Baudel, Elie (1894-1917)

1. Le témoin

Né à Douelle (Lot) le 5 avril 1894 dans une famille de cultivateurs, fils de Augustin Pierre Baudel et de Marie Basiline Rigal, il est le frère cadet de Georges Baudel (1888-1916) et le neveu de Edmond Baudel (1881-1954) eux aussi envoyés au front.

Elie Baudel a 20 ans quand la guerre est déclarée et il part le 6 septembre 1914 dans le 7e régiment d’infanterie dont le dépôt est à Cahors. Il fait partie de l’armée active. Il est nommé caporal le 15 décembre 1914. Il meurt le 28 juillet 1917 au secteur des Eparges dans la Meuse. Il recevra la médaille militaire à titre posthume.

2. Le témoignage

Au cours de la guerre il écrit à son père et s’adresse ainsi à la famille. Son niveau d’instruction à été évalué à 3, comme son oncle, mais tout en maîtrisant l’écriture, il fait des fautes.

Ce témoignage est conservé en archives privées, mais il est presque totalement retranscrit (p. 48-239) dans le mémoire de Master 1 de Lucile Frayssinet, Un fantassin de 20 ans. Lettres d’Elie Baudel à sa famille (1914-1917), Université de Toulouse Le Mirail, juin 2007, 275 p., illustrations.

La correspondance, de septembre 1914 à juillet 1917, est constituée de 340 cartes, 58 cartes-lettres, 98 lettres et 4 télégrammes ; soit 500 envois. Il écrit surtout au crayon à papier, mais il peut lui arriver d’écrire à l’encre ou au crayon à l’aniline. Il écrit régulièrement, tous les trois jours environ et par moment tous les jours à sa famille, et il ne parle que de ce qu’il vit. Lorsqu’il rapporte ce qu’on lui a raconté, il le précise en disant qui le lui a dit et comment cette personne le sait. Parfois même il souligne la méfiance que l’on doit avoir envers les rumeurs. Son récit n’a pas pour vocation d’en faire un héros, il écrit à sa famille avant tout pour dire qu’il va bien et pour avoir des nouvelles.

3. Analyse

Dans sa correspondance, il montre son intérêt pour le travail agricole ; ce qui se fait chez lui, et où ça en est, mais aussi pour ce qu’il voit au cours de ses déplacements. Il s’efforce également d’expliquer ce qu’est la vie dans les tranchées, il évoque les attaques. Il écrit assez librement ce qu’il pense, ce qui rend sa correspondance d’autant plus intéressante. Quelques-unes de ses lettres sont accompagnées de coupures de journaux présentant des photos de tranchées et de destructions, un article, une photo. Il souhaite rapidement la fin de la guerre même s’il veut la victoire de son camp, et il croit qu’avec l’intervention de l’Italie tout sera réglé.

A travers la correspondance d’Elie Baudel, nous pouvons percevoir comment il a vécu la guerre. Ses expériences sont identiques à celles d’autres combattants, il témoigne de l’expérience d’un soldat qui n’a rien hors du commun, et qui essaye à sa façon de s’adapter aux conditions de vie difficiles. Mais, chaque individu ayant sa propre personnalité, certaines réactions lui sont propres ; ses sentiments envers la guerre évoluent ; il fait tout pour s’en sortir, quitte à émettre des revendications à la fin du conflit, afin de faire connaître la réalité du front.

4. Autres informations

Sources

Archives municipales de Douelle : état-civil

Archives départementales du Lot :

– Recensement de 1911

– Registre matricule : cote 1R RM 14

– Liste du tirage au sort et de recrutement cantonal : cote 1R 128 Classe 1914

Lucile Frayssinet, mars 2008

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Valette, Marc (1892-1945)

1. Le témoin.

Né le 20 mai 1892 sur la commune de Saint Cirq Lapopie dans le Lot (à Tour de Faure), Marc Valette passe son certificat d’études et entre au collège à Figeac en vue de l’obtention d’un brevet supérieur. Fils d’agriculteur, il abandonne le travail de la terre pour s’engager dans l’armée en 1912 à Toulouse, avant de servir au 18e Régiment d’Artillerie de Campagne à Agen avec lequel il part dès août 1914. Il se marie en 1917, traverse l’ensemble du conflit avant d’être démobilisé à l’âge de 26 ans pour devenir après guerre contrôleur et contrôleur chef au « PO Midi ». Résistant durant le second conflit mondial, il est arrêté et déporté au camp de concentration de Manthausen où il meurt le 19 avril 1945.

Devenu fils unique après la mort d’une sœur qu’il n’a pas connue, il reçut de sa mère une éducation religieuse et s’est forgé des convictions royalistes, entre conservatisme et modernité.

