Caussade, Jean (1874-1918)

Jean Caussade est né à Villebrumier (Tarn-et-Garonne) le 14 janvier 1874, dans une famille paysanne. Lorsque la guerre éclate, il a une petite exploitation en polyculture vivrière (céréales, vigne, quelques bêtes). De son mariage avec Joséphine, il a un fils, Alban, trop jeune pour partir en guerre, mais capable d’effectuer les travaux agricoles en l’absence du père.
Jean est mobilisé en janvier 1915 au 132e RIT à Montauban ; il passe au 330e RIT de Marmande en juillet, et part pour le front en septembre. En février 1918, toujours 2e classe, il est au 73e RIT ; il est porté disparu le 27 mai 1918 au Chemin des Dames. Sa mort est enregistrée par jugement rendu le 14 octobre 1921 (Fiche tirée de Mémoire des Hommes). Joséphine ne se remarie pas et continue à gérer l’exploitation avec Alban.
La famille a conservé un peu plus de 500 cartes postales envoyées par Jean, certaines fournies par l’armée, d’autres représentant des scènes humoristiques. Les vues de villages sont parfois personnalisées (une croix indique son cantonnement, par exemple). Le mémoire de maîtrise de Cyril Bariou (Les correspondances de guerre d’un paysan, soldat de la Territoriale 1915-1918, Université de Toulouse-Le Mirail, 2005) en reproduit quelques-unes ainsi que les portraits de Jean, de Joséphine et d’Alban.
Cette correspondance illustre en particulier quelques thèmes.

L’amour conjugal
Comme beaucoup de témoignages présentés dans 500 Témoins de la Grande Guerre et dans ce dictionnaire du CRID 14-18, la correspondance de Jean Caussade montre l’existence du fort amour conjugal exprimé par cet homme qui n’est pas devenu une brute. Il dit à plusieurs reprises que sa seule consolation réside dans l’échange des lettres ; il emploie des termes sans équivoque : « Ma chérie », « Mille baisers », etc. Le 17 septembre 1917 : « Dans l’après-midi, je suis allé visiter un peu partout dans les jardins, et j’ai trouvé encore ces petites pensées toutes couvertes d’herbes dont j’ai ramassé très délicatement pour te les envoyer. Je les ramassais si précieusement qu’il me semblait te caresser à toi-même, mais hélas tu es cependant bien trop loin de moi pour cela. Il faut encore vivre dans l’espoir d’y arriver un jour, mais ce jour heureux, où est-il ?

Les conseils à la famille
En bon paysan, Jean se renseigne sur l’état des bœufs et donne des conseils pour la culture. Les conseils valent pour sa femme et pour son fils, avec cette précision du 9 mai 1915 : « Surtout, écoute ta mère, et je te recommande surtout ne la fais pas mettre en colère, parce qu’elle a un peu plus d’expérience que toi. » Parmi les quelques exemples, voici la carte du 25 mars 1915 : « Finissez la taille de la vigne, faites trèfle et sainfoin à Mourrât et la Ringue et au Clapié, trèfle. Et puis, s’il ne pleut pas, emporter le fumier et aller chercher le bois, puis labourer la Sanevielle et la Motelle, puis nous verrons. » Le 16 août : « Tu me donneras des nouvelles de la vigne et des raisins. Dis-moi comment vous devez effectuer le battage, comment vous vous êtes entendus pour dépiquer et si tu peux labourer. Si tu peux retourner un peu de terre, fais-le à cause de l’herbe. Tu pourrais avoir de plus belles récoltes. »
Le temps passant, il semble que le discours évolue. Ainsi, le 17 décembre 1915 : « Faites en sorte de faire pour le mieux en attendant que je revienne. » A son fils, le 14 octobre 1916 : « Ce que tu as de mieux à faire après toutes ces fatigues que tu supportes, c’est de te ménager. Couche-toi à bonne heure. » A sa femme, le 12 mai 1917 : « Suis toujours en bonne santé, et j’ai grand plaisir que tu en sois de même, et que tu ne souffres pas. C’est tout ce qui me préoccupe le plus. »
Des conseils plus précis à Alban concernent la chasse (29 août 1917) : « A ce sujet, je te dirai qu’il faut que tu sois prudent : ne pas jouer avec le fusil quand tu seras avec tes camarades ; faire bien attention de ne jamais tirer un coup de fusil horizontalement car, soit dans les maïs ou derrière une haie, il peut s’y trouver quelqu’un dont tu peux ignorer qu’il y soit, et ça serait bien malheureux que pour une caille tu fasses du mal à quelqu’un. »
Et à Joséphine, ils concernent l’allocation aux familles (23 février 1916) : « Puisque la femme de Rouquette a l’allocation, et du moment que c’est sûr, n’hésite pas un moment de plus. Va-t-en trouver le juge et réclame jusqu’à la gauche de ma part, car vous y avez le droit aussi bien comme elle et beaucoup plus. »

