Elain, Auguste (1885- ?)

Les éditeurs fournissent très peu d’informations sur ce témoin, qu’ils prénomment « Eugène » (par erreur) dans le titre du document et « Auguste » dans le texte de présentation.
Auguste Elain est né le 26 mars 1885 à Grazay (Mayenne), de parents agriculteurs. Il effectue son service militaire à Mayenne. En août 1914, il est mobilisé au 130e régiment d’infanterie. Sa conduite au front lui vaudra plusieurs citations : à l’ordre du régiment (avril 1916), à l’ordre du 4e corps d’armée (octobre 1916), à l’ordre de la division (juin 1917).
Le 15 juillet 1918, il est fait prisonnier par les Allemands, avec presque tout son bataillon, au massif de Moronvilliers (Marne). Les prisonniers rejoignent le camp de Bethinville, à l’est de Reims. Son grade de sous-officier adjudant lui permet d’être regroupé avec les officiers, qui sont séparés des soldats et sergents.
Auguste Elain commence à rédiger un carnet de captivité. En six mois, il va connaître plusieurs camps d’internement en Allemagne : à Rastatt (Bade-Wurtemberg), où ils sont 450 officiers et adjudants (23 juillet–3 août) ; à Giessen (Hesse), où les adjudants sont envoyés pour se faire vacciner (3 août–10 septembre) ; à Meschede (Westphalie), où ils sont 1200 sous-officiers français et anglais (11 septembre–5 octobre). La discipline y est plus sévère et ils ressentent la faim ; leur camp jouxte celui des prisonniers russes et italiens. Puis, à Stargard (Poméranie) (8 octobre–3 janvier 1919), dans un camp occupé par des prisonniers russes, serbes et roumains, qui y sont durement traités ; l’arrivée des Français améliorera leur condition.
À partir de l’armistice signé le 11 novembre 1918, le drapeau rouge est hissé à la grille du camp et les soldats ne saluent plus les officiers, tandis que les prisonniers attendent leur rapatriement en disposant de plus de liberté. Le 21 décembre, un détachement de 2000 Russes quitte le camp pour rejoindre la Russie à pied. Le 3 janvier 1919, les derniers Français de Stargard embarquent à Stettin sur un navire allemand à destination de Copenhague ; le 4, ils quittent cette ville sur un transatlantique américain à destination de Cherbourg (Manche), où ils arrivent le 10 janvier. La captivité est terminée et le récit d’Auguste Elain s’arrête là.

Le site des archives du Comité International de la Croix-Rouge permet de retrouver sa fiche de prisonnier établie au nom de : « Elain, Auguste François, adjudant, 130e RI, fait prisonnier le 15.07.1918, né le 26.03.1885 à Grazay en Mayenne » (http://grandeguerre.icrc.org/fr) (fiche : P 91691 / n° 53).
Le carnet d’Auguste Elain a été transmis aux Archives départementales du Calvados, qui l’ont édité dans un recueil contenant deux autres témoignages : celui de l’artilleur Albert Masselin et celui de l’aviateur Guy Blanchet de Pauniat. Le recueil ne fournit aucune information sur la vie d’Auguste Elain après la guerre.