2. Le témoignage.

Le corpus se compose des lettres échangées essentiellement entre Marc Valette et sa mère, sur des supports variés, et des photographies réalisées par le combattant Valette sur le front. Nathalie Salvy a retranscrit l’intégralité de la correspondance dans son mémoire de maîtrise intitulé « Petite mère… ». La correspondance de la famille Valette pendant la Grande Guerre (Université Toulouse le Mirail, sous la direction de R. Cazals, 2004, cote 11MM667, 1 et 2), ainsi qu’une partie des photographies. L’écriture des lettres est fluide et Marc décrit avec minutie son quotidien et son parcours qui l’a conduit de la Belgique au début de la guerre, à la Marne et à la Champagne, en Artois en 1915, dans l’Aisne en avril 1917. Marc s’autocensure pour ne pas effrayer sa « petite mère » (il cache sa participation à la bataille de Verdun, en ne le dévoilant qu’après être sorti de la fournaise), tout en expliquant ce qu’il voit et ce qu’il ressent. Texte et photographies contextualisées permettent de cerner avec exactitude l’environnement dans lequel évolue le soldat Valette.

3. Analyse.

Voilà le témoignage épistolaire d’un artilleur de campagne servant de canon devenu téléphoniste à la fin du conflit, conscient de la chance qu’il a d’avoir en quelque sorte tiré « un bon numéro » et de ne pas avoir à endurer les mêmes souffrances que les « malheureux fantassins ». Un temps cycliste auprès du colonel en 1915, son témoignage met en lumière les différences qui pouvaient exister au front suivant l’emploi auquel on était affecté. Marc évoque régulièrement le « pays » et note quelques phrases en occitan qu’il utilise avec ses camarades du Sud Ouest. De la guerre, ce sont essentiellement les conditions de vie qui attirent son attention, les abris qui protègent ou non, la puissance des armes utilisées qui peuvent aussi fasciner. Mais aussi les camarades avec qui ont partage son quotidien. Comme de nombreux soldats devenus combattants, Marc Valette part patriote et chauvin, mais l’épreuve de la guerre longue pèse rapidement sur le moral, même pour lui qui se trouve souvent « plus protégé » que d’autres : « je n’aurais pas cru au début que la guerre aurait été si longue » écrit-il un an après le début du conflit. Ainsi, hostilité envers l’ennemi, patriotisme et moral fluctuent avec les expériences plurielles que provoque la guerre, la mort insidieuse et la « monotonie » d’une vie souvent sans relief. Le fatalisme l’emporte peu à peu, et avec lui le cafard et le monde des rumeurs.

Alexandre Lafon, février 2008.

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Garrigue, Marcel (1883-1915)

1. Le témoin.

Né à Tonneins le 11 septembre 1883, issu d’une famille modeste (agriculteur et cigarier), il pratique le métier de serrurier au moment de la mobilisation d’août 1914. Marié depuis 1906 et père de famille, il est incorporé à 31 ans au 280e RI de Narbonne (régiment de réserve), le même régiment alors que celui du tonnelier Louis Barthas, comme lui soldat ordinaire.

Il est tué à l’ennemi le 12 décembre 1915 à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais, sans avoir revu sa famille, qui l’attendait pourtant pour sa première permission (voir la notice Garrigue, Victoria).

2. Le témoignage.

Marcel Garrigue a tenu une correspondance nourrie avec sa femme et sa famille pendant toute la durée de sa présence au feu.

Une de ces lettres, marquante puisqu’il y décrit l’exécution d’un soldat pour l’exemple (31 juillet 1915) a été publiée dans Paroles de Poilus. Lettres et carnets du front 1914-1918, Paris, Librio-Radio France, 1998. « C’était pour fusiller un pauvre malheureux qui dans un moment de folie, tant que nous étions à Lorette, a quitté la tranchée et a refusé d’y revenir ». Cérémonial réglé, « le crime était accompli ». Alain Glayroux a pu récupérer une grande partie des lettres de Marcel Garrigue et les réponses envoyées par sa femme, ainsi que le carnet de guerre qu’il tint du 29 août au 9 novembre 1914, et les présenter au public dans un recueil Portaits de Poilus tonneinquais, publiées aux éditions La mémoire du Fleuve en 2006. Grâce à son intervention, les Archives départementales de Lot et Garonne possèdent désormais ce fond en version numérisé, ce qui permet de pouvoir suivre l’itinéraire de ce soldat lambda plongé dans un conflit dont très rapidement il ne comprend pas le sens.