Au front
Il porte un jugement critique sur les gens du Nord. Il aime bien vivre en compagnie de camarades du « pays » qui sont dans le même régiment. Habile pêcheur, il gagne la sympathie de ses supérieurs en les faisant profiter de ses prises. Il participe à l’artisanat de tranchées (17 février 1917) : « Pour le moment, je suis en train à polir deux douilles du 75 court, pour que tu puisses faire deux vases à mettre sur ta cheminée et que je tâcherai de porter à mon retour. »
Le travail des territoriaux consiste en terrassements et entretien des routes, au transport de ravitaillement et de matériel près des lignes, ce qui n’est pas sans danger.
Les Boches restent les ennemis, et Jean Caussade n’est pas un grand contestataire. Cependant en 1917, on peut noter deux remarques. Sur la guerre, le 18 février : « Ce ne sera pas encore la fin de cette saloperie de guerre, mais qui pourtant faudra qu’elle finisse un jour et que nous serons heureux. » Sur les chefs, le 17 octobre, « ces messieurs lesquels je suis bien fatigué d’être sous leur direction ».
Rémy Cazals, septembre 2017

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Allemane, Auguste (1870-1955)

1) Le témoin
Né à Bordeaux, Auguste Allemane est à la mobilisation chef de cabinet à la mairie de Bordeaux. Capitaine de réserve en 1911, il commande une compagnie du 140e Régiment d’infanterie territoriale en août 1914, et il organise des étapes à Dunkerque de novembre 1914 à avril 1915. Il tient ensuite une position de tranchée en Flandre au nord d’Ypres jusqu’à juin 1916. Versé au 73e RIT, il séjourne dans l’Oise et dans l’Aisne jusqu’en juillet 1917. Nommé chef de bataillon, il commande un bataillon du 74e RIT jusqu’à février 1918. Il est ensuite chef du 26e bataillon de mitrailleuse jusqu’à décembre 1918, date de sa démobilisation.
2) Le témoignage
Le Journal d’un mobilisé (Editions Sud Ouest, 2014, 303 pages) d’Auguste Allemane est la remise en forme, au début des années 20, d’écrits personnels rédigés pendant le conflit, avec un avertissement de 1924 ; ce journal a été retrouvé et retranscrit par deux de ses petits-enfants en 2013. Le remaniement des documents par l’auteur ne permet pas de séparer ce qui est notes ou lettres, ni de signaler des réécritures, mais la tonalité générale, souvent critique, marquée par une lassitude ironique non exempte de drôlerie, paraît assez fidèle au sentiment immédiat.
3) Analyse
Les écrits présentent une grande qualité de précision de la part d’un administrateur territorial habitué à la synthèse, et nous montrent le point de vue d’un officier de réserve qui a des responsabilités importantes. L’auteur, dont le bataillon doit organiser en 1914 une partie du camp retranché de Dunkerque, insiste d’abord sur les difficultés matérielles de sa fonction, au moment de la fin de la Course à la mer : Bergues, décembre 1914 p. 31 « Pas d’autre sortie qu’une cour boueuse ; pas d’eau potable ; et la typhoïde nous encercle ; pas de poêle dans les chambrées où l’humidité suinte. On me prescrit, on m’ordonne, d’installer là un millier de malades, d’éclopés, de suspects dont l’état nécessite des soins et auxquels je dois fournir tout le confort désirable. Comment faire quelque chose avec rien ? On fera pour le mieux ! » Le récit varié fournit des remarques intéressantes : (8 mars 1915 p. 39) « Les journaux de Paris emploient à tout propos le mot « boche ». Pour mon compte, je ne l’entends prononcer que d’une manière exceptionnelle et nous nous en servons bien rarement. Peut-être cela dépend-il des Corps d’Armée ? Ce mot est probablement usité surtout à Paris où il a pris naissance dans l’argot populaire. » Allemane aime évoquer les différents groupes, étrangers ou régionaux, qu’il est amené à côtoyer ; il est difficile de faire la part des clichés et des jugements personnels de l’auteur, mais ces évocations nous font revivre des perceptions oubliées ou occultées par la suite ; ainsi des officiers belges en France : (Téteghem, avril 1915 p. 40) « Exigeants et insolents, ils vivaient comme en pays conquis et laissent d’amers souvenirs. » En première ligne à Elverdinghe (front d’Ypres), il fréquente des Canadiens « du début » : mai 1915 p. 48 « les Canadiens, nos voisins, sont composés d’éléments bien divers. Plus des neuf dixièmes sont de véritables mercenaires de situation sociale inférieure qui n’ont vu dans leur engagement qu’un moyen de vie aventureuse. Ils