Sic, Désiré (1883-1972)

Né en 1883 à Entrevaux (Basses-Alpes) dans une famille modeste, Désiré Sic d’abord apprenti menuisier est appelé pour effectuer son service militaire en novembre 1904 au 7e régiment du génie à Nice comme sapeur–mineur de deuxième classe. En 1909, il se rengage au 7e régiment de Génie à Nice, et commence sa carrière militaire. Sergent, il part pour le Maroc en guerre en août 1912. Il y séjourne jusqu’en août 1914.

A la mobilisation générale, il rejoint la France avec son unité, la compagnie 19/2 du génie, rattachée à la Division marocaine. Il laisse de sa campagne plusieurs témoignages : un journal de guerre, quelques comptes-rendus pour ses supérieurs et d’autres pièces administratives parfois originales, mais surtout un volumineux fonds photographique qui permet de suivre les hommes et les travaux effectués par le Génie entre le front et l’arrière-front entre 1915 et 1917, et notamment la préparation logistique de l’offensive du Chemin des Dames.

Depuis Mézières dans les Ardennes, il participe à la retraite puis à la bataille de la Marne dans le secteur des marais de Saint-Gond (combats au château de Mondement). Après la stabilisation du front, son unité occupe un secteur à l’est de Reims, où elle réalise des travaux de protection (fort de la Pompelle, bois des Zouaves, ferme de l’Espérance,…) et participe à la guerre de mines. En janvier 1915, l’adjudant Sic reçoit la médaille militaire à Verzenay (Marne), suite à son comportement lors d’une attaque contre les lignes ennemies. Il est nommé sous-lieutenant le mois suivant. En mai 1915, sa compagnie est affectée dans la Somme, et participe à une attaque dans le secteur d’Acq-Mont-Saint Eloy. Elle y réalise des travaux de construction d’abris et de sapes. Elle participe de nouveau à une attaque dans le secteur de Carency et Souchez (bois de Berthonval) en juin 1915.

Après une période de retrait du front dans les Vosges, Désiré Sic prend part à la deuxième bataille de Champagne, et participe aux attaques des 25 septembre et 6 octobre (butte de Souain). Fin octobre, son unité est mise au repos et à l’instruction à Verberie, près de Pont-Sainte-Maxence (Oise). Promu lieutenant en décembre, il est affecté à la compagnie 7/63 du génie. Il séjourne ensuite de la mi–février jusqu’en août 1916 à Tilloloy (Somme) et Boulogne la Grasse (Oise) où il contribue à fortifier le parc du château et le bois attenant. Il séjourne ensuite dans la Somme et dans l’Oise. Début 1917, sa compagnie transite pour arriver dans l’Aisne le 15 janvier (Coulonge, Courville,…), puis elle oeuvre dès mi–février dans le secteur du Chemin des Dames (Oeuilly, Pargnan, Cuissy, Moulins,…). Affecté à l’état major de l’Armée, le lieutenant Sic dirige alors des travaux de construction de pistes et d’aménagement d’abris ou cavernes (creutes de Verdun, grottes de Jumigny, de Vassogne,…). Autant ces clichés témoignent de la formidable préparation de l’offensive dite Nivelle, autant ses quelques comptes-rendus des premières heures de l’attaque en souligne l’échec immédiat.

Après la relève de son unité en mai, le lieutenant Sic reçoit son ordre de départ pour le Maroc. Il débarque à Casablanca le 17 juin 1917 avec sa femme et son jeune fils, puis gagne Meknès le 8 juillet. Le 30 septembre, trois mois à peine après son arrivée, son enfant meurt de maladie à l’âge d’un an, et son journal est interrompu.

A l’instar du témoignage publié du sapeur Gaston Mourlot, « l’œil en guerre » du sous-officier puis officier Désiré Sic, complété par ses écrits, offre ainsi de pouvoir étudier le travail du Génie dans la Grande Guerre.

Bibliographie : Alexandre Lafon & Colin Miège, Une guerre d’hommes et de machines, Désiré Sic, Un photographe du Génie 1914-1918, Toulouse, Privat, 2014. Colin Miège, La Grande Guerre vue par un officier du Génie, Paris, E-T-A-I, 2014. Voir également le hors-série n° 6 de la Lettre du Chemin des Dames, 2012, entièrement consacré à « Désiré Sic, officier du Génie et photographe au Chemin des Dames », 32 pages.

Alexandre Lafon

Complément (Rémy Cazals, avril 2022).

