Laffargue, André (1891-1994)

1. Le témoin

André Laffargue est né en 1891. Il est originaire de Ligardes, un village situé aux limites du Gers et du Lot et Garonne. Après des études au lycée d’Agen, il entre à St Cyr, et entame une carrière militaire de quarante ans. De fait, on se trouve avec André Laffargue devant une existence marquée par les grandes guerres européennes de l’époque moderne. Comme il l’écrit. Il effectue son année de service préalable à Aix en Provence, au 55e régiment d’infanterie. Il quitte St Cyr en décembre 1913, et rejoint en tant que sous-lieutenant le 153e régiment d’infanterie de Toul, au sein duquel il vit la mobilisation d’août 1914. Après une mission initiale de couverture en Lorraine, il prend part aux combats de Morhange à la fin du mois d’août. Puis, la « course à la mer » l’envoie combattre jusque dans les Flandres. En avril 1915, son régiment rejoint l’Artois. Il est blessé gravement à la jambe début mai 1915, lors d’une offensive. Il quitte définitivement les lignes de combat. Lors de sa convalescence, il rédige deux mémoires sur les conditions de réalisation de l’attaque dans la guerre moderne (ces deux études sont publiées chez Plon en 1916, sous les titres Etude sur l’attaque dans la période actuelle de la guerre. Impressions d’un commandant de compagnie, et Conseils aux fantassins pour la bataille). Sur la recommandation de Foch, il entre alors au Grand Quartier Général, où il est affecté au 3e bureau, celui des opérations. Il quitte le GQG début 1917, et rejoint l’Etat-major d’une division d’infanterie. Il vit l’annonce de l’armisitice du 11 novembre 1918 chez Maurice Barrès. Cette amitié révèle l’un des traits principaux de sa personnalité : Laffargue est profondément conservateur, très attaché notamment à la notion de légitimité, à l’idée d’une « terre des morts », garante d’un certain ordre social, à ses yeux disparu.

Après la guerre, Laffargue poursuit son avancée dans les les responsabiltés et les grades, jusqu’au généralat. De 1922 à 1924, il suit l’enseignement de l’Ecole Supérieure de Guerre, dans la même promotion que Charles de Gaulle. En 1926, il entre au cabinet militaire de Joffre, puis, après un séjour dans l’armée du Rhin, il intègre l’Etat major du général Weygand. Il s’attache notamment à la formation de l’infanterie, ce dont témoigne la publication d’un manuel, Les leçons du fantassin. Le livre du soldat, qui connut… 214 éditions jusqu’en 1951! Durant la Deuxième Guerre mondiale, il vit la défaite dans les Ardennes. Au milieu de la débâcle, il traverse les lignes pour rentrer dans le Gers. Weygand l’appelle à ses côtés, et lui confie la direction de l’infanterie. Après avoir assuré le commandement « clandestin » de l’armée des Alpes, il intègre à la fin de la guerre l’entourage de de Lattre de Tassigny, qui lui confie diverses missions au sein de la Ière armée.

Laffargue accepte de témoigner en faveur de Pétain lors de son procès. Mis en disponibilité peu après, il est finalement réintégré, avant de terminer sa carrière militaire en 1951. Il meurt centenaire, en 1994.

2. Le témoignage

Publié en 1962, chez Flammarion, sous le titre Fantassin de Gascogne. De mon jardin à la Marne et au Danube (317 pages). Entre souvenirs et réflexions, le témoignage d’André Laffargue ne laisse finalement qu’une place assez restreinte à son expérience de la Grande Guerre. Le récit de sa participation à la Première Guerre mondiale occupe trois chapitres de l’ouvrage : Ma capote bleu foncé à Morhange, qui couvre les premières semaines de la guerre, avec les opérations de couverture en Lorraine et la Bataille des frontières. Ma capote bleu horizon à l’assaut du 9 mai 1915 aborde l’offensive en Artois, jusqu’à sa blessure à la jambe. Enfin, la pelouse de Chantilly traite de son passage au Grand Quartier Général. La plus grande partie de l’ouvrage traite de l’entre-deux-guerres, et de son parcours durant et juste après la Seconde Guerre mondiale.

3. Analyse

Ce que propose l’auteur, c’est dans un premier temps le compte rendu d’un parcours de militaire durant le 20e siècle : sa vocation, ses études (et notamment son passage par St Cyr et l’école de guerre), ses relations à ses semblables à l’institution. En ce sens, la première moitié de l’ouvrage est assez intéressante, par ce qu’elle nous révèle des éléments qui composent l’imaginaire professionnel d’un soldat comme Laffargue. On soulignera sa critique de l’enseignement proposé à St Cyr, jugé trop morne et sclérosé, les nombreux passages qui témoignent de son admiration pour les chefs (Foch, Joffre, Weygand…), et ses remarques sur la difficulté de l’armée française à s’adapter aux conditions nouvelles de la guerre moderne. Ce qui invite à une lecture attentive de ses deux ouvrages publiés en 1916. Par contre, on comprend assez vite que l’auteur poursuit un autre but dans son livre : justifier sa défense de Pétain lors du procès de ce dernier, réhabiliter l’ « armée de Vichy » (avec de longs développements sur la fiction du « Pétain bouclier » qui préparait en secret la revanche), appuyer son rejet du gaullisme, de la résistance et du parlementarisme (avec notamment une haine prononcée contre Aristide Briand). Il ne faut donc pas se tromper : c’est aussi à un ouvrage politique que nous avons affaire, à travers un exposé de valeurs conservatrices (la légitimité, l’appel au chef…). Bref, le long plaidoyer d’un homme qui semble se refuser à abandonner ce en quoi il a toujours cru.

 

Share

Adam, Frantz (1886-1968)

1. Le témoin

Né le 1er janvier 1886 à Bourg-en-Bresse (Ain) dans une famille catholique aisée, Frantz Adam est un psychiatre confirmé lors de l’entrée en guerre (il est médecin adjoint des asiles et présente les thèses estudiantines dans la revue critique médicale de la faculté de Lyon 1912-1913). Son frère André (Bourg, 7 janvier 1894 – Pont d’Ain, 15 mars 1978), également combattant, fait prisonnier le 22 juin 1915, deviendra après guerre curé puis aumônier à Bourg. Médecin aide-major au 23ème R.I. de Bourg à la mobilisation, Frantz Adam passe médecin-major en novembre 1917. « Type extrêmement brave et modeste » (voir infra, Saint-Pierre, page 1083), il est manifestement apprécié de ses hommes qui le surnomment « Papa Adam » (voir infra, Dana, page 20). Après-guerre, il entre à l’hôpital psychiatrique de Rouffach en Alsace, dans lequel il fait toute sa carrière, et devient un aliéniste réputé jusqu’à sa mort en 1968, ayant institué la doctrine « soigne et traite chaque malade comme si il était ton père, ton frère ou ton fils ». Après avoir édité ses souvenirs (1931), il continue de publier tant sur l’âme alsacienne (1932) que sur la médecine psychiatrique (1937, 1941) jusqu’à sa retraite prise le 1er janvier 1956. Retiré en région parisienne, il décède en 1968 à Villejuif (Val-de-Marne) et est enterré au cimetière de Vanves (92).

2. Le témoignage

adam1.JPG adam2.JPG

Adam, Frantz (dr), « Sentinelles… prenez garde à vous… ». Souvenirs et enseignements de quatre ans de guerre avec le 23ème R.I. Paris, Amédée Legrand, 1931, 193 pages. Deuxième édition (même éditeur, 206 pages) la même année augmentée d’une carte de son parcours de guerre et d’une lettre à Norton Cru (12 pages). Il a lu Norton Cru et avoue que ce dernier l’a obligé à l’exactitude du témoignage, ce qui semble indiquer que son ouvrage a été écrit entre 1929 et 1931. Aux datations ponctuelles mais à la toponymie respectée, ses souvenirs permettent de suivre le témoin dans une narration par tableaux enrichis d’analyses. L’ouvrage n’est pas illustré.

3. Analyse

Le docteur Frantz Adam, qui vit la mobilisation à Châlons-sur-Marne, intègre le 23e R.I. qui s’est stabilisé dans les Vosges au début de novembre 1914. Il est médecin aide-major de 2e classe de réserve du 1er bataillon (cdt Rosset). Il participe à l’organisation d’un secteur qui va devenir terrible, celui de la Fontenelle au Ban-de-Sapt. D’autres lieux vont suivre ; la Somme, Verdun, le Kemmel ou les Flandres dans lesquels l’officier fait son travail avant d’être promu médecin-major, en 1917. Ses souvenirs sont alors le prétexte à dissection de son environnement, afin d’en tirer des enseignements. Sa préface rappelle sa longue « carrière » de combattant au 23e R.I., qu’il intègre le 11 novembre 1914. Responsable d’ambulance dans la commune de Saint-Jean-d’Ormont, il assiste à la formidable organisation défensive de ce contrefort des Vosges, jusqu’au col d’Hermanpère. Quand, le 22 juin, les Allemands déclenchent sur la cote 627 de la Fontenelle une attaque qui décime 452 hommes du régiment en quelques heures, il est du nombre. Lui-même, alors qu’il soigne sous l’obus, est gravement blessé aux jambes par un 210. De son lit d’hôpital, à Bourg, il apprend que la Fontenelle a été reprise. De retour en secteur à l’entrée de l’hiver, il reprend sa tâche sur une cote 627 pacifiée mais toujours mortifère, quotidiennement. Le 20 décembre 1915, il participe avec son régiment au tragique Noël sur le Vieil Armand, qui coûtera encore 24 officiers et 907 hommes. Début juin, le 23ème quitte les Vosges pour entrer dans l’enfer de la Somme, en avant de Curlu : « pour la troisième fois en treize mois » le régiment est à terre, perdant 519 hommes. Viennent ensuite l’Argonne, secteur de la Harazée, la Champagne, devant Reims, puis Fère-en-Tardenois où il assiste aux pénibles « manifestations d’indiscipline ». C’est après Verdun, secteur Tahure, côte du Poivre, à partir de juin 1917 et le terrible Kemmel, secteur des Monts de Belgique, jusqu’à l’été 1918. Entre temps, il a été nommé, à sa grande surprise, médecin-major en novembre 1917 : « officier depuis un peu plus de trois ans seulement, n’ayant que dix-huit mois d’ancienneté dans le grade précédent, je crus à une erreur, voire à une plaisanterie… » (page 146). Le 17 juillet 1918, il est dans la forêt de Villers-Cotterêts où le régiment continue de souffrir. Les derniers mois de guerre sont mouvants et c’est non loin de l’Escaut, à Maereke-Kerkhem, aux côtés du 15-2, qu’il apprend l’armistice. La guerre n’est pas finie, il pénètre en Allemagne, à Aix-la-Chapelle en vainqueur, le 7 décembre, devant une « population (…) dans les rues (…) correcte, presque sympathique à notre entrée triomphale » (page 189). Frantz Adam entre, le 21 décembre 1918, comme médecin à l’asile de Rouffach en Alsace. Sa guerre est terminée.