reçoivent un dollar par jour d’indemnité (…) Nous sommes loin du sou par jour de nos bonshommes. » La vision de tirailleurs tunisiens, dans la campagne humide et boueuse de la Flandre, le transporte au milieu d’un paysage d’Afrique, d’un douar en déplacement (p.52). « Les cuisiniers s’accroupissent devant le feu, le coiffeur à genoux rase le crâne du camarade assis les jambes croisées ; plus loin, un mauvais sujet, qui avait bu plus que de raison malgré les ordre du Prophète, en a été puni par des coups de matraque et reste attaché à la roue d’une charrette, gardé par une sentinelle. » La réputation des Marocains semble être de tirer sans raison, en toute circonstance ; l’auteur les évoque après les avoir relevés (juin 1916 p. 128) : « L’ennemi a dû comprendre ou voir que les Marocains, voisins désagréables, ont été remplacés par des gens de mœurs moins agitées, et qui n’ont pas, comme leurs prédécesseurs, l’habitude indéracinable de faire parler la poudre à tout moment, pour rien, pour le plaisir, pour faire du bruit. » Il évoque ailleurs des tirailleurs de l’A.E.F. et, à l’heure des procès contemporains contre Tintin au Congo (1931), sa mention est intéressante: 25 juillet 1916 p. 135 « Croisé en route un groupe de nègres du plus beau noir ; ils viennent du Cameroun et le jeune sergent qui dirige leur corvée d’ordinaire leur déclare très clairement : « toi y en a porter café, toi y en a porter patates. »
Allemane décrit une première ligne (Zuydschoote au nord d’Ypres, août 1915) extrêmement déprimante car les morts sont partout : p. 71 «les parapets de la tranchée, que nous consolidons et modifions, sont en grande partie constitués de cadavres. La pioche doit être maniée avec précaution si on ne veut pas déchiqueter ces misérables restes. (…) Le petit champ voisin, où l’on ne peut aller car il est dominé par l’ennemi, est parsemé de petits monticules ; autant de corps abandonnés. (…) Maintenant, nous voici face à face, en éveil, à portée d’un jet de pierre et ceux qui sont tombés il y a trois mois restent encore les témoins morts et grimaçants de l’acharnement des deux partis. » De plus, l’eau qui affleure partout empêche de creuser, rend les protections peu profondes aléatoires et oblige à se tenir courbé en permanence même derrière les protections. Le passage dans un autre secteur du front en 1916 est vécu comme une bénédiction : p.127 « pour nous, habitués à la terre des Flandres, morne et plate, c’est un émerveillement que de parcourir ce secteur de l’Oise en belle-saison. (…) après avoir eu le fragile et illusoire rempart de rares madriers, nous bénéficions ici d’abris profonds enfoncés de 4, 6, 8 mètres sous terre. »
L’auteur recherche volontiers la compagnie de ses compatriotes de Gironde et lorsque son bataillon du 140e RIT est dissous et redéployé dans le 73e RIT de Guingamp, il n’apprécie pas cette perspective :  « Nous serons bretons dorénavant et cela nous plaît fort peu. Les races ne sympathisent pas ; les caractères, le degré de civilisation sont différents » (2 juin 1916, p. 123). Il nuance ensuite sa perception première (p. 134) : «Les Bretons, braves soldats, sont malheureusement souvent ivrognes et leurs grandes qualités sont trop souvent effacées par ce vice. » Il décrit un incident grave en première ligne où trois de ses hommes se sont fortement enivrés avec des envois de leur famille : « L’un de ces malheureux s’est enfui dans les lignes (…). Il passera en conseil de guerre. Mais quelle peine pour moi d’en arriver là ! Il le faut, cependant, sous peine de détruire toute discipline ; quelle pitié quand on songe que ces malheureux ont femme, enfants et qu’ils vivent en campagne depuis deux ans comme des sortes de bêtes fauves ! » Le 18 juillet, un ajout montre que l’affaire s’est très mal terminée : « Dégrisé et placé en face de sa faute dont il s’exagérait peut-être les conséquences, l’homme s’est pendu dans la prison provisoire où il avait été mis. Et tout cela parce que sa femme lui a envoyé un flacon d’eau-de-vie, pensant lui être agréable ! »
