Reverzy, Abel (1884-1915)

Un rapport existant entre le prêtre Léon Cristiani et la famille Reverzy, le témoignage d’Abel est publié à la suite de celui de l’ecclésiastique : Un prêtre dans la Grande Guerre, Journal de Léon Cristiani, infirmier militaire, suivi du Journal du capitaine Abel Reverzy, édition établie par Michel Casta, Amiens, Encrage éditions, 2022.

Abel Reverzy est né le 14 janvier 1884 à Aurouër (Allier) dans un milieu modeste. Il a commencé sa carrière militaire comme simple soldat, a pu monter en grade et intégrer l’école d’officiers de Saint-Maixent en 1907. Marié en 1911, il avait deux enfants en 1914. Capitaine au 3e régiment de marche de zouaves, il fut tué lors des attaques du 25 septembre 1915 près de Saint-Hilaire-le-Grand. Son journal est tenu du 30 septembre 1914 au 16 août 1915.

Ce témoignage critique à plusieurs reprises la République anticléricale, un « bourbier politique » responsable de l’impréparation à la guerre. Les fautes strictement militaires commises par des généraux sont quand même imputables au « malheureux régime » qui a causé « la perte du sens moral » (1er décembre 1914). Il ajoute : « Le troupier conscient, la discipline intelligente et voulue, l’officier politicien, voilà les alliés qui ont rendu au Kaiser plus de services que le 420 ou que ses amis d’Autriche. » La mort au combat du capitaine Luca ne répare pas le mal qu’il a fait par ses idées pacifistes. Une note du 14 janvier 1915 sur les réservistes qui « valent largement nos hommes de l’active » dans le cadre de « la nation armée » semble donner raison à Jaurès (sans le citer évidemment). Mais plus tard (5 juillet) Reverzy juge que les régiments de réserve ne paraissent pas « capables de mener à bien une véritable action offensive ».

Ce journal d’un authentique combattant apporte des notations ponctuelles intéressantes :

– Dès qu’un terrain est dangereux, la présence des gendarmes n’est plus à craindre ; soldats et officiers peuvent se livrer au braconnage et à la chasse. Par exemple, le 17 février 1915 : un lapin, douze faisans, deux chevreuils.

– Le 1er octobre 1914, il fait enlever ses galons « pour diminuer la visibilité des officiers ».

– Le lendemain, il note que ses soldats ont compris l’intérêt de creuser des tranchées et que ceux qui ont jeté leurs outils le regrettent.

– Le 20 octobre, il livre une remarque très fine à propos d’une sentinelle qui a tiré sur un camarade retour de patrouille et l’a tué : « Il a tiré comme ils font tous stupidement, sans savoir pourquoi, pour se rassurer en entendant un coup de fusil dans cette obscurité silencieuse. »

– Ses notes montrent la différence de confort entre l’abri de l’officier et la situation précaire des soldats (22 et 23 octobre). Sa femme vient passer quatre jours avec lui à Compiègne.

– Le 12 novembre, il décrit l’échec d’une attaque causé par le 75 qui tire trop court. Et il critique les artilleurs qui n’ont pas assez de contacts avec l’infanterie.

– Le 1er juin 1915, il affirme qu’au moins 50 hommes de son régiment ont déserté. Sur ces musulmans, la propagande turque n’a pas d’influence, mais ils sont mal commandés par les gradés subalternes.

Enfin, la question des relations avec les ennemis est abordée à trois reprises :

– Le 8 octobre : « Il fait trop beau pour s’entretuer. Nos hommes dont les tranchées avancées sont peu éloignées des tranchées allemandes semblent partager cette façon de voir. Le soir la relève des avant-postes a lieu des deux côtés à la même heure. Les groupes adverses, au lieu d’échanger des coups de fusil, se font avec la main des signaux d’adieu. »

– Le 8 novembre : « Nous entendons comme chaque dimanche les Allemands chanter des cantiques dans leurs tranchées. »

– Le 26 décembre, un bombardement français met fin à une tentative de trêve de Noël : des conversations entre sentinelles, « chacun des deux partis était informé du menu de l’autre ».

Rémy Cazals, avril 2022

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Vuillermet, Charles (1890-1918)

1. Le témoin


Charles Vuillermet photographié en atelier à Belley à la veille de la Grande Guerre (page 30)