Outre le témoignage d’un médecin du front, ce livre fournit à l’Historien le regard d’un témoin honnête et observateur dont la volonté est de tirer des enseignements du conflit qu’il a traversé. La large évocation du front vosgien, – où le régiment a passé deux années – moins évoqué dans la littérature de guerre, vient renforcer l’intérêt de ces souvenirs de guerre. Car Frantz Adam s’avère être un fin analyste et un narrateur attachant de son expérience de guerre. Il critique les situations générales comme particulières ainsi que les visions littéraires du front, n’hésitant pas à fustiger les mauvais témoins, allemands notamment (pages 82 et 83). Il a des avis, notamment sur les mutineries, longuement évoquées (page 123 à 127), est sincère et honnête dans sa démarche. Aussi, peu d’erreurs (sauf pages 87 et 101 sur la mort de l’abbé Roux et « ressuscité » sur la Somme) mais surtout de nombreux enrichissements bibliographiques et comparatifs, tant Adam veut étayer ses dires de sources et de chiffres, ponctuent cet excellent témoignage. Au final, cet ouvrage, trop court, est une pièce essentielle du témoignage combattant, tant pour le point de vue d’un médecin du front, que pour celui d’un poilu lucide et doué d’esprit critique et d’analyse. Il est de qualité nettement supérieure à son homologue Bussi-Taillefer (in Les campagnes de Mulhouse et les combats dans les Vosges) dont il est le complétif intéressant au niveau de la chronologie de la narration mais n’a pas toutefois la puissance descriptive d’un Voivenel ou la justesse d’écriture de Duhamel.

Nombre de descriptions, dont et pour cause la plupart médicales, certes sommaires sont éclairantes ; calme de la mobilisation à Châlons-sur-Marne et vue de déserteurs alsaciens (page 15), évocation de l’état sanitaire des hommes du 75e R.I. à Ban-de-Laveline (Vosges) le 20 août 1914, aux espadrilles remplaçant les godillots (page 18) et fatigue du soldat (page 39), il évoque également le combat par intermittence : il faut « détromper les jeunes générations se figurant volontiers qu’à la guerre on passe son temps à s’entr’égorger » (page 43). Il disserte aussi sur la peur (page 44), les lettres au front (page 47), l’alcool, avec une différence entre Français et Allemands (page 82), la défécation (page 82), l’odeur du soldat (page 111), le suicide et les accidents par noyade (page 116) ou grenades (page 118), les infections nosocomiales (page 162) illustrant les autres façons de mourir en guerre avant de s’étonner que « …ce 11 novembre 1918 ne différa pas sensiblement, au Front, d’un autre jour de guerre » (page 178).

Dans la seconde édition, sa lettre à Norton Cru, empreinte d’adhésion et de contestation, lui reproche ses analyses sur le pacifisme d’après-guerre, précisant que les enfants des poilus « ne savent pas grand-chose de la guerre » (page 200) et que le désarmement n’empêchera pas la prochaine guerre.

4. Autres informations

Bibliographie de l’auteur

Adam, Frantz (dr), « Voyons…, de quoi s’agit-il ? » (Foch). La question d’Alsace-Lorraine exposée aux anciens combattants ». Paris, Amédée Legrand, 1932, 145 pages où l’on retrouve la verve de l’auteur, dans une vivante analyse, de même présentation, sur la question d’Alsace.

Rapprochements bibliographiques

Saint-Pierre, Dominique, La Grande Guerre entre les lignes. Correspondances, journaux intimes et photographies de la famille Saint-Pierre réunis et annotés par Dominique Saint-Pierre. Tome I : 1er août 1914 – 30 septembre 1916. Tome II : 1er octobre 1916 – 31 décembre 1918. Bourg-en-Bresse, M&G éditions, 2006, 794 et 825 pages. Adam y est cité pages 434, 629, 1083 et 1084.

DANA, Jean-Yves, J’ai vécu la première guerre mondiale 1914-1918. Paris, Bayard Jeunesse, 2004, 96 pages. « Papa Adam » y est cité page 20 par Claude-Marie Boucaud, l’un des derniers anciens combattants, qui s’en souvenait encore en 2003.

Il est cité pages 83, 85, 87, 89, 91, 93, 95 et 97 dans l’organigramme d’unité de l’historique du 23ème régiment d’infanterie au cours de la guerre 1914-1918. Paris, Fournier, 1920, 140 pages.

A noter deux de ses citations in Les médecins aliénistes et la guerre, cité par http://.bium.univ-paris5.fr/

Yann Prouillet, juillet 2008

Complément : Frantz Adam, Ce que j’ai vu de la Grande Guerre, photographies présentées par André Loez, postface d’Alain Navarro, Paris, AFP & La Découverte, 2013.

Share

Roullet, Pierre (1887-1979)

1. Le témoin

Pierre Roullet est né le 17 mai 1887 à Mozé-sur-Louet, au sud d’Angers (Maine-et-Loire) dans une famille d’agriculteurs de tradition républicaine (Bleus de l’Anjou). Il obtient le certificat d’études primaires en 1898 et reçoit un enseignement de plus haut niveau de la part de son instituteur. Il devient meunier au moulin de la Bigotière, commune de Mozé, mais il doit abandonner le métier pour effectuer le service militaire au 25e Dragons d’Angers (il dit lui-même qu’il est un passionné des chevaux). Il devient brigadier en 1909. Au retour, il exploite le peu de vignes qu’il possède et en loue d’autres. Il se marie le 17 février 1914 (sa fille Lucette va naître en novembre). Lors de l’entrée en guerre, il est détaché comme éclaireur monté au 277e RI de Cholet ; il servira comme agent de liaison du colonel, ayant ainsi l’occasion d’entendre les propos d’officiers supérieurs et de généraux (voir ci-dessous). Démobilisé le 5 mars 1919, il reprend le travail de la vigne, puis une petite entreprise de battage. Il meurt le 11 mars 1979.

2. Le témoignage

Pierre Roullet avait écrit un premier cahier de souvenirs de 63 pages entre 1968 et 1973, date à laquelle il rencontra l’ethnologue toulousain Claude Rivals, spécialiste de l’étude des moulins. A la demande de celui-ci, il rédigea trois autres cahiers sur les moulins, la vie du meunier, des pages pour contribuer à une sociologie de la campagne angevine. Il répondit également par lettres à des questions posées par l’universitaire, lui confiant : « Je vous remercie, M. Rivals, par vos questions vous donnez un sens à ma vieillesse. » Le témoignage repose exclusivement sur la mémoire. Il est forcément incomplet, les épisodes marquants revenant dans le souvenir. Cela peut donner à réfléchir sur ce qui est resté très clair malgré le passage du temps et ce qui a été obscurci (par exemple le bilan exagéré de la répression des mutineries de 1917). Il a l’avantage de faire connaître la vie du témoin avant et après la période de guerre.

Claude Rivals a utilisé cette documentation pour composer le livre Pierre Roullet, la vie d’un meunier, paru aux Editions Jeanne Laffitte (Marseille) en 1983, 234 pages, illustrations. Les deux chapitres sur la Grande Guerre (p. 89-146) occupent la partie centrale de l’ouvrage qui en comporte six. Le témoignage de Pierre Roullet y tient la plus grande place ; des commentaires de Claude Rivals viennent en complément.

3. Analyse

– Nouveau témoignage sur la consternation au moment de l’annonce de la mobilisation, et sur la volonté de chacun de ne pas démoraliser l’autre (p. 104). A Angers, un jeune homme ayant crié « A bas l’armée » au passage du 25e Dragons est « presque écharpé » par la foule.

– L’épreuve du feu en septembre 1914 dans les parages de Nomény, en Lorraine, à la frontière de 1871. Les avant-postes français sont « aux villages de Arraye et Ajoncourt, le premier en France, le second en Lorraine annexée » (p. 108-109). « Les habitants d’Ajoncourt allemand et d’Arraye français étaient restés, nous faisions bon ménage ensemble, c’étaient de braves gens dont les enfants ou les maris étaient eux aussi mobilisés qui en Allemagne, qui en France… Une petite rivière, la Seille, les séparait mais un pont les reliait. » [Sur les combats de part et d’autre de la Seille, près du château de Clémery, dans le même secteur, voir le témoignage de Charlotte Moulis et la notice qui lui est consacrée ici-même.]

– La boue de Verdun (p. 121).

– Le travail de sa femme pendant son absence (p. 125).

– Un bref récit de la mutinerie d’un bataillon du 277e RI au pied de la montagne de Reims (p. 131) et d’incidents au 115e RI dans le même secteur en 1917, date non précisée.

– L’affaire Claire Ferchaud et le refus de marcher si l’emblème du Sacré-Cœur est cousu sur le drapeau (p. 128-129). L’épisode rejoint cette anecdote (p. 115) : « Au début de la guerre 1914, un capitaine bien pensant m’a posé la question suivante : « D’après vous qu’y a-t-il de plus grand que la grandeur de Dieu ? » Je lui réponds : « La bêtise humaine. Si les peuples n’étaient pas si bêtes, nous ne serions pas là à nous entretuer sans nous connaître. » Il haussa les épaules et s’en alla. » Roullet épingle aussi une série de citations de généraux, évêques, académiciens affirmant la beauté de la guerre (p. 133).

– Le propos d’un colonel en mai 1918 lorsque Roullet s’étonne que l’artillerie lourde ne tire pas sur des trains de minerais visibles en territoire allemand aux environs d’Hagondange : « Vous, vos camarades, votre colonel lui-même, nous nous battons pour des intérêts capitalistes internationaux : un de ces deux trains va nous revenir par le truchement de la Hollande ou du Danemark, pays neutres, pour fabriquer canons et munitions, et nous récupérerons l’autre en le recevant sur la gueule sous forme d’obus ou de grenades » (p. 139). « Et pourtant je n’ai pas cessé de croire à la patrie puisque à la deuxième guerre j’ai choisi la Résistance », conclut Pierre Roullet.

Rémy Cazals, juillet 2008

Share

Jolly, Pierre

1. Le témoin

Pierre Jolly est historien, biographe et poète, auteur de plusieurs ouvrages d’histoire contemporaine (Turgot, Necker, Calonne, Du Pont de Nemours entre autres). « Bleu » en 1916, il arrive au front comme téléphoniste au 152e R.I. Sa biographie et son parcours militaire n’ont pu être pour l’heure reconstitués.

2. Le témoignage

jolly.JPG

Jolly, Pierre, Le 13 octobre. Paris, Berger-Levrault, 1964, 193 pages. Préliminairement publié dans la même librairie sous le titre, Les survivants vont mourir. Bataille de la Somme. (1954, 172 pages).

Dans ce livre de souvenirs mâtinés de paraboles écrit entre 1960 et 1964, l’ancien soldat téléphoniste du 15-2 mêle 1916 à 196… dans de permanentes imbrications entre histoire et pèlerinage. Réalités et souvenirs, paraboles et réflexions se mêlent et se confondent lors de la relation de ces quelques jours d’octobre 1916, prétexte au souvenir des lieux mais surtout des hommes, truculents ou énigmatiques, survivants ou à jamais faisant corps avec la boue de la Somme. L’ouvrage n’est pas illustré.

3. Analyse

Après de rapides préliminaires introspectifs sur le sens du sacrifice des soldats de 1916, Pierre Jolly quitte les granges d’Haussez le matin du 10 octobre 1916. Les tuyaux de cuisine parlant de Sailly-Saillisel, il sait qu’il part pour l’attaque dans ce secteur. Sa lente montée en ligne est pour lui le prétexte au souvenir de chacun des membres de son escouade. Alors qu’il parcourt à nouveau cette terre en 196… il revoit Fliette, Grandjean, Demange le Vosgien, Pétrole, Chauvert et tous les autres dont combien ne redescendront pas ? L’attaque du 13 se fera le 14, à 17 heures 10. Le château et les premières maisons de Sailly seront pris aux Allemands, dont Karl Renz, qui reçoit le choc et que Jolly retrouvera longtemps après la guerre, avant l’autre qui lui enlèvera la vie. Quelques kilomètres de lignes téléphoniques posés et un singulier prisonnier allemand plus tard, s’achèvent les souvenirs de Pierre Jolly, du 10 au 15 octobre 1916. Quelques longueurs et une écriture, certes talentueuse, mais par trop alambiquée, minorent cet essai de souvenirs, mâtinés de très – trop ? – nombreuses digressions qui allongent un récit duquel peu d’éléments sont à dégager. D’écriture irréprochable, ces souvenirs apportent peu à la littérature testimoniale et à l’historique du 152e régiment d’infanterie (premier régiment de France), sur lequel pourtant la littérature de guerre n’est pas pléthorique. Un ouvrage anecdotique valant donc pour sa singularité bibliographique. On note une parabole dans une montée au front : « Notre cordée, la cordée des bleus, progresse sur la voie d’une nouvelle accoutumance » (page 63). Il décrit sommairement « la corvée du ramassage des morts (…) en instance de sépulture » (page 98) et dépeint le cimetière de Maurepas au début des années 60, parabole sur l’oubli : « la plupart des noms sont fatigués de ne plus être lus » (page 90). Il évoque le vol entre soldats (page 87) – marquant par là même l’attachement au sac, lien avec le civil – et nous montre un fait semble-t-il réel de « deux soldats, du 15-2 et du 64e bavarois qui s’étant embrochés se regardèrent mourir l’un sur l’autre » (page 159). Son évocation d’un ancien combattant allemand duquel il s’est rapproché illustre la communauté des poilus de l’après-guerre.