En 1916 la fatigue augmente et les jours pèsent de plus en plus lourd : p. 140 « Combien de nos soldats faut-il maintenant maintenir par l’amitié, les attentions, les réconforts de la sympathie. Pour certains, une usure profonde se manifeste, le moral devient moins solide (…) Celui-ci boit, celui-là s’absorbe, solitaire, et se laisse ronger par les soucis. Un de mes soldats des environs de Lens est, depuis deux ans, sans nouvelles de sa femme et de ses trois enfants. » Il se projette parfois dans le futur et fait des rêves de vengeance : 1916 p. 123 « Nous serons un peu comme les grognards de l’Empire, les demi-soldes de l’Empire. Peut-être serons-nous méchants et les peines accumulées nous donneront-elles le désir de nous venger, sans scrupule, des requins et des naufrageurs. » Plus tard il évoquera des suicides dans son unité : Fismes 6 février 1918 « Il y a trois jours, un soldat de mon bataillon, neurasthénique, sans ressort, s’est suicidé. C’est le deuxième en moins d’un mois : froid, fatigue, préoccupations de famille. »
Le thème des embusqués est récurrent : Allemane, qui fait les quatre ans au front, les évoque souvent de manière amère (des exemples p. 75, 231, 268 ou 291), ici en mai 1915 p. 68 : « Nos permissionnaires rapportent avec un peu d’énervement avoir constaté qu’il y avait pas mal de jeunes embusqués, fringants et pommadés, élégamment vêtus. Certains de nos vieux-sous-officiers étaient horriblement vexés d’avoir salué les premiers quelques raffinés qu’ils prenaient pour des officiers et qui étaient simplement des soldats de 2e classe en vareuse grand tailleur. »
La dénonciation récurrente des mercantis va de pair avec l’évocation des embusqués ; Allemane est très critique avec l’économie de l’arrière du front : janvier 1917 p. 166 « Nous goûtons l’ironie amère des belles phrases des journaux qui dépeignent, en terme touchants, l’héroïsme de ces populations séculairement attachées à la terre et à la maison et qui préfèrent courir les pires risques plutôt que d’abandonner le pays où elles sont nées, où les vieux parents reposent de leur dernier sommeil, etc. Tout le boniment. (…) D’une façon générale, il ne subsiste, dans les villes ou villages en bordure de la zone d’opérations, que ceux qui y trouvent un gros avantage d’argent ; je l’ai toujours constaté. »
L’auteur, humain et paternel à d’autres égards, n’a aucune compréhension pour les protestations ouvrières qui se déroulent en 1917. Il y a pour lui opposition de nature entre le « luxe » d’une grève en usine et la situation du front : 26 mai 1917 p. 203 « Il est abominable d’agir ainsi, sans songer aux conséquences désastreuses qui peuvent en résulter. Une femme qui ne gagne pas 10 francs par jour hurle qu’on l’exploite et, pendant ce temps, combien se font tuer pour quelques sous par jour pour la défense de ces têtes folles ? » Autre évocation un peu plus tard : (1er juin 1917 p. 204) « De vilains renseignements nous parviennent de Paris où sont signalés d’inquiétants mouvements populaires. Désir de gagner beaucoup pour s’amuser davantage – terreur des plus légères privations – obéissance étourdie aux plus abominables excitations, voilà, sans doute les mobiles des habitants de la capitale. Nous somme écœurés à la pensée que des troupes doivent être retirées du front pour veiller à l’intérieur et interdire une seconde Commune. » Allemane ne comprend pas « l’intérieur » mais il fait cette remarque : « Les hommes qui reviennent [de permission], de fâcheuse humeur, paraissent rendre les officiers responsables de la continuation de la guerre comme s’ils n’en étaient pas victimes au même titre qu’eux. » Il conclut, par allusion au « pourvu qu’ils tiennent! » (p. 203) : « le civil ne tient pas ! »
En août 1918, il est juge au Conseil de Guerre de l’armée Degoutte, et le tribunal est présidé par un colonel de gendarmerie : (14 août 1918) « À la séance d’hier, altercation avec le président. J’en ai assez de juger tous ces gens, pour des faits à leurs yeux sans importance mais que le Code militaire énonce avec cette conclusion : « Mort ». Si bien que suivi par la majorité, j’ai fait déclarer non coupable des faits reprochés et d’ailleurs avoués, de pauvres bougres qui n’y comprenaient rien et auraient été fusillés pour abandon de poste en présence de l’ennemi, sans savoir pourquoi. Le colonel me voit d’un mauvais œil parce que j’ai osé lui dire que j’étais juge au même titre que lui et que ma voix valait la sienne. »
La fin de la guerre est assombrie par un drame familial, le 27 octobre 1918, son fils Maurice décède à la suite de ses blessures de guerre : 1er novembre 1918 p. 238 « Je reprends ce journal, le cœur serré de douleur, après avoir gravi le plus pénible, le plus sanglant des calvaires, au cœur de ces quelques journées de deuil. »

