Gorceix, Septime (1890-1964)

Le témoin

Septime Gorceix est né à Limoges le 7 octobre 1890. Il est devenu professeur d’histoire et de géographie dans sa ville natale. Pendant la guerre, il sert dans l’infanterie au 67e RI ; il est capturé sur les Hauts de Meuse le 24 avril 1915. La plus grande partie de son livre de témoignage concerne sa captivité et ses tentatives d’évasion. Il est possible que la décision de publication doive à la lecture de Témoins de Jean Norton Cru : il en a fait un compte rendu dans le Bulletin de la Société des Professeurs d’Histoire et de Géographie en mars 1930 (n° 63). Tout en affirmant que son intention est simplement d’attirer l’attention des collègues sur l’ouvrage, Septime Gorceix reconnait son importance considérable : Témoins est « sans précédent dans toute la littérature historique ». Il en décrit la méthode rigoureuse ; il invite les professeurs à bannir les légendes militaires de leur enseignement ; il remarque que, parmi les témoins les mieux classés par JNC, figurent plusieurs universitaires et ajoute : « Plutôt qu’à une simple coïncidence, c’est à une certaine formation de l’esprit critique qu’il faut rapporter cette place de distinction. Il est juste d’ajouter que certains professionnels de l’Histoire sont relégués dans des classements inférieurs. » La même année 1930, Septime Gorceix a publié son propre témoignage sous le titre Évadé et a obtenu le prix Marcel Guérin de l’Académie française.

Septime Gorceix est mort à Paris le 15 mai 1964.

Le témoignage

Évadé (Des Hauts de Meuse en Moldavie), a été publié (233 pages, 7 croquis intéressants) en 1930 par les éditions Payot  dans la collection de mémoires, études et documents pour servir à l’histoire de la Première Guerre mondiale.

L’avant-propos signale que le livre aurait pu être publié dès la fin de la guerre, mais que l’auteur avait préféré passer à autre chose. Cependant il a fini par considérer que l’expérience des générations de la Grande Guerre ne devait pas être perdue. Pour la faire connaitre, sa rédaction définitive pouvait s’appuyer sur des carnets remplis quotidiennement.
Le premier chapitre (Sur les Hauts de Meuse) raconte les combats du 67e RI dans ce secteur du front où, dit-il : « durant la semaine de Pâques 1915, nous ne sommes plus des soldats, mais de vivants blocs de boue ». Les combats ne sont plus une bataille, « mais une boucherie hideuse ». Septime Gorceix devient sergent. Il est capturé avec plusieurs de ses hommes lors d’une attaque allemande, le 24 avril. Deux Allemands menacent de le tuer mais un sous-officier le protège (situation semblable dans le témoignage de Fernand Tailhades, voir ce nom). Plus tard et plus loin, un général s’adresse aux prisonniers en français : « Bon ! Bon ! La guerre est finie pour vous. Elle sera bientôt finie pour tous ! »

2e chapitre : Au camp de Wurzburg-Galgenberg, les prisonniers sont débarrassés de la vermine, mais mal nourris (jusqu’à l’arrivée des premiers colis venant de France). La plupart expriment ouvertement leur satisfaction « d’être tirés de la mêlée », mais Septime nous dit qu’il prend la résolution de s’évader pour retourner au combat. Il y a des gardiens gentils et d’autres brutaux. L’un d’entre eux, qui doit partir au front, se fait signer des attestations de bons traitements à l’égard des Français car « son rêve serait d’être prisonnier en France ».

En juillet, les PG partent en kommando pour faire les moissons ; ils sont très bien accueillis ; c’est l’Angleterre qui est détestée. Retour au camp pour parler de l’information : quelques coupures de presse arrivent dans les colis de nourriture, mais on trouve aussi des journaux français à Wurzburg. On joue à la manille ou au football, on lit, on apprend l’allemand, on chante, on représente des pièces de théâtre, on rédige un journal hebdomadaire. Plusieurs pages du livre évoquent cette feuille, tolérée parce qu’elle peut servir la propagande allemande en pays neutre en montrant cette preuve de tolérance.