Dans les quelques toponymes cités dans l’ouvrage, on retient Haussez (Seine-maritime) (p. 17), Amiens (p. 26), cote 131, Hardecourt-aux-Bois (p. 39), Péronne, Combles, ferme de Monacu, bois de Hem, bois des Ouvrages, Curlu, bois Vieux, bois Neuf, bois Sabot, ravin de Maurepas, bois du Quesne, bois Savernake, bois Louage (p. 49), Rancourt (p. 59) et Sailly-Saillisel (p. 154).

4. Autres informations

Les survivants vont mourir ont été traduits en allemand sous le titre « Und die überlebenden werden sterben. Erzählungen », Kiepenheuer & Witch, 1956, 187 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

Share

Alain (Emile-Auguste Chartier) (1868-1951)

1. Le témoin

alainportrait.JPG

Emile-Auguste Chartier dit Alain est né à Mortagne-au-Perche le 3 mars 1868. Philosophe, journaliste et professeur de français, il publie dès 1903 plusieurs milliers de chroniques sous le nom d’Alain et est connu comme pacifiste avant guerre. A la déclaration des hostilités, bien que non mobilisable, il s’engage dans l’artillerie et est affecté au 3e régiment d’artillerie lourde. Gravement blessé au pied à Verdun le 23 mai 1916, il fait un court séjour aux services météorologiques de l’armée, sera démobilisé en 1917, restera estropié et reprendra sa carrière de professeur. Son nom reste attaché au pacifisme et à l’antifascisme. Il décède au Vésinet le 2 juin 1951 et est enterré au cimetière du Père Lachaise.

2. Le témoignage

alain.JPG

Emile-Auguste Chartier dit Alain, Souvenirs de guerre. Paris, Hartmann, 1937, 246 pages, non illustré, portrait en frontispice.

Alain écrit ses souvenirs en 1931 et précise en faire « quelques ajustements, mais sans rien changer à cette couleur des opinions » (page 243) en mai 1933. Ces souvenirs présentés d’une manière vaguement chronologique comportent peu de dates et quelques lieux seulement pourront aider à suivre le narrateur dans ses trois années de périple. On trouve néanmoins dans l’ouvrage quelques tableaux assez bien descriptifs de ces lieux occupés par Alain et de nombreux détails techniques, restant superficiels toutefois. La période couverte s’étale d’octobre 1914 à octobre 1917.

3. Analyse

Alain a 46 ans lorsqu’il s’engage comme volontaire au 3e RAL en octobre 1914 et rejoint avec sa batterie le village de Beaumont, entre Toul et Saint-Mihiel. Dès lors, l’écrivain-philosophe-soldat relate les épisodes marquants qui lui reviennent à l’esprit et qui vont lui donner le prétexte à une réflexion profonde et débridée sur la guerre et les impressions qu’elle lui inspire. Employé dans plusieurs postes, rarement très loin des combats, Alain, simple brigadier malgré ses lettres et son cursus, va parcourir la guerre jusqu’en octobre 1917 et observer, parfois commander mais surtout réfléchir à sa condition et à celle des hommes qu’il côtoie. Il donne libre court à son esprit critique et juge tant le détail que la nature humaine avec un soupçon de révolutionnarisme. Il parle aussi objectivement de la technique, de ses métiers et des lieux qu’il parcourt, ceci sans soucis de continuité ou de lien, laissant courir sa plume au gré de ses souvenirs. On sent toutefois présente dans la fin du récit une certaine lassitude de la guerre et c’est sans regret que l’auteur quitte le front en octobre 1917.

L’attrait de ces souvenirs réside tant par la richesse des impressions qu’ils contiennent que par l’origine de leur auteur. Alain, philosophe-soldat nous fait plonger dans le minuscule univers de son champ de vision et fait surgir quelques réflexions sur le monde qu’il nous présente de manière débridée. Ainsi, par delà le simple récit d’un combattant de l’immédiat arrière front se trouvent illustrés un état d’esprit et une vision fort justes de personnages divers, décrits au gré des rencontres. Philosophe soldat, la guerre semble un laboratoire de l’âme humaine qu’Alain analyse en temps réel. Un ouvrage donc riche de sentiments (lire ses impressions en montant à Verdun, page 198 ou ses sentiments de permissionnaire après 17 mois de front, page 154), de réflexions logiques ou philosophiques d’une portée très abordable  – parfois même naïve (Alain se demande (à Souain) si la viande d’un cheval blanc est comestible, comme le dit la rumeur, page 115) – avec également de nombreux détails techniques utiles sur l’artillerie ou des tableaux simplement décrits (tels les jeunes conscrits qu’il dépeint comme : « Cette jeunesse avait quelque chose de vieux » page 168). Quelques thèmes récurrents sont abordés tels l’espionnite (pages 62 et 64). Il évoque également Norton Cru (page 21), parle de la gnôle, « l’eau des braves » (page 147) (voir aussi sur l’alcool, remède de troupe pour le vaccin contre la typhoïde : « boire à mort et dormir 24 heures » page 179), et l’on retient sa citation « Le front commence au dernier gendarme » (page 43).

4. Autres informations

Rapprochements bibliographiques – bibliographie de et sur l’auteur

Alain (Chartier Emile) Souvenirs de guerre. Paris, Hartmann, 1937, 246 pages.

Alain (Chartier Emile) Mars ou la guerre jugée. Paris, Gallimard, 1921, 258 pages.

Alain (Chartier Emile) Correspondance avec Elie et Florence Halevy. Paris, Gallimard, 1958.

Alain (Chartier Emile) Suite à Mars. Convulsions de la force. Paris, Gallimard.

Alain (Chartier Emile) Propos d’un Normand. Tome V : 1906-1914. Paris, N.R.F., 1960, 312 pages.

Alain (Chartier Emile) Méditation pour les non-combattants. 21 propos d’Alain (1907-1914). Paris, 1914, 32 pages.

Alain (Chartier Emile) Le Citoyen contre les Pouvoirs. Paris, Simon Kra, 1926.

Alain (Chartier Emile) De quelques-unes des causes réelles de la guerre entre nations civilisées. Paris, Foulatier et Bourgne, 1988.

Gontier Georges Alain à la guerre. Paris, Mercure de France, 1963, 179 pages

Vollerin Alain Alain et Tresch. 1914-1918. Un philosophe, un peintre dans les tranchées. Une rencontre improbable. Paris, Mémoire des Arts, 2005, 95 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

Complément : Alain, Lettres aux deux amies, Paris, Les Belles Lettres, 2014, 681 p. Les deux amies sont Marie-Monique Morre-Lambelin et Marie Salomon, largement citées par ailleurs dans Marie-Louise et Jules Puech, Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916 présentée par Rémy Cazals, Ampelos, 2015.

Share

Laporte, Henri (1895-1982)

1. Le témoin.

Henri Laporte est né à Étréaupont (Aisne) en 1895. Reçu au concours d’entrée des Arts et métiers, il intègre finalement avant guerre l’administration des chemins de fer. Témoins de la retraite en août 1914 alors qu’il habite avec sa famille à Hirson (Aisne, à quelques kilomètres de la frontière belge), il reçoit son ordre d’appel à Montreuil sous bois où il est réfugié avec sa mère et ses deux sœurs le 27 novembre 1914. Après plusieurs mois d’instructions au dépôt du 151e RI à Quimper (stationné en temps de paix à Verdun), Henri Laporte part volontaire pour le front le 10 avril 1915. Deux fois évacué, une première fois en 1915, puis en 1916 après une blessure par obus, il termine la guerre au dépôt à l’arrière, inapte au service armé.

2. Le témoignage

Publié en 1998 (Laporte Henri, Journal d’un poilu, Paris, Mille et Une Nuits, 135 p.), l’ouvrage ne reprend que des extraits du journal de guerre d’Henri Laporte dont on peut consulter les originaux auprès de l’Association pour l’autobiographie (APA, 015000 Ambérieu-en-Bugey). Du point de vue de la forme du témoignage, à plusieurs reprises, l’auteur évoque ses « souvenirs » mais qu’il appuie dans une première partie sur un carnet de route tenu pendant le conflit (jusqu’au chapitre VIII, p. 92). La deuxième partie n’est écrite qu’à partie « de souvenirs lointains, basés sur quelques notes prises au hasard, sans beaucoup de détails » (p. 92). L’auteur semble avoir arrêté son carnet après son passage, difficile, dans la fournaise de Verdun. L’ensemble du récit couvre une période s’étalant de la fin août 1914 à janvier 1919 au moment de la démobilisation de l’auteur. Henri Laporte décrit dans son récit avec minutie à la fois la variété des combats auxquels il a participé, et la découverte du feu de l’artillerie qui anéantit les hommes sans que ceux-ci ne puissent en maîtriser la puissance. D’abord en Argonne, il découvre le front dans le secteur de La Harazée, précisément dans le ravin de Blanloeil. Il participe alors à plusieurs combats très meurtriers dans une partie du front alors active (voir attaque allemande et résistance du 1er juillet 1915 décrites avec beaucoup de détails, p. 56-58). En juillet 1915, il est une première fois évacué du front pour une fièvre typhoïde et après plusieurs séjours dans les hôpitaux de la zone des armées et de l’arrière (Tarascon), il reprend le chemin du dépôt en septembre. Comme Henri Despeyrières (caporal fourrier), Laporte devient très rapidement agent de liaison dans la compagnie de mitrailleuse de son régiment. Après un séjour « monotone », marqué par le froid et l’humidité en Champagne, entre Suippes et Tahure fin 1915, le régiment d’Henri Laporte se porte par une marche forcée de trois jours sur le front de Verdun dès le 25 février 1916. Les pages consacrées à cette période couvrent une partie importante du témoignage publié, dans lesquelles s’étalent l’horreur des combats, entre la fureur du bruit et la puissance des obus, et le « massacre » des hommes tirés à vue par les mitrailleuses. Mis au repos plus au sud toujours en Lorraine, le combattant Laporte est gravement blessé dans la Somme. Evacué sur l’arrière, il se voit définitivement classé « inapte aux armées » à Quimper en août 1917. La guerre pour lui se terminera entre dessin et formation musicale dispensée aux blessés et aux jeunes recrues avant leur départ au front.