Ce témoignage est celui d’un homme instruit, qui observe avec intérêt les paysages allemands traversés par son convoi de prisonniers. Comme adjudant, il ne sera jamais soumis au travail sur le front allemand, ni dans les fermes ou les usines allemandes. Il note, en voyant les 2000 hommes qui arrivent dans le camp, le 15 août 1918 : « Ce sont des caporaux et des soldats pris le même jour que nous, mais qui sont restés un mois à l’arrière du front à travailler sans pouvoir écrire à leur famille. Ils sont tous déguenillés, maigres et font peine à voir. »
D’un camp à l’autre, la vie est rythmée par les mêmes préoccupations : envoi de cartes-lettres aux familles, lutte contre les puces et poux, attente des vivres du comité de secours, perception de la solde, colis ouverts par le contrôle, crainte de l’hiver qui approche. Les distractions se limitent aux conférences instructives données par des prisonniers, aux soirées récréatives, à la messe du dimanche, à la lecture des journaux qui apprennent le recul des armées allemandes.
Les prisonniers peuvent améliorer leur condition en recourant aux neutres, tel l’ambassadeur d’Espagne à Berlin, auquel une lettre de réclamation est adressée le 16 août afin d’obtenir le pain de la veille non distribué. Au camp de Stargard, c’est la possibilité de vendre des produits reçus dans les colis ; des Russes ou des Roumains achètent aux Français et Anglais ce qu’ils ont, notamment des savons, du chocolat et des chaussures devenus introuvables en Allemagne, et les revendent ensuite aux Allemands au prix fort (17.11.1918).
Le 10 novembre, la lecture d’un journal leur apprend les conditions de l’armistice ; Auguste Elain juge que « les articles sont durs pour les vaincus ». Les officiers allemands de Stargard invitent les prisonniers à rester calmes, et Auguste Elain note : « Nous serons calmes jusqu’à notre rapatriement, mais camarades jamais, la vieille haine existe toujours » (10.11.1918). Le 6 décembre, il remarque « dans la ville un grand pavoisement, drapeaux et guirlandes en l’honneur du régiment de cette ville qui doit rentrer incessamment du front. Toutes les villes d’Allemagne ont été invitées par le gouvernement à pavoiser en l’honneur des braves qui rentrent ». Le 30 décembre, à la veille de leur départ, les Français font graver sur une plaque de marbre les noms de leurs quinze camarades enterrés dans le cimetière du camp, qui compte un millier de tombes.
Auguste Elain est sensible à la vie des femmes allemandes : ce sont les fermières de Meschede travaillant dans les champs (septembre 1918), les mères recherchant du savon (20.11.1918), et cette mère lui demandant si les prisonniers allemands rentreraient bientôt : « Je lui ai répondu que je n’en savais rien, mais que vraisemblablement, il faudrait encore bien une année avant qu’ils soient là, elle a poussé un soupir et m’a dit qu’elle avait un fils prisonnier à Chartres. J’ai parfaitement compris son émoi » (29.12.1918).

Cahiers de Mémoire. La Guerre de 1914-1918, textes édités et présentés par Françoise Dutour, Louis Le Roc’h Morgère, Hélène Tron, Conseil général du Calvados, Direction des Archives départementales, 1997, 137 pages, « Carnet d’Eugène Elain », p. 108-136.

Isabelle Jeger, août 2016

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Lot-et-Garonnais (9 témoins nouveaux)