Charles Vuillermet naît le 12 janvier 1890 à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) d’une famille franco-suisse dont nombre de membres sont des artistes reconnus. Son grand-père est photographe, comme son père, Constant Vuillermet, qui a épousé épouse une Thononaise, Marie Chavanne qui a repris l’atelier familial. Le couple aura cinq enfants : André en 1879, Catherine en 1881, Antoinette en 1886, Charles en 1890 et Joseph en 1896. Ce dernier, 2e classe au 3e zouaves, est tué le 26 octobre 1918 dans les Ardennes. Evoluant « des deux côtés du lac » Léman dans un milieu cultivé et bourgeois, Charles est initié au dessin et à la peinture dans une éducation stricte. Il fait ses études au collège Saint-Joseph de Thonon puis se destine lui aussi à la photographie. Il voyage beaucoup ; en 1910, il a un atelier à Lausanne puis vit à Vichy puis Paris où, en 1911, il est rattrapé par ses obligations militaires. Le 9 octobre de cette année, il est incorporé à 133e RI de Belley (Ain). Promu caporal le 12 avril 1912 et sergent le 25 septembre suivant, l’artiste en devenir change de voie et s’engage dans la vie militaire comme sous-officier le 17 avril 1913. Il se spécialise alors dans l’emploi des mitrailleuses et est affecté à la section du 2e bataillon. En juin 1914, le régiment est en manœuvres lorsque survient la mobilisation générale. Il est donc avec son homologue de la 82e brigade d’infanterie, le 23e RI immédiatement prêt à rejoindre la frontière comme régiment de couverture. C’est ainsi qu’on le retrouve au sein de la 41e division sur les cols vosgiens dès le 5 août 1914. A la suite des combats pour la reprise de la Fontenelle (Vosges) en juillet 1915, Vuillermet est nommé sous-lieutenant à titre temporaire (le 28) et adjoint au commandant de la 2e compagnie de mitrailleuses en mars 1916. Il passe lieutenant à titre temporaire en octobre 1916 puis à titre définitif, commandant la 1ère compagnie de mitrailleuses, au 1er juillet 1917, après l’affaire de la mutinerie des 1er et 2 juin à Ville-en-Tardenois (Marne). C’est à ce grade qu’il est tué le 2 juin 1918 à Bussiares dans l’Aisne lors de la retraite de l’Ourcq au Clignon.

2. Le témoignage

Perrier, Michel, Charles Vuillermet (1890-1918). Carnets et dessins d’un officier savoyard dans la Grande Guerre, Annecy, Le Vieil Annecy, 2012, 207 pages.

Charles Vuillermet est engagé dans la carrière militaire à la déclaration de guerre, avec la spécialité de mitrailleur. Son parcours est donc celui d’un sous-officier qui monte les grades par sa valeur militaire au sein d’un même régiment. Il occupe dans un premier temps les cols vosgiens et l’Alsace et la cristallisation du front à l’Est l’amène à « tenir » le secteur de la Fontenelle d’octobre 1914 à juin 1916. C’est la majeure partie de la couverture chronologique contenue dans le carnet de guerre de 96 pages qu’il tient du 1er août 1914 au 30 septembre 1916. L’affaire de la mutinerie de juin 1917 va entraîner pour le 133e de nombreuses sanctions, dont la dispersion des officiers considérés comme fautifs. Lui va hériter de cette situation du commandement d’une compagnie de mitrailleuses. Ayant abandonné son carnet à cette date, l’empreint documentaire effectué par Michel Perrier, le présentateur du legs de Charles Vuillermet, retrace son parcours par des courriers échangés avec sa famille et son frère Joseph. Dès lors, les quelques éléments que Charles donne dans ses écrits sont confrontés au JMO, aux historiques divisionnaire et régimentaire et à d’autres témoins du « Régiment des Lions » tels Joseph-Laurent Fénix ou les officiers que sont les docteurs Joseph Saint-Pierre, Frantz Adam, André Cornet-Auquier ou Louis de Corcelles [1], afin de combler les vides dans le témoignage de Vuillermet. L’ensemble est ponctué de dessins et de photographies de l’auteur, formant un corpus assez large de représentations issus du témoin.

3. Analyse

La première lettre permettant de sonder la vision de la guerre de Charles Vuillermet est datée du 12 septembre 1914, dans laquelle il confie : « Depuis la déclaration de guerre nous n’avons cessé de combattre. (…) Je vous assure que la guerre est une chose horrible, il y a des choses qui ne peuvent s’écrire, mais celui qui combat passe par des transes inexprimables quand les obus et les balles pleuvent de tout côté, et que l’on voit tomber ses camarades et cela pas un jour mais 8 ou 10 jours de suite et sans recevoir de troupes fraîches. Enfin je n’espère qu’une chose, avoir le bonheur d’en réchapper (…) » page 40. Confronté à la violence et à sa mort possible, il revient sur ce sentiment : « (…) si j’ai le bonheur de finir la guerre j’espère éclaircir bien des choses à mon sujet. Malgré tous les dangers que nous encourrons chaque jour je conserve bon espoir de revoir Thonon » (page 45) et estime la guerre à encore quelques mois en octobre 1914. Il s’aguerrit au feu et dénonce même la monotonie d’un front cristallisé à l’hiver 1914-1915, espérant obtenir rapidement « l’écrasement de ces vilains teutons » (page 48). Au fur et à mesure des mois, il abandonne la consigne de discrétion et ses courriers, plus intéressants que son carnet, se font alors plus descriptifs, notamment pour la guerre des mines ou les grandes affaires auxquelles le bataillon prête son concours en 1915 comme la reprise de Metzeral (juin), de La Fontenelle (juillet) en 1915 ou l’attaque sur Cléry-sur-Somme (carnet, le 30 juillet 1916). Hélas, ayant abandonné son carnet à la fin de 1916, il ne s’exprime pas sur la mutinerie massive de son régiment, se bornant le 6 juillet 1917 à signaler qu’elle lui a vraisemblablement donné du galon, celui de lieutenant : « on vient de me donner le commandement d’une compagnie juste au moment où nous remontions en ligne. (…) Je suis content de commander réellement, c’est la perspective du troisième ! » (page 139). Officier ayant une responsabilité importante, il semble qu’il ait alors de plus en plus remplacé l’écrit par le dessin, multipliant les représentations des paysages et les scènes de cantonnement avec un réel talent d’artiste, qu’il proposera d’ailleurs à l’Illustration, qui ne retiendra pas ses esquisses.

Yann Prouillet, janvier 2013


[1] Voir leur notice dans le présent dictionnaire.

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