3. Analyse.

Le récit d’Henri Laporte permet en premier lieu de suivre l’intégration progressive de la jeune recrue dans son uniforme de soldat, puis dans la guerre elle-même. D’« amateur », le civil, encore vêtu du costume de ville au dépôt, devient après le « baptême du feu », un vrai « poilu ». Ainsi, la guerre se découvre peu à peu, de l’arrivée dans la zone des armées à celle en première ligne. Très vite, elle impose une réalité qui ne correspondait pas à ce qu’en attendait le jeune homme. Devant le spectacle des corps mutilés de ses camarades, Henri écrit après quelques jours dans les tranchées, « quelle horreur, la guerre » (p. 45). Les lettres reçues de sa mère l’aide sans aucun doute à tenir, tout comme la participation aux cérémonies religieuses lorsqu’il le peut (p. 42). Si l’on retrouve certains thèmes connus (duels d’artillerie qui ravagent les unités, conditions de vie des fantassins au front, mouvements de troupes), ce témoignage met en lumière la grande variété des secteurs rencontrés (secteur où parfois une entente tacite permet de limiter la violence – p.95) et le cycle irrégulier de violence/repos. L’auteur regrette ainsi l’Argonne (pourtant secteur actif mais où la guerre vécue correspond à la représentation de l’auteur) lorsque son régiment se porte en Champagne où l’artillerie écrase les hommes. Verdun reste la grande épreuve, tant du point de vue de la violence subie, que de celle mise en œuvre contre un ennemi qui n’est dans son récit jamais rabaissé.

Henri Laporte évoque avec force le rapprochement entre les hommes provoqué par la guerre : certains camarades deviennent des compagnons, parfois des amis avec lesquels la complicité partagée permet d’atténuer la pesanteur de la vie militaire et guerrière. Parti seulement soldat, Laporte devient combattant, puis « poilu », le bleu s’efface pour devenir vis-à-vis des autres « l’ancien », alors que peu de camarades partis avec lui ont survécu. Riche de plusieurs mois dans les tranchées, il est porteur d’une expérience partagée ensuite avec les nouveaux arrivants. Cette camaraderie de tranchée s’étend au-delà du champ de bataille, puisque Henri trouve lors de sa convalescence une place dans une entreprise parisienne grâce à l’un de ses camarades de combat.

Ainsi, sans être forcément d’une grande originalité, ce témoignage offre néanmoins quelques informations supplémentaires pour la compréhension de l’impact de la guerre sur les hommes qui la firent.

Alexandre Lafon, juillet 2008.

Share

Lacombe de La Tour, Bon (1889-1940)

1) Le témoin

Né le 19 novembre 1889 à Paris (18e arrondissement). Père : Alphonse Eugène Elie Lacombe de la Tour, militaire de carrière ; chef d’escadron de hussards puis commandant de l’Ecole de Guerre puis commandement d’une division de cavalerie pendant la Grande Guerre. Gouverneur militaire de la province de Luxembourg après la guerre. Mère : Marie-Madeleine Martelet.

Différentes affectations dues à son statut de militaire de carrière. 21 septembre 1910, 2e classe au 21e Régiment de Chasseurs à cheval. Brigadier puis maréchal des logis en 1911. Entre à Saint-Cyr le 12 décembre 1911. Sous-lieutenant le 10 juillet 1913. Affecté au 3e Chasseur à cheval. A la déclaration de guerre, appartient au 4e Chasseur à cheval. Nommé lieutenant le 1er octobre 1914.

Appartient au 10e BCP durant la guerre. Le corps franc est constitué d’éléments hétérogènes provenant du Centre d’instruction divisionnaire et de différentes unités constituant la 170e D.I. (3e et 10e B.C.P., 17e et 116e R.I.). L’auteur mentionne des « chasseurs », des « cavaliers » et même des territoriaux lorsqu’il est chargé d’occuper et diriger le centre de résistance de la Renière (le front est tenu de façon discontinue grâce à ces multiples C.R. du côté français comme du côté allemand). Pour une opération particulière, le corps franc peut être renforcé par des pelotons d’élite d’autres unités (voir, par exemple, p 20) ou des unités ayant des compétences particulières (sapeurs du Génie pour destruction des réseaux, p 21).

Nommé capitaine le 26 juillet 1918.Marié le 17 décembre 1934 à Cécile Ker-Saint-Gilly. Campagne en Syrie et au Levant. Affecté au 1er Régiment de Spahi Marocain puis au 21e Spahi en 1921. En 1932, est nommé chef d’escadron au 6e Régiment de Spahis algériens. Rentre en France en 1939, prend le commandement d’un groupe de légionnaires volontaires du 1er Régiment Etranger de Cavalerie. Mortellement frappé au combat le 9 juin 1940 dans le bois de Noroy (Oise).

2) Le témoignage

La Vosgienne 1917-1918. Une compagnie franche dans la Grande Guerre. Souvenirs du lieutenant-colonel Bon De la Tour, Société philomatique vosgienne (collection « Temps de Guerre »), 2000, 104 p.

Présentation et préface : Jean-Claude Fombaron et Yann Prouillet.

3 cartes, photos, 3 annexes.

3) Analyse

Décembre 1917 – janvier 1918 : patrouilles spatialement très restreintes dans le secteur de la ferme de la Planée (ouest de la forêt communale de Celles-sur-Plaine) puis, dans un premier temps, prudentes patrouilles aux lisières du « bois Neutre ». Occupe et dirige parallèlement le centre de résistance dit de la Renière (avec P.C « au château d’eau »). L’exploration du bois Neutre est faite lors d’ « une vaste opération » sans aller jusqu’au lignes allemandes.Cantonne au village de Nompatelize (lieu qu’il connaît déjà pour y avoir combattu en 1914).

Février 1918 : patrouilles dans le secteur de Launois et du Ban-de-Sapt.

Mars 1918 : à partir du 1er, préparation d’un coup de main d’envergure dans le secteur de Saint-Jean-d’Ormont. Répétitions et entraînements dans le secteur de Nompatelize. L’opération prévue pour la nuit du 8 au 9 est finalement déclenchée puis annulée face aux difficultés techniques. L’auteur part vers le Moulin de Frabois pour continuer la préparation du coup de main qui a échoué. Le projet de coup de main est reprogrammé pour la nuit du 12 au 13. Les choses ne se passent pas comme à l’entraînement et on ne parvient pas à mettre en place les charges allongées avant le déclenchement des tirs de l’artillerie.

21 au 31 mars : région de la Faite, cote 604, pour la préparation d’un autre coup de main visant à faire des prisonniers. L’opération qui échoue dans la nuit du 31 au 1er est remontée la nuit suivante et réussit.

Avril 1918 : du 7 au 15 avril, préparation d’un coup de main sur le bois de Laitre (Ban-de-Sapt). L’opération initialement prévue pour la nuit du 15 au 16 est abandonnée du fait d’un orage. L’opération est accomplie le 15, de jour, à la faveur d’un brouillard. Entre temps, Bon de La Tour a modifié ses plans et obtenu l’aval du général Rondeau.

Nuit du 15 au 16 : constatant que l’unité allemande qui est face à lui n’a pas encore opéré de patrouille, il préfère tendre une embuscade à cette éventuelle patrouille (secteur Saint Jean d’Ormont – Vercoste). Une patrouille allemande sort de la tranchée de la Sane par le point 53-36 mais échappe à l’embuscade française qui n’a pas su respecter les plans initiaux. Le coup de main est reprogrammé pour le 17 au soir dans le même secteur, avec soutien d’artillerie. Il réussit et permet de ramener 3 prisonniers.

19 avril : La Vosgienne doit épauler un autre corps franc sur le secteur de la Chapelotte mais la 170e D.I. est avisée qu’elle doit changer de secteur. L’opération est annulée.

Mai 1918 : déplacement de la 170e D.I. dans la région d’Epinal puis transport jusque dans la région de Senlis (Fleurines). Le corps franc est entraîné comme troupe de choc en vue d’une offensive ou contre offensive.

Septembre 1918 : mention de la dissolution de « la Vosgienne ».

Les souvenirs du lieutenant colonel Bon de La Tour constituent un témoignage d’une belle tenue et d’une grande précision chronologique pour appréhender le fonctionnement d’une compagnie franche dans les Vosges en 1917-18. Le premier mérite de ce témoignage est sans doute de montrer combien il est délicat et complexe de monter un coup de main afin de ramener des prisonniers. Pénétrer dans les lignes adverses défendues par des réseaux atteignant par endroit plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur et gardés par des petits postes n’est pas chose simple. Parvenir à capturer des prisonniers qui ont reçu l’ordre de se replier en cas d’attaque, dans des lignes très faiblement occupées l’est encore moins. Les objectifs des premières patrouilles sont donc modestes mais permettent à la troupe et à son commandement de s’aguerrir. Pour un type d’opération plus ambitieuse, une préparation minutieuse s’impose. Les membres du corps franc passent bien plus de temps à observer les habitudes de l’ennemi, préparer et répéter l’opération qu’à l’accomplir. Ils se construisent patiemment un savoir-faire technique : analyse du renseignement pris au contact de l’ennemi, neutralisation des réseaux et coordination de l’action avec l’artillerie.

Le second mérite de ce témoignage est de montrer que l’échec est un paramètre incontournable de ce genre d’entreprise : l’action respecte rarement les scénarios répétés au cours des entraînements. L’imprévu fait partie intégrante de l’opération et menace sans cesse ses chances de réussite. Les échecs sont au cœur de ce témoignage. C’est l’analyse de leurs causes qui permet d’améliorer la préparation de l’opération suivante.Loin des clichés littéraires (Capitaine Conan de Vercel), Bon de la Tour montre aussi que les corps francs ne sont pas exclusivement constitués de soldats d’élite et que les défaillances de certains soldats ne sont pas si exceptionnelles que cela. La compagnie franche ne s’aguerrit qu’avec le temps et chaque échec permet d’en éliminer les maillons les plus faibles. Et même lorsque le corps franc ne sera plus constitué que d’éléments triés, notre témoin montre qu’il tolère chez ses hommes une défaillance ponctuelle. Tolérance d’autant plus naturelle que l’auteur de ces souvenirs sait également objectivement mesurer les siennes (cf. p 62).

Soulignons enfin combien l’existence de ces compagnies atypiques est précaire : leur longévité au sein d’une division est souvent liée à leur capacité à réussir les difficiles missions qui leur sont confiées.

J.F. Jagielski, juin 2008

Share

Muzart, Georges (1869-1961)

1. Le témoin

Né le 11 mars 1869 à Fismes (Marne). Géomètre-expert de formation (fonction qu’il remplira jusqu’en 1927). Service militaire au 3e Génie d’Arras. S’installe à Soissons en 1898. Elu conseiller municipal de cette ville en avril 1912. Mobilisé du 2 au 31 août 1914 comme G.V.C. puis de décembre 1916 à février 1917 (rappel de la classe 1889). Maire de Soissons en 1915 par délégation préfectorale jusque fin 1916. Conseiller d’arrondissement à partir de 1919 (radical-socialiste). Reçoit la Légion d’Honneur pour son comportement durant la Grande Guerre (décret publié au J.O. du 10 janvier 1921). Premier adjoint au maire en 1925. Occupe différentes fonctions durant l’entre deux guerres : président de la chambre des géomètres experts de l’Aisne, président du syndicat agricole de petite et moyenne culture, président de la société coopérative de reconstruction. Suite au décès du maire de Soissons, Fernand Marquigny, prend la succession de celui-ci en 1942. Se retire de la vie publique après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Décédé le 1er août 1961.

2. Le témoignage

La première version publiée de ce témoignage l’a été dans le journal La Dépêche de l’Aisne.

La première version éditée de ce témoignage s’intitule Soissons pendant la guerre, Editions Soissonnais 14-18, 1998, 261 p., ISBN 2-9508870-2-3 (préface de Denis Rolland et Jean-Luc Pamart, illustrations photographiques). Cette édition comprend deux annexes qui ne font pas partie du témoignage de Muzart : « Visite de Georges Clemenceau en 1919 » (p 241-249) et « Visite de Raymond Poincaré, le 12 février 1920 et remise de la Croix de la Légion d’Honneur à la ville » (pp 249-260). L’édition de 1998 ne respecte pas la version présentée dans la presse : elle ne traite que de la période allant de 1914 à 1925 alors que le manuscrit (conservé par la famille) couvre la période allant jusqu’en 1944 ; un redécoupage en chapitres a été établi, découpage que nous reprenons dans l’analyse de ce témoignage. Les préfaciers indiquent la suppression de « rares passages » tout en précisant que « la forme, malgré certaines lourdeurs, n’a pas été modifiée. » (voir préface p 5)

Notons enfin que ce témoignage cite régulièrement le contenu de certains documents officiels (affiches, délibérations, comptes-rendus de conseil municipaux, etc…) et rapporte le contenu d’autres témoignages de civils et militaires (oraux ou écrits) qui ont été confiés sans doute tardivement à l’auteur (pp 55-56, 78-80, 109-118 par exemple). Il se veut également un témoignage visant « à rétablir la vérité historique » (p 122), notamment lorsque les propos du témoin ou des témoins cités contredisent les versions officielles défendues par les militaires (affaire de Crouy).

3. Analyse

L’intérêt de ce témoignage de semi-civil (quittant assez rapidement son affectation de G.V.C) repose sur deux aspects qui nous paraissent essentiels : la durée sur laquelle porte ce témoignage (des prémices de la guerre jusqu’en 1919) et la place qu’occupe ce témoin dans une ville de province où la quasi totalité des édiles abandonnent la ville face à la menace ennemie ou aux conditions de vie extrêmement délicates puisque Soissons, jusqu’en 1917, est une ville qui se trouve en première ligne.

Prémices et occupation allemande (p 6-57)

La relation de la période qui précède l’occupation de la ville par les Allemands est particulièrement riche. On y voit l’entrée en guerre d’une petite ville de province qui se trouve sur la route de Paris. La description de cette période abonde en notations relatant la mobilisation et le départ de la garnison locale (67e R.I.), les premières mesures prises par les autorités municipales face à la menace de guerre (comité de secours), l’attitude des Soissonnais en cette période de tension (brèves manifestations patriotiques et ambiance d’union sacrée, montée de l’angoisse face à l’absence de nouvelles et à l’afflux de réfugiés colportant les premières rumeurs d’atrocités allemandes, rapide apparition de l’espionnite) et la première prise de contact avec les réalités de la guerre (trains de blessés, mise en place d’ambulances, mobilisation des services hospitaliers, premières inhumations).

Avec l’arrivée des Allemands, le témoignage se précise encore : abandon de la ville par les troupes franco-anglaises, disparition des édiles locales à de rares exceptions près, peur et violence des troupes allemandes envers les civils (boucliers humains, pillages, viols, menaces de brûler la ville, exécutions sommaires, prise d’otages). Muzart fait alors partie des rares élus qui sont demeurés en ville et qui décident, par la force des choses, de devenir les interlocuteurs de l’armée d’occupation. Les Allemands se servent (vins, vivres) ou ont recours aux réquisitions que l’auteur doit essayer de satisfaire au mieux sans toutefois aller trop loin et devenir ainsi complice de l’ennemi. La position est délicate et ce, d’autant plus, qu’il faut remettre en état de fonctionnement les commerces ou les industries de première nécessité (boulangeries, moulins) pour nourrir la population civile qui est restée dans la ville ainsi que les réfugiés (populations venant de Belgique et du Nord, Verdunois). Bénéficiant d’un laisser-passer lui permettant d’aller réquisitionner la campagne, Muzart décrit également les violences que subissent les fermes aux alentours de Soissons.

L’apparition de convois allemands se dirigeant vers le nord, bientôt suivis de soldats, laisse entendre aux habitant de la ville que la situation évolue. Le reflux des troupes allemandes s’accompagne d’un renforcement des pillages. Les nouvelles réquisitions ne pouvant être satisfaites, l’autorité allemande se raidit et menace d’emmener le témoin pour en faire un prisonnier. Ce dernier est alors contraint à la fuite.

Après la Marne (pp 59-108)

Les Français entrent dans la ville le 13 septembre. Les Allemands font sauter l’ensemble des ponts qui permettent le franchissement de l’Aisne. Un groupe de sapeurs allemands, victime d’une panne de camion, est fusillé sommairement. Ces destructions bloquent l’avance des poursuivants et les contraignent à construire des ponts provisoires au moment où les Allemands s’installent sur les hauteurs septentrionales qui dominent la ville. Soissons connaît alors une première vague de bombardements intenses, obligeant les populations civiles à s’installer durablement dans les caves des habitations. La position des troupes françaises demeure inconfortable. Dominées par un ennemi qui a décidé de s’installer durablement en creusant les premières tranchées, éprouvées par les récents combats de la Marne, elles ne parviennent pas à déloger les Allemands des hauteurs de Pasly et Cuffies. L’état-major de la 45e D.I. (général Arrivez) s’installe à l’hôtel de ville qui est copieusement arrosé d’obus. C’est à cette époque que se répandent les premières et tenaces rumeurs d’espionnite comportées tant par les civils que par les militaires. L’une d’entre elles prétend que le maire de Soissons, Becker, aurait été fusillé pour avoir, avant la guerre, préparé l’installation de l’artillerie ennemie dans les carrières de Pasly. En fait, depuis l’arrivée des Allemands, le maire de Soissons a quitté la ville et c’est sans doute cet « abandon » qui est à l’origine de la « légende infâme ».

Avec l’installation des états-majors apparaissent rapidement des tensions entre le pouvoir civil et militaire. Les militaires, qui ont tendance à voir des espions partout, se méfient des civils. Muzart intervient auprès de Maunoury (commandant la VIe armée) pour sauver du peloton d’exécution deux de ses concitoyens accusés à tort d’espionnage.

Il prend à nouveau en charge la délicate question du ravitaillement des civils et des militaires dans la ville en réorganisant le « Fourreau économique ». Cette question est d’autant plus sensible que la ville ne possède plus les fonds qui ont été emmenés par le receveur municipal au moment de l’avance des Allemands. Ne sont restés à Soissons que « les habitants qui n’avaient pas les ressources suffisantes pour entreprendre un voyage vers un but incertain. » Ces habitants pauvres – femmes, vieillards et enfants – ne peuvent subvenir à leurs besoins que par leur travail. Or toutes les activités économiques ont été arrêtées. Un ravitaillement public est organisé. Le prix des denrées de première nécessité est contrôlé afin d’éviter toute spéculation. Les services municipaux sont en cours de réorganisation. Ils assurent l’évacuation des cadavres de chevaux ainsi que le déblaiement des maisons incendiées ou bombardées. Le manque de ravitaillement et d’argent oblige les plus nécessiteux à s’engager dans ces travaux de première urgence. Du travail contre des denrées, tel est le système adopté, faute d’argent…

La ville de Soissons reçoit la première visite du préfet de l’Aisne. A cette occasion Muzart est nommé maire de la ville et le préfet lui demande de révoquer les fonctionnaires municipaux qui ont déserté leur poste, ce que refuse l’intéressé. Muzart apprend qu’un comité de solidarité en faveur de la ville – il s’agit du Comité central des Réfugiés de l’Aisne – est en train de se constituer à Paris. Quelques jours plus tard, Muzart reçoit la visite du président de ce comité, Gabriel Hanotaux. Peu de temps après cette visite arrivent les premiers colis de vêtements et de vivres de ce comité dont la distribution est réservée aux plus nécessiteux. Un comité de secours est constitué dans la ville pour assurer équitablement la distribution de ces dons. L’évêque de Soissons, Mgr Péchenard, en prend la direction.

Le sous-préfet Andrieux qui avait évacué ses services sur Oulchy-le-Château, se réinstalle à Soissons. Les services postaux sont également réorganisés. En cette période de réaménagement des services de l’Etat, le nouveau maire est amené à prendre une série d’arrêtés visant à organiser la vie des Soissonnais dans une ville à proximité immédiate du front. L’installation d’un nouveau général à l’Hôtel de Ville, détend les relations entre les autorités militaires et civiles. L’arrivée dans l’état-major du général Legay du député du Nord Cochin permet de mettre à l’abri les objets de valeur du musée ou de la cathédrale ainsi que l’évacuation des manuscrits de la bibliothèque vers la B.N. Une passerelle et un pont de bateaux sont jetés sur l’Aisne par les Anglais, permettant ainsi de relier le quartier Saint-Waast au reste de la ville.

De nouvelles rumeurs s’installent dans la ville. L’une d’elles prétend que les carrières qui dominent la ville auraient été repérées par l’armée allemande bien avant la guerre pour leur servir de base de repli. Muzart dément clairement ces allégations pourtant reprises dans les mémoires de Mgr Péchenard qui se contente alors de paraphraser les allégations de Léon Daudet.

Les civils constatent l’inefficacité des attaques partielles pour reconquérir les crêtes ou des tentatives de destruction des réseaux allemands par le Génie à l’aide de cisailles. L’inexpérience et l’entêtement du commandement sont criants…

Le retour du secrétaire général de la mairie à la fin septembre provoque un mini scandale parmi le personnel municipal resté en poste. Muzart l’écarte définitivement. L’autorité militaire évacue sans ménagement la population civile du quartier de Vauxrot qui se trouve en première ligne et qui doit servir à l’installation d’une tête de pont au nord de l’Aisne (préparation de « l’affaire de Crouy »). Des renforts coloniaux arrivent pour cette opération. Les enfants de moins de 14 ans et les vieillards doivent évacuer la ville.

L’ « affaire de Crouy » (pp 109-123)

Muzart relate les événements de la bataille de Crouy en s’appuyant sur le témoignage du commandant Schneider du 231e R.I. « qui séjourna avec son régiment à Soissons du 13 septembre au 1er mai 1915. » Cette relation souligne combien le manque de préparation pour cette attaque était criant : cartographie du secteur d’attaque plus qu’approximative, encombrement extrême des boyaux avant même que l’attaque n’ait démarré, mauvais positionnement des troupes d’assaut par rapport aux plans établis, impréparation des postes de commandement, dotation en matériels de guerre nettement insuffisante, liaisons entre les unités d’assaut quasi inexistante… Comme pour la plupart des offensives françaises de la Grande Guerre, l’effet de surprise est nul : avant même le déclenchement de l’offensive, les Allemands bombardent copieusement les pentes et amènent immédiatement des renforts. Chez les assaillants, dans l’obscurité de la nuit du 8 au 9 janvier, souffle un vent de panique qui augure mal pour la suite car les pertes sont déjà sévères. Ne pouvant avancer, les Français peuvent tout au plus conserver les tranchées qui ont été conquises au début de l’offensive par les troupes marocaines. La situation empire encore lorsque les Allemands contre-attaquent et atteignent la saillant de Saint-Paul aux abords de la ville. Seule l’intervention très tardive de la 14e D.I. parvient à contrecarrer l’attaque allemande et empêche que la situation ne tourne à une véritable débâcle française. Le témoignage du commandant Schneider souligne enfin que l’échec de cette offensive est dû plus à la mésentente entre deux divisionnaires qu’aux conséquences de la crue de l’Aisne qui furent présentées à l’époque comme la raison principale de ce revers.

Le 14 janvier, Muzart rencontre Maunoury et lui demande un ordre écrit lui intimant de faire évacuer Soissons. La réponse orale du commandant de la VIe armée va dans ce sens. Toutefois Maunoury fait parvenir à Muzart un courrier contredisant ses propos et lui conseillant uniquement « de faire pression » sur les Soissonnais pour évacuer définitivement la ville. Comme le souligne à juste titre l’auteur, « en insérant au communiqué que la ville de Soissons avait été évacuée, n’allait-on pas affoler l’opinion publique ? » L’autorité militaire – en pleine bataille – ne peut (et ne veut…) accorder son concours à l’évacuation massive des civils et ne sont finalement évacués que les vieillards et les infirmes. Il faut attendre l’arrivée de la 63e D.I. pour que l’organisation d’un réel système défensif aux abords de la ville soit mis en place.

La guerre au quotidien (pp 125-156)

Les efforts de l’artillerie allemande se concentrent sur l’usine élévatoire de Villeneuve-Saint- Germain afin de priver la ville en eau courante. L’usine, placée sur une éminence, est protégée par une enceinte bétonnée. Une seconde captation d’eau est organisée. L’hôtel de ville, repéré par les Allemands, est en partie abandonné. Les archives municipales sont déplacées à Hartennes. Seule une permanence est maintenue dans les locaux de la mairie. Malgré la remise en état du moulin de Chevreux, l’approvisionnement en blé et farine demeure problématique. Il en est de même pour la viande. Les épiceries sont rares mais parviennent à satisfaire le ravitaillement. Les Soissonnaises sont mises à contribution pour la fabrication de masques à gaz voués aux civils. Des abris contre bombardement sont réalisés, notamment dans les caves d’une banque et celles de l’hôtel de ville. Les services hospitaliers sont réorganisés. C’est un médecin militaire qui assure l’essentiel des consultations.

La qualité des relations entre autorités militaires et civiles dépend fortement des interlocuteurs sollicités. Muzart dénonce les agissements d’un commandant major de la garnison qui, ayant senti que des tensions existaient entre le préfet et le sous-préfet, cherche à « donner libre cours à ses instincts d’autoritarisme » que lui autorise l’état de siège. Ce représentant de l’autorité militaire affirme son pouvoir en jouant avec la délivrance des laisser-passer qui ne sont accordés qu’à ceux qu’il peut soudoyer.

Le charbon fait défaut. Des stocks appartenant à la Compagnie du Nord sont rachetés par la ville et distribués aux habitants sur présentation d’un bon signé du maire. La situation empire lorsque le préfet décide de réquisitionner ces stocks, décision contre laquelle Muzart ne peut agir. Du fait de cette décision autoritaire, les relations entre la ville et l’autorité préfectorale se dégradent également. Muzart intervient cependant avec succès auprès de Franchet d’Esperey pour se débarrasser définitivement du major de garnison.

Certains habitants de Soissons opèrent des déménagements de leurs biens meubles. Muzart encourage cette démarche et parvient même à organiser un service régulier autorisant l’amélioration de la qualité de ces transports. L’autorité militaire consent, de son côté, à évacuer certains stocks précieux laissés à l’abandon, notamment des cuirs. Les convois sont organisés nuitamment pour ne pas éveiller l’attention des artilleurs allemands. Des collections archéologiques du musée et des ouvrages de la bibliothèque sont à nouveau mis à l’abri.

A l’image de Reims, Soissons devient une ville-martyre. Elle est fréquentée par « des visiteurs de marque. » Hommes politiques (Sarraut, Damimier, Klotz), hommes de lettres (Loti, Kipling, Ginisty) et journalistes (Babin de l’Illustration) la parcourent et narrent dans de nombreuses publications le quotidien d’une ville du front. C’est aussi l’époque où Muzart est sollicité pour témoigner en faveur de tel ou tel civil susceptible de recevoir – à tort ou à raison – la croix de guerre qui est accordée à une certains nombres de femmes pour leur réel dévouement (épouse du sous-préfet, directrices d’hôpitaux, etc).

Les tiraillements au sein de l’autorité civile, entre le préfet et le sous-préfet, se poursuivent et entraîne la constitution de « clans » qui s’entredéchirent, tout en favorisant leur clientèle respective… L’autorité du maire est même quelque peu écornée par ces querelles de palais où l’attribution de décorations ou de prix aux civils paraît prépondérante (affaire Macherez pour l’attribution du prix Audiffred décerné par l’Académie des Sciences morales et politiques).

Conseil municipal de guerre (pp 157-184)

La difficulté de réunir dans la ville en état de siège un conseil municipal oblige Muzart à convoquer cette réunion, le 4 novembre 1916, à Paris dans les locaux de la mairie du 10e arrondissement qui accueillait déjà le Comité de l’Aisne. Les mémoires de Muzart reproduisent ici in extenso le procès-verbal de ce conseil municipal transplanté.

L’année 1917 (pp 185-206)

Les querelles au sein de l’autorité civile ne se sont pas éteintes. Loin s’en faut. En novembre 1916, Muzart, qui est entré en conflit ouvert avec le préfet au moment de l’attribution du prix Audiffred à Mme Macherez en lui refusant son soutien, se voit menacé par ce dernier de mettre fin à son sursis d’appel qui lui a été octroyé afin d’exercer les fonctions de maire. Muzart (qui appartient à la classe 89 !) acquiesce à la décision préfectorale et se rend au dépôt du 9e Territorial à Dreux dans lequel il demeure affecté jusqu’en février 1917. Un nouveau maire est nommé par le préfet. Muzart est finalement mis en sursis d’appel comme agriculteur et revient dans le Soissonnais à Arcy-Sainte-Restitue où il dirige une exploitation agricole. Conservant sa qualité de conseiller municipal, il reste en contact avec sa ville (dans laquelle il semble résider assez fréquemment) et se tient parfaitement au courant des événements du quotidien qu’il continue à relater pour la période où il n’occupe plus les fonctions de maire, tout en participant aux différents conseils en tant que conseiller municipal « mobilisé ».

L’anéantissement (pp 207-213)

Suite à l’enfoncement du front sur le Chemin des Dames le 27 mai 1918, Muzart est contraint d’abandonner avec sa famille la ferme d’Arcy-Sainte-Restitue. Les réfugiés si dirigent vers Oulchy-Le-Château puis Fossoy (environs de Château-Thierry). Contraints d’évacuer du fait de la violence des combats, ils quittent l’Aisne pour la région d’Auxerre. Là, Muzart intervient auprès du préfet afin d’améliorer le sort des axonais nouvellement arrivés. Apprenant le recul des armées allemandes sur l’Aisne, il décide de repartir pour Arcy-Sainte-Restitue. La ferme n’a subi que des dégâts mineurs mais les cultures ont souffert des combats. Les champs « sont débarrassés de tout ce qui pouvait gêner le passage de la moissonneuse. » De retour à Soissons, Muzart ne peut que constater les nouveaux et importants dégâts qu’ont provoqués les bombardements aériens.

La vie repend (pp 215-240)

La ville n’est plus qu’un champ de ruines où ne demeurent que certains bâtiments épargnés. Le retour des Soissonnais est pénible : « Leur consternation était navrante à voir, la plupart revenaient du centre ou des côtes, ne pouvaient malgré quelques nouvelles reçues, se faire à la vision qu’ils avaient de nos ruines. »

Le retour de la municipalité permet d’organiser les premiers secours. « Chacun se loge comme il peut dans ce qui reste de maisons, se confectionne un abri avec les débris utiles qu’il peut trouver. » Un hôtel épargné rouvre ses portes. Muzart, dont le domicile a été détruit, réacquière un nouveau domicile à Soissons. En février 1919, Fernand Marquigny, premier adjoint démobilisé, prend les fonctions de maire et préside le premier conseil municipal d’après guerre. Les priorités sont naturellement d’organiser la reconstruction de la ville : intervention des S.T.P.U, construction de baraquements provisoires pour l’accueil des ouvriers de la reconstruction, réouverture des commerces, remise en état des infrastructures essentielles. C’est la période où chaque propriétaire qui a subi des dommages de guerre doit constituer un dossier d’indemnisation qui devra être adressé aux commissions de réparations que l’Etat vient d’instituer.

Fin 1919 sont organisées les élections municipales. Le vote des Soissonnais se porte majoritairement sur les anciens membres de la municipalité et tout particulièrement sur ceux qui eurent des responsabilités durant la guerre. Muzart est facilement réélu (y compris aux élections du conseil d’arrondissement). Sur proposition de Fernand Marquigny, il refuse cependant la charge de maire qu’il estime ne pouvoir remplir convenablement et soutient la candidature de ce dernier.

La reconstruction permet de modifier la ville « en lui donnant de belles et grandes places, de larges avenues, des grandes rues permettant le roulage nouveau en assurant la sécurité et la commodité aux piétons ». Manquant d’argent, l’Etat français incite les villes détruites à contracter des emprunts de démarrage auprès de banques étrangères. En 1921, le Canada est sollicité. Le 14 février de la même année, la ville reçoit la Croix de Guerre, « conséquence directe de la distinction de la Légion d’Honneur qui lui avait été accordée le 12 février 1920. » Soissons s’enrichit « d’un stade de toute beauté permettant aux habitants de se délasser, de se distraire ». Le nouveau maire devient député, la ville est ainsi « représentée à la Chambre des Députés ».

4. Autres informations

Anonyme, Soissons avant et pendant la guerre, Guide illustré Michelin des champs de bataille, 1919, 63 p.

Babin Gustave, « Soissons sous le canon », L’Illustration du 6 mars 1915.

Barbusse Henri, Lettres de Henri Barbusse à sa femme 1914-1917, Flammarion, 1937, 261 p.

Baudelocque, Une œuvre de guerre – 1914-1920 – Le Comité Central des Réfugiés de l’Aisne. Son organisation – Ses ressources – Son action, Imprimerie Risch, s.d., 202 p.

Péchenard P.L. (Mgr), Le Martyr de Soissons. Août 1914-juillet 1918, Gabriel Beauchesnes, 1918, 432 p.

J.F. Jagielski, juin 2008

Share

Bion, Wilfred (1897- 1979)

1. Le témoin

Né aux Indes, Wilfred Bion est revenu en Angleterre à l’âge de 8 ans pour y suivre sa scolarité. Il s’engage à l’âge de 18 ans au sortir d’une public school (école privée). Durant la Première Guerre mondiale, W. Bion sert dans les chars (5e bataillon de blindés) comme sous-lieutenant, lieutenant puis capitaine et reçoit pour ses actions la Distinguished Service Order ainsi que la Légion d’honneur. Après la guerre, il effectue des études de médecine à Londres. Au début des années trente, il débute sa formation de psychanalyste avec notamment John Rickman et plus tard Mémanie Klein.

Batailles : 3e bataille d’Ypres (31 juillet-novembre 1917) ; offensive allemande du printemps 1918 (avril) ; bataille d’Amiens (août 1918)

2. Le témoignage

L’ouvrage Mémoires de guerre. 26 juin 1917-10 janvier 1919 est une traduction de Wilfred Bion : War Memoirs, 1917-19, London, H. Karnac Books, 1997. L’édition française (Larmor-Plage, Editions du Hublot, 1999) a été dirigée par Francesca Bion, son épouse. Cet ouvrage se compose de plusieurs pièces : d’une part le « journal » qui est en réalité une somme de souvenirs mis en récit en 1919 au Queen’s College à Oxford (p. 209). Le récit débute par cet avertissement : « je ne suis pas absolument sûr de l’exactitude de certaines choses car j’ai perdu mon journal. » (p. 17).

Dans son introduction Francesca Bion précise : « Voici le rapport de Bion sur ses états de service en France dans le Royal Tank Regiment de juin 1917 à janvier 1919. Il le rédigea peu de temps après son arrivée au Queen’s College à Oxford suivant la démobilisation et l’offrit à ses parents, sous la forme de trois cahiers cartonnés et manuscrits, en compensation de n’avoir pas écrit durant la guerre [In place of letters I should have written ! écrit W. Bion] » (p. 13)

L’ouvrage reproduit un certain nombre de croquis et photographies.

Wilfred Bion relut son « journal » cinquante-trois ans plus tard, en 1972, au moment où sa femme décide de transcrire le « journal » afin d’en faciliter la lecture et de prévenir la perte de l’original. Il a alors 75 ans et une solide expérience en tant que psychanalyste. Cette transcription et relecture donna à Bion l’idée de commenter son « journal » ; Francesca publie donc les « commentaires » à la suite du « journal » proprement dit. Cependant, Bion et son épouse avaient également effectué un voyage en France en 1958 et visité les champs de bataille où Bion avait combattu près d’Amiens. Le texte inachevé issu de ce voyage dans le passé est également publié.

Ces témoignages successifs se complètent de manière très attachante et stimulante. Ils ne constituent pas seulement un témoignage de plus sur la guerre, mais aussi un document de première main pour tous les chercheurs travaillant sur le fonctionnement de la mémoire.

3. L’analyse

Stratégie d’évitement : un certain nombre d’officiers « avaient connu bien des combats et qui pour s’y soustraire s’étaient engagés dans les blindés » (p 20).

Chars : description du char Mark IV (p. 25-26) : « Un des grands inconvénients de ce char était que quand on voulait tourner, il fallait s’arrêter pour le faire […]. Cela vous transformait en cible et parfois quand on mettait du temps pour réenclencher la vitesse, c’était extrêmement dangereux » (p. 28) ; le char Mark V Ricardo : plus facile à manoeuvrer ; mais gaz toxiques émanant du moteur qui asphyxient les hommes (p. 123 et 127).

La mauvaise réputation des chars : 7 novembre 1917, retour au camp de Wailly ; « au cours de notre séjour, la 51e division des Highlands vint s’entraîner avec nous. […] Ypres avait détruit leur foi dans les chars et ils n’avaient que mépris pour nous » (p. 50-51).

12 avril 1918 : « L’ennemi avait percé et n’avait pas été refoulé. Le corps des blindés avait été rappelé en renfort, mais cette fois en tant que troupes d’infanterie – pas assez de chars n’étaient prêts et de toute façon le lieu de l’action ne prédisposait pas à leur déploiement […] Notre mission serait de tenir de petits postes isolés et d’y rester même si l’ennemi perçait. » (p. 89) ; « Nous avancions en file qui n’en finissait plus, trébuchant et jurant, quand l’aube commença à poindre. On ne savait pas dans quoi on allait se retrouver et on s’en moquait – de toute façon, « grâce à dieu, nous n’avions pas nos « f…s » chars » » (p. 91)

Août 1918 : « Le corps des blindés avait grand besoin de nouvelles recrues, mais nos pertes au combat faisaient mauvaise impression auprès des troupes. […] Deux batailles surtout y contribuaient en plus de la bataille du 8 août. L’une était le désastre du 10, l’autre la bataille effroyable à laquelle avait participé le 1er bataillon. […] Il n’y eut aucun survivant en dessous de grade de major. Malheureusement tous ces chars détruits étaient visibles de la route. Le manque de main d’œuvre ne permit pas d’enterrer les morts et pendant des jours, ces chars restèrent là où ils avaient été frappés – un spectacle effroyable pour chaque soldat qui empruntait cette route pour monter au front. Le résultat fut que tout le monde était convaincu que les chars étaient des pièges mortels. » (p. 149)

Les devoirs des chefs :

30 juillet 1917, départ pour Hazebrouk ; la troisième bataille d’Ypres et Passchendaele est déclenchée le 31 juillet. Débarqués à 6 km du front, en pleine nuit ; la négligence et l’incompétence des chefs révoltent officiers et soldats (p. 33) ; (p. 51) ; (p. 52)

Avril 1918 : remonter le moral des hommes : « […] Plaisanter bêtement au mess, afficher sa peur, tout ça contribuait à détruire le moral et comme vous allez le voir, le mien était déjà bien bas » (p. 101) ; enrayer une panique par l’exhibition de leurs revolvers (p. 117) ; un officier méprisé : (p. 120).

Esprit de compétition entre unités: p. 33 ; p. 51, idem. Décorations : « La plupart d’entre nous se firent tuer alors qu’ils tentaient de mériter une décoration » (p. 214).

3e bataille d’Ypres :

Préparation de l’assaut sur Zonnebeke, 23-25 septembre 1917 (p. 33-39) : « Dans l’après-midi nos pigeons arrivèrent… » (p. 38-39)

Départ pour la bataille : « A 19 heures 30 on monta dans des camions qui nous amenèrent au canal. La tension diminuait – les hommes étaient très gais et chantaient. La traversée d’Ypres les fit taire cependant. On nous arrêta et il nous fallut mettre nos casques et préparer nos masques à gaz. La désolation s’empara alors de nous et à partir de là, il y en eut très peu qui continuèrent à parler. On s’arrêta au canal car il était dangereux de continuer en camion. […] On nous donna notre ration de rhum par char. Au contraire de l’infanterie, nous ne pouvions la consommer avant le combat, car le rhum avait tendance à endormir les hommes dans la chaleur du char. Au mess, on avait déjà surnommé le rhum le « passeur de canal », car il était supposé donner suffisamment de courage pour franchir le canal d’Ypres. Le nom lui resta. » (p. 39)

Attaque de chars : (p. 40-47) ; l’enlisement dans la boue, sous les obus et la mitraille ; les chars doivent être abandonnés ; deux chars seulement ont atteints leurs objectifs ; un mort, plusieurs blessés ; mais le lendemain, il faut tenter de récupérer les chars enlisés (p. 48)…

Accès de folie : p. 49 ; folie meurtrière : p. 294 ; Shell-shock : p. 76-77 ; perte croissante de sang froid : p. 168 ; p. 236-237 ; p. 245 ; p. 296-297

Doutes et réflexions sur le bien-fondé de la guerre : septembre 1917 : (p. 40) ; août 1918 : (p. 137) ; paix : (p. 203) ; démobilisation (11 janvier 1919): « On débarqua à Folkestone où l’organisation était excellente. On nous donna à tous, officiers et hommes de troupe, des biscuits et une grande tasse de thé. On marcha ensuite jusqu’au camp de Shorncliffe. Je crois que d’une certaine façon nous étions déprimés par le manque d’accueil. Personne ne nous prêta attention, personne ne semblait savoir que nous revenions du front et que nous étions contents de rentrer » (p. 205)

Démoralisation :

Noël 1917, une grande beuverie signe d’une profonde démoralisation ; sentiment d’abandon : « Une équipe d’officiers incompétents en France, et chez nous un pays qui ne se rendait compte de rien – tel semblait être notre soutien. Quant à la religion, sûr qu’elle n’avait rien à voir avec la guerre. » (p. 79-81) ; l‘offensive allemande du printemps 1918 : Bion apprend la nouvelle de l’offensive allemande pendant sa permission à Londres (début mars 1918) ; une curieuse ambiance à la gare Victoria : « Tout le monde était terriblement enjoué. Tous étaient convaincus que c’était la fin et faisaient des plaisanteries sur le retour aux camps et aux tranchées maintenant à des kilomètres derrière les liges allemandes » (p. 87) ; de retour sur le front : « […] Je me surpris souhaiter être tué car au moins alors je me serais débarrassé de cette intolérable détresse… » (p. 105-106) ;

Les ravages de la guerre sur les corps (p. 137.) [Bion revient sur un épisode particulièrement traumatisant dans le texte Amiens, p. 262-263. Voir plus bas.]

Photographie 39 : « Les effets d’un obus britannique sur un groupe de soldats allemands aux avant-postes. La photo a été prise sur un chemin donnant sur la route Amiens-Roye » (p. 139) ; au premier plan, un corps auquel manquent la tête et une jambe..

Combattre dans les chars : (p. 138-137) ; la photographie 41 montre un « Char frappé de plein fouet. Cette photo dépeint en fait l’engagement de Zonnebeke, le 26 septembre 1917. C’est là que ce char fut touché par un obus d’un calibre plus gros que d’habitude. C’est une scène qui m’est familière et qui continue à me remplir d’horreur. Bien entendu, après un tel coup au but, il n’est pas imaginable que l’équipage en réchappe. Même avec un obus de 18 livres, les chances de survie étaient limitées – surtout si le char était touché au niveau du siège du conducteur ou de celui du chef de char. Mais cet obus devait être un 150. C’est à ce genre de spectacle que l’infanterie canadienne fut confrontée au cours de la bataille du 8 août. La peur d’être ainsi touché rendait le travail des blindés déplaisant. Chaque fois que je partais au combat dans un char, je craignais que l’un de ces obus ne pénètre à tout instant, et le siège de l’officier n’en devenait que plus solitaire et plus exposé de minute en minute » (p. 143) ; Photographie 48 : « Une photo d’un char du 5e bataillon progressant dans la brume du 29 septembre au petit matin. Remarquez l’officier et le soldat qui suivent le char. C’était la technique employée pour autant qu’il s’agissait d’une situation du genre suivez-le-guide : on ne laissait dans le char que le nombre d’hommes nécessaire à son fonctionnement ; les autres suivaient, les mains dans les poches et les épaules courbées » (p. 163)

Soldats paralysés par la peur : p. 147 ; découverte d’un soldat allemand terrifié : p. 271 ; effet terrifiant des chars sur les fantassins allemands : (p. 274)

Les soldats des services de l’arrière sont raillés : p. 186-187 ; p. 189-191

Enfant de l’ennemi : p. 202 (Cf. S. Audoin-Rouzeau, L’enfant de l’ennemi, Paris, Aubier, 1995)

53 ans plus tard, les Commentaires insistent sur la peur et la solitude ressenties (p. 213). Bion éprouve ce que l’on appelle le syndrome du survivant, mélange de dépression et de sentiment de culpabilité d’avoir survécu : « […] je ne me suis jamais remis d’avoir survécu à la bataille d’Amiens » (p. 219)

Amiens est un texte rédigé à la suite d’un voyage effectué à Amiens le 3 août 1958 ; dans le Prélude Bion émet cette réflexion qui peut sembler contredire la teneur essentielle du « Journal »: « […] pourra-t-on jamais de nouveau rassembler un aussi grand nombre d’hommes à l’esprit et au physique aussi splendides ? Est-il possible, s’ils se rassemblaient de nouveau, qu’ils soient imprégnés d’une telle dévotion pour la guerre, d’une foi si mystique et si totale en sa capacité à guérir les maux du monde […] ? Les merveilleuses expériences du temps de paix n’étaient vraiment rien à côté ou plutôt elles détenaient en elles les germes d’une sorte de malaise qui ne serait purgé que par le processus de la guerre. » (p. 226)

Le texte de souvenirs qui suit est rédigé à la troisième personne. A nouveau, Bion revient sur la peur éprouvée lors d’une reconnaissance la veille de l’attaque (p. 233-234) ; « Il se ressentait des activités d la matinée et il était en particulier en proie à la crainte anxieuse que sa détérioration [nerveuse], dont il était maintenant persuadé, ne se révèle de manière spectaculaire dans la bataille à venir. En fait, sa crainte était plutôt que ce ne soit pas quelque chose de spectaculaire, mais simplement cette sorte de terrible déclin qu’il avait vu si souvent chez d’autres… », p. 236-237 ; p. 248 ;

Nettoyage d’un village [Berle aux Bois, 8 août 1918]: « Au bout d’un moment, les troupes françaises de tête […] pénétrèrent dans le village qui tombait entre leurs mains en un quart d’heure. Elles procédèrent à l’opération de nettoyage qui consistait à passer de maison en maison en lançant des grenades dans les escaliers menant aux caves pour s’assurer de ne pas être tracassé de ce côté-là non plus » (p. 270).

Allusion à la plume blanche que certaines femmes anglaises tendaient aux garçons pour les incliner à s’engager en leur faisant honte : p. 302. (Cf. Nicoletta F. Gullace, The Blood of our sons, Men, Women, and the Renegociation of British Citizenship During the Great War, London, Palgrave Macmillan, 2002, p. 73 et ss.)

Frédéric Rousseau, mai 2008.

Share

Leroy, Georges (1884- ?)

1. Le témoin

G. Leroy est instituteur à Lewarde (Nord) au moment de l’entrée en guerre. Le 22 août 1914, il quitte Lewarde afin d’échapper à l’avance allemande. Sa fuite le conduit à Poitiers où il arrive le 26 août au soir. Malgré la bataille de la Marne et le recul allemand, le Cambraisis demeure aux mains de l’ennemi : ses parents, ses sœurs se retrouvent en zone occupée. Georges Leroy occupe alors un emploi d’instituteur, d’octobre 1914 à avril 1917, à Poitiers.

Après avoir fait ses classes à Poitiers, il est nommé 1ère classe et fonctionnaire caporal le 15 août 1917. Il quitte Poitiers le 2 janvier 1918 en tant qu’élève-aspirant et rejoint l’école située près du front de Lorraine, à Fraisnes. Le 5 juillet 1918, il embarque à Rouvres (un trajet en wagon à bestiaux, p. 116) ; débarquement dans les Vosges, affectation au 264e R.I. le 6 juillet;

Première montée en ligne sur le front des Vosges le 20 juillet 1918. Travaux de protection de réseaux de tranchées. Patrouilles ; après une permission dans le Midi au cours de laquelle il retrouve son père et sa soeur (sa mère est décédée sans l’avoir revu), il retrouve son régiment dans l’Aube à Rance (16 septembre 1918) ; à Suippes le 24 septembre. Après un engagement très violent près de la Ferme Navarin le 29 septembre 1918 il est fait prisonnier avec 6 autres soldats.

2. Le témoignage

Le texte des carnets de guerre de Georges Leroy a été établi par Yves Leroy, son fils, pour leur édition dans l’ouvrage : Annette Becker (éd.), Journaux de combattants et de civils de la France du Nord, introduction et notes d’Annette Becker, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998, p. 108-158.

Note de l’éditrice : « Parfois, Georges Leroy s’adresse à un lecteur potentiel, on peut se demander s’il n’a pas en partie réécrit une partie de ses souvenirs juste après la guerre, d’autant plus qu’il a été démobilisé extrêmement tard et qu’il a donc pu mettre ainsi à profit ses loisirs forcés » (p. 12). Ainsi peut-on lire page 129 : « Peut-être êtes-vous curieux de connaître l’âme d’un soldat en pareille circonstance… » ; par ailleurs, la datation est approximative (par ex. on passe du 18 octobre au 7 novembre)…

3. Analyse

25 septembre 1918 : entrée en ligne pour la dernière bataille, en Champagne, secteur de Souain : « Nous touchons des grenades et chacun fait son plein de cartouches. Le Commandant de la Cie nous harangue dans la cour du château, il nous recommande d’être courageux et nous dit que dès le lendemain nous commencerons la grande bataille qui de la Belgique aux Vosges doit mettre les Boches en déroute… » (p. 124)

La conscience de la supériorité matérielle alliée : « Nous avons devant nous, sous ce soleil radieux un spectacle grandiose, nous apercevons trois lignes d’artillerie échelonnées à environ 2 km de distance et à perte de vue. Ces lignes s’allongent jusqu’à l’horizon, les canons se touchant presque ; aussi quel vacarme, quel tonnerre continuel ! L’artillerie ennemie répond à peine… » (p. 125) ; id., 27 septembre 1918 (p. 127).

Combats près de la Ferme Navarin : 27 septembre 1918 ; Georges Leroy prend part à l’attaque proprement dite à partir du 29 septembre ; l’enfer et la solitude du combattant. Exténué par sa course folle, de nuit, sous les balles et les obus, et sous une pluie battante, il reprend son souffle un moment : « […] En ce moment, je pense, je ne puis croire que c’est moi qui se trouve en ce lieu. Les balles sifflent sans cesse. Une grenouille vient se poser sur mon bras et j’aime son regard paisible et bon, un regard presque humain que je n’ai plus coutume de voir, car dans cette obscurité, dans ces lieux de mort, on ne se regarde plus. Chacun est tout à son devoir, chacun aussi ne semble guidé que par l’instinct de conservation… » (p. 131)

G. Leroy fait part de visions peu aseptisées : 27 septembre 1918, « ce boyau, accidenté, boueux, nous fait deviner qu’il fut le théâtre de luttes récentes. Ici nous rencontrons des armes brisées, des équipements déchiquetés, des objets les plus divers criblés d’éclats d’obus ; là, un soulier renfermant encore la chair et les os sanguinolents m’attristent bien fort. Plus loin le corps inerte d’une jeune soldat barre notre chemin, les pieds disparaissent dans la boue et chacun, en passant, piétine un peu plus ce corps qui, peu à peu, sera lui-même réduit en boue. Ces sortes de spectacles désolent profondément et font haïr plus que jamais la guerre et ceux qui veulent de pareils carnages. » (p. 126) ; id., le 29 septembre 1918 (p. 132).

La capture. Le 29 septembre 1918 (p. 133), par des combattants allemands peu haineux : « Les Allemands nous emmenèrent et nous font suivre un boyau qui me paraît bien long et dans lequel, hélas, je rencontre beaucoup de cadavres que je dois enjamber. […] La grande préoccupation des Allemands est de s’informer si nous avons du chocolat dans nos musettes. Les combattants sont tout à fait convenables à notre égard, l’un d’eux cause un peu le français et se montre fort aimable. Il nous laisse nous reposer car pour moi je suis si fatigué que je ne sais si je pourrai sortir de ce lieu… » Les capteurs, qui sont des combattants, pansent les blessés, et transportent ceux qui ne peuvent marcher jusqu’à leur poste de secours (p 135). Plus en arrière, le comportement de certains allemands est moins honorable : « À Cauroy un officier interroge quelques-uns d’entre nous, pendant que des soldats pillards fouillent nos musettes et veulent nous prendre ce qui leur plaît » (p. 137) ; un soldat le dépouille de sa capote (p. 137).

G. Leroy est un prisonnier peu furieux d’échapper à la guerre : « Sur la route, au fur et à mesure que s’apaise le bruit infernal, malgré ma tristesse d’être aux mains des boches, j’éprouve une sorte de satisfaction de me sentir presque en paix dans cette campagne remplie d’obscurité et si calme » (p. 136)

Les camps d’une fin de guerre :

Camp d’Attigny, 8 octobre 1918 : surpopulation, faim, soif, absence d’hygiène, désolent Leroy : « […] Quelles misères. Des Russes, des Italiens dans leurs vêtements en loques et d’une saleté repoussante sont en train de faire cuire sur des feux de bois leur maigre déjeuner. […] La plupart sont joyeux cependant, depuis quelques jours, les Allemands les occupent à scier les arbres fruitiers de la région et cela est pour eux le signe d’une prochaine retraite et peut-être de la grande défaite » (p. 140) ; s’y trouvent aussi des Français et des Américains (p. 141) ; Leroy constate le poids croissant de la défaite annoncée chez de plus en plus de soldats allemands et l’évolution de leur état d’esprit (p. 139 et 141). 14 octobre 1918 : les prisonniers sont pris dans le flot de la retraite allemande. Manger devient une question obsédante pour les prisonniers ; ils reçoivent quelques secours de la part des civils ; 17 octobre 1918 : des allemands monnayent cher des suppléments de pain ; d’autres offrent généreusement du mauvais tabac… ; à plusieurs reprises, Leroy note que la fuite des troupes allemandes s’accompagne d’un pillage et d’un déménagement à grande échelle (p. 143-144)

Camp de Flize, 18 octobre 1918 ; Leroy évoque à nouveau la présence de prisonniers russes et italiens (p. 144) ; leur dénuement, leur aspect famélique frappent particulièrement Leroy ; plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : tout d’abord la longue durée de la détention de ces Russes et de ces Italiens ; mais plus encore les effets dévastateurs du blocus allié à l’endroit des populations des Empires centraux (à partir de 1916, la disette frappe particulièrement les populations des Empires centraux tant à l’arrière qu’à l’avant ; Leroy témoigne ici de la difficulté éprouvée par les Allemands pour nourrir leurs prisonniers : p. 138-139) ; on peut y ajouter l’abandon spécifique des prisonniers italiens par l’Etat italien (Cf. Giovanna Procacci, Soldati e progioneri italiani nella Grande Guerra, Editori Riuniti, 1993), l’incapacité enfin, de la Russie qui est en pleine révolution et en guerre civile d’assister ses prisonniers de guerre. Les prisonniers français, belges et britanniques ont quant à eux généralement bénéficié des secours de leurs pays respectifs pour atténuer les effets de la misère régnant dans les camps allemands. Mais tel ne semble pas être le cas des Français prisonniers du camp de Flize dans les dernières semaines de la guerre : « […] le moral des prisonniers est détestable, tous souffrent de la faim et sont devenus inabordables ; ils se refusent ordinairement tout service, se regardent comme des bêtes fauves et répondent avec acrimonie même aux paroles les plus délicates. C’est le cas de le dire : « Ventre affamé n’a pas d’oreilles ». Dès qu’une occasion se présente d’avoir des vivres, soit que les civils les donnent, soit qu’un Allemand offre un reste de repas, tous se précipitent sans égard pour les personnes qu’ils renversent à l’occasion et dévorent ces vivres sans même songer aux camarades aussi malheureux qu’eux.

A tout instant le pauvre morceau de pain que les plus prévoyants et les plus volontaires savent garder dans leur musette disparaît. Il y a parmi nous des voleurs de pain et c’est extraordinaire, avec quelle dextérité ils opèrent.

Pour moi, ma souffrance est grande de voir des Français en être arrivés à ce point et de donner un tel spectacle à nos ennemis qui sont responsables et à voir les mines hâves, les yeux presque vitreux, l’allure de vieillard des plus jeunes d’entre nous et qui maintenant déclinent si rapidement, ma haine pour l’Allemand ne fait que croître. » (p. 147) Annette Becker cite ce passage dans Oubliés de la Grande Guerre, humanitaire et culture de guerre. Populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre, Paris, Noésis, 1998, p. 102-103. Sur la question des prisonniers français, voir Odon Abbal, « Vivre au contact de l’ennemi : les prisonniers de guerre français en Allemagne en 1914-1918 » in Sylvie Caucanas, Rémy Cazals, Pascal Payen, Les Prisonniers de guerre dans l’histoire. Contacts entre peuples et cultures, Toulouse, Privat, 2003, p. 197-210.

Dans la retraite allemande :

À mesure que les troupes alliées avancent, les prisonniers de guerre doivent reculer avec les débris de l’armée allemande en direction de la frontière belge.

Sedan, 7 novembre 1918 : « […] Nous arrivons à Sedan dans l’obscurité, les rues encombrées de camions, couvertes de boue, où je distingue des cadavres de chevaux, du matériel brisé, abandonné. De fort nombreux soldats allemands ivres, hurlant, gesticulant, m’attristent fortement et je me demande peut-être pour la première fois ce que je vais devenir dans ce lieu de misère et de brutalité. Un Allemand ivre se jette même sur moi en hurlant, heureusement je me dégage avec rapidité, car je n’ai aucune envie de m’entretenir avec cette brute » (p. 148)

8 novembre 1918, départ de Givonne, entrée en Belgique (p. 149-150)…

Frédéric Rousseau, mai 2008.

Share