3. Analyse

A maints égards, cette correspondance de ce soldat du Sud Ouest peut être rapproché des cahiers du caporal Barthas. Mobilisé dans le même régiment au début de la guerre, Garrigue n’hésite pas à se plaindre du froid ou des combats, de la guerre qui dure, « je pense bien que bientôt finira il le faudra bien pour tout le monde » (18 octobre 1914). L’univers des tranchées déstructure le temps (à plusieurs reprises, il se plaint de ne pas pouvoir suivre le mouvement des jours) et oblige les hommes au confinement (lettre du 20 décembre 1914). Il reçoit très régulièrement des nouvelles de sa femme et de ceux du pays mobilisés comme lui, mais aussi des « boîtes de pâté » et des « prunes » afin d’améliorer l’ordinaire. Il évoque un réveillon de Noël pendant lequel Français et Allemands communiquent, certains de ces derniers profitent de l’événement pour se rendre, ils sont alsaciens ou connaissent la France. Le régiment de Garrigue, en Artois fin 1914, se trouve à proximité des troupes anglaises et rentre en contact avec les Ecossais dont les « conserves » semblent meilleures que celles des Français. Il écrit d’ailleurs à sa femme qu’il s’est fait des « camarades anglais ». On retrouve dans ses propos quelques thématiques communes aux témoins versés dans l’épistolaire : trouver les bonnes cartes postales, commentaires sur les colis envoyés et la vie du village, attente de la permission. Les lettres de Marcel montrent, au-delà de ces quelques remarques, un besoin de dénoncer la guerre, et de croire en une fin prochaine, continuellement phantasmée (lettre du 17 janvier 1915, la guerre doit finir à Pâques), jusqu’à la disparition de Marcel en décembre 1915. Il reproche à sa femme de croire ce que disent les journaux.

Son carnet est beaucoup plus centré sur le quotidien militaire : départ, changement de cantonnements (Vosges, puis Artois), bombardement, tranchées, attaques (dont celle de Vermelles qu’évoque Louis Barthas au début d’octobre 1914, et à la même période), celle d’Annequin où les ordres d’attaque ne peuvent pas être suivis par le commandement.

Alexandre Lafon, février 2008.

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Vigne, Aimé (1894-1916)

1. Le témoin

Né le 27 septembre 1894 à Saint-Maurice-sur-Aygues (Drôme). Ses parents tiennent à Nyons l’hôtel Terminus et un commerce d’huile. Il devient comptable dans l’entreprise familiale. Engagé volontaire pour quatre ans en octobre 1912 au 52e RI. Caporal en 1913, sergent-major le 1er septembre 1914, sous-lieutenant au début de 1916. Blessé en septembre 1914. Après une longue hospitalisation, il est en 1916 à Verdun. Blessé mortellement par un éclat d’obus au visage en août. Sa tombe n’a pas été retrouvée.

2. Le témoignage

Le corpus comprend 79 lettres d’Aimé à ses parents et quelques autres lettres, notamment de sa fiancée. Elles sont conservées par la famille. Larges extraits publiés dans Je suis mouton comme les autres. Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., préface de Rémy Cazals, Valence, Editions Peuple Libre et Notre Temps, 2002, 503 p. [p. 215-247], illustrations.

3. Analyse

Parti pour vaincre les Allemands, « ces sacrés troubleurs de la paix universelle » (juillet 1914), il garde jusqu’au bout l’espoir de la victoire sur les « sales Boches » (juillet 1916). Mais, en juin 1916, il écrit à son jeune frère qui veut s’engager : « je te refuse [souligné par lui] mon consentement » et « je prie mon cher papa de te refuser le sien ». Il explique alors que, dans la ténacité des soldats, le patriotisme compte peu : « nos soldats se battent parce que la guerre est devenue, chez eux, une habitude…, ils sont braves parce que… que veux-tu, c’est dans leur sang ».

Entre temps, il a raconté l’épisode de sa première blessure aux deux jambes, comment il a été pillé par des soldats bavarois et protégé par l’intervention d’un sous-officier (les Allemands ayant reculé, il fut ramassé par les Français). Il dit le besoin de recevoir des lettres de la maison et des colis contenant de bonnes choses du « pays ».

Rémy Cazals, 02/2008

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Sénéclauze, Henri (1884-1959)

1. Le témoin

Né le 22 juillet 1884 à Anneyron (Drôme). Cultivateur. Service militaire à Romans. Marié en 1908. En 1914, il a trois enfants. Mobilisé au 75e RI. Grièvement blessé à Verdun en août 1916. Amputé du bras gauche.

Après la guerre, il devient receveur buraliste, jusqu’à l’âge de la retraite, en 1946. Décédé le 3 novembre 1959, renversé par une voiture sur la N 7.

2. Le témoignage

Lettres adressées à sa femme, conservées par la famille. Extraits, avec quelques réponses, dans Je suis mouton comme les autres. Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., préface de Rémy Cazals, Valence, Editions Peuple Libre et Notre Temps, 2002, 503 p. [p. 191-212], illustrations.

3. Analyse

Il décrit les conditions de vie au niveau des animaux. Il aspire à retrouver « l’ancienne vie ». Il épingle le bourrage de crâne par les journaux et les patriotes de l’arrière : « Jean m’a écrit aussi, et comme ceux qui ne participent pas à la guerre il est un peu patriote. » A Verdun, en mai 1916 : « Il paraît que le 140 s’est presque refusé à remonter aux tranchées le dernier coup : si ça pouvait devenir général ! »

Il donne à sa femme des conseils pour les travaux des champs, mais, ajoute-t-il en juin 1916, « je voudrais que tu ne travailles plus ces terres ; et si tout le monde faisait ainsi, la guerre ne pourrait durer plus longtemps, mais malheureusement c’est encore un problème difficile à résoudre : un s’arrêtera et les autres continueront. » Et en juillet : « Que des coups de fusil qui se perdent sur cette bande qui nous gouverne ! »

Rémy Cazals, 02/2008

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Chirossel, Louis (1878-1915)

1. Le témoin

Né le 1er mars 1878 au Pouzin (Ardèche). Certificat d’études primaires. Service militaire au 3e RI de Privas, de 1899 à 1902. Musicien. Marié en 1903. Une fille, née en 1904. Artisan marbrier à Loriol (Drôme). Sa femme est couturière.