Vincent Suard, novembre 1916

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Fontaine, Amand (1875-1944)

1. Le témoin
Né le 2 septembre 1875 à Dompierre-du-Chemin (Ille-et-Vilaine), il est le fils d’un instituteur laïc qui exerce dans cette commune de 1869 à 1894.
Entré à l’Ecole normale de Rennes en octobre 1891, il en sort en 1894, brevets élémentaire et supérieur en poche ; il obtiendra, en 1896 et 1899, un diplôme de gymnastique et son certificat d’aptitude pédagogique. Instituteur adjoint à Ercé-près-Liffré (1894) puis Comblessac (1896) dans un premier temps, il enseigne ensuite successivement à Sixt-sur-Aff (1897), Saint-Broladre (1901), Orgères (1902) puis Bain-de-Bretagne (1902). Il obtient enfin, en septembre 1905, une charge d’école à Brain-sur-Vilaine, à quelques kilomètres de là. Cette même année, il a épousé l’une de ses collègues, Henriette Thierry. Deux filles naîtront de cette union. Bien noté, Fontaine obtient une mention honorable en 1909, est proposé pour une lettre de félicitation en 1913, reçoit par ailleurs une médaille de bronze au titre de l’enseignement agricole (1910) puis une médaille de vermeil au titre de l’enseignement horticole (1913). L’instituteur est en effet très investi dans ce type d’enseignement par le biais des œuvres post-scolaires, très à la mode dans ces années 1905-1914, alors que la concurrence entre écoles publique et privée est particulièrement rude en Bretagne.
Il a effectué son service militaire au sein du 70e régiment d’infanterie (Vitré) en 1896-1897. Promu caporal le 16 mai 1897 puis sergent, comme réserviste, en août 1900, il accomplit les différentes périodes de réserve auxquelles il est astreint en 1900, 1905 et 1910. En 1908, il a été versé dans la territoriale, en l’occurrence au sein du 76e RIT (Vitré).
Démobilisé le 7 janvier 1919, il retrouve pour quelques mois l’école de Brain avant d’être nommé directeur d’école à Acigné à compter de septembre 1919. Il occupe encore ces fonctions lorsqu’il fait valoir ses droits à la retraite en septembre 1932. Il se retire alors à Rennes avec son épouse. Amand et Henriette sont tués dans les bombardements de Rennes, le 9 juin 1944.