Vient de paraître :

Colin Miège, « Je te promets, je serai femme de soldat… », Correspondance de guerre (août 1914-mai 1917), Paris, L’Harmattan, 2022, 592 pages.

Colin Miège figure parmi les « passeurs » de la mémoire de la Grande Guerre, comme je l’ai montré dans ma chronique « Écrire… Publier… Réflexions sur les témoignages de 1914-1918 » sur ce même site du CRID 14-18. Le fonds qu’il met en valeur est celui qu’a laissé son grand-père Désiré Sic. Il avait commencé en 2014 en coopération avec Alexandre Lafon pour le premier titre de la collection « Destins de la Grande Guerre » des éditions Privat à Toulouse. Ce livre de 2022 est le sixième issu du fonds. Il reprend cette fois la correspondance entre le sous-officier, puis officier, du génie et son épouse Fernande, commencée dès la mobilisation et arrêtée lorsque la nomination de Désiré au Maroc lui permet de se faire accompagner de sa femme. Les lettres manquantes sont très rares. S’il y a seulement 300 lettres de Désiré pour 1000 de Fernande, c’est parce que celle-ci écrivait tous les jours, tandis que le soldat prenait plus rarement la plume. Les aspects attendus sont présents : lenteur du courrier, censure, envois par des permissionnaires pouvant utiliser la poste civile, codage par points sous les lettres pour former le nom du secteur où l’on se trouve.

Très épais, le livre nous fait pénétrer dans la vie d’un couple de nouveaux mariés pendant trois ans de séparation : l’amour, la souffrance, la jalousie, l’adultère (rarement assumé ailleurs), les nouvelles de la famille, les décès, la naissance d’un fils. Quelques thèmes sont récurrents. Au début, Fernande ne cesse de se plaindre de recevoir si peu de courrier, et Désiré lui répond : sois femme de soldat, laisse-nous nous battre sans jérémiades. Vient le temps où Désiré a acheté deux appareils photographiques et où les questions des prises de vue et des tirages occupent une très large place. Désiré avait pratiqué la photo au Maroc avant 1914. Autre thème : la longueur de la séparation fait apparaître quantité d’allusions érotiques.

Désiré Sic est fier de monter en grade, de recevoir des décorations, d’être remarqué par la revue L’Illustration. Il en est de même pour Fernande. Le gradé fait collection de souvenirs de guerre, fusils, casques allemands, qui s’ajoutent à une collection déjà constituée au Maroc. Le patriotisme du couple est affirmé à plusieurs reprises : il est question de chasser les Boches, de gagner la guerre. Sur plusieurs pages, le lieutenant Sic exprime sa certitude du succès de l’offensive Nivelle du printemps 1917. Une lettre annonce qu’il sera à Laon, puis il est obligé d’admettre qu’il se faisait des illusions. Le 1er janvier 1916, il avait cependant lancé le cri « Vivement la fin de cette guerre ! » Le 29 septembre de la même année, Fernande écrit à son tour : « On se demande quand finira ce carnage. » Elle avait envisagé, si son enfant était une fille, de l’appeler Joffrette, mais Désiré manquait d’enthousiasme pour ce prénom qui aurait été difficile à porter. Le couple échangeait des critiques des « embusqués » restant au Maroc ou obtenant de s’y faire nommer ; cependant Désiré faisait dès la fin de 1915 des démarches dans le même sens. Démarches couronnées de succès, mais la mort de leur fils victime de fièvres mal soignées allait culpabiliser durablement les parents.

Les informations sur la guerre apparaissent rarement, mais on en découvre dans la masse de la correspondance. Désiré décrit certains travaux effectués par le génie : fortifier les tranchées ; établir une ligne téléphonique ; construire un abri ; couper les fils de fer lors d’une attaque ; creuser des mines sous les tranchées ennemies. Les officiers ont une cantine (et non un sac à dos), un cheval, une ordonnance. À Noël en 1914, les soldats de la légion étrangère chantent en plusieurs langues. De son côté, Fernande note qu’il y a des prisonniers allemands au Maroc d’abord, plus tard à Entrevaux. Des réfugiés belges sont allés jusqu’en Algérie. Elle signale les pèlerinages à Notre-Dame d’Afrique à Alger, et d’autres à Entrevaux, tandis que, dans les parages, en quelques jours du mois de mai 1916, Jeanne d’Arc est apparue à un petit berger, et la Vierge Marie à une petite bergère. Fernande ne montre aucune crédulité, et Désiré exprime son scepticisme.

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