Mobilisé comme caporal au 119e RIT de Privas. Envoyé sur le front au 261e RI à la fin d’octobre 1914 (pour des situations proches, voir Barthas, Noé). Sergent en décembre. Blessé le 30 juin 1915, secteur de La Harazée, Argonne. Mort à l’hôpital d’Avignon le 18 août 1915.

2. Le témoignage

Correspondance adressée à sa famille (292 cartes et 153 lettres en un an). Larges extraits (65 pages) dans « Je suis mouton comme les autres ». Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., préface de Rémy Cazals, Valence, Editions Peuple Libre et Notre Temps, 2002, 503 p. [p. 24-89], illustrations.

3. Analyse

Au cours des premières semaines, il est clair que, pour Louis Chirossel, la guerre a pour responsable le « seul Guillaume que Dieu éreinte ». Mais en février 1915, il évoque déjà les « gros meneurs de guerre » français. Et en juin : « Les riches devraient bien y venir un peu ici, ils seraient moins patriotes ! » Il critique les embusqués qui se pavanent à Loriol, les officiers reluisants rencontrés au repos ; il demande à sa femme de ne pas croire les journaux.

Il décrit les tranchées, les avant-postes, les souffrances quotidiennes et les horreurs lors des attaques. Il s’étonne de la capacité d’adaptation de l’être humain. Il signale des exécutions pour abandon de poste et pour mutilation volontaire, ainsi que des échanges de produits avec les Allemands en première ligne.

La correspondance représente un lien fort avec sa femme et sa fille. Il donne des conseils concernant son activité civile du temps de paix. Il remercie pour l’envoi de « mets loriolais ». Il demande à sa femme de garder l’or et de ne pas le verser pour la Défense nationale. Il se félicite de n’avoir qu’une fille et de savoir qu’elle n’aurait pas à endurer de telles souffrances.

« Ce qui m’étonne, écrit-il le 3 février 1915, c’est de voir durer si longtemps pareille abomination que la guerre, car à qui peut plaire pareille brutalité ? Il me semble que cela a assez duré et que quiconque en a le pouvoir devrait essayer d’y mettre un terme, car c’est la ruine pécuniaire, morale et physique générale. Mais devant un pareil point d’interrogation, que faire ? »

Rémy Cazals, 02/2008

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Cru, Jean Norton (1879-1949)

1. L’auteur

La famille Cru, protestante, est originaire de la Drôme. Jean-Pierre Cru, pasteur, épousa en Angleterre Catherine Norton. Six de leurs enfants étaient vivants en 1914. L’aîné, Jean Norton Cru, naquit le 9 septembre 1879 à Labatie d’Andaure (Ardèche). De 4 à 12 ans, il vécut dans une île au large de la Nouvelle Calédonie, où son père était missionnaire. Il doit à ses parents, et surtout à sa mère, son instruction primaire et religieuse. De retour en France, il poursuit ses études au lycée de Tournon jusqu’au baccalauréat. Puis il obtient divers diplômes pour l’enseignement primaire (il exerce un an à Loriol), pour l’enseignement de l’anglais en école normale (trois ans d’exercice à Aubenas). Il devient assistant de français à Williams College (Massachusetts) où, après un an de professorat de lycée à Oran et l’admissibilité à l’agrégation d’anglais, il va rester jusqu’en 1945, avec l’interruption de la guerre. Marié en 1908, il a un fils né en 1911.

Il faut retenir la forte empreinte due à sa vie dans la nature pendant huit ans, celle de l’influence familiale qui a fait de lui un protestant libéral, homme des Lumières, et sa vocation de pédagogue, toujours soucieux de transmettre, soucieux aussi du concret, détestant le mensonge et les phrases creuses. Il fut aussi marqué par l’affaire Dreyfus et l’accumulation de faux commis par les antidreyfusards.

Pour sa biographie pendant la guerre, voir ci-dessous.

Après la guerre, il se fit connaître par la publication de Témoins en 1929 qui est, d’après Jean-Marie Guillon, un ouvrage pionnier, « un jalon qui a marqué l’historiographie de la Grande Guerre et l’historiographie tout court ». L’intense polémique que suscita ce livre est présentée dans l’ouvrage de Frédéric Rousseau cité en bibliographie, ci-dessous, et dans l’annexe à l’édition 2006 de Témoins.

De retour en France en 1946, il mourut le 21 juin 1949 à Bransles (Seine-et-Marne).

