Lot-et-Garonnais (9 témoins nouveaux)

Impulsée en 2004 par la publication du livre Agen et les Agenais dans la Grande Guerre et en 2008 par les commémorations du 90e anniversaire de l’armistice, une vaste opération, menée notamment par les Archives départementales, a visé à faire émerger et collecter les témoignages de guerre dormant encore dans les familles lot-et-garonnaises. Plusieurs d’entre eux avaient fait l’objet d’exhumation et de publication dans le cadre de travaux associatifs à Agen, Aiguillon, Tonneins, Casseneuil ou Monflanquin (à travers les activités de la très dynamique revue Sous les Arcades). De nouvelles sources directes sont donc venues rejoindre aux Archives départementales les carnets de Valéry Capot, sergent puis adjudant au 9e RI d’Agen (voir ce nom) ou ceux de Victor Guilhem-Ducléon, lieutenant au 20e RI qui, égaré dernière les lignes allemandes après le 22 août 1914, se cache et survit en Belgique occupée avec d’autres camarades pendant plusieurs mois avant de pouvoir regagner les lignes françaises. Citons le carnet d’Armand Errard, originaire de Castelmoron-sur-Lot, maréchal-ferrant de son état, carnet tenu du 19 décembre 1914 (avec quelques pages de souvenirs du début de la campagne) au 5 septembre 1916. Il n’est pas directement en première ligne, mais juste à l’arrière avec le train de combat. Citons également la correspondance de Jean Millon d’Ainval, autre belle pièce ainsi récupérée. L’auteur, de la classe 15, écrit quasi journellement à son père et décrit avec force détails son incorporation, la vie de caserne, la première épreuve du feu. Les photographies de Jean Delbert, mobilisé en 1915 et devenu sous-lieutenant d’infanterie, témoignent quant à elles d’une vie au contact des combats et de la boue prégnante des tranchées. Enfin, la correspondance de l’agriculteur Joseph Aurel, soldat de réserve, fait montre d’un grand pessimisme, l’auteur signant toutes ses cartes postales d’un laconique « Joseph Adieu ». Lui reviendra finalement vivant de la guerre, à la différence de Philippe Feilles dit Faustin, né le 15 février 1879 à Razimet, cultivateur, mobilisé au 130e RI puis au 9e RI en 1915. Il est tué à l’ennemi, le 29 mai 1916, à Avocourt dans la Meuse. Tous ces documents ont en commun d’avoir été numérisés, ce qui garantit aujourd’hui leur conservation et leur mise à disposition d’un large public.
Dans le sillage de cette collecte, plusieurs témoignages ont pu être à leur tour publiés. L’association La Mémoire du Fleuve de Tonneins a réuni une douzaine de sources directes dont celles du séminariste Paul Glannes et de l’ouvrier-serrurier Marcel Garrigue (voir ces noms). Elles montrent toutes combien les identités en guerre ont pu être différentes. Citons dans la catégorie des témoignages publiés, à côté de la correspondance d’Henri Despeyrières, les lettres de René Charles Andrieu, d’abord simple soldat, sergent puis sous-lieutenant à la fin du conflit, ou les carnets de Jérôme Castan, modeste employé de banque mobilisé au 14e RI, rejoignant le front italien en 1917 (voir ces noms). Le bulletin de septembre 2007 de la Société des Amis du Vieux Nérac, déjà à l’origine de la publication du témoignage de guerre de l’infirmière Léonie Bonnet (voir ce nom), permet également de prendre la mesure de la richesse des sources privées locales. Citons le journal de l’avocat et conseiller général Paul Courrent, engagé volontaire de 42 ans en 1914, tantôt fantassin territorial, tantôt greffier et substitut du commissaire rapporteur d’un conseil de guerre, et le carnet de guerre de Raoul Labadie conservé pour l’année 1915 dans lequel ce sergent du 214e RI âgé de 24 ans témoigne des combats aux Éparges. Il est optimiste en avril 1915 : « Nous progressons de partout. » Il ne parlera jamais de son expérience après-guerre.
Enfin, deux autres correspondances réinventées comme document d’histoire sont venues enrichir ce déjà large panel de témoins de la Grande Guerre. Avec ses cartes postales publiées dans la Revue de l’Agenais, Abel Basset, né en 1875, agriculteur, donne vie à la parole paysanne (voir ce nom). À l’opposé du spectre social, le jeune Herman Douzon, classe 18, issu d’une famille de propriétaires, investie dans la représentation locale de la IIIe République, tente d’échapper à l’infanterie en s’engageant volontaire en 1917 dans l’artillerie lourde.
Au final, l’émergence des soldats lot-et-garonnais dans la sphère du témoignage combattant s’explique en partie par le rôle moteur des acteurs de la mémoire du département, soutenus par l’intérêt croissant de notre société pour les récits de vie. Elle montre le poids de l’écriture populaire en guerre, l’importance aussi de poursuivre le travail de collecte des sources issues de toutes les strates de la société. Ainsi est-il possible de réévaluer les liens front /arrière dans la réalité des pratiques d’échanges, le rapport des sociétés à la guerre par le biais des différentes identités sociales qui les composent, dans leurs singularités et sur la durée du conflit.
Alexandre Lafon

