Duhamel, Georges (1884-1966)

1. Le témoin
Georges Duhamel est né à Paris le 30 juin 1884. Troisième enfant d’une famille normande et malgré une enfance difficile, il devient médecin et entre en guerre en tant que chirurgien dans des ambulances d’immédiat arrière front. Véritables laboratoires d’écriture et de réflexion sur la condition humaine, Vie des Martyrs et Civilisations sont érigés au rang d’autopsies des souffrances de l’Homme en guerre. Elu à l’Académie française en 1935, il s’oppose dans l’autre guerre à l’occupant qui interdit ses écrits. Ambassadeur de la littérature française dans le monde, il décède à Valmondois le 13 avril 1966.

2. Le témoignage
Duhamel, Georges, Vie des martyrs. Mercure de France, 1917, 229 pages, non illustré.
Basant ses réflexions sur son vécu de médecin de guerre (Ambulance 9/3 du 1er Corps d’Armée), l’ouvrage est un témoignage sur la souffrance et de nombreux passages reflètent très exactement les sentiments rencontrés dans les ambulances de l’immédiat arrière front. La période couverte comprend les années 1914 à 1916 sans datation précise. Nous parcourons toutefois successivement les arrières du front vers Verdun (dont le corps d’armée est « un long serpent dont la tête combat alors que la queue serpente sur la route », page 111), Reims ou l’Artois.

3. Résumé et analyse
Georges Duhamel est médecin dans une ambulance de l’immédiat arrière front. Il va côtoyer pendant les deux années considérées la mort, la souffrance et l’héroïsme de centaines de blessés qu’il va magnifier au rang de martyrs. Dès lors vont se succéder les tableaux successifs de personnages, d’histoires simples, touchantes alliant humour, tendresse et naïveté malgré le tragique de la souffrance, parfois dépassée. Et dans cette vision infinie des blessés et de morts, l’auteur érige un martyrologe plus que touchant dans lequel il dépeint la douleur avec une diversité et un réalisme saisissants (cf. la vue des morts de l’ambulance et de leur traitement administratif page 140), lui qui en a si souvent côtoyé les visages. Mais cette souffrance renouvelée, qui pourrait refléter la plus profonde détresse humaine et le désespoir, est pourtant portée au pinacle de l’héroïsme et du courage. Duhamel réussit alors à transfigurer la désolation et l’horreur en sacrifice quotidien et en espoir formidable, rendant ainsi l’ouvrage d’une gaîté, d’une vivacité et d’un optimisme singuliers. Des pages terribles qui relatent l’horreur mais où le lecteur, plus qu’attendri se surprend maintes fois à sourire.

Un ouvrage profond qui, relatant l’immense tragédie physique et humaine de la guerre, la dépeint dans un héroïsme naïf et touchant de simplicité. Duhamel nous donne à lire des pages émouvantes et vraies et il réussit à nous faire aimer au-delà du respect ces simples hommes écrasés par la guerre (les deux camarades s’endorment donc de cet affreux sommeil où chaque homme ressemble à son cadavre, page 12). Pas de soucis majeur de chronologie ou de positionnement géographique pour ne conserver que l’hommage à la souffrance. Cette « Vie des Martyrs » est sans conteste l’un des hommages les plus intenses et les mieux transmis qui aient jamais été écrits sur les blessés et les morts de la Première guerre mondiale.

4. Autres informations

Bibliographie de et sur l’auteur
Collège d’auteurs Georges Duhamel. Médecin, écrivain de guerre. Abbaye de Créteil, 1995.
Duhamel Georges Vie des martyrs. Mercure de France, 1917, 229 pages (rééditions Guilhot, 1946, 136 pages et Club du Livre du Mois, 1953, 235 pages).
Duhamel Georges Mémorial de Cauchois. Ed. de la Belle Page, 1927, 62 pages
Duhamel Georges Œuvres de Georges Duhamel. Tome I : Vie des martyrs. Mercure de France, 1922, 250 pages.
Duhamel Georges Œuvres de Georges Duhamel. Tome II : Civilisation. Mercure de France, 1923, 281 pages.
Duhamel Georges Récits des temps de guerre. Tome I : Vie des martyrs. II : Civilisation. III : Lieu d’asile. Mercure de France, 1949, 380 pages.
Duhamel Georges Récits des temps de guerre. Tome II : IV : Entretiens dans le tumulte – V : Les sept dernières plaies – VI : Quatre ballades. Mercure de France, 1949, 333 pages.
Duhamel Georges La pesée des âmes. 1914-1919. Mercure de France, 1949.
Duhamel Georges Elévation et mort d’Armande Branche. Grasset, 1919, 45 pages.
Thevenin Denis (Duhamel Georges) Civilisation. 1914-1917. Mercure de France, 1918, 280 pages (réédition Hachette, 1944, 232 pages).
Duhamel Georges Guerre et littérature. Les cahiers des amis du livre, 1920, 52 pages.
Duhamel Georges Entretiens dans le tumulte. Chronique contemporaine. 1918-1919. Mercure de France, 1919, 271 pages.
Duhamel Georges La possession du monde. Mercure de France, 1930, 299 pages.
Duhamel Georges Elégies. Mercure de France, 1920.
Duhamel Georges Les sept dernières plaies. Mercure de France, 1928, 265 pages.
Duhamel Georges La chronique des Pasquier. Mercure de France, 1999, 1373 pages.
Duhamel Georges Récits de guerre. Vie des martyrs. Les sept dernières plaies. Correspondance inédite. Omnibus, 2005, 900 pages.
Duhamel Georges et Blanche, Correspondance de guerre. 1914-1919. Tome I (Août 1914 – Décembre 1916), Paris, Honoré Champion, 2008, 1632 pages.
Lafay Arlette Témoins d’un temps oublié. Roger Martin du Gard – Georges Duhamel, correspondance, 1919-1958. Minard (Paris), 1987.
Vildrac Charles Correspondance de guerre avec Georges Duhamel. Abbaye de Créteil, 1995.

Yann Prouillet

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One thought on “Duhamel, Georges (1884-1966)”

  1. Voici une notice chaleureuse qui rend justice à l’écrivain et à son œuvre de guerre. Elle contraste singulièrement avec la sévérité de Norton Cru, reprochant à Duhamel de faire acte de littérature en traitant de la souffrance « sacrée » des blessés, et l’accusant de commettre « une impiété, un anachronisme », de se livrer à « une pratique dangereuse ».
    Le jugement de Norton Cru est fort différent de l’accueil fait aux œuvres de Duhamel pendant la guerre et à l’automne 1919, dans « Le Journal du Peuple » et « L’Humanité ». Le jeune Maurice Genevoix exprima son admiration dans « L’Europe nouvelle » en janvier 1918. Car Duhamel était à Genevoix ce que Genevoix était pour Norton Cru. Si aujourd’hui, « Vie des martyrs » trouve sa place dans « Le Dictionnaire et guide des témoins de la Grande Guerre », ne serait-ce pas en raison de ceci : à mesure que la guerre s’éloigne, la littérature a le pouvoir de nous la rendre présente, de nous rendre sensible et de nous faire partager l’expérience de guerre, mieux sans doute, en tout cas autrement que les témoignages plus « bruts ». Mais un tel constat aurait sans doute été impossible si l’évolution historiographique n’avait permis l’accueil des sources littéraires et artistiques. Cette ouverture nous invite probablement à redéfinir le témoignage. Vaste chantier…
    Laurence Campa

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