elle m’en voudrait toujours. »). Il le fait placer dans un cercueil de zinc mis dans un cercueil de chêne, le tout dans une caisse de sapin puis ré-inhumer sur des bastaings en travers dans la fosse, « pour pouvoir l’enlever quand l’exhumation sera permise. » Ces détails funéraires, avec présence d’une facture détaillée, sont intéressants parce qu’assez rares, pour une situation qui a été vécue par beaucoup de familles en 1919.
Des considérations sur la situation générale à la fin de 1919 terminent l’ouvrage. Albert Moulin vient de reprendre l’entreprise de commerce de bois de son père décédé, et son ton critique et désabusé le range sans nuances du côté de la réaction patronale (p. 264 et 265) : « – vote, par l’ancienne chambre en juin 1919, de la loi de huit heures, loi de paresse, qui a surpris tout autant l’ouvrier qui ne le demandait nullement, à part quelques exaltés, que le patronat. Votée avec une rapidité surprenante. (…) La fièvre du plaisir, les mœurs nouvelles, déclinent la journée de 24 heures en trois périodes suivantes : huit heures de travail, huit heures de sommeil et huit heures d’amusement, les cinémas se multiplient avec une rapidité croissante progressive à leur prix, de plus en plus élevé. Enfin, le plus grave, paralysant toute l’action productrice et économique d’une nation : des grèves. Jamais année ne connut plus d’arrêts dans la cessation du travail ; l’une étant terminée l’autre reprenant aussitôt. »

Vincent Suard octobre 2017

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Abjean, René-Noël (1879-1951)

1. Le témoin
Né le 13 juillet 1879 à Plouguerneau (Finistère), 4e d’une famille de 9 enfants, il est le fils d’un cultivateur-propriétaire, adjoint au maire de sa commune. Dans un Léon bientôt dominé par la démocratie chrétienne, il fait partie de cette frange supérieure de la paysannerie moyenne qui accède aux études secondaires, par le biais du collège catholique de Lesneven, offrant ainsi à certains des possibilités d’ascension sociale.
Après son service militaire effectué au 115e RI (Mamers), il épouse en 1902 Séraphine Loaëc, la fille d’un expert foncier agricole dont il reprend les activités. La notabilité relative que lui procure cette profession lui permet d’être élu conseiller d’arrondissement en 1909. Mobilisé en août 1914, ce père de trois puis quatre enfants – le dernier naît en 1917 –, retrouve Plouguerneau en janvier 1919. La même année, il est élu maire de sa commune, fonctions qu’il occupe jusqu’en 1941 : il doit démissionner en raison d’un conflit avec la Kommandantur locale. Il n’exerce plus le moindre mandat jusqu’à sa mort en 1951.

2. Le témoignage
Mobilisé le 2 août 1914 au sein du 87e RIT (Brest), René-Noël Abjean rédige plusieurs centaines de cartes postales adressées à son épouse – « Ma bien chère Séraphine » – ou ses enfants, notamment son fils aîné, Pierre. 700 ont été conservées, couvrant une période allant du 2 août 1914 au 5 janvier 1919, presque deux tous les trois jours, jusqu’à cinq pour la seule journée du 29 juillet 1916 au cours de laquelle il est très légèrement blessé, constituant ainsi ce qu’Abjean nomme lui-même dès mai 1916 « notre collection de cartes postales ».
Cette correspondance permet de reconstituer le parcours du territorial finistérien pendant les quatre années de guerre. Affecté au 87e RIT, en charge de la défense des côtes finistériennes face à un éventuel débarquement allemand en août 1914, il gagne le camp retranché de Paris puis se rapproche du front dans l’Aisne et l’Oise en octobre-novembre. En décembre 1914, il quitte la zone des armées pour le dépôt du 151e RI, un régiment de Verdun replié à Quimper. Il reste dans le Sud-Finistère jusqu’en mars 1916, passant simplement du dépôt du 151e à celui de son régiment de réserve, le 351e, installé à Douarnenez. C’est avec cette unité qu’il gagne le front des Flandres au printemps 1916, après un détour par la Haute-Saône : la plupart de ses cartes postales sont alors envoyées de Dunkerque, Coxyde, Nieuport et des environs, jusqu’à son affectation au 8e RIT, à Rouen, en avril 1918. Il passe là les derniers mois de la guerre.
Publié par l’un de ses petits-fils aux éditions Emgleo Breizh en 2009, ce riche témoignage, doté d’une introduction fort utile, aurait sans doute mérité un véritable appareil critique et une traduction des quelques passages rédigés en breton par Abjean.

3. Analyse
En raison même des multiples affectations de René-Noël Abjean durant le conflit – régiment territorial à l’arrière-front, dépôt de régiments repliés en Bretagne, régiment d’infanterie engagé en première ligne, régiment territorial à l’arrière –, ses lettres offrent une vision parfois décalée mais en cela très précieuse de la diversité de l’expérience combattante.
On trouvera dans cette correspondance – comme dans la plupart des documents du même genre – mille détails sur la vie quotidienne des soldats de la Grande Guerre. Gouvernement à distance de l’exploitation agricole familiale de Gorrékéar, en Plouguerneau, violence des combats, présence presque banale de la mort, des cadavres que le territorial doit ramasser sur les champs de bataille de la Marne mi-septembre 1914 à ces corps « déchiquetés, les uns sans tête, d’autres sans jambes, d’autres dont tout le corps était criblé d’éclats d’obus » décrits en juin 1916, vie dans la boue et dans le froid, parmi les rats : rien ne manque. Plus originales sont sans doute les mentions faites – à son épouse… – des maladies contractées par certains de ses camarades « en compagnie d’une femme malsaine du quartier où se trouve la compagnie » (16 novembre 1916), au suicide d’un « jeune soldat de la classe 1916 […] en se tirant deux balles, dont une lui perfora le ventre » (13 juin 1916), aux trêves tacites voire fraternisations de Pâques 1916, des soldats « s’amus[a]nt à aller jusqu’aux tranchées ennemies leur envoyer du pain et des cigares » (18 avril 1916).
Trois aspects méritent sans doute plus d’attention. Le premier concerne la vie des dépôts des 151e et 351e RI à Quimper et Douarnenez : instruction des nouvelles classes, répartition des renforts entre ces deux régiments mais aussi de nombreux autres, permissions presque hebdomadaires – le dimanche au moins – pour les soldats du cru qui peuvent rejoindre leur famille constituent les éléments les plus saillants des 16 mois qu’Abjean passe ainsi, loin du front. Cette expérience, au contact de soldats originaires d’autres régions, est l’occasion pour le territorial de dire régulièrement – second aspect – son attachement à sa « petite patrie » : les solidarités essentielles ici ne sont pas celles nées des combats livrés en commun, celles de l’escouade, mais bien celles découlant des origines communes, bretonnes, et plus encore finistériennes voire même léonardes. « Nous préférons être entre Bretons […]. On se connaît mieux, on se fréquente davantage et l’on s’entraiderait de meilleure volonté en cas de besoin qu’avec les gars du Nord que nous fréquentons très peu ou presque pas et qui font bande à part » écrit-il par exemple le 15 février 1915. Le dénigrement des Méridionaux va de pair, notamment ceux du 3e RI, « un régiment du midi des environs de Marseille » avec lequel le 351e entretient des relations parfois tendues. Une troisième dimension mérite d’être notée : l’emploi régulier de la langue bretonne dans cette correspondance. Certes, l’usage du breton y est limité à quelques incises, quelques lignes tout au plus. Alors même que la chose est très banale à l’oral, c’est loin d’être le cas à l’écrit d’après ce que donnent à voir les correspondances de combattants bas-bretons publiées. Comment l’expliquer chez ce petit bourgeois rural dont on a vu qu’il avait fait des études secondaires ? Les passages en breton relèvent en général de la confidence, souvent sur le ton de la plaisanterie, révélant une réelle connivence entre les deux époux. Volonté d’échapper au contrôle postal ? C’est l’argument mis en avant dans une carte à son fils du 31 octobre 1916, carte sur laquelle il a tracé une croix indiquant la maison dans laquelle il est logé, alors qu’il est au repos à l’arrière : pas sûr que la censure y ait trouvé à redire cependant.
Signalons, pour finir, une brève allusion à la présence au 351 d’un fils du roi du Dahomey : « c’est un lieutenant dont la poitrine est constellée d’une douzaine de décorations » (29 mars 1915).
Yann Lagadec
Source :
ABJEAN, René Noël, La guerre finira bientôt. 1914-1918 à Plouguerneau et au front, Brest, Emgléo-Breizh, 2009.

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Laporte, Henri (1895-1982)

1. Le témoin.

Henri Laporte est né à Étréaupont (Aisne) en 1895. Reçu au concours d’entrée des Arts et métiers, il intègre finalement avant guerre l’administration des chemins de fer. Témoins de la retraite en août 1914 alors qu’il habite avec sa famille à Hirson (Aisne, à quelques kilomètres de la frontière belge), il reçoit son ordre d’appel à Montreuil sous bois où il est réfugié avec sa mère et ses deux sœurs le 27 novembre 1914. Après plusieurs mois d’instructions au dépôt du 151e RI à Quimper (stationné en temps de paix à Verdun), Henri Laporte part volontaire pour le front le 10 avril 1915. Deux fois évacué, une première fois en 1915, puis en 1916 après une blessure par obus, il termine la guerre au dépôt à l’arrière, inapte au service armé.

2. Le témoignage

Publié en 1998 (Laporte Henri, Journal d’un poilu, Paris, Mille et Une Nuits, 135 p.), l’ouvrage ne reprend que des extraits du journal de guerre d’Henri Laporte dont on peut consulter les originaux auprès de l’Association pour l’autobiographie (APA, 015000 Ambérieu-en-Bugey). Du point de vue de la forme du témoignage, à plusieurs reprises, l’auteur évoque ses « souvenirs » mais qu’il appuie dans une première partie sur un carnet de route tenu pendant le conflit (jusqu’au chapitre VIII, p. 92). La deuxième partie n’est écrite qu’à partie « de souvenirs lointains, basés sur quelques notes prises au hasard, sans beaucoup de détails » (p. 92). L’auteur semble avoir arrêté son carnet après son passage, difficile, dans la fournaise de Verdun. L’ensemble du récit couvre une période s’étalant de la fin août 1914 à janvier 1919 au moment de la démobilisation de l’auteur. Henri Laporte décrit dans son récit avec minutie à la fois la variété des combats auxquels il a participé, et la découverte du feu de l’artillerie qui anéantit les hommes sans que ceux-ci ne puissent en maîtriser la puissance. D’abord en Argonne, il découvre le front dans le secteur de La Harazée, précisément dans le ravin de Blanloeil. Il participe alors à plusieurs combats très meurtriers dans une partie du front alors active (voir attaque allemande et résistance du 1er juillet 1915 décrites avec beaucoup de détails, p. 56-58). En juillet 1915, il est une première fois évacué du front pour une fièvre typhoïde et après plusieurs séjours dans les hôpitaux de la zone des armées et de l’arrière (Tarascon), il reprend le chemin du dépôt en septembre. Comme Henri Despeyrières (caporal fourrier), Laporte devient très rapidement agent de liaison dans la compagnie de mitrailleuse de son régiment. Après un séjour « monotone », marqué par le froid et l’humidité en Champagne, entre Suippes et Tahure fin 1915, le régiment d’Henri Laporte se porte par une marche forcée de trois jours sur le front de Verdun dès le 25 février 1916. Les pages consacrées à cette période couvrent une partie importante du témoignage publié, dans lesquelles s’étalent l’horreur des combats, entre la fureur du bruit et la puissance des obus, et le « massacre » des hommes tirés à vue par les mitrailleuses. Mis au repos plus au sud toujours en Lorraine, le combattant Laporte est gravement blessé dans la Somme. Evacué sur l’arrière, il se voit définitivement classé « inapte aux armées » à Quimper en août 1917. La guerre pour lui se terminera entre dessin et formation musicale dispensée aux blessés et aux jeunes recrues avant leur départ au front.

3. Analyse.

Le récit d’Henri Laporte permet en premier lieu de suivre l’intégration progressive de la jeune recrue dans son uniforme de soldat, puis dans la guerre elle-même. D’« amateur », le civil, encore vêtu du costume de ville au dépôt, devient après le « baptême du feu », un vrai « poilu ». Ainsi, la guerre se découvre peu à peu, de l’arrivée dans la zone des armées à celle en première ligne. Très vite, elle impose une réalité qui ne correspondait pas à ce qu’en attendait le jeune homme. Devant le spectacle des corps mutilés de ses camarades, Henri écrit après quelques jours dans les tranchées, « quelle horreur, la guerre » (p. 45). Les lettres reçues de sa mère l’aide sans aucun doute à tenir, tout comme la participation aux cérémonies religieuses lorsqu’il le peut (p. 42). Si l’on retrouve certains thèmes connus (duels d’artillerie qui ravagent les unités, conditions de vie des fantassins au front, mouvements de troupes), ce témoignage met en lumière la grande variété des secteurs rencontrés (secteur où parfois une entente tacite permet de limiter la violence – p.95) et le cycle irrégulier de violence/repos. L’auteur regrette ainsi l’Argonne (pourtant secteur actif mais où la guerre vécue correspond à la représentation de l’auteur) lorsque son régiment se porte en Champagne où l’artillerie écrase les hommes. Verdun reste la grande épreuve, tant du point de vue de la violence subie, que de celle mise en œuvre contre un ennemi qui n’est dans son récit jamais rabaissé.

Henri Laporte évoque avec force le rapprochement entre les hommes provoqué par la guerre : certains camarades deviennent des compagnons, parfois des amis avec lesquels la complicité partagée permet d’atténuer la pesanteur de la vie militaire et guerrière. Parti seulement soldat, Laporte devient combattant, puis « poilu », le bleu s’efface pour devenir vis-à-vis des autres « l’ancien », alors que peu de camarades partis avec lui ont survécu. Riche de plusieurs mois dans les tranchées, il est porteur d’une expérience partagée ensuite avec les nouveaux arrivants. Cette camaraderie de tranchée s’étend au-delà du champ de bataille, puisque Henri trouve lors de sa convalescence une place dans une entreprise parisienne grâce à l’un de ses camarades de combat.

Ainsi, sans être forcément d’une grande originalité, ce témoignage offre néanmoins quelques informations supplémentaires pour la compréhension de l’impact de la guerre sur les hommes qui la firent.

Alexandre Lafon, juillet 2008.

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