3e chapitre : Septime Gorceix a soigneusement préparé son évasion. Il s’est fait envoyer une boussole, une carte, un couteau à cran d’arrêt ; il a acheté en ville un sac tyrolien et une lampe électrique… En août 1916, il choisit de partir en kommando « dans les houblonnières bavaroises » (titre du chapitre) pour avoir moins de distance à parcourir. Mais c’est un échec, décrit sur plusieurs pages. Repris, il est convoyé par un seul gardien qu’il pourrait tuer car il est sans aucune méfiance tandis que Septime a toujours son couteau. Mais il ne peut s’y résoudre. Dans le train qui le ramène au camp, on lui dit que si les Allemands et les Français étaient alliés ils seraient les maitres du monde. Sa punition est légère.

Une deuxième tentative d’évasion conduit Septime Gorceix « à travers la Bavière du Sud » mais se termine « dans les prisons autrichiennes » puis « au camp de Deutsch-Gabel » en Bohême (titres de chapitres). Là, le professeur d’histoire et de géographie organise des conférences, tandis que des Tchèques introduisent « des gazettes allemandes d’extrême gauche ». Des conflits se produisent avec des prisonniers russes particulièrement mal traités.

La troisième évasion se fait lorsqu’il est en kommando en Autriche, en avril 1918. Avec un camarade, le voici à Vienne où ils achètent un plan de la ville. Le prof d’histoire se met en tête « une folie » : « Je veux visiter le Versailles autrichien, me promener dans Schönbrunn et contempler le paysage du haut de la Gloriette. » Il le fait. Passage à Budapest, ville qui semble ne pas connaitre les pénuries alimentaires. Puis « à travers les Carpathes » (titre de chapitre) et en Valachie où les évadés se procurent de faux papiers auprès de Roumains francophiles. « À Bucarest, sous le règne de Von Mackensen », les évadés croisent de beaux embusqués allemands, puis ils se dirigent « vers la Moldavie libre ». Le 7 juin, ils entrent en gare de Iassy et se présentent à la Légation de France.

Rémy Cazals, avril 2021

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Cadoret, Louis (1892-1915)

Né à La Chèze, près de Loudéac (Côtes-du-Nord), le 11 février 1892. Il effectue son service militaire, au 67e RI de Soissons, lorsque la guerre éclate. Il va s’efforcer de transcrire ce qu’il voit et vit dans un petit carnet. Cet unique carnet va de fin juillet au 6 septembre 1914. Louis Cadoret continua t-il d’écrire ? Nous n’en savons rien. Il disparut le 6 février 1915 dans les combats des Éparges. Ce petit document a été sauvé par un lointain cousin, Louis Cadoret et sa famille étant totalement oubliés à la Chèze. Le document édité compte 29 pages. Mais la transcription même du carnet tient seulement dans 8 pages. Le soldat de 1ère classe Louis Cadoret y raconte dans un récit au style très simple, sans commentaire superflu, les premiers jours de la guerre, les marches d’approche, et, à partir du 22 août, les combats (Longwy, Longuyon, la ferme de Constantine, Mangiennes…) jusqu’au repli vers Montfaucon et Amblaincourt. Les détails sont précis ; les désordres, désillusions et incertitudes de ces premiers combats ne sont point cachés dans ce témoignage captivant et qu’on regrette trop bref.
René Richard
*Mémoires d’un combattant de 1914 : Louis Cadoret, Bretagne 14-18 et Amicale laïque de Plaintel, 1997, 29 pages.