2. Le témoignage

Le cas de Jean Norton Cru est particulier. Il n’a pas voulu écrire son témoignage personnel sur la guerre, mais, interpellé par les mensonges proliférant dans la presse et dans beaucoup de livres, il a pensé que, parmi les millions de combattants, on trouverait des « esprits justes, épris de vérité simple, instruits des difficultés de l’histoire, de la valeur relative des témoignages, du besoin de contrôle des faits, de la puissance des illusions, des erreurs des sens, de la persistance des idées acquises ». Ceux-là, ajoutait-il, « notent ou se souviennent et vous les entendrez un jour ». Malheureusement, il y aura aussi ceux qui commettront le sacrilège « de faire avec notre sang et nos angoisses de la matière à littérature ». Son œuvre de critique est aussi le témoignage d’un combattant qui a réfléchi sur le témoignage et lui applique une analyse rigoureuse, mais qu’on ne peut qualifier de positiviste, tant il a cherché à comprendre les intentions des auteurs, les raisons de leurs déviations éventuelles, tant il a compris le dualisme possible de la pensée, tant il a insisté pour que les témoignages soient subjectifs :

Témoins, Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Étincelles, 1929, 727 p. [2e édition en fac-similé, Presses universitaires de Nancy, 1993 ; 3e édition chez ce même éditeur, 2006, avec une préface de Frédéric Rousseau (« Pour une lecture critique de Témoins »), 52 p., et une annexe de 151 p. reproduisant des couvertures de livres étudiés par JNC, les comptes rendus publiés entre 1929 et 1931 et quelques réponses de JNC].

Du témoignage, Paris, Gallimard, 1930, 116 p. + 154 p. d’anthologie « d’après quelques bons témoins ». L’édition de ce titre par Jean-Jacques Pauvert en 1967 dans la collection « Libertés » ne reprend pas l’anthologie, mais ajoute un texte biographique, par Hélène Vogel, sœur de JNC, sous le titre « Sa vie par rapport à Témoins », version revue d’un article paru dans les Annales de la Faculté des Lettres d’Aix en 1961. Les éditions qui ne reprennent ni l’anthologie ni la biographie sont incomplètes.

Plus récemment a été publiée une de ces correspondances de guerre conservées dans les tiroirs, dont JNC signalait l’existence. Il s’agit de la sienne propre, adressée principalement à sa mère et à ses deux sœurs, un corpus de 243 pièces échelonnées du 28 août 1914 au 25 avril 1919, avec en plus une lettre du 9 août 1922 écrite après un retour à Verdun. Si les lettres à sa femme, restée aux Etats-Unis, non publiées ici, étaient sujettes à l’autocensure, il a tenu à ce que quelqu’un de la famille ait su qu’il risquait la mort ; ce fut sa sœur Alice. Le livre cité ci-dessous est enrichi d’un avant-propos qui donne une biographie familiale précise et documentée, et d’une préface qui confirme la condamnation d’erreurs parfois graves commises par certains auteurs, nos contemporains, à propos de l’œuvre de Jean Norton Cru :

Lettres du front et d’Amérique, 1914-1919, éditées par Marie-Françoise Attard-Maraninchi et Roland Caty, préface de Jean-Marie Guillon, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2007, 370 p.

3. Analyse

Dans l’avant-propos de Témoins, JNC établit sa propre fiche de renseignements sur sa campagne militaire 1914-1918 : Arrivé au front le 15 octobre 1914 comme caporal au 240e RI. Sergent en février 1915. Détaché en février 1917 comme interprète à l’armée britannique, puis en août 1917 à l’armée américaine. Adjudant en janvier 1918. En mission de conférences aux Etats-Unis en septembre 1918. Séjour au front : 28 mois aux tranchées (Verdun, puis Champagne, Verdun à nouveau en juin-juillet 1916, Chemin des Dames à la fin de l’année), plus 10 mois à la liaison, plus 10 mois à l’arrière-front. Si Témoins évoque souvent son expérience personnelle, il ne sera question ici que des principaux thèmes abordés dans Lettres du front.

– Les conditions de vie très dures qui le surprennent parce qu’elles ne correspondent pas à ce qu’il avait lu (p. 88) ; les pieds gelés (p. 86), la faim (p. 89), le besoin de légumes frais (p. 178 : « nous avons mangé des conserves pendant si longtemps »).

