Chacun sait à quel point les témoignages de soldats
constituent une mine de renseignements pour l’histoire de la Grande Guerre. Les
trois reproduits dans ce livre présentent en outre l’originalité d’émaner de
combattants qui n’appartenaient pas au même camp. Hans Rodewald était allemand,
Antoine Bieisse et Fernand Tailhades étaient français. Un tel rapprochement est
rare. Il résulte du travail de deux historiens, un Allemand et un Français.
Les trois
fantassins ont connu des expériences similaires : la mobilisation, le
combat, la blessure et la captivité. Emportés par l’enthousiasme d’août 1914,
ils doivent rapidement faire face au concret du front qui produit un mélange
d’excitation et d’angoisse dans les combats réels, où l’on éprouve la
satisfaction de tirer sur l’ennemi et, en même temps, la compassion pour les
victimes des ravages de la guerre, quelles qu’elles soient. Gravement blessés,
ils tombent au pouvoir de l’adversaire et craignent pour leur vie. Mais, ils
sont soignés par des mains qui se révèlent fraternelles. Les trois hommes font
l’expérience de l’humanité de ceux qu’ils désignaient jusque là par le terme
convenu d’ennemi.
Ce livre
montre qu’au sein même de la mobilisation culturelle existait aussi, profonde,
une « culture de paix » contribuant à maîtriser et à limiter autant
que possible la violence de guerre. Il apporte de nouvelles pièces au dossier
de la connaissance des ressorts moraux des soldats, et un nouveau démenti à la
thèse simpliste qui veut que la haine de l’ennemi aurait éclipsé tout autre
sentiment. Il révèle la complexité et l’ambivalence de la pensée des
combattants. Il permet de retrouver l’homme sous l’uniforme, quelle que soit la
couleur de celui-ci.
« Les carnets de ces trois combattants […] relatent
tous trois une expérience commune, vécue de chaque côté du front : la
mobilisation, le contact de la bataille, la blessure et l’évacuation sanitaire,
l’hospitalisation, la captivité ensuite. […] Témoignages au premier degré sur
les premiers moments de la Grande Guerre, ils livrent au second degré une image
de la personnalité de leurs rédacteurs. Eckart Birnstiel en propose une
captivante analyse à partir de l’étude linguistique des récits, suivant
l’emploi et la fréquence de certains termes au fil des séquences
chronologiques. Il observe, en conclusion, le glissement dans la qualification
de l’Autre, du mot « ennemi » à l’énoncé de sa nationalité,
« français » ou « allemand », exprimant par là,
inconsciemment, un retour à une relation d’humanité qui supplante la perception
de supériorité agressive, qui prévalait avant. Cette mutation est notable, même
si elle correspond à des situations très spécifiques : blessé, soigné,
guéri et captif. Est-ce l’indice d’une « culture de paix » parallèle,
sous-jacente ou complémentaire d’une « culture de guerre »
prédominante ? Les candidats aux concours laisseront cette question
ouverte et retiendront avec profit des exemples d’impressions, d’images et de
sentiments vécus par ces trois soldats, témoins de la société civile entraînés
dans la guerre et qui les ont consignés, souvent sur le moment, dans ces
carnets, opportunément retrouvés et publiés. »
(Jean-Claude Allain, Historiens et Géographes, n°
387, juillet 2004)
On trouvera un compte rendu en allemand, par Thomas Nicklas,
dans Archiv für Kulturgeschichte, 87-2, 2005, p. 494-496.
|