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Poizot, Charles Henri (1891-1966)

1. Le témoin

Il est né à Saint-Quentin (Aisne) le 14 mars 1891 dans une famille catholique. A la déclaration de guerre, il est employé dans une petite entreprise de textile. Au 67e RI de Soissons, il est sergent dans l’équipe des téléphonistes. Démobilisé le 30 juillet 1919. Il se marie en 1920 à Tarare (Rhône) où il choisit de demeurer. Il aura deux filles. Il meurt en 1966.

2. Le témoignage

La famille a conservé six petits carnets d’une écriture fine et lisible, au crayon ou à l’encre. Les quatre premiers contiennent des notes assez brèves à la date du jour, encore plus brèves vers la fin de la guerre. La période couverte va du 28 juillet 1914 au 22 février 1919. Les deux autres contiennent diverses listes de noms et adresses, des comptes, le texte de ses deux citations, etc.

Les carnets ont été « retranscrits, commentés et préfacés par Dominique Bussillet », petite-fille de l’auteur, sous le titre Histoire d’un Poilu. Carnets de Charles-Henri Poizot du 67e RI, Parçay-sur-Vienne, Editions Anovi, 2003, 143 pages. Le livre est illustré de photos de l’auteur et de pages des carnets.

3. Analyse

– Au cours des premières semaines de guerre, Poizot revient à plusieurs reprises sur la puissance de l’artillerie allemande. Il signale un « acte de sauvagerie » des Allemands (22 septembre) mais il n’en a pas été le témoin. Le 13 octobre, il dit avoir assisté à l’exécution d’un soldat du 106, fusillé pour abandon de poste. Autres exécutions quelques jours plus tôt.

– Le 11 novembre 1914, malade depuis plusieurs jours, il se présente à la visite. Il est exempt de service avec « prière de ne pas revenir ». Il avait en fait la fièvre typhoïde, et il a quand même réussi à se faire évacuer le18 novembre. Il ne revient sur le front qu’en mai 1915, constatant que le régiment avait beaucoup souffert.

– L’offensive de Champagne en septembre 1915 est présentée aux soldats comme devant être décisive : « J’y vais de bon cœur car, maintenant que je suis rapproché de mon pays, j’ai l’espoir que je verrai bientôt mes parents libérés du joug des Allemands » (23 septembre). Le 67e est devant Souain, l’attaque est terrible, les résultats sont décevants. Nouveau « calvaire », « carnage », à Verdun en juin 1916. Et dans la Somme, près de Suzanne, en septembre : « 25 septembre. Et puis ça me dégoûte je ne dirai rien, nous avons passé 8 jours en première ligne, couchés dans la terre, la boue, la pluie, j’ai été enterré par un obus, la tranchée est nivelée, des copains tombés à côté de moi, quel carnage. » Aussi, le 12 avril 1917, à la veille de l’offensive Nivelle, sept points d’interrogation expriment son scepticisme : « On nous fait une conférence sur la grande attaque qui va avoir lieu. Cette fois on va les avoir ??????? A part ça, les Boches sont toujours à Saint-Quentin. Quel cafard. Vivement la fin. »

– L’originalité de Poizot, c’est d’être un soldat des « pays envahis », coupé de sa famille pendant presque toute la durée de la guerre. Il évoque à plusieurs reprises ses parents restés sous la domination allemande. Il n’arrive pas à leur donner de ses nouvelles. Il n’en reçoit, indirectement, qu’en mai 1916. Il ne peut aller chez lui en permission. Il passe sa convalescence à Paris après la typhoïde. Il va en permission dans le Gers, chez M. Cartan, hôtelier à L’Isle-Jourdain, qui l’accueille comme s’il était un membre de sa famille (13 janvier 1916), puis chez Mme Ducos à Gimont (16 août 1916). Tous les retours de permission produisent un « cafard intense ». Une brève éclaircie, lorsque le régiment débarque à Fère-en-Tardenois (19 juillet 1916) : « Nous sommes dans l’Aisne. Il me semble que les pays sont plus beaux et les gens moins arrogants. »

Rémy Cazals, juillet 2008

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