Degrutère, Maria (18.. – 19..)

1. Le témoin

Maria Degrutère habitait La Madeleine, un faubourg de Lille. Elle était institutrice dans une école catholique. Elle ne devait vraisemblablement pas être très âgée, dans la mesure où elle évoque une visite de ses grands-parents. On ignore presque tout de sa vie. Le manque d’information biographique sur Maria Degrutère dans l’ouvrage est regrettable compte tenu de la richesse de ce témoignage.

2. Le témoignage

Son témoignage est publié sous le titre « Tableau des évènements particuliers et journaliers », dans Journaux de combattants & civils du Nord, (PU du Septentrion, 1998, pp.161-219). Il débute le 24 août 1914 et s’achève le 19 janvier 1918, au moment de son évacuation vers la France.

3. Analyse

Le témoignage de Maria Degrutère offre un regard intéressant sur la vie à Lille, occupée 1465 jours par les Allemands entre 1914 et 1918.

La situation de Lille, proche du front de Flandre – 15 kilomètres – fait de cette ville une sorte de camp retranché pour les Allemands. Le 16 janvier 1916, Maria Degrutère note : « Nous avons maintenant une vie fort triste. Nous sommes à la merci d’un bombardement, des explosions, des maladies contagieuses. Nous sommes abrutis par la canonnade qui depuis plusieurs mois se fait de plus en plus violente ». Les mesures en cas d’attaque par les gaz sont diffusées : « Nouvelle affiche concernant les gaz asphyxiants. Au son de la cloche ou de la sirène, il faut entrer dans une maison à étages, monter au 1er étage, boucher les portes et les fenêtres, se mettre un linge mouillé sur la figure. » (14 septembre 1916)

Maria Degrutère relaie également dans son témoignage d’autres affiches, émanant de l’occupant, et qui témoignent de la lourdeur des contributions imposées à la municipalité et, surtout, de la fréquence des réquisitions chez les Lillois. Il ne se passe pas une semaine sans que de nouveaux objets soient réquisitionnés : métaux, cuirs, vêtement, etc.

S’ajoutent à cela les réquisitions en service pour fabriquer, par exemple, des sacs destinés aux tranchées allemandes, d’où l’opposition des ouvriers et ouvrières. Par la force, les Allemands parviennent les faire céder. Mais les résistances persistent au sein de la population lilloise. Le 20 avril 1916 est affiché cet arrêté : « L’attitude de l’Angleterre rend de plus en plus difficile le ravitaillement de la population. Pour atténuer la misère, l’autorité allemande a demandé récemment des volontaires pour aller travailler en zone rurale. Cette offre n’a pas eu le succès attendu. En conséquence, des habitants seront évacués par ordre et transportés à la campagne. […] » Ainsi commencent les « enlèvements » de civils (3 femmes pour un homme environ). Maria Degrutère en témoigne : « Cet enlèvement dure toute la semaine à Lille. Chaque jour des soldats allemands (20 par maison) baïonnette au canon arrivent dans un quartier vers 3 heures du matin, font lever tout le monde et emmènent des hommes, mais surtout des femmes et des jeunes filles de 20 à 35 ans pour les conduire on ne sait où. Il y a des scènes indescriptibles, des scènes d’angoisse et d’agonie pour des mères à qui on arrache ainsi les enfants. Plusieurs personnes s’évanouissent, d’autres deviennent folles, certaines sont malades d’essayer de se débattre avec les officiers. […] C’est un spectacle navrant, on nous conduit comme des criminels à l’échafaud. » (23 avril 1916)

On est également frappé, à la lecture de ce journal, par la place que tient la nourriture – ou plutôt le manque – dans les préoccupations de l’auteur et, semble-t-il, des Lillois en général. Le prix des denrées ne cesse d’augmenter. La population civile est exsangue.

Maria Degrutère ne vivra pas la fin de la guerre à Lille : elle est évacuée en 1918 vers la France. Mais elle laisse ce témoignage précieux sur son expérience de civil en région occupée.

08/03/2009

Marty Cédric.

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