2. Le témoignage
Appelé à servir à compter du 4 août 1914 comme sergent au sein du 76e RIT de Vitré, Amand Fontaine rédige, sans doute au jour le jour, sur un cahier d’écolier, un journal racontant les premiers jours de combats du régiment sur le front des Flandres, au nord d’Ypres, entre le 18 octobre et le 18 novembre 1914. Les régiments de la 87e DT sont alors en première ligne dans le secteur de Langemarck et subissent les assauts répétés des troupes allemandes engagées dans la première bataille d’Ypres.
Légué aux archives municipales de Rennes avec quelques photos et quelques rares documents se rapportant à la Grande Guerre, ce témoignage complète utilement ceux laissés par d’autres territoriaux de cette division ou de ce régiment sur les combats d’octobre-novembre 1914 :
• CLEMENT, Joseph, Carnets de guerre d’un officier d’Infanterie territoriale. Lieutenant Clément Joseph au 76e RIT, [du] 5 octobre 1914 au 20 novembre 1918, et la première attaque aux gaz du 22 avril 1915, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2006
• COCHO, Paul, Mes carnets de guerre et de prisonnier, 1914-1919, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010 [sur le 74e RIT].
Deux enfants de Plaintel morts pour la France pendant la Grande Guerre 1914-1918, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2005 [lettres de Jacques Morel, du 74e RIT]
• NEL, Raoul (Dr), Boesinghe ou les combats de la 87e Division territoriale sur l’Yser. 1914-1918, Rennes, Impr. du Nouvelliste de Bretagne, 1922 [sur les 76e et 79e RIT].
• PREAUCHAT, Elie, Carnets de guerre et de captivité d’Elie Préauchat, soldat à la 9e Cie du 74e RIT de Saint-Brieuc, Plessala, Association Bretagne 14-18, 2006.

L’on ne sait rien ou presque en revanche de la suite de la guerre d’Amand Fontaine, si ce n’est qu’il occupe, à compter du début de l’année 1915 sans doute, une position bien moins exposée au sein du 76e RIT : il est alors rattaché à l’état-major de son unité en tant que vaguemestre, ce qui le dispense des séjours en première ligne, alors même que le régiment territorial de Vitré ne connaît plus guère d’épisodes aussi sanglants que ceux qu’il a contés ; le régiment est, entre autres, en 2e ligne lors de l’attaque au gaz du 22 avril 1915, et ce sont les territoriaux de Guingamp (73e RIT) et Saint-Brieuc (74e RIT) qui subissent les plus fortes pertes. Promu sergent-major le 18 juillet 1915, blessé et évacué le 7 septembre 1916, il regagne le front en janvier 1917 avant de passer au 79e RIT un an plus tard, après la dissolution du 76e. Il finit la guerre en servant comme sergent-major au sein de la 9e Cie du 500e RIT, jusqu’à sa démobilisation en janvier 1919.

