Blanchard, Jean (1878-1914)

Il est né le 30 septembre 1879 à Ambierle (Loire) dans une famille de cultivateurs. Marié, sans enfant, il est mobilisé en 1914 au 104e RIT à Lyon, puis appelé au 298e RI parmi les renforts après les hécatombes de l’été. Il reçoit son « baptême du feu » le 1er octobre (fusillade, canonnade), mais il écrit encore le 22 novembre qu’il n’a pas eu l’occasion de combattre et qu’il n’a « encore point vu d’Allemands ». L’activité consiste principalement à améliorer les tranchées et les boyaux du côté de Vingré (Aisne) et à les rapprocher de l’ennemi afin de lancer des attaques. Le premier accrochage a lieu le 27 novembre. Accusés « d’abandon de poste en présence de l’ennemi », six hommes, dont Jean Blanchard, sont condamnés à mort par un conseil de guerre expéditif, le 3 décembre, et fusillés le lendemain matin. Le jugement sera cassé le 29 janvier 1921. Un monument commémoratif sera érigé à Vingré le 5 avril 1925. La famille de Jean Blanchard a conservé 24 lettres ou cartes postales adressées à sa femme, un carnet où sont portées des notes laconiques, et la trace des démarches faites pour la réhabilitation. Le livre publié en 2006 par l’association Soissonnais 14-18 reproduit ces documents et les met en perspective avec le JMO du 298e. Cette juxtaposition du texte du JMO, de la page de carnet et des lettres de Jean Blanchard prend une valeur particulière au moment du drame.

Jusque là, la correspondance est clairement présentée comme une conversation : « comme hier, je viens un peu causer avec toi et te dire comment je passe mon temps », ou encore : « quand je t’écris il me semble que je suis plus près de toi ». Il montre son intérêt pour « le pays », demandant si les raisins mûrissent bien, notant que poires et pêches qu’il peut goûter « ne sont pas si bonnes que celles du pays », remerciant pour l’envoi de « cabrions » (fromages de chèvre), s’apitoyant sur les morts du village : « Tous ces pauvres morts, c’est bien malheureux pour les familles et déjà beaucoup pour le pays, si au moins c’était fini, mais il en restera bien d’autres encore. » Au 298e, ils sont quatre bons camarades d’Ambierle, mais l’un d’eux est tué le 12 novembre en travaillant à creuser une tranchée. L’ami le plus proche est Francisque Durantet. Ils font équipe : « lui pioche, et moi je pelle derrière ». Au village, Michelle Blanchard aide Claudine Durantet à rédiger son courrier. Catholique, Jean Blanchard évoque très souvent son rapport à Dieu. Les épreuves de la guerre sont perçues comme des « sacrifices » ; d’une part, il faut s’y soumettre car c’est la volonté de Dieu, et d’autre part, ils vaudront des « mérites ». Cette dimension d’échange est sensible aussi dans la promesse qu’il fait à plusieurs reprises, s’il s’en tire, d’accomplir des pèlerinages à Notre-Dame de Fourvière et à Lourdes.

Le 27 novembre 1914, Jean Blanchard note sur son carnet : « À la nuit, sitôt la soupe mangée, on crie sauvez-vous. Les Allemands étaient rentrés, avaient fait 9 prisonniers à la 1ère section et arrivaient dans notre tranchée. On se sauve par le boyau jusqu’à la ligne de mitrailleuses, puis on remonte à notre tranchée et on les chasse. » Sur le JMO, à la même date, on peut lire : « À 16 heures l’artillerie allemande démolit une partie des tranchées de la Maison détruite, la ½ section qui l’occupait est obligée de se retirer dans les boyaux. Après le bombardement, lorsqu’elle veut retourner dans la tranchée, elle la trouve occupée par la patrouille allemande qu’elle délogea immédiatement et put reprendre ses emplacements. » Entre cette date et le 3 décembre, rien sur cet épisode qui semble insignifiant puisque la position française a été rétablie ; on continue à améliorer le système de défense. Mais le 3 décembre, le JMO fait mention du conseil de guerre et des six condamnations à mort. Le soir, à 11h ½, Jean Blanchard écrit à ses beaux-parents afin de leur demander de transmettre à Michelle une lettre pathétique et désespérée : « Le 1er décembre au matin, on nous a fait déposer sur ce qui s’était passé et quand j’ai vu l’accusation qui était portée contre nous et dont personne ne pouvait se douter, j’ai pleuré une partie de la journée et n’ai pas eu la force de t’écrire le lendemain. […] Ce qui me fait le plus souffrir de tout, c’est le déshonneur pour toi, pour nos parents et nos familles, mais crois-le bien, ma chère bien-aimée, sur notre amour, je ne crois pas avoir mérité ce châtiment, pas plus que mes malheureux camarades qui sont avec moi. »

On prouvera que le lieutenant Paulaud, complètement dépassé, avait donné l’ordre de repli ; qu’il a noirci l’attitude de ses hommes pour se sauver lui-même ou, dira le général Linder, « pour abonder dans les vues de ses chefs qu’il présumait vouloir une répression rigoureuse » (cité dans l’avant-propos de Denis Rolland). De fait, l’épisode du 27 novembre avait été précédé des échecs du génie à faire sauter les barbelés allemands, du refus de sortir de certaines unités, et le commandement estimait qu’il fallait des exemples pour reprendre en main les troupes. Le témoignage d’un autre soldat du 298e sur l’exécution conclut que « l’exemple » a conduit plutôt à « un découragement assez fort » (cité p. 121 du livre qui donne de nombreux éléments sur les suites de l’affaire de Vingré et l’action tenace de Soissonnais 14-18 pour en conserver la mémoire).

Et ajoutons encore ceci : les lettres adressées par Jean Blanchard à son épouse, comme bien d’autres témoignages cités dans le présent dictionnaire, vont à l’encontre de la théorie de la « brutalisation » (au sens de « devenir brute ») des combattants. On a l’impression, au contraire, que la guerre et la séparation sont souvent l’occasion d’une redécouverte de l’amour et de l’affection.

RC

*Je t’écris de Vingré…, Correspondance de Jean Blanchard, fusillé pour l’exemple le 4 décembre 1914, Soissonnais 14-18, 2006, 143 p.

Photo du monument de Vingré dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 77.

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