Impulsée en 2004 par la publication du livre Agen et les Agenais dans la Grande Guerre et en 2008 par les commémorations du 90e anniversaire de l’armistice, une vaste opération, menée notamment par les Archives départementales, a visé à faire émerger et collecter les témoignages de guerre dormant encore dans les familles lot-et-garonnaises. Plusieurs d’entre eux avaient fait l’objet d’exhumation et de publication dans le cadre de travaux associatifs à Agen, Aiguillon, Tonneins, Casseneuil ou Monflanquin (à travers les activités de la très dynamique revue Sous les Arcades). De nouvelles sources directes sont donc venues rejoindre aux Archives départementales les carnets de Valéry Capot, sergent puis adjudant au 9e RI d’Agen (voir ce nom) ou ceux de Victor Guilhem-Ducléon, lieutenant au 20e RI qui, égaré dernière les lignes allemandes après le 22 août 1914, se cache et survit en Belgique occupée avec d’autres camarades pendant plusieurs mois avant de pouvoir regagner les lignes françaises. Citons le carnet d’Armand Errard, originaire de Castelmoron-sur-Lot, maréchal-ferrant de son état, carnet tenu du 19 décembre 1914 (avec quelques pages de souvenirs du début de la campagne) au 5 septembre 1916. Il n’est pas directement en première ligne, mais juste à l’arrière avec le train de combat. Citons également la correspondance de Jean Millon d’Ainval, autre belle pièce ainsi récupérée. L’auteur, de la classe 15, écrit quasi journellement à son père et décrit avec force détails son incorporation, la vie de caserne, la première épreuve du feu. Les photographies de Jean Delbert, mobilisé en 1915 et devenu sous-lieutenant d’infanterie, témoignent quant à elles d’une vie au contact des combats et de la boue prégnante des tranchées. Enfin, la correspondance de l’agriculteur Joseph Aurel, soldat de réserve, fait montre d’un grand pessimisme, l’auteur signant toutes ses cartes postales d’un laconique « Joseph Adieu ». Lui reviendra finalement vivant de la guerre, à la différence de Philippe Feilles dit Faustin, né le 15 février 1879 à Razimet, cultivateur, mobilisé au 130e RI puis au 9e RI en 1915. Il est tué à l’ennemi, le 29 mai 1916, à Avocourt dans la Meuse. Tous ces documents ont en commun d’avoir été numérisés, ce qui garantit aujourd’hui leur conservation et leur mise à disposition d’un large public.
Dans le sillage de cette collecte, plusieurs témoignages ont pu être à leur tour publiés. L’association La Mémoire du Fleuve de Tonneins a réuni une douzaine de sources directes dont celles du séminariste Paul Glannes et de l’ouvrier-serrurier Marcel Garrigue (voir ces noms). Elles montrent toutes combien les identités en guerre ont pu être différentes. Citons dans la catégorie des témoignages publiés, à côté de la correspondance d’Henri Despeyrières, les lettres de René Charles Andrieu, d’abord simple soldat, sergent puis sous-lieutenant à la fin du conflit, ou les carnets de Jérôme Castan, modeste employé de banque mobilisé au 14e RI, rejoignant le front italien en 1917 (voir ces noms). Le bulletin de septembre 2007 de la Société des Amis du Vieux Nérac, déjà à l’origine de la publication du témoignage de guerre de l’infirmière Léonie Bonnet (voir ce nom), permet également de prendre la mesure de la richesse des sources privées locales. Citons le journal de l’avocat et conseiller général Paul Courrent, engagé volontaire de 42 ans en 1914, tantôt fantassin territorial, tantôt greffier et substitut du commissaire rapporteur d’un conseil de guerre, et le carnet de guerre de Raoul Labadie conservé pour l’année 1915 dans lequel ce sergent du 214e RI âgé de 24 ans témoigne des combats aux Éparges. Il est optimiste en avril 1915 : « Nous progressons de partout. » Il ne parlera jamais de son expérience après-guerre.
Enfin, deux autres correspondances réinventées comme document d’histoire sont venues enrichir ce déjà large panel de témoins de la Grande Guerre. Avec ses cartes postales publiées dans la Revue de l’Agenais, Abel Basset, né en 1875, agriculteur, donne vie à la parole paysanne (voir ce nom). À l’opposé du spectre social, le jeune Herman Douzon, classe 18, issu d’une famille de propriétaires, investie dans la représentation locale de la IIIe République, tente d’échapper à l’infanterie en s’engageant volontaire en 1917 dans l’artillerie lourde.
Au final, l’émergence des soldats lot-et-garonnais dans la sphère du témoignage combattant s’explique en partie par le rôle moteur des acteurs de la mémoire du département, soutenus par l’intérêt croissant de notre société pour les récits de vie. Elle montre le poids de l’écriture populaire en guerre, l’importance aussi de poursuivre le travail de collecte des sources issues de toutes les strates de la société. Ainsi est-il possible de réévaluer les liens front /arrière dans la réalité des pratiques d’échanges, le rapport des sociétés à la guerre par le biais des différentes identités sociales qui les composent, dans leurs singularités et sur la durée du conflit.
Alexandre Lafon

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