– La mort, les cadavres qu’on ne peut aller chercher, un cadavre « mis en miettes et nous pûmes en voir des débris à la lorgnette sur les arbres voisins » (p. 97, en contradiction avec l’accusation absurde portée contre lui de vouloir « aseptiser » la guerre). Une attaque allemande au lance-flammes, la riposte féroce des Français qui font peu de prisonniers. Mais, sauf ponctuellement, il n’y a pas de haine pour les combattants ennemis (p. 132). Et (p. 208, lettre du 29 décembre 1916) : « L’immense majorité des combattants ne savent pas s’ils ont tué ou blessé quelqu’un : ils ont lancé devant eux, en plein inconnu, un obus, une balle, ou même une grenade. L’adversaire que l’on cloue au sol d’un coup de pointe c’est une exception tellement rare ! Et même alors le danger que l’on court soi-même est tellement grand que l’on n’éprouve aucun goût pour l’opération, aucun attrait, aucun plaisir excepté celui d’avoir échappé à ce supplément de danger de se faire clouer par l’autre. Nos combattants sont surtout de braves paysans, avec quelques ouvriers, quelques étudiants, etc. et après la guerre je garantis, j’affirme devant Dieu que ces soldats n’auront pas acquis le goût du meurtre, ni des habitudes d’apaches. »

– JNC avoue avoir eu peur et avoir vu que tous les soldats, y compris des troupes dites « d’élite », avaient peur (p. 240), parce qu’ils sont des hommes, « frêles machines de chair qui s’avancent dans une pluie de fragments d’acier », qui « avancent toujours parmi les hurlements des démons et les fracas infernaux parce que c’est l’ordre, parce qu’il le faut, parce que faire autrement n’est pas possible » (p. 207). « Quiconque n’a jamais vu ce que je vois ne s’en fera jamais une idée. » (p. 162)

– Sur les « trophées » de guerre : « J’ai la phobie des souvenirs de guerre dont on est si friand. […] Que ceux qui veulent des souvenirs viennent donc en ramasser où il y en a. » (p. 233)

– Condamnation du bourrage de crâne et de la censure, inséparables. Les photos aussi participent au bourrage de crâne : provision de « photos de guerre » faite en temps de paix aux grandes manœuvres ; vues de la « ligne de feu » prises à 200 km en arrière dans les tranchées d’instruction (p. 109). Les civils font du « patriotisme bruyant, verbeux et ostentatoire » (p. 116). Il a conscience de l’existence d’une langue de bois (p. 307) : « Littérature que certains discours officiels et patriotiques, littérature certains articles sur l’Allemagne : personne n’y croit mais chacun se croit obligé de sacrifier à la mode. »

– Ses lectures de livres de guerre : Genevoix (admirable) ; Renaud (médiocre) ; Marcel Berger (bon document) ; Barbusse (« que je n’approuve pas »). Voir les développements dans Témoins.

– Le bonheur lorsque l’épreuve est finie, c’est-à-dire lorsqu’il est nommé interprète (p. 215 et suivantes), les petites joies éprouvées par lui comme par tous les combattants dans la même circonstance.

– Au moment des discussions des conditions de paix de 1919, lorsque s’affirment les appétits, il comprend mieux les hommes qui, dans les tranchées, l’avaient choqué par leur cynisme, un « cynisme presque général », affirmant : « Justice ! Equité ! mots creux, appât pour les pauvres diables que l’on envoie se faire crever la peau afin que les riches protègent leurs capitaux et gagnent les mines de l’Alsace. » (p. 331)

4. Autres informations

Sources :

– Voir Lettres du front…, p. 347-350.

Bibliographie :

– Leonard V. Smith, « Jean Norton Cru, lecteur de livres de guerre », Annales du Midi, n° 232, 2000, p. 517-528.

Sur les traces de Norton Cru, actes du colloque de novembre 1899, édités par Madeleine Frédéric et Patrick Lefèvre, Bruxelles, Musée royal de l’Armée, 2000.

Frédéric Rousseau, Le procès des témoins de la Grande Guerre, l’affaire Norton Cru, Paris, Seuil, 2003.

Rémy Cazals, 12/2007

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Clavel, Marcel (1894-1976)

1. Le témoin

Marcel Clavel vient d’une famille assez aisée et très instruite et cultivée. Son père est percepteur à Toulouse. En juillet 1914, Marcel est admis à l’Ecole Normale Supérieure. Il est mobilisé le 5 septembre et rejoint le 15e RI à Albi. Puis il part près de Pézenas pour suivre une formation d’officier réservée aux élèves des grandes écoles. Le 5 décembre, il est promu sous-lieutenant et affecté au 164e régiment d’infanterie. Sorti premier du peloton d’instruction, il part pour le front le 10 janvier 1915, à Ypres, pour une période de deux ans et demi, dans une unité de première ligne, le 81e RI de Montpellier. Le 8 juin 1915, il est nommé lieutenant. Le 10 octobre 1915, il est promu au grade de capitaine.

Il a reçu trois citations, la première pour les attaques de mars 1915 à Beauséjour, la seconde pour l’offensive de septembre 1915 dans les secteurs de Souain et de Tahure, et la dernière pour les attaques de Thiaumont en août 1916, où il a été blessé à l’épaule gauche. En 1917, il part, en tant qu’officier détaché du 81e RI, s’occuper de l’instruction de divisions américaines. Le 25 février 1919, il est démobilisé.

