Hobey, Louis (1892-1960)

Les éditions Plein Chant à Bassac (www.pleinchant.fr) viennent de rééditer le livre de Louis Hobey, La Guerre ? C’est ça ! …, Collection « Voix d’en bas », 2015, 350 p. Le texte proprement dit (302 pages) est suivi d’une « Documentation » très utile pour connaître et comprendre l’auteur. Cette partie se réfère à Témoins de Jean Norton Cru, à 500 Témoins de la Grande Guerre, à Louis Barthas, Jacques Meyer, Pierre Paraf, Joseph Jolinon.

L’auteur
Louis Hobey est né au Havre le 10 mai 1892. Son père était chaudronnier. Des malheurs familiaux conduisent Louis et sa sœur à l’Assistance publique qui les place chez des paysans du Pays de Caux. Bon élève du primaire, il est orienté vers l’école normale et devient instituteur. Il se marie et enseigne pendant deux ans avant de faire le service militaire. Il est classé « service auxiliaire », puis il est « récupéré » pour faire la guerre dans l’infanterie. Fait prisonnier le 16 juillet 1918. Après la guerre, il reprend son métier et devient adepte de la pédagogie Freinet (celui-ci lui-même témoin de la Grande Guerre, voir ce nom dans notre dictionnaire). Louis Hobey milite dans le syndicalisme ; en 1936, il figure parmi les « Amis de l’école émancipée » avec Robert Jospin, Félicien Challaye, Sébastien Faure, etc. Son pacifisme lui vaut des ennuis en 1939 et la révocation par Vichy en 1940. Il meurt le 15 février 1960 à Étoile-sur-Rhône.
Il a écrit des brochures de La Libre Pensée dans les années 1950 ; le récit de sa jeunesse parait un an après sa mort (Un d’en bas, Amitié par le Livre, 1961). Le livre sur la Grande Guerre est publié en 1937 à la Librairie du Travail de Marcel Hasfeld qui annonce un tirage de trois mille exemplaires (note ci-dessous). La réédition de 2015 donne le texte de la recension du livre par Maurice Dommanget dans L’école émancipée, 14 novembre 1937.

Roman ou témoignage ?
Ce livre appartient à la catégorie des romans autobiographiques. Le héros, Louis Moreau, n’est autre que Louis Hobey. On sait que ce dernier a combattu dans les rangs des 113e et 131e RI, mais le roman se refuse à donner des numéros d’unités. On ignore si l’auteur a tenu pendant la guerre des carnets de notes. Voici un passage qui n’est évidemment pas un témoignage visuel à propos d’un camarade (p. 22) : « Blessé une deuxième fois, resté sur le champ de bataille, il tira sur le premier Allemand qui vint pour le panser (on vit de ces exemples stupides et décevants) puis se fit sauter le cervelle, prévenant ainsi le coup de baïonnette vengeur. » Malgré l’hostilité à la guerre de Hobey, Moreau est présenté comme un véritable héros qui remplit avec succès les missions les plus périlleuses, qui reçoit quatre citations, devient caporal puis sergent, un vieux briscard à qui l’aspirant obéit. En même temps, le livre se présente clairement comme un pamphlet contre la guerre, « pour que CELA ne soit plus ». « On ne tue pas la guerre avec des fusils, des canons, des gaz. C’est dans l’esprit qu’il faut tuer la guerre. FAIRE PENSER ! Tout le but de ce livre est là », écrit-il dans l’Avertissement. Dans le cours du texte (p. 240), il souligne « la nécessité d’un enseignement que donneraient, en plein accord, à l’humanité entière, les instituteurs du monde ». Dans le mot « les salauds », « il englobait tous les hommes qui, de près comme de loin, sur tous les points de l’Europe, avaient voulu la guerre, toutes les puissances, les politiciens et leurs maîtres : le Capital, l’Industrie, rouages de la machine monstrueuse qui ne marchait qu’avec du sang, qui ne se graissait qu’avec des larmes. »

Un authentique poilu
Le pamphlet de Louis Hobey s’appuie sur les descriptions bien connues, rencontrées dans les témoignages des fantassins. Bombardements, attaques, coups de main, mines, cadavres, horreurs, destructions. Bourrage de crâne, critique des profiteurs et des embusqués, mais souhait de trouver soi-même un filon. Refus des couteaux à la veille du 25 septembre 1915 (p. 42) : « Sommes-nous des bouchers ? Sommes-nous des apaches ? » L’hôpital où on a intérêt à aller à la messe. L’Argonne, la Somme, le 16 avril 1917, le « cimetière des tanks » au pied du Chemin des Dames. Le camp de prisonniers en Allemagne et la faim intolérable jusqu’à l’arrivée des colis familiaux.
Lors de la mobilisation, Louis Hobey décrit le « coup douloureux » de l’assassinat de Jaurès : « La grande figure n’était plus. Avec elle disparaissait l’espoir de ces humbles qui avaient foi en elle, qui sentaient l’immensité de la perte qu’ils venaient de faire, et à qui il ne restait plus que le souvenir et le regret. » Il épingle Barrès et Jouhaux qui avaient annoncé leur engagement et qui sont restés à l’arrière. Il montre ceux qui sont prêts à toutes les combines pour ne pas partir ou pour retarder leur départ, et les soldats qui s’en prennent aux femmes (p. 74) : « Elles pouvaient nous empêcher de partir… »
J’ai encore noté une belle formulation au 24 septembre 1915 (p. 43) : « Le colonel, devant le bataillon rassemblé, lut des phrases choisies pour l’oreille, et non pour le cerveau : l’ordre du jour du général en chef. »
Curieusement, à part la mention qu’en 1917 les soldats souhaitaient « faire comme les Russes » (p. 167), le livre ne décrit pas les mutineries, pas plus que les fraternisations ou les exécutions de soldats français par leurs camarades. Il serait intéressant de creuser le pourquoi de ces lacunes.
Rémy Cazals, janvier 2016

Note : Voir Marie-Christine Bardouillet, La Librairie du Travail, Collection du Centre d’histoire du syndicalisme, Paris, Maspero, 1977. Dans une lettre du 8 avril 1979, adressée à Rémy Cazals, Marcel Hasfeld écrivait : « Quant au livre de Barthas, je l’ai déjà lu avec beaucoup d’intérêt car c’est la guerre qu’il décrit qui est à l’origine de la Bibliothèque du Travail, puis de la Librairie et enfin des éditions. »

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