3. Analyse
C’est avant tout la découverte de la guerre dans toute sa violence qu’offre à lire Fontaine dans ce journal. Il est significatif qu’alors qu’il a été mobilisé en août, qu’il a sans doute participé à la défense des côtes du Cotentin avec le reste de la 87e DT dans les semaines suivantes, ce n’est qu’en arrivant à proximité directe du front, dans les Flandres, le 18 octobre 1914, que l’instituteur débute la rédaction de ce texte. Au cœur des combats au nord d’Ypres, les territoriaux bretons et normands découvrent une situation qu’ils n’avaient sans doute pas imaginée, y compris pendant les 15 premiers jours d’octobre en Flandre française.
La faim – mais Fontaine y insiste moins que d’autres –, le froid des nuits – celles du 3 novembre, « très froide, passée dans la tranchée », ou du 11, « passée dans la tranchée, sous la pluie, le froid et les balles » –, les conditions d’hygiène à l’avenant – le 30 octobre, Fontaine dit « changer de chemise ce que je n’avais pas fait depuis 15 jours et me débarbouiller ce qui ne s’était pas fait depuis 8 jours » –, la fatigue – « je suis vanné » écrit Fontaine le 11 novembre – sont une part essentielle de ce témoignage.
Mais les passages les plus forts sont indubitablement ceux consacrés à la confrontation à la mort et à l’horreur des combats. Alors que les assauts des troupes allemandes font place aux contre-attaques plus ou moins ordonnées de l’infanterie française, le nombre de morts peuplant le no man’s land croît : « nos tranchées sentent le macabée. Les cadavres sont en décomposition » écrit par exemple Fontaine à la date du 7 novembre. Parmi ceux-ci, certains de ses collègues, dont le décès marque profondément l’instituteur : sans doute les connaît-il parfois de longue date, de même que son épouse à qui ce carnet est adressé.
La germanophobie exprimée à l’égard des « Pruscos » et « Alboches », l’indifférence affichée à l’égard de blessés ennemis « trouvés dans une ferme à moitié dévorés par les porcs » – l’épisode tient sans doute de la rumeur – se muent en raison en une compassion sincère alors que les combats se font plus violents : « pauvres Allemands, pauvres Français. Quel mauvais génie vous pousse ainsi à vous détruire » s’interroge-t-il par exemple le 14 novembre.
La peur de mourir – une peur avouée à demi-mot à son cahier et, par ce biais, aux siens, mais une peur dominée – semble expliquer cette évolution. Elle apparaît clairement à compter du 7 novembre : « Nous sommes portés en 1ère ligne d’une situation périlleuse. Ce peut être ma fin ». Et, s’adressant à sa famille : « Pauvre Henriette, pauvres enfants. Heureusement que vous ne me savez pas là ». Le 9, après la mort de plusieurs camarades, il note que « tous y passeront », sa « pensée se port[ant] vers le village de Brain ». « Femme et enfants chéris, je ne crois plus vous revoir ! » confesse-t-il.
Yann Lagadec

Source : LAGADEC, Yann, « “Si jamais tu lis ces lignes, maudis la guerre…”. Amand Fontaine, un instituteur breton dans la première bataille d’Ypres avec le 76e RIT de Vitré (octobre-novembre 1914) », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2012, p. 287-315.
Texte disponible en ligne :
http://www.sahiv.fr/images/stories/lagadec%20fontaine%2076e%20rit%20bmsahiv%202012.pdf

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Clément, Joseph (1876-1968)