Il part à Oxford pour préparer un diplôme sur l’armée anglaise vue par Kipling. En 1920, il retourne à l’Ecole Normale pour passer l’agrégation d’anglais, qu’il obtient brillamment, et il est nommé chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire pour faits de guerre. Il débute sa carrière à l’université de Michigan aux États-Unis en tant qu’agrégé d’anglais détaché. Pendant quatre ans il rédige sa thèse sur Fenimore Cooper. En 1925, il revient en France, il est d’abord nommé au Grand Lycée de Marseille, puis il devient professeur de langue et de littérature anglaise à la faculté des Lettres de l’université d’Aix-Marseille. Il est proposé pour le grade d’officier comme chef de bataillon d’infanterie attaché à la mission de Liaison auprès de l’Armée britannique en 1940. Plus tard, il quitte l’armée comme lieutenant-colonel de réserve.

2. Le témoignage

– Lettres et cartes originales : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 181 (710 pièces).

– Deux versions dactylographiées de la correspondance, intitulées Ultime témoignage sur la première guerre mondiale par un conscrit de la classe 14, normalien de la promo 14 à l’Ecole normale supérieure, agrémentées de documents divers : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 182 ; Bibliothèque municipale de Toulouse (598 p.).

– RIONDET Aurore, « Ultime témoignage sur la Première Guerre mondiale par un conscrit de la classe 14 » : La correspondance de Marcel Clavel (1914-1917), mémoire de Master 1 sous la direction de Rémy Cazals, Toulouse II Le Mirail, 2006, 276 p (144 p. de lettres retranscrites).

3. Analyse

(Référence aux pages du mémoire d’Aurore Riondet)

Expérience combattante :

– découverte de nouvelles régions et des populations locales : p. 199-200,

– sur l’ingéniosité des Belges et leurs coutumes, voir la lettre du 21 janvier 1915, p. 75.

– descriptions précises des secteurs occupés : p. 200,

– pour une description d’une tranchée et des informations sur son organisation, voir la lettre du 23 janvier 1915, p. 76

– vie quotidienne dans les tranchées (conditions de vie, temps de détente et repos) : p. 201-203,

– sur le travail incessant dans les tranchées, voir la lettre du 30 octobre 1916, p. 179.

– rôle du chef (moral combattant, privilèges, courage et protection) : p.204-207.

Sentiments d’un jeune combattant :

– relations familiales (lien affectif, demandes d’informations, sentiment national) : p. 209-211,

– sur son enthousiasme à partir sur le front, voir la lettre du 7 septembre 1914, p.49.

– perceptions de la violence (perte de camarades, force morale, soutien spirituel) : p.212-215,

– sur la douleur de la perte d’un camarade proche, voir la lettre du 17 août 1916, p.172.

– perception des « autres » (rapports avec le Commandement, avec l’ennemi, avec les civils), p.216-219,

– sur l’attribution des récompenses militaires, voir la lettre du 17 août 1916, p. 173.

4. Autres informations

– Registre matricule : Archives départementales de la Haute-Garonne, série 5416W6.

Historique du 81e Régiment d’Infanterie (campagne 1914-1917), par le caporal Gabriel Boissy, 1918, aux Impressions Mistral Cavaillon, numérisé par Lucie Alle, consultable sur www.1914-18.org, rubrique Historiques-Régiment d’infanterie.

– Documents relatifs à la vie de Marcel Clavel (articles, brochures…) : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 183.

Aurore Riondet, 12/2007

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Basset, Abel (1875-1915)

1. Le témoin

Né le 26 mai 1875 à Sérignac dans le Lot (prénoms d’état-civil : Jean Emile). Il est cultivateur chez son beau-père à Courbiac, canton de Tournon d’Agenais (Lot-et-Garonne) lorsque la guerre éclate. Mobilisé dans l’armée territoriale, il est marié et père de deux enfants, propriétaire de quelques terres. Il n’est engagé dans aucun syndicat, association ou autre mouvement d’opinion. Il sait lire et écrire, sans avoir fait d’études importantes. D’abord incorporé dans l’armée territoriale, il part au front au début de l’année 1915 dans la réserve du régiment d’infanterie d’Agen, le 209e RI. Il est décédé le 23 septembre 1915 près de Roclincourt dans le Pas-de-Calais dans une sape. Médaillé militaire posthume.

2. Le témoignage

Il se compose de 150 cartes postales (aucune lettre) envoyées depuis l’arrière puis du front à sa femme et essentiellement à sa fille cadette, Elodie, âgée de 4 ans en 1914. Les textes sont très courts, parfois lapidaires. Hormis les quelques informations que l’on peut dégager des propos tenus par Abel Basset, les 150 cartes envoyées permettent de travailler sur un échantillon iconographique intéressant. Bibliographie : Lafon Alexandre : « Une correspondance de guerre », dans Revue de l’Agenais, n°2 – avril-juin 2005, p. 783-804.

