- Témoignages de 1914-1918 - https://www.crid1418.org/temoins -

Bussillet, Henri (Bussi-Taillefer, Henri) (1882-1968)

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1. Le témoin

Le docteur Henri Bussillet, alias Henri Bussi-Taillefer n’est pas un inconnu dès avant la guerre. Grand amateur de photographie, qu’il pratique autant en artiste qu’en ethnographe, il est ami de Louis Lumière et va exercer son art entre 1900 et 1910 dans les Alpes, où il est l’un des premiers à faire des autochromes ce, dès 1910. Universellement curieux, y compris en zoologie, il laisse ainsi nombre de collections, de notes et de témoignages de ses découvertes alpines au début du siècle, ainsi que plusieurs ouvrages sur la médecine et la montagne. Le 31 juillet 1914, alors qu’il exerce dans un hôpital de Lyon, il reçoit un télégramme lui intimant de rejoindre la caserne Aubry de Bourg-en-Bresse afin de prendre en compte une ambulance du 23e RI, le « régiment des photographes ». Le 2 août, le terminus ferroviaire échoue dans les Vosges, à Cornimont, pour le regroupement, et il pénètre en vainqueur en Alsace où il participe à la libération de Mulhouse. S’il voit quelques combats, il a fort peu d’activité et se trouve étonné de devoir abandonner la ville quelques jours plus tard. Il y revient pour une seconde libération tout aussi éphémère avant de passer les cols vosgiens dans une retraite plus qu’une déroute. Là commence un nouveau chapitre, celui de la défense des derniers contreforts des Vosges. Il installe pour sa part son ambulance à Saint-Léonard et vit les rudes journées dans ce secteur jusqu’à ce que la décision appartienne finalement aux Français le 12 septembre. Après un séjour à Mandray, il apprend la retraite allemande à l’hôpital de Fraize, participe à la liesse populaire et entre dans Saint-Dié libérée sous les honneurs. La guerre changeant de visage, il abandonne, le 14, ses souvenirs sur les pentes de l’Ormont, à la veille de la cristallisation qui verra le 23ème souffrir d’autres affres sur le sommet de la Fontenelle. Henri Bussillet décède en 1968.

2. Le témoignage

Les campagnes de Mulhouse et les combats dans les Vosges. 7 août – 14 septembre 1914. Notes recueillies par un aide Major du 23e d’infanterie, Dr Bussi-Taillefer, Niort, Imprimerie Nicolas (Niort), 1965, 122 pages

Hélas trop courts et trop lointains (Bussi-Taillefer met en forme ses notes à une date inconnue après la deuxième guerre mondiale), les souvenirs de ce médecin aide major du 23e RI forment toutefois un intéressant complétif des ouvrages sur ce régiment (voir Jean de Langenhager, André Maillet, Joseph Saint-Pierre, Claude-Marie Boucaud (propos recueillis par Jean-Yves Dana), Charles Aguetant, Louis de Corcelles ou le colonel Delorme) mais surtout des souvenirs de Frantz Adam à qui il est à associer intimement. L’ouvrage est constitué d’une succession de tableaux, parfois surréalistes tels ceux de la vision des deux séjours mulhousiens ou impressionnants comme la longue colonne hippomobile de « toutes les armes » abandonnant l’Alsace (page 49). Revenant comme une litanie est la description filigranée de l’incurie des services de santé dans les batailles des frontières où l’auteur confesse à demi-mot s’ennuyer, le 30 août, en pleine bataille des frontières : « Tout le groupe, ainsi que les deux autres médecins du 23e, demeurent en cet endroit sans avoir rien à faire et nous commençons à nous ennuyer (…) » (page 69). Plus loin, Bussi-Taillefer y revient : « Nous sommes trois médecins, sans compter le Médecin-Chef ; nous ne demandons qu’à travailler et à être utiles » (page 71) et enfonce le clou le 5 septembre : « Pour nous, nous attendons, nous n’avons rien de mieux à faire » (page 104). Bussy-Taillefer nous révèle également que les mythifiés « Taxis de la Marne » ont été précédés des « Taxis des Vosges » : « Sur le soir, [du 31 août 1914] a lieu une autre attaque par une section importante de chasseurs à pied venue de Chambéry en taxis. La même erreur ayant été commise, la même charge à la baïonnette, le même résultat imparfait en découle et nos si braves Diables Bleus sont rembarqués, quelques heures après, dans les mêmes voitures, écharpés en première » (page 78). Est-il un bon témoin ? Il est trop peu descriptif et son témoignage est trop ténu pour l’affirmer. En effet, il dit avoir « vu près de la rivière, deux hommes unis entre eux, appliquées l’un contre l’autre, s’étant tués mutuellement à coups de baïonnettes » (page 85) et rapporte les évocations des hommes de l’usage de balles dum-dum, ou, pour le moins, « quelqu’un du groupe, qui présente un cerveau plus calme, dit en toute simplicité qu’il ne s’agit vraisemblablement que de balles retournées » (page 103). Dernière antienne quand, « enfiévrés par la vinasse, par le questch (sic) ou le kirch, les militaires ont fait merveille et repris le col » (page 117). Enfin, la vue de l’ennemi, certes par procuration – celle d’un occupé – est rapportée d’une manière pour le moins « imagée » : « …Monsieur le Major, poursuit-il avec une fureur concentrée…, je les ai vus, ils sont venus ici… Eh bien ! Monsieur le Major, je n’ai jamais rencontré de goinfres pareils et pas davantage, s’il vous plaît, de gens qui sortent des merdes aussi phénoménales, plus grosses que mon bras, je vous en réponds ! …Je ne saurais trop vous le redire, ce sont des têtes de cochons ! » (page 96). Au final, ce court opuscule de souvenirs, non iconographié et couvrant la petite période du 31 juillet au 14 septembre 1914 reste référentiel pour l’étude des combats d’Alsace et des Vosges.

Liste des communes citées (date – page) :

1914 : Bourg-en-Bresse (31 juillet – 7-14), Cornimont (2-6 août – 15-16), Kruth, Thann (7-8 août – 17-20), Mulhouse (8-9 août – 21-34), Lutterbach, couvent d’Olenberg (9-10 août – 34-42), Einsbrücke, Roppe (10-11 août – 43-55), Schweigenhausen, Burschweiler, Pfastatt (16-28 août – 56-63), La Schlucht, Gérardmer, Saint-Léonard (auberge du Saumon) (30 août – 1er septembre – 65-82), Mandray (1er-2 septembre – 82-108), Clefcy, Fraize (2-12 septembre – 108-113), col des Journaux, le Chipal (12 septembre – 114-116), Laveline (13 septembre – 117-118), Saint-Dié, Ormont (14 septembre – 118-119).

Yann Prouillet, Crid 14-18, septembre 2011

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