Le témoin
Il est né le 23 décembre 1876 à La Bouillie, dans les Côtes-du-Nord. Il s’engage dans l’armée le 30 octobre 1896. Caporal le 2 avril 1898, il est nommé sous-officier le 18 novembre 1898. Le 30 octobre 1909, alors qu’il est au 70e RI de Vitré, il quitte l’armée. Il est mobilisé le 2 août 1914 au 76e régiment d’infanterie territoriale de Vitré. Nommé sergent-major le 4 août 1914, puis adjudant-chef le 25 septembre 1914, il gagne son galon de sous-lieutenant à titre temporaire le 10 novembre 1914. Nommé lieutenant à titre temporaire le 16 juillet 1915, il est confirmé à titre définitif dans ce grade le 12 juillet 1917. À la dissolution du 76e RIT en janvier 1918, il est affecté au 80e RIT de St-Lô. Après la guerre, il sera rattaché au 136e RI de St-Lô, puis passera comme capitaine au 71e RI de St-Brieuc. Directeur de banque à St-Brieuc, Joseph-Marie Clément y décèdera en 1968.
Le témoignage
Il nous a laissé trois petits carnets dans lesquels il a noté, au jour le jour, les événements, grands ou petits, auxquels il a participé de près ou de loin. Ils couvrent la période du 5 octobre 1914 au 20 novembre 1918. Ce sont de tous petits calepins (à peine 8×5) rédigés en une écriture serrée, parfois difficilement lisible. Auprès des annotations rapportées ici, apparaissent toutes les préoccupations matérielles quotidiennes qui sollicitent tout officier d’infanterie. On y trouve des listes de noms de soldats, des instructions pour les vaccinations, des quantités de matériel à prendre au parc, des adresses de parents, d’amis, etc.
Son journal débute par des notes brèves, parfois sèches, témoignages d’une période de mouvements peu propice à des travaux d’écritures. Ensuite, les comptes rendus prennent plus de consistance et introduisent toutes les préoccupations du moment, y compris les récriminations contre les injustices de promotions dans les grades et décorations dirigées vers les non-combattants des États-majors, si petits soient-ils.
L’ouvrage
La reprise des carnets de Joseph-Marie Clément aurait pu se suffire à elle-même. Cependant, p. 8 à 10, il se montre exceptionnellement très disert et relate l’attaque aux gaz du 22 avril 1915, événement que son régiment vécut d’abord en spectateur alors que le 76e RIT s’apprêtait à relever l’autre brigade de la 87e DIT bretonne, celle formée par les 73e RIT (Guingamp) et 74e RIT (St-Brieuc). Ces deux unités vont se trouver plongées dans la nappe de gaz et être décimées, ce qui obligera le régiment territorial vitréen à monter en ligne pour combler la brèche qui se formait, ce que narre le lieutenant Clément. Sur cette journée du 22 avril, les témoignages sont multiples, fort variés, voire contradictoires. Nous avons voulu ajouter au texte du lieutenant Clément (37 pages) un dossier sur cette fameuse journée du 22 avril (60 pages). En consultant les archives militaires de plusieurs pays ou des témoignages de combattants ayant subi cette attaque ou y ayant assisté, nous constatons que, selon la nationalité des témoins, elle fut « la journée » des Belges, celle des Bretons, celle des Anglais ou celle des Canadiens, de façon exclusive. Selon le lieu de la ligne de front, au nord et à l’est d’Ypres, les relations divergent et, surtout, ignorent que ce fut tout un ensemble de régiments de plusieurs nations qui fut touché et non seulement des régiments belges, bretons, anglais ou canadiens. Parmi ces unités, se trouvèrent des troupes qu’on n’évoque presque jamais, alors qu’elles furent sans doute les plus éprouvées : le 1er bataillon de marche d’Infanterie Légère d’Afrique, des « Joyeux » presque tous asphyxiés, et le 1er régiment de marche de tirailleurs algériens. Nous avons voulu présenter un dossier aussi complet que possible sur cette terrible journée et sur « cet incident fâcheux, sans résultat grave » (général Joffre), sans parti pris national ou régional. Nous savons ce que des régiments territoriaux bretons subirent ce 22 avril. Nous savons aussi qu’ils n’étaient pas seuls en ligne et qu’ils ne furent pas les seuls décimés.
René Richard
Carnets de guerre d’un officier d’infanterie territoriale. Lieutenant CLEMENT Joseph 76e RIT de Vitré et La première attaque aux gaz du 22 avril 1915, Plessala, Bretagne 14-18, 2006, 99 p.

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