3. Analyse du témoignage

Le corpus de cartes postales et plusieurs indications données par Abel Basset permettent de mieux comprendre comment les combattants ont pu choisir tel ou tel support iconographique pour leur correspondance. Dans le cas de Basset, il apparaît que son choix est lié non pas à une quelconque démarche pré-établie (sauf pour les vues panoramiques permettant de faire découvrir à sa fille les paysages de France), mue par un patriotisme chevillé au corps, mais bien par la possibilité de se procurer les dites cartes : il prenait simplement à l’arrière front ce qu’il trouvait. Sa correspondance dévoile essentiellement ses activités : terrassier, artisan de tranchées (notamment les bagues) et ses liens avec les camarades du « pays ». La guerre est surtout subie (ni haine, ni violence, mais le poids de l’autocensure est ici important) sans être maîtrisée.

Alexandre Lafon, 12/2007

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Despeyrières, Henri (1893-1915)

1. Le témoin

Né le 1er février 1893 dans la commune du Laussou, canton de Monflanquin (Lot-et-Garonne). Issu d’une famille de propriétaires terriens, études au-delà du certificat d’études sans être bachelier, célibataire. Part pour le front en août 1914 avec le 14e RI (Toulouse). Caporal fourrier (23 septembre 1914) puis sergent fourrier (mai 1915). Porté disparu le 8 septembre 1915, secteur de La Harazée en Argonne (55).

2. Le témoignage

L’ensemble de la correspondance adressée par Henri à sa famille, essentiellement à ses parents, a été retranscrite après sa mort alors que la guerre n’était pas terminée sur deux cahiers. Cent cinquante lettres et cartes postales en tout. Une partie est publiée une première fois dans la revue Sous les arcades, de la MJC de Monflanquin (juillet-septembre 2002) par les soins de Claude Bertrand qui jugeait ce document « passionnant et admirable ». La totalité est publiée en 2007 aux éditions Privat (Toulouse) sous le titre : « C’est si triste de mourir à vingt ans ». Lettres du soldat Henri Despeyrières 1914-1915 (préface d’André Bach, présentées par Alexandre Lafon), 294 p.

Le témoignage est également intéressant par sa forme : en premier lieu, il ne souffre d’aucune réécriture. D’autre part, Henri transmet à ses parents à la fin de l’année 1914 dans sa correspondance même le Journal de guerre qu’il a tenu semble-t-il jusqu’au 26 septembre de la même année, ce qui permet une comparaison du texte avec les lettres qu’il a pu écrire à la même période et ainsi percevoir l’autocensure qu’il a pu déployer.

3. Analyse

Henri Despeyrières dévoile des éléments sur des thèmes bien connus du quotidien des combattants : arrivée aux tranchées et leur description (21 septembre, p. 45), abris, secteurs calmes et actifs, importance des liens avec le « pays », la famille et ce que peuvent attendre les parents des lettres de leur fils combattant. Il confirme que la guerre vécue est rapidement condamnée (p. 42), que l’horizon d’attente des combattants est la fin « prochaine » de la guerre (vœu du 1er janvier 1915), sentiment qui s’accentue dans les premiers mois de l’année. La guerre des fantassins est souvent une succession d’actions dont le sens leur échappe, maintenus qu’ils sont dans l’ignorance des secteurs où on les transporte (par exemple fin août-septembre 1914).

Henri Despeyrières trouve étrange de ne participer dans les premiers combats que comme spectateur (« Je n’ai pas encore tiré un coup de fusil », p. 41), comme il trouve étrange que les Allemands communiquent avec les lignes françaises. Son témoignage permet également, dans cette perspective de mieux comprendre les stratégies relationnelles à plusieurs échelles, de voir à l’œuvre les liens tissés entre les soldats : entre les simples soldats et les officiers (suivant leurs caractères et leurs situations militaires, cadres de l’active ou de la réserve), rapport aux camarades avec qui on est parti qui n’ont pas le même statut que ceux qui arrivent ensuite (p. 118). D’autres remarques et réflexions dévoilent des pratiques de guerre à la fois très violentes (dépouiller les cadavres ennemis, p. 96), mais aussi les soins apportés aux blessés faits prisonniers. C’est surtout l’évolution du moral que l’on peut suivre, à la fois constitué de hauts et de bas, mais sur une tendance plutôt négative : une cérémonie d’exécution de soldats français (avril 1915, p. 204), la mort de son beau-frère, la guerre de siège installée et pour laquelle aucune issue n’est plus lisible ou l’inégalité ressentie entre les militaires (sur les régiments plus ou moins exposés par exemple, p. 179) ont tôt fait de faire d’Henri un combattant résigné qui cherche à limiter individuellement son exposition au feu ou à témoigner d’actes collectifs de limitation de la violence reçue ou donnée.

Quelques observations intéressantes, spécifiques ou bien connues :

– Autocensure, les obus allemand inoffensifs, p. 41.

– L’arrivée des « bleus », p. 72.

– La retraite avant la Marne, p. 87-92.

– Un « canard », p. 93.

– L’ami, p. 103, p. 132, p.142.

– Son regard sur son « témoignage », p. 120.

– Rapport de camaraderie avec son lieutenant, p. 158.

– Prisonniers qui se rendent, p. 167.

– Garder sa bonne place, p. 188.

– Refus collectif de monter à l’attaque, p. 192, p. 222.

Alexandre Lafon, 12/2007

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