Christian-Frogé, René (1880-1958)

1. Le témoin

Christian Pierre René Frogé, dit Christian-Frogé est né le 17 avril 1880 à Vernoil-le-Fourrier dans le Maine-et-Loire. Après une carrière littéraire débutée dès 1908 dans la poésie, il multiplie les publications et fait partie avant guerre du cercle des Loups. Le 19 mai 1911, il défraie la chronique à cause d’une échauffourée avec Gabriel Tristan-Franconi (qui mourra dans la Somme le 23 juillet 1918) lors d’une réunion littéraire (« Hurle-aux-Loups »). La Grande Guerre lui offre la possibilité de témoigner de son parcours militaire. Membre fondateur en février 1919, et secrétaire général de l’Association des Ecrivains combattants, il dirige ainsi plusieurs publications dont « La Grande Guerre, vécue, racontée, illustrée par les combattants » chez Quillet en 1922. Après guerre, il prend le parti de son frère, l’intendant-adjoint Georges Frogé, accusé d’espionnage à Belfort, en janvier 1933. Il meurt en 1958.

Norton-Cru précise son parcours de guerre. Mobilisé le 3 août 1914 comme caporal au 43e colonial, il arrive au front le 10 et passe sergent dès le 7 septembre. Blessé le 27 à Chuignolles, dans la Somme, il est évacué pendant 3 moi. Il revient au front avec le grade de sous-lieutenant le 11 mars 1915. Blessé le 27 septembre près de Souchez, il est attaché au cabinet du Ministre de la Guerre mais, bien qu’inapte au service armé, retourne « au front », à l’état-major du 1er corps colonial le 3 novembre 1916. Intoxiqué par les gaz, il quitte cette fois-ci définitivement le front pour la Section d’Information du Ministère de la Guerre avec le grade de capitaine.

2. Le témoignage

Christian-Frogé, R. Morhange et les marsouins en Lorraine, Nancy, Berger-Levrault, 1916, 220 pages

L’auteur, caporal à la 14e compagnie de 43e RI Colonial (les Marsouins) du 20e corps d’armée, créé le 2 août 1914, raconte ses impressions de guerre durant la période 11 août au 25 septembre 1914. Ce 20ème Corps est celui, héroïque, de la défense du Grand Couronné et de la bataille de Morhange. Ainsi, nous allons pouvoir cheminer avec l’auteur quand il parcours le front tant dans les combats que dans les cantonnements et suivre pas à pas les petits et les grands évènements dont il est le témoin direct ou indirect. Parti de Nancy le 11 août, il va gagner Laître-sur-Amance, au nord et se trouver en réserve de Corps et « renvoyé de brigade en brigade » avant de passer la frontière pour le village de Chicourt, en terre Lorraine annexée. La bataille de Morhange fait rage mais nos marsouins ne sont pas à l’honneur. Mal engagée la bataille de Morhange se fera pour la 14e compagnie au sud de cette commune, aux alentours d’Oron et de Château-Bréhain. Malheureusement, la position devient très vite intenable et les troupes sont hachées sous la mitraille. Elles doivent tenir trois heures, elles en tiendront six ! Mais sous le nombre, les marsouins plient et le 20e Corps retraite. Ce qui reste des unités repasse la frontière et laisse derrière elle son charnier et ses blessés. Reformé vers Saint-Nicolas-de-Port, la fin du mois d’août va consacrer les marsouins à compléter le rempart que les Français opposent à l’investissement de Nancy par les troupes allemandes. Le 28 août, la compagnie de Christian-Frogé se trouve en réserve d’artillerie qui doit elle-même « tenir jusqu’à la mort, mais barrer à l’ennemi la route de Lunéville à Nancy » près de la colline de Friscaty, adossée à la tragique forêt de Vitrimont. En effet, dans ce bois vont se concentrer les foudres de l’artillerie ennemie qui va occasionner aux défenseurs de lourdes pertes. Début septembre, la bataille se poursuit vers Saint-Nicolas-de-Port et Varangéville et se sont toujours d’homériques combats d’artilleries de tous calibres mais petit à petit, cette fois, l’ennemi rebrousse, Lunéville est repris et le Grand Couronné est définitivement dégagé. La besogne héroïque accomplie, le 20e Corps est relevé 15 septembre de ses positions où il a laissé tant des siens. Il descend sur Toul pour s’embarquer pour gagner Rouvrel (au sud d’Amiens) et se trouver engager, dès le 25 et après une marche de nuit de 45 kilomètres, à Chuignolles (à l’ouest de Péronne) où la bataille fait rage. C’est là que Christian-Frogé termine la courte anthologie.

Commentaires sur l’ouvrage :

Un journal de guerre très personnel, empli de tableaux successifs tour à tour poétiques ou tragiques. Par les yeux de l’auteur se révèlent donc de multiples facettes des combats d’août/septembre 1914 en Lorraine – l’ouvrage n’est pas victime de la censure toponymique – et sa vision fournit au lecteur outre quelques renseignements historiques de nombreuses anecdotes ou scénettes qui rendent cet ouvrage vivant mais d’une historicité douteuse, relevée à juste titre par Norton Cru. Bien entendu, de nombreuses exactions ennemies, toujours vues par procuration, comme ce hussard mutilé, nez et oreilles coupées (page 92) ou ces enfants masquant les Allemands (page 93) sont aussi présentes que l’espionnite (page 22) restent attachées aux ouvrages publiés pendant le conflit. Quelques visions de combats de jour (page 61) ou d’une marche de nuit (pages 179 à 187) fournissent quelques belles lignes descriptives.

Sources biographiques complémentaires

Ouvrages de Réne Christian-Frogé

Morhange et les Marsouins en Lorraine. Berger-Levrault, 1916, 220 pages.

Sous les rafales. Eugène Figuière, 1916.

Les Diables Noirs. De Maricourt à Souchez. Souvenirs des batailles d’Artois. Berger-Levrault, 1917. (Ouvrage annoncé mais jamais publié selon une communication de Jean-Louis Pailhès (Service d’information des bibliothécaires à distance (SINDBAD), Département de recherche bibliographique de la Bibliothèque nationale de France) à monsieur Alain Chaupin, que nous remercions pour cette précision).

Les captifs. Berger-Levrault, 1918, 207 pages.

La géhenne. (Extrait de l’ouvrage « Les Captifs« ). Berger-Levrault, 1920, 31 pages.

La Grande Guerre, vécue, racontée, illustrée par les combattants. (Deux tomes). Quillet, 1922, 259 pages.

Les croix de guerre. Librairie de France, 1936, 246 pages.

Autres ouvrages de Réne Christian-Frogé

Trois fresques, Angers, André Bruel, 1924. 32 pages. ?Ces trois fresques sont constitués par trois poèmes sur des thèmes antiques : Les Jardins de Magdeleine, Héliogabale, La mort du Sphinx, précédés d’un poème de l’auteur en hommage à son Anjou natal.

Au Jardin des Roses mourantes, Sansot, 1908, 177 pages.

L’affaire Frogé, Nouvelles Editions Latines, 1919, 332 pages.

Yann Prouillet, 9 janvier 2011

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