Brusson, Antonin (1865-1940)

Dans les papiers de l’entreprise de pâtes alimentaires Brusson Jeune, de Villemur-sur-Tarn, aujourd’hui déposés aux Archives de la Haute-Garonne, figurent des dossiers contenant une correspondance de 1914-18 : 137 lettres ou cartes postales adressées au patron (Monsieur Antonin) par le personnel sous les drapeaux ; 239 lettres écrites à sa famille par le fils d’Antonin, André, mobilisé (voir la notice Brusson André) ; et les lettres écrites à André par Antonin et les autres membres de la famille. C’est la guerre, crise et séparation, qui a fait naître une telle documentation, textes qui se recoupent, se répondent et révèlent rapports de fidélité et de confiance, conflits larvés et explosions.
Lettres d’ouvriers
Les lettres envoyées au patron par les ouvriers témoignent de fidélité et de fierté d’appartenir à une entreprise dont la production renommée est appréciée jusque sur le front. Ainsi un salarié mobilisé comme infirmier : « De la guerre, je vous adresse avec mon bon souvenir mes respectueuses salutations. Je me félicite d’avoir eu à préparer un macaroni de notre maison pour MM les médecins de la 2e ambulance de la 38e Division, tous méridionaux. Le produit parfait a été très apprécié. » Plusieurs demandent à « Monsieur Antonin » de donner du travail (donc du pain) à leur femme et aux familles de Villemur. Antonin Brusson fait distribuer des mandats par un cadre, lui-même mobilisé comme sous-officier (Jacques de Saint-Victor, voir ce nom). Le contenu des lettres au patron passe de l’exaltation du début à l’expression d’un malaise. Les soldats n’écrivent plus « maudite race » à propos des Allemands, mais « maudite guerre », alors qu’ils connaissent les sentiments patriotiques des Brusson. En décembre 1914, Alexandre Beauvais (voir ce nom) écrit que les souffrances sont telles qu’il a souhaité la mort. Bien d’autres expriment des sentiments identiques. François Vacquié (voir ce nom), en remerciant pour le mandat de 10 francs et en décrivant sa situation dans la boue et sous la pluie, ajoute : « Mais ne faites jamais savoir à ma femme que je suis ici dans un si mauvais état » (27 décembre 1914). Certains demandent à être rappelés à l’usine ou sollicitent un piston pour passer dans l’aviation. Ce qui a été fait pour André, le fils d’Antonin.
La vie à Villemur-sur-Tarn
Les lettres adressées au soldat décrivent les difficultés de la production industrielle, les pénuries de matières premières et de moyens de transport terrestres qui nécessitent de relancer la navigation sur le Tarn. On manque aussi de personnel qualifié, ce qui conduit Antonin Brusson à confier des travaux de comptabilité à son épouse Gabrielle Rous (voir ce nom).
Le manque de personnel touche aussi les exploitations agricoles des Brusson. « Cette année-ci [1915], nous serons tous très malheureux », écrit le grand-père Jean-Marie en évoquant les mauvaises moissons et les décevantes vendanges. « Papa a acheté une espèce de grosse machine, ressemblant à un tank, pour labourer », écrit Jeanne Brusson, fille d’Antonin, en juillet 1917. Et cela ne suffit pas : « Je souhaite qu’on fasse beaucoup de prisonniers pour que Papa puisse avoir les dix ou vingt qu’il désirerait en ce moment et qu’on lui refuse. » Lorsqu’on les lui accorde, les gens admirent leur rendement au travail.
Rémy Cazals
*Rémy Cazals, « Lettres du temps de guerre » dans le livre collectif du CAUE de la Haute-Garonne, La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, Loubatières, 1993, p. 70-128, illustrations.

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