Bonneau, Georges (1879-1969)

Il est né à Toulouse le 1er février 1879 dans une famille riche, vivant dans un petit hôtel particulier du centre ville et passant l’été sur ses terres à la campagne. Son père, mort en 1915, est un médecin réputé. Georges est le fils aîné ; il a une sœur beaucoup plus jeune. Il est devenu officier dans l’artillerie après être passé à Saint-Cyr et à l’école militaire de Versailles. En 1914, il est capitaine au 3e RAC à Carcassonne. Il passera ensuite au 156e RAC. Marié, il est en instance de divorce (celui-ci sera prononcé en 1916). Il entretient une liaison épistolaire avec Marie-Thérèse, une jeune femme, également en instance de divorce, revenue vivre à Albi chez ses parents. Georges et Marie-Thérèse se marieront après la guerre et après que le capitaine ait combattu contre la Hongrie de Bela Kun en 1919. Devenu commandant, puis colonel, Georges Bonneau a créé un groupe de résistance en 1940, en lien avec le réseau Bertaux, et après la Libération l’Association des Résistants de 1940. Georges Bonneau n’a pas eu d’enfant, ce qui explique que ses papiers ont été détruits après sa disparition à l’exception de plus de 900 lettres de 1914-1918, sauvées par le bouquiniste toulousain Marcel Thourel et confiées à une étudiante pour un travail universitaire. Il s’agit en fait de 387 lettres de Marie-Thérèse à Georges (principalement en 1914, 1915 et 1916) et de 557 lettres de Georges à sa famille, son père, sa mère, sa sœur. Les lettres de Georges à Marie-Thérèse semblent avoir été détruites par celle-ci pour ne pas qu’elles soient utilisées contre elle dans la procédure de divorce. La correspondance fait aussi allusion à des photos prises par Georges, mais elles ont également disparu. Il est intéressant de remarquer que le capitaine d’artillerie s’adresse différemment à ses correspondants : avec son père, le style est noble, et on parle d’homme à homme de haute stratégie ; avec sa mère, il est surtout question des aspects de vie quotidienne ; avec sa sœur, les sujets les plus divers sont abordés avec une pointe d’humour afin de dédramatiser. Blessé légèrement à la suite d’un combat, le 15 juin 1915, il écrit qu’il est victime d’une entorse due à sa maladresse (tandis que le JMO indique : « Le capitaine Bonneau, renversé par un obus, se blesse à la jambe »).
Les lettres de Georges ne présentent pas une grande originalité. Les conditions de vie sur le front sont bien connues. Mais il a l’honnêteté de se considérer, officier d’artillerie, comme un privilégié par rapport aux soldats de l’infanterie : « Si la direction de la guerre avait été digne du courage de ces braves gens, jamais les Allemands ne seraient entrés en France. J’ai vu des attaques avec des allures qui faisaient monter les larmes aux yeux. Mais aussi trop souvent avec une inconscience criminelle. Pauvres camarades de l’infanterie. Nous aurons la victoire malgré tout, parce qu’il faut que nous l’ayons, mais elle aurait dû être bien moins difficile » (8 octobre 1914). Il s’insurge contre Romain Rolland : « Le Monsieur Rolland, au lieu de se chauffer paisiblement en Suisse, devrait aller faire un tour en Lorraine. Il y verrait des villages dont la destruction aurait fait horreur à Attila, les tombes des vieillards, des femmes, des enfants massacrés par les fidèles de la Kultur » (25 octobre 1914). S’il clame toujours la certitude de la victoire finale, il envisage une fois l’éventualité de la défaite, lorsqu’il s’agit de conseiller à sa mère les meilleurs placements. En novembre 1918, tous les alliés de l’Allemagne ayant reconnu leur défaite, « on va pouvoir s’expliquer enfin avec les hobereaux allemands et leurs amis les traîtres bolcheviks », et le 11 : « Voilà l’armistice. Je regrette que nous ne soyons pas entrés en Allemagne avant sa signature. Il fallait ça. »
La vie d’une bourgeoise à l’arrière
Les lettres de Marie-Thérèse décrivent une vie bourgeoise douillette, oisive, bien pensante malgré sa « relation coupable » ; on lit L’Illustration et on ne peut comprendre la réalité de la guerre malgré un temps de bénévolat au service des blessés à l’hôpital d’Albi, blessés chez qui elle arrive toutefois à percevoir une immense lassitude. Elle va à Toulouse pour s’habiller (« je n’ai rien à me mettre ») ; elle écrit à son amant « à la terrasse des Américains » ; elle se distrait au théâtre, profitant de la pièce « impeccablement jouée » et de « la salle très brillante ». En 1916 comme en 1915, elle passe trois semaines en cure : « Que te dirai-je de Vichy ? Un monde fou, un luxe inouï, des toilettes splendides et, pour achever, des officiers en surnombre, très décorés, galonnés. Pour compléter le tableau, pas mal d’officiers serbes, les tombeurs de cœurs de la saison ! » Elle aussi souhaite l’écrasement des Allemands : « Que de calamités, mon Dieu, ces sauvages sèment sur leur route. Que d’atrocités commises au nom de la Kultur teutonne… C’est à frémir d’horreur. Heureusement que Dieu, le vrai, pas celui qu’ils invoquent, les châtiera, et le châtiment sera terrible. »
RC
*Sylvie Decobert, Lettres du front et de l’arrière (1914-1918), Carcassonne, Les Audois, 2000. Le livre, à partir d’un mémoire de maîtrise comprend trois parties principales : une étude théorique de bon niveau sur la méthode à utiliser pour étudier les correspondances ; une analyse des lettres de Georges et de Marie-Thérèse ; des extraits de cette correspondance.
*Voir aussi la notice Bonneau dans Les Toulousains dans l’Histoire, dictionnaire biographique sous la direction de Philippe Wolff, Toulouse, Privat, 1984, p. 239.

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