Duclos, Jacques (1896 – 1975)

Le chemin que j’ai choisi. De Verdun au Parti communiste

Mémoires, tome 1 (1896 – 1934)

1. Le témoin

Jacques Duclos est né à Louey dans les Hautes-Pyrénées en 1896, son père étant charpentier et aubergiste. Ouvrier pâtissier, il travaille après le début des hostilités dans une usine d’armement de Tarbes. Classe 16, il est incorporé au 18e RI de Pau, puis versé au 407e RI. À Verdun en juin 1916, il est hospitalisé à l’automne puis revient en ligne en décembre 1916. Il est ensuite fait prisonnier lors de l’offensive du 16 avril. Militant socialiste proche de Marcel Cachin, il devient après Tours un militant actif de la S.F.I.C.. Sa fiche matricule mentionne son exclusion de l’armée (réserve) en 1932. Il dirige le P.C.F. au moment de la maladie de Maurice Thorez, et exerce durant sa carrière plusieurs mandats de député puis de sénateur.

2. Le témoignage

Le tome 1 des Mémoires de Jacques Duclos, 1896 – 1934, Le chemin que j’ai choisi, De Verdun au Parti communiste, a paru en 1968 aux éditions Fayard (434 pages). La partie qui concerne l’expérience de la Grande Guerre va de la page 82 à la page 153, mais la suite immédiate est aussi intéressante, avec des réflexions sur les révolutions allemande ou hongroise ou sur la crise sociale de 1919. L’auteur précise qu’il n’a pas tenu de journal, et qu’il se replonge dans le passé par la mémoire. Au moment de la publication ses Mémoires, l’auteur a encore une responsabilité publique puisqu’il est sénateur communiste.

3. Analyse

Dans son introduction, J. Duclos précise que tout jeune, il a manifesté contre la loi des trois ans en 1913. Ouvrier pâtissier à Tarbes puis à Paris en 1914, il lit de temps à autre l’Humanité, mais il est surtout séduit par La Guerre sociale de Gustave Hervé, à cause de son ton antimilitariste. Son récit du mois d’août 1914 contient des anecdotes intéressantes, ainsi lorsque sa pâtisserie ferme, il est payé en or et doit faire des heures de queue à la banque pour obtenir des petites coupures, et il lui faut pendant ce temps (p. 82) «écouter les pires bêtises sur la guerre-promenade ». Devenu vendeur de journaux, il n’aime pas ce travail, car il se rend vite compte que ses exemplaires se livrent au « bourrage de crâne » (p. 83). Il revient ensuite à Tarbes pour y travailler à l’arsenal pendant les six mois qui le séparent de sa mobilisation en avril 1915. Son récit est aussi parcouru de longues analyses historico-politiques, à propos de l’attitude de Jean Jaurès ou de la IIe Internationale, ou sur l’Union Sacrée, sévèrement jugée (p. 101) : « en fait le Parti socialiste pataugeait lamentablement dans la politique de collaboration des classes. ». Alors qu’il est jeune mobilisé à la caserne de Pau, J. Duclos évoque le sujet des mutilations volontaires au cours d’une très curieuse scène de somnambulisme (p. 103) : un de ses camarades, dans son sommeil, récapitule la guerre dans une longue période de discours automatique où il évoque les gradés, la caserne, les tranchées, une tentative de mutilation volontaire. J. Duclos précise qu’ils ne parlaient pas entre eux de ce thème, et que le rêveur en avait probablement entendu parler par des blessés revenus du front : «Cette réaction du subconscient d’un soldat témoignait de la lassitude de la guerre qui commençait à faire du chemin dans la conscience des hommes promis aux massacres. » Réelle ou imaginée, cette scène onirique est emblématique de la façon dont en 1968, un sénateur de la République estime qu’il peut aborder un passé encore brûlant, en donnant sa vérité, mais non sans précautions.

Arrivé au front avec le 407e RI, J. Duclos combat à Verdun en juin 1916, et il y évoque la classique rumeur hostile aux gendarmes (p. 108) « et l’on parlait de policiers qui auraient été pendus à des crochets de boucherie par des soldats. Cette information était-elle exacte, je ne l’ai jamais su ». Il raconte ensuite ses très difficiles dix jours en ligne vers Vaux-Chapitre ; après un long séjour dans un trou d’obus transformé en mare, il ne peut plus supporter ses chaussures (« pieds gonflés ») et son capitaine l’autorise à se rendre au poste de secours. L’auteur décrit un retrait pénible, de 20 h 30 à minuit, en rampant sur les genoux, avec les pieds qu’il essaie de tenir levés « pour qu’ils ne traînent pas à terre ». A l’ambulance de Dugny, son état lui fait craindre une amputation, mais finalement la position couchée prolongée lui permet et la guérison et la lecture de l’essentiel de l’œuvre de Balzac à la bibliothèque de l’hôpital. Étant soigné dans des hôpitaux religieux, c’est l’occasion pour l’auteur de narrer ses démêlés avec le sectarisme catholique : on veut l’obliger à aller à la messe, et il fait plusieurs fois aux religieuses un rappel à la règlementation (p. 116), avec la circulaire de Justin Godart sur le respect de la liberté de conscience : «Cette circulaire était placardée sur les murs de l’hôpital et l’on sentait que si elles avaient osé, certaines sœurs l’auraient fait disparaître. » Il montre aussi le suivisme des poilus qui ont peur, par une attitude mécréante, d’être mal vus, et de ce fait renvoyés plus vite en ligne. Lors de sa convalescence, il bénéficie d’une permission pour rendre visite à son frère à l’hôpital du Val de Grâce à Paris. Celui-ci a été grièvement atteint à la face dans la Somme, et l’auteur est épouvanté par l’état de son frère défiguré et celui des blessés à la face qui l’entouraient (octobre 1916, p. 119) «J’avais envie de pleurer en voyant mon pauvre frère dans ce triste état mais je me retins et pendant trois jours je vécus au milieu de ces grands mutilés que je finissais par voir avec d’autres yeux

Au début de 1917, il réintègre son régiment devant Reims, puis participe à l’offensive du 16 avril devant la ferme du Godat. Il évoque au printemps 1917 les discussions entre soldats et insiste sur l’intérêt général que suscite la révolution de Février en Russie, et sur l’indignation contre ceux qui faisaient durer la guerre (p. 122) : « Est-il juste que les uns se fassent tuer et que d’autres s’enrichissent ? » Il signale aussi que le nom de Karl Liebknecht revenait souvent dans les discussions [discussions entre sympathisants socialistes ?], car on le savait persécuté parce qu’il avait pris publiquement position contre la guerre. J. Duclos décrit l’attaque du 16 avril, il évoque un de ses chefs direct, le lieutenant marquis de Colbert, mutilé revenu au front avec un bras en moins, et qui est tué en montant à l’assaut avec sa canne : l’auteur dit respecter cet « aristocrate », mais il méprise les officiers tracassiers à l’arrière et lâches à l’avant (p. 127), « Le 16 avril un capitaine de mon régiment (…) fut tué, mais par derrière, alors que cependant il faisait face à l’ennemi. ». Dans le tourbillon de l’assaut, J. Duclos a une altercation avec un Français qui se prépare à tuer un jeune prisonnier allemand : il menace de l’abattre, et plus tard, le souvenir des regards de gratitude de cet Allemand, «a souvent hanté ma mémoire. (…) j’avais conscience d’avoir fait mon devoir d’homme. » (p. 127). Très en pointe, l’auteur et ses camarades sont pris dans une contre-attaque ennemie et faits prisonniers, non sans qu’un Allemand n’ait montré le projet de l’abattre, et qu’ensuite un autre ennemi n’ait écarté le fusil menaçant (p. 129). L’auteur se dit très marqué par ces deux faits le même jour, « le soldat allemand que j’avais sauvé des balles d’un excité, et le soldat allemand qui m’avait sauvé des balles d’un autre excité. ». Les prisonniers travaillent d’abord dans les Ardennes. Sous-alimentés et souvent dysentériques, ils sont trop près du front pour figurer sur les listes de la Croix-Rouge, et donc ne reçoivent aucune aide. L’auteur, malade, se fait inscrire pour être transféré avec des captifs italiens dans un camp en Allemagne (Meschede). Les discussions politiques y sont animées, et il signale avoir appris l’existence de Lénine dans la Gazette des Ardennes. Il raconte l’intérêt qu’il porte aux discussions avec des groupes de Russes politisés, c’est-à-dire des Kerenskistes et des Bolcheviks, vers qui va sa sympathie. Il part travailler dans une ferme en Hesse, évoque sans aucun détail une tentative d’évasion avortée, son retour à Meschede pour y subir sa peine de cachot disciplinaire ; atteint à cette occasion par une double pneumonie, il est quelques jours entre la vie et la mort. Il a à cette occasion de nouveaux démêlés avec un prêtre (p. 143) : ayant prévenu devant témoins qu’en cas de décès il ne voulait pas d’enterrement religieux, ce curé l’administre tout de même alors qu’il est dans le coma. Des camarades le renseignent à son réveil et cela se termine par une violente altercation avec ce « fanatique ». Toutefois, l’auteur ajoute qu’il a aussi rencontré pendant la guerre des prêtres moins obtus. En novembre 1918, J. Duclos décrit des conseils de soldats allemands, au milieu de l’épidémie de Grippe espagnole, mais aussi, rapidement, le retour des troupes régulières, fêtées par la population. Ces troupes reprennent la direction du camp, les conseils d’ouvriers et de soldats disparaissent, et l’auteur inquiet décide de fuir clandestinement jusqu’à Düsseldorf, il y retrouve les alliés en hélant une sentinelle belge de faction sur le côté gauche du pont traversant le Rhin.

À son retour chez lui, la situation n’est pas gaie, son père vient de mourir de la grippe espagnole et son frère mutilé au visage est toujours hospitalisé. Lui-même doit rejoindre le 12e RI de Tarbes où il participe à la démobilisation progressive de soldats du Sud-Ouest. Il produit alors de longues considérations (p. 154) sur l’échec de la Révolution allemande, en chargeant les sociaux-démocrates, alliés des petits-bourgeois, ainsi « en sauvant le capitalisme en Allemagne, la social-démocratie allemande contraignit l’Union soviétique à édifier le socialisme à partir d’une économie arriérée. » Il évoque l’ambiance en France au début de 1919, Clémenceau et la journée de 8 heures, le 1er mai, la Mer Noire… L’auteur évoque sa fréquentation de Marcel Cachin et son adhésion, avec son frère, à l’ARAC, la campagne des législatives de 1919… On peut considérer que le récit lié à la guerre s’arrête en à la fin de 1919, avec le chapitre 3 (p. 166), intitulé « militant communiste ».

Parmi les motivations des majoritaires à Tours en 1920, on constate que c’est la haine de la guerre qui est le premier moteur de l’adhésion à la IIIe Internationale. Cette détestation revient plusieurs fois dans ces mémoires, et elle apparaît très tôt (p. 8): « La haine de la guerre qui s’était accumulée en moi me rendit particulièrement perméable à la déclaration de paix au monde qui fut lancée par le jeune pouvoir soviétique au lendemain de la Révolution d’octobre. » Jacques Duclos dans son livre produit ainsi un témoignage intéressant, avec des souvenirs dans lesquels l’expérience du conflit comme soldat et l’engagement communiste ultérieur sont indissociables. Sa vision de la guerre se fait toujours à travers un prisme politique, avec la dénonciation des nantis, des profiteurs qui ont intérêt à faire durer le conflit, de la religion obscurantiste… Y a-t-il une part de reconstruction, sachant que l’auteur restitue un passé de plus 50 ans, avec sa seule mémoire ? Connaissant la précocité de son engagement socialiste, on peut affirmer que sa flamme d’indignation est authentique et bien réelle dès les débuts de la guerre, mais que le récit, construit autour d’anecdotes qu’il a probablement narrées à de nombreuses reprises par la suite, a fini par se structurer en un corpus édifiant, presque téléologique, c’est-à-dire destiné à préparer, expliquer et justifier sa vie politique et ce qu’il est devenu à la fin des années Soixante.

Vincent Suard, mai 2023

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Paquet, René (1875-1961)

Né le 20 juin 1875 à Douai (Nord) où son père est brasseur, sa mère appartenant à une famille de négociants. Il s’engage pour quatre ans au 39e RI en 1893 et devient sergent. Courtier aux assurances mutuelles du Mans, il est envoyé en poste à Pau. Comme hobby, il a la passion de la photographie. En 1914, il demande à rejoindre le 12e RI et il arrive sur le front à la fin de septembre 14 au pied du Chemin des Dames. Il photographie les tranchées de Vassogne et du plateau de Paissy, les creutes de Merval, le Bois-Foulon, les ruines de l’église de Craonnelle ; mais aussi des groupes de soldats jouant à la manille dans la tranchée ou à la pelote basque au cantonnement lorsqu’un mur assez haut reste debout. Il est nommé sous-lieutenant le 14 février 1915. A l’été, le régiment est déplacé vers Reims où il fait des clichés des maisons détruites et des sacs à terre protégeant la façade de la cathédrale. Dans son album, on trouve encore quelques images d’attaques mises en scène pour ressembler à des photos de guerre, la représentation de crapouillots et divers canons, de cagoules pour se protéger des gaz, de périscopes de tranchée, de prisonniers, d’un avion allemand abattu. Il est blessé en octobre 15. Il passe presque toute l’année 1916 comme instructeur au camp de Mailly (photos de Russes, d’ambulance, de champ d’aviation). Les dernières années de la guerre, il remplit diverses fonctions au dépôt du 18e RI ; il est nommé lieutenant en juillet 1918. Après la guerre, il retrouve son métier à Pau après son mariage à Paris en octobre 1919.
Il n’a pas laissé de témoignage écrit, mais son petit-fils, Bernard Bacelon, a reconstitué sa carrière et, surtout, a sauvegardé ses 350 photos (en deux albums). Le CD a été envoyé à la Mission du Chemin des Dames, Conseil général de l’Aisne. Bernard Bacelon a le projet d’éditer un livre.

Photo dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 363.
Rémy Cazals

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Pomiro, Arnaud (1880-1955)

1. Le témoin

Né le 5 juin 1880 à Bardos (Pyrénées Atlantiques) d’un couple d’agriculteurs. Brevet élémentaire en 1897. Entre à l’école normale de Dax cette même année. Devient instituteur en 1900. épouse Jeanne Lalanne en 1909. Deux filles. Décédé le 12 mars 1955 à Capbreton (Landes).

2. Le témoignage

Arnaud Pomiro, Les carnets de guerre d’Arnaud Pomiro, Des Dardanelles au Chemin des Dames, Toulouse, Privat, 2006, 392 pages.

La source est constituée de cinq cahiers manuscrits de petit format, dont le texte original n’a jamais été repris ou modifié par l’auteur.

Le texte s’accompagne de plusieurs croquis de certains lieux marquants observés par le témoin : abords du Vittoria College (Alexandrie) le 29 mars 1915, p. 66 ; secteur d’Harbonnière au 13 janvier 1917, p.204 ; secteur de Berny-en-Santerre au 27 janvier 1917, p. 223 et 224 ; secteur de Namur-Craonnelle au 25 avril 1917, p. 293 ; secteur de Craonnelle au 10 juin 1917, p. 344.

Le récit est continu et journalier, à l’exception des périodes de permission et de convalescence de l’auteur, ainsi que de la période couverte par le cinquième et dernier carnet (juillet 1917 – janvier 1919).

3. Analyse

Arnaud Pomiro est mobilisé le 23 février 1915, au 144e RI, en tant que sergent. Il sera ultérieurement nommé sous-lieutenant (juin 1915) puis lieutenant (mars 1918).

Le 25 février 1915, il est affecté au 175e RI (3e bataillon, 2e compagnie), nouvellement constitué en vue de l’offensive franco-britannique dans la région des Dardanelles.

L’unité d’Arnaud Pomiro est débarquée sur la côte des Dardanelles le 27 avril 1915, deux jours après le déclenchement de l’offensive.

L’auteur est présent sur ce front jusqu’au 12 juillet 1915, date à laquelle, victime d’un malaise, il est évacué vers un hôpital militaire avant d’être rapatrié en France.

Convalescent jusqu’au 22 décembre 1915, il est affecté au 49e RI le 3 janvier 1916. Il devient officier instructeur (base de Vorges, Aisne) jusqu’en septembre 1916 puis rejoint le dépôt divisionnaire du 49e RI le 1er octobre 1916.

Intégré à une unité combattante le 13 janvier 1917, il participe à l’offensive du Chemin des Dames (avril 1917).

Le 12 juillet 1917, le 49e RI est dirigé vers l’Alsace, où il demeure, occupant différents secteurs, jusqu’en mars 1918, avant d’être successivement déplacé vers l’Oise et la Meuse. Le régiment se trouve à nouveau dans l’Oise lorsque intervient l’annonce de l’armistice.

Arnaud Pomiro est rendu à la vie civile en janvier 1919.

Du fait de ses affectations à compter de son arrivée sur le front occidental (janvier 1916), Arnaud Pomiro n’est que peu exposé aux dangers du combat de façon directe. Il est d’ailleurs conscient de l’effet négatif produit sur ses camarades par ses affectations « protégées » (p.235). Il ne recherche cependant pas volontairement ces dernières, et se trouve activement engagé dans les combats des Dardanelles et du Chemin des Dames.

Comme nombre de ses compagnons d’armes, Arnaud Pomiro est un patriote. Il accueille avec fierté son intégration au régiment en partance pour le front des Dardanelles (p.47) et se montre sensible à certains aspects du cérémonial militaire (p.74). Il fait un usage régulier des qualificatifs « boche » (première occurrence p.45) et « bochie » (p.227).

La haine de l’ennemi au sens propre est cependant absente de ses écrits, et, de façon classique, le baptême du feu, reçu le 12 mai 1915, est pour lui l’occasion d’une prise de conscience et d’un rejet des horreurs de la guerre (p.118). Véritable archétype de l’instituteur de la IIIe République, il se montre sensible aux inégalités de traitement entre officiers et soldats (p.56), aux méthodes brutales employées par certains officiers (assaut lancé sous la contrainte d’une arme de poing, p.118) et condamne une influence conservatrice et cléricale qui lui semble par trop manifeste au sein du corps des officiers supérieurs (p.56, p.69, p.71, p.72). Il accueille favorablement la nouvelle de la première révolution russe (qu’il apprend le 17 mars 1917, p.254), qu’il salue comme la souhaitable substitution d’un régime parlementaire à une monarchie absolue.

Trois originalités majeures confèrent au témoignage d’Arnaud Pomiro une valeur particulière.

–          En premier lieu, l’auteur manifeste une curiosité naturelle et un sens de l’observation qui se concrétisent par des descriptions détaillées des différents lieux qu’il est appelé à traverser, en particulier au cours de l’expédition des Dardanelles : Marseille (p.43), Bizerte (p.44), la Baie de Bizerte (p.48), Malte (p.49), la Baie de Moudros (p.52), Moudros (p.59), Alexandrie (p.64), une école élémentaire égyptienne (p.71), les côtes de la Corse (p.193), le château de Mailly-Chalou (p.261). Sa curiosité s’étend également aux domaines techniques (la salle des machines d’un navire de transport, p. 45 ; le fonctionnement des « crapouillots », p.142 et p.144 ; les appareils du parc d’aviation d’Esquennoy, p.233).

–          Arnaud Pomiro se montre très attentif aux divers ragots, bruits et rumeurs qui sont colportées au sein de la troupe. Dès les premières pages de ses carnets (première occurrence 7 mars 1915, p.46), il prend en note ces informations et commente leur fiabilité. D’abord incluses dans le corps du texte, ces rumeurs font l’objet d’une rubrique spéciale au sein de ses écrits journaliers à compter du 18 avril 1915 (p.86). Cet aspect, tout à fait exceptionnel, du texte d’Arnaud Pomiro, permet de mieux cerner la nature, les modes de diffusion et le rythme de ces « informations » officieuses, souvent infondées, mais d’une grande importance pour des soldats privés de tout moyen d’appréhension globale de la situation de guerre. Les thèmes les plus fréquemment mentionnés sont l’entrée en guerre de nouvelles nations (la Grèce, par exemple, p.50, p.54 et p.154), les succès et les infortunes des opérations alliées et les prévisions quant à l’échéance du terme du conflit. Quelques jours après le déclenchement de la désastreuse offensive du Chemin des Dames, Arnaud Pomiro mentionne l’apparition de rumeurs (infondée, bien entendu) évoquant l’arrestation au titre de leur incompétence de plusieurs généraux français, dont certains auraient été exécutés (p.293 et p.295).