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Glannes, André (1894-1916)

« Au moment de rentrer en campagne, j’ai besoin plus que jamais de l’assistance divine. » C’est par ces mots que débute le carnet de guerre d’André Glannes, jeune séminariste lot-et-garonnais né à Tonneins le 19 janvier 1894, partant au front en avril 1915. D’abord simple soldat puis caporal au 7e RI de Cahors avant de rejoindre le 20e RI de Marmande en octobre 1915, il décède des suites de blessures reçues à Verdun en première ligne en juillet 1916, un an après avoir connu le feu. Il laisse à sa famille un carnet rouge dans lequel il a retranscrit ses impressions à partir de son départ vers le front. Son récit est marqué tout à la fois par ses convictions chrétiennes et par un souci de raconter simplement ce qu’il vit. Les références à Dieu, à l’épreuve, au martyre se croisent souvent, alors que le jeune André dit se battre parce qu’« on attaque [ses] croyances ». La guerre apparaît pour lui comme un temps de régénérescence (13 juin 1915). André reste d’abord en retrait de la ligne de feu jusqu’en septembre 1916, notant sporadiquement quelques faits saillants dans lesquels pointe l’amertume d’une attente forcée : « On dirait qu’il est écrit que jamais je ne mettrai les pieds dans les tranchées » (26 septembre 1915). La guerre se résume alors à une pesante « vie de cantonnement », quelques observations des populations et des modes de culture (2 juin1915), au bruit lointain du canon. La découverte des tranchées le plonge dans une « vie nouvelle, faite de peines, de fatigues, d’angoisses, de périls, de privations », mais qui exalte sa foi et sa croyance en la protection divine. Sa foi l’aide à tenir et parfois à exprimer quelque compassion pour l’ennemi.
Dans la Somme, à Arras, puis près de Nancy, il note par intermittence, lorsqu’il en a le loisir, les épisodes qu’il juge remarquables : ses rencontres avec son frère ; le troc développé avec les civils ; la rencontre avec les cadavres pourrissant sur le champ de bataille ; les Méridionaux comparés à des « produits alcooliques » ; l’importance des duels d’artillerie sur lesquels les fantassins n’ont pas de prise ; les relèves pleines d’imprévus qui énervent les hommes. Le 31 décembre 1915, il lance aux Allemands, « en boche », une « Bonne année, vieilles charognes » après qu’un « Gunt Jahr » soit parti des lignes allemandes, et c’est le colonel qui, trouvant la nuit trop calme, fait tirer le 75 et les crapouillots. André exprime son ressentiment envers les Allemands lorsque des camarades tombent près de lui : « Désormais entre eux et moi, ce sera à la vie, à la mort », écrit-il en avril 1916. Et c’est bien la mort qui l’attend quelques semaines après son arrivée à Verdun. Avant cela, un passage par la Marne oblige les fantassins à se souvenir : « Le cafard s’empare de tous ceux qui ont fait la Marne en 1914 » (27 avril 1916). Cette remarque montre combien il est nécessaire d’appréhender les expériences combattantes en prenant en compte l’épaisseur des mémoires plurielles élaborées durant le conflit.
Le témoignage d’André Glannes, tout en offrant des indices précis et précieux du quotidien des fantassins « au ras du sol », souligne combien les facteurs de la ténacité doivent être recherchés dans de nombreuses directions. Sans que le type de soutien moral de ce fervent chrétien soit généralisable à l’ensemble des combattants.
Alexandre Lafon
* Alain Glayroux, Portraits de Poilus du Tonneinquais 1914-1918, Tonneins, La Mémoire du Fleuve, 2006, p. 65-123.

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Clermont, Théodore (1888-1973)

Fils de cultivateurs, il est né à Sabaillan (Gers) le 18 février 1888. Titulaire du certificat d’études primaires, il travaille sur l’exploitation familiale. Au cours du service militaire à Montauban, il devient ordonnance du colonel de la Ruelle, et il le suit dans sa retraite en Bretagne. C’est là que la mobilisation le trouve et il descend vers la caserne du 20e RI à Marmande. Il se marie après la guerre (deux enfants) et tient une ferme à Seysses-Savès (Gers). Pendant la guerre, il a pris des notes et les a mises au propre, visiblement de manière fidèle sur un gros cahier de 340 pages, format 18×23, qui débute ainsi : « Ces quelques lignes qui vont suivre ