Billon, Pierre

Trois carnets de route de paysans bretons, Plessala, Bretagne 14-18, 2004, 55 p. Ce petit ouvrage regroupe trois témoignages de guerre fort différents.
Pierre Billon, paysan d’Erbrée (Ille-et-Vilaine), fut appelé au service militaire au 94e RI le 7 octobre 1913. Il griffonna sur un carnet quelques faits et reprit méthodiquement ces brèves notes sur un cahier d’écolier quand il revint. Ce journal est donc bien structuré (22 pages 21×29,7), bien rédigé, facile à lire et se concentre surtout sur les faits saillants de sa guerre : la mobilisation et la mise en ordre de bataille dans la Woëvre, les premiers combats, la retraite et la bataille de Spincourt, les premières blessure et hospitalisation, l’affectation au 294e RI et le retour au front, dans l’Oise puis dans la Somme en 1914-15, la bataille de Champagne du 25 septembre 1915 (narrée de façon très réaliste), les secondes blessure et évacuation, le long séjour au dépôt et le passage dans l’artillerie (250e RAC) avec un retour au front dans cette arme le 7 mars 1917. Le journal se réduit alors, après avoir été très précis sur les combats menés dans l’infanterie. La chronique de P. Billon est vivante, détaillée, passionnante quand il relate ceux-ci, et il semble que ces 12 mois vécus dans l’infanterie aient constitué l’essentiel de sa guerre, celle qui avait surtout compté car elle l’avait profondément marqué, sur laquelle il voulait témoigner ; les événements de sa vie à l’arrière, dans les dépôts ou sa période de guerre comme artilleur lui paraissant, par comparaison, ternes et dénués d’intérêt.

René Richard, Bretagne 14-18

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Chaléat, Louis (1877-1942)

Cultivateur, marié, deux enfants, il a 37 ans en 1914 (né à Livron, Drôme, le 3 septembre 1877). Ses lettres de guerre se préoccupent de « ce qui se passe au pays » et donnent à sa femme des conseils pour le travail agricole : « Maintenant, tu me dis que vous avez avancé votre travail et que vous pourrez enfin soigner votre bétail. Vous ferez comme vous pourrez, car il ne faut guère compter sur moi. Vous engraisserez les moutons et tout à votre guise ; pour le fourrage, s’il ne vaut pas d’argent, garde bien ce qu’il faut, mais les pommes de terre, vends-les, cela te débarrassera et te fera de l’argent. Maintenant, pour l’engrais aux fourrages, vous ferez comme vous l’entendrez, mais je te conseille pas d’en mettre si tôt, surtout à la Ramière, car s’il venait m’arriver malheur et que vous ne puissiez continuer, ce serait de l’argent perdu pour vous. »
Un long extrait (3 septembre 1915) éclaire la situation et les sentiments de Louis : « Ma chère Eugénie, j’ai reçu avec grand plaisir ta lettre en m’apprenant que vous êtes tous en bonne santé. Je puis vous en dire de même, je me porte assez bien quoique ayant tous les jours les jambes raides et les reins courbaturés. L’on ne peut de moins faire : il ne fait que pleuvoir, l’on est toujours mouillés, il faut que les effets se sèchent sur toi, tu es éloigné de tout endroit habité et tu ne peux te soigner. Et par comble de bonheur, le colis que tu m’as envoyé et qui m’aurait tant rendu service, je n’ai eu le plaisir d’en profiter, l’on me l’a volé dans ma musette du temps que je n’y étais pas. Par bonheur j’avais pris un picodon [petit fromage de chèvre] et le nougat. Ils ont répudié la petite boîte de thon, mais m’ont pris le saucisson et deux picodons. Et je te jure que quand je m’en suis aperçu, j’en aurais pleuré tant cela allait me rendre service et que toi tu te sacrifies et t’en prives ainsi que les enfants pour améliorer mon sort. Mais que veux-tu, jamais il ne m’avait rien manqué, mais il ne faut qu’un bandit pour faire ces tours-là ; mais avec cela, je ferai comme si j’en avais profité et je t’en remercie bien quand même. Tu me dis sur ta lettre que tu allais battre et que tu avais bien du tourment. Tâche de ne pas t’en faire trop et te soigner le plus possible, car il faut songer que tu as deux enfants à élever et qui ont encore besoin de toi et de tes conseils. Mais ce qui me console c’est que tu es capable d’en faire de bons citoyens. »
Les diverses lettres décrivent la vie « souterraine », dans des « terriers », sous la pluie ; la boue et les pieds gelés ; les rats, les poux, les puces qui « nous vont faire la guerre autant que les Boches ». Il faut vivre en pensant « que cette maudite guerre n’a pas de fin et tant qu’il restera un homme valide cela ne finira pas. Et pour en arriver à ce but, cela va être long et je te réponds que ceux qui sont été tués au début ont eu rudement de la chance car ils n’ont pas eu la souffrance que nous avons eue » (29 juin 1915). Comme beaucoup d’hommes des tranchées, Louis exprime la hantise d’une nouvelle campagne d’hiver (17 juillet 1915). Dès le 9 novembre 1914, il avait remarqué avec un grand bon sens : « Ce sera, je le crois, le plus qui pourra résister en vivres qui aura la victoire.»
Louis Chaléat (294e RI) a combattu dans la Marne, de l’automne 1914 à l’été 1915 ; après une période d’hospitalisation et de convalescence, il est revenu en 1916 en Champagne, dans la Somme et l’Aisne. Blessé au bras droit en juin 1917, il est resté handicapé par sa blessure.
Rémy Cazals
* Je suis mouton comme les autres, Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., Valence, Peuple libre et Notre Temps, 2002, p. 283-302.

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Lapeyre, Louis (1882-1949)

Trouver sur le carnet de Louis Lapeyre l’adresse de Louis Barthas, caporal au 280e d’infanterie, n’a rien d’étonnant quand on apprend que Lapeyre était, lui aussi, tonnelier à Peyriac-Minervois. Né le 17 avril 1882 à Rieux-Minervois (Aude), village tout proche voisin de Peyriac, fils de tonnelier, Louis Lapeyre a fait son service militaire en Algérie de 1903 à 1906 ; il s’est marié en 1907 et installé à Peyriac en 1910. En août 1914, il est mobilisé dans une section de COA, puis au 44e RI en novembre 1915, au 294e RI en avril 1916. Il donne pour titre à ses carnets « Campagne de 1914 », ensuite étendue aux quatre autres années. Conservés par ses petits-enfants, non publiés, beaucoup plus succincts que ceux de Barthas, ils opposent la beauté de la France, décrite au cours des déplacements, aux horreurs de la guerre. Lapeyre est sensible à la rencontre de camarades avec qui il est agréable de parler du pays. Le militarisme se manifeste lorsqu’une réclamation à propos de la nourriture vaut huit jours de prison. Il signale rapidement la mutinerie du 129e en 1917 et la répression. S’étant débarrassé de son 8e carnet le jour de sa capture (1er novembre 1918), il l’a reconstitué de manière approximative et y a ajouté la description originale de ces quelques jours très particuliers de prisonnier d’une armée en pleine débandade. Tout au long du parcours, les prisonniers sont nourris et congratulés par la population belge. Le 11 novembre : « En cours de route, nous avions appris la signature de l’armistice ; et cette heureuse nouvelle nous comble de joie. En entrant dans la ville [Bastogne], toute la population est en liesse ; les maisons sont superbement pavoisées aux couleurs de tous les Alliés. » Le comité de ville prend en charge les prisonniers en place de leurs gardiens, et apporte, « dans de grands récipients, de la bonne soupe et du café fumant ». « Vers 4 h du soir, passe devant nous le 27e régiment d’infanterie bavaroise, revenant des tranchées. Tous les soldats chantent ; la musique de leur régiment joue. Les officiers ont arraché leurs galons de sur leurs épaules. Les soldats portent leurs fusils crosse en l’air et nous font comprendre qu’ils sont tout joyeux que la guerre ait pris fin. Belges, Boches et Français, tout ce monde fraternise en ce moment tellement la joie est grande parmi tous. »
Le retour vers la France se fait par étapes, les Belges continuant à « gorger » les Français de victuailles : « Il est impossible de leur refuser quoi que ce soit. Quels braves gens que tous ces Belges ! » En France, le département de la Meuse est plein de troupes américaines et on y distingue le « spectacle des plus hideux » produit par les quatre années de guerre. Le 23 novembre, enfin, Louis Lapeyre arrive à Peyriac-Minervois.
Rémy Cazals
*Fiche matricule Arch. Dép. Aude RW 537 (recherche de Jean Blanc que nous remercions).

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Laby, Lucien (1892-1982)

1. Le témoin
Lucien Laby avait 22 ans en 1914, et 90 ans quand il est mort en 1982. Les présentateurs de son livre n’en disent pas plus. Son père était pharmacien à Reims et très nationaliste : il lui écrit en souhaitant l’extermination du peuple infect que sont les Allemands (p. 45). Lucien appartient à la même mouvance. Il est en train de faire ses études de médecine lorsque la guerre éclate. Belliqueux et patriote, il est « content de partir » et écrit qu’il serait « vexé d’arriver à la fin de la guerre sans avoir tué un Prussien au moins ». Affecté au groupe de brancardiers divisionnaires de la 56e DR avec le grade d’aspirant, il est fait prisonnier le 26 août 1914 et reconduit aux avant-postes français deux ou trois jours après. Il témoigne d’une crédulité certaine lorsqu’il note, en septembre 14 que l’espionnage boche avait stocké des projectiles dans les carrières de l’Aisne avant la guerre. Tout en critiquant les décisions hiérarchiques, il souhaite être reconnu et décoré, ce qui ne l’empêche pas de rabioter très fortement sur son temps de permission et de prendre des permissions illicites pour aller à Paris aux Folies Bergère. Il est réaffecté à sa demande en juillet 1915 comme médecin auxiliaire de bataillon au 294e régiment d’infanterie, fonction décrite par lui comme celle de « brancardier de première classe (métier qui consiste à savoir ramper sous les balles et à coller des pansements sales dans l’obscurité avec des doigts pleins de boue) ». En mai de l’année suivante, il est à Verdun, dans la fournaise et le sang, qu’il quitte fin juin pour la Champagne, secteur de la Pompelle. Il décrit à plusieurs reprises la sanglante boucherie. En février 1916, il souhaite la bonne blessure ; en mai, il passe un marché avec Dieu : la messe tous les dimanches contre la vie sauve. L’année suivante, après avoir encore fait preuve de crédulité en pensant que la retraite allemande de mars 17 signifie la victoire, il craque devant la perspective de nouvelles horreurs sur le Chemin des Dames (3 mai 1917) : « Quelle boucherie encore on va voir !! C’est bien fait pour moi et je n’ai pas le droit de me plaindre : je suis l’un des nombreux imbéciles qui ont poussé le chauvinisme jusqu’à souhaiter la guerre. Eh bien, je suis servi ! Je dois boire le calice jusqu’à la lie, sans me plaindre. »
En octobre 17, il saisit la chance d’une affectation dans une ambulance chirurgicale automobile : « C’est l’embusquage de première classe, évidemment, mais j’ai la conscience tranquille et, puisque j’ai fait mon Devoir, c’est bien un peu mon tour de me reposer. » Il a même l’impression d’être « gracié », d’avoir « la vie assurée ». Et il le redit en janvier 1919, conscient de bénéficier d’un « véritable rabiot de vie inespéré ». Il a accueilli l’armistice avec enthousiasme. En Alsace, ce ne sont que cuites, fêtes avec les petites Alsaciennes, défilés, huées pour « ces cochons de députés ». Le 14 juillet 1919, il défile sous l’Arc de Triomphe et, sur ces heures mémorables, s’arrête son carnet.
Après la guerre, il termine ses études médicales à l’Ecole de santé militaire de Lyon, et s’installe en 1920 à Marle (Aisne) où il se marie. Il est officier de la Légion d’Honneur en 1952.

2. Le témoignage
Son carnet de guerre a été retrouvé par sa petite-fille et publié en 2001 : Les carnets de l’aspirant Laby, médecin dans les tranchées (28 juillet 1914 – 14 juillet 1919), Paris, Bayard, 349 p., texte préparé et annoté par Sophie Delaporte. Une longue préface de Stéphane Audoin-Rouzeau expose le caractère exceptionnel de ce témoignage (on a peut-être un peu abusé du terme). Laby a tenu un journal « rédigé dans l’instant, souvent au jour le jour », sans soin particulier, en termes familiers ; il l’a recopié et complété après guerre mais non retouché.
Il n’omet rien d’horrible, rien des gestes les plus répugnants (saigner les ennemis, piétiner les cadavres). Le préfacier commet à notre avis une erreur lorsqu’il affirme que « les médecins ont subi au cours du conflit une très profonde crise d’identité » car « il est entendu que toute identité virile ne peut alors passer que par une participation au combat ». La situation aurait paru « intolérable à beaucoup d’hommes du Service de santé, coincés entre l’éthique médicale en temps de guerre et l’obligation patriotique du combat pour tout homme en âge de porter les armes ». Le Lucien Laby du début de la guerre semble illustrer cette théorie, mais il faut se méfier de la tendance à la généralisation.
Concernant l’édition, on note le report de l’année de récit en haut de page, très pratique. Outre de nombreuses vignettes en marge tout au long de l’ouvrage, le livre est illustré d’un cahier central de 6 pages. Dessinateur, Laby a vendu ses oeuvres au Rire et à La Baïonnette. Illustrer le texte d’août 1914 par un dessin de poilus portant le casque Adrian n’est pas une bonne idée (p. 40). Il faut signaler encore quelques erreurs de commentaire (p. 110 sur les torpilles), de toponymie, et des inexactitudes (« maréchal » Joffre le 6 septembre 1914, « signaux obliques » pour optiques p. 199, « pulvérisateur Vennorel » p. 166).

3. Analyse
Lucien Laby, tout au long de l’ouvrage, côtoie la mort, omniprésente autour de lui. Son texte décrit les conditions dans lesquelles sont donnés les premiers soins, l’impuissance devant le grand nombre de blessés et la gravité des blessures, parfois causées par les tirs du 75, ce qui entraîne des bagarres avec les artilleurs (mai 1916), les accidents en manipulant les grenades (p. 111), et les cas particuliers : automutilation (p. 83), folie (p. 176), suicide (p. 140). Il assiste à deux exécutions (p. 84). Familier des premières lignes, il peut décrire les effets des bombardements (p. 119, 154, etc.), l’usage de douilles d’obus comme cloche d’alerte au gaz (p. 139), les « seaux à charbon » (p. 271), le bruit de « métro qui entre en gare » des 380 et des 420 (p. 166), mais aussi un secteur pépère (p. 184) et les loisirs, chasse, pêche à la grenade, sport, concert, sans oublier l’importance du vin et des alcools.
L’épisode de tentative de tuer  un Allemand se situe le 9 novembre 1914 (p. 78-81). L’intention de Laby est parfaitement claire : il s’agit d’aller « faire un carton ». Le déroulement est plus problématique : de la tranchée, on voit les Boches ? on les voit disparaître sous les coups de fusil ? Comme sur un stand de tir à la foire ? C’est bien curieux. Le résultat est incertain : Laby espère avoir tué un ou plusieurs Boches, et boit le champagne dans la cagna du capitaine.
Allemands et Français, de tranchées situées à trente mètres l’une de l’autre, s’envoient « des betteraves et des boîtes de conserve sur la figure. La grande distraction consiste à s’engueuler avec eux » (p. 79). Les Allemands envoient des tracts (p. 166). ; ils narguent les Français (p. 187). Le 23 juin 1916, lors d’une marche entre Epernay et Reims : « Le colonel commandant la brigade passe en auto. Les poilus qui en bavent des rondelles l’engueulent un peu au passage. Gros malaise. » Le 18 mai 1917 : « Billy. On parle déjà de nous envoyer aux tranchées. Quel drôle de repos alors qu’on nous avait promis 45 jours à l’arrière !! » Aussi, le lendemain : « Le 49e bataillon de chasseurs manifeste très bruyamment devant le colonel Garçon : ils sont un peu pleins et rouspètent parce qu’on les fait remonter en ligne. » Le 29 mai, Laby mentionne un « salaud  » qui fait de la « propagande pour la révolte qui sévit dans des régiments voisins », et le 13 juin, les mitrailleuses installées pour interdire Vauxcastille à des troupes qui se seraient révoltées.
Enfin, pour nos amis méridionaux : un type du Midi qui se pend (p. 140) ; un agent de liaison courageux, « du Midi pourtant » (p. 162).

Yann Prouillet et Rémy Cazals, juin 2011

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