–          La participation d’Arnaud Pomiro aux opérations du Corps Expéditionnaire d’Orient dans les Dardanelles confère à son témoignage une valeur particulière, tant s’avèrent rares les textes décrivant cette zone de combat. À remarquer notamment sa description détaillée de la phase initiale de l’offensive (26 et 27 avril 195, p.94 et p.95), de son baptême du feu (2 mai 1915, pp.98-101) et des violents combats dans lesquels il se trouve impliqué (2 mai 1915, p.104 ; 4 mai 1915, p.106 ; 6 mai 1915, p.110 ; 8 mai 1915, p.113).

Enfin, le texte d’Arnaud Pomiro offre un éclairage supplémentaire sur l’offensive du Chemin des Dames (déclenchée le 16 avril 1917), qui vient compléter les nombreux témoignages publiés évoquant ces événements. Après avoir observé les préparatifs de l’opération – dont il tente de déduire l’ampleur en confrontant rumeurs et informations glanées dans les journaux – à compter de février 1917 (p.229 et suivantes), l’auteur décrit le premier jour de l’offensive (p.281) puis l’attaque du plateau de Californie, près de Craonne (pp.304 à 308). Les mutineries au sein de l’armée françaises, qui débutent en mai 1917, sont également mentionnées par Arnaud Pomiro, bien que son unité n’en fut jamais partie prenante. Il évoque plus particulièrement les événements qui secouent les 9e et 32e corps d’armée le 27 mai (p.318), le 18e RI le 28 mai (p.319), le 34e RI le 31 mai (p.323), le 174e RI le 18 juin 1917 (p.352). Il mentionne également le cas du mutin condamné à mort, évadé et engagé dans un long périple solitaire pour rejoindre l’Espagne Vincent Moulia, originaire comme lui du département des Landes (13 juin et 18 juin, p.347 et p.352).

Fabrice Pappola, le 25 août 2008.

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Viguier, Prosper (1872-1942)

1. Le témoin

Né le 19 février 1872 à Verfeil-sur-Seye (Tarn-et-Garonne) dans une famille de cultivateurs aisés. Etudes secondaires à Montauban, école du Service de santé militaire à Lyon. Docteur en médecine en 1894. Médecin major de 2e classe en 1900, de première classe en 1911. Médecin militaire en Algérie de 1909 à 1914. Médecin major au 18e RI de Pau au début de la guerre, il est nommé médecin chef de l’ambulance 8/18 en mai 1915. Il reste à ce poste jusqu’à la fin de la guerre. Il devient ensuite médecin-chef de l’hôpital Larrey à Toulouse. Il prend sa retraite en 1931. Il meurt à Verfeil le 8 mai 1942.

2. Le témoignage

Prosper Viguier, Un chirurgien de la Grande Guerre, présentation de Rémy Cazals, Toulouse, Privat, collection « Témoignages pour l’histoire », 2007, 158 pages, illustrations.

Entre 1914 et 1918, il a pris des notes sur plusieurs cahiers : statistiques et bilans en vue d’établir les rapports officiels ; comptes rendus d’opérations chirurgicales, de lectures, d’échanges d’expériences ; remarques personnelles parfois critiques.

3. Analyse

L’ensemble du témoignage fournit un éclairage précieux sur la vie d’une ambulance de l’avant pendant toute la durée de la guerre, avec ses semaines d’activité chirurgicale intensive (l’Aisne, Verdun, la Somme, le Chemin des Dames…). Pendant les moments d’accalmie relative, le médecin-chef s’informe, réfléchit sur les complications à redouter après les opérations et les moyens d’en préserver les blessés, sur les améliorations à apporter au service de santé. Une vision réaliste et précise (par exemple les types de blessures et leurs origines, principalement les tirs d’artillerie), loin de toute fiction littéraire comme de toute surinterprétation hâtive. Non, le major Viguier n’a pas considéré comme un déshonneur de soigner des blessés et de sauver des vies au lieu de tuer des Allemands.

4. Autres informations

– Archives familiales.

– JMO de l’ambulance 8/18, archives du Service de santé militaire au Val de Grâce, cote 893.

Rémy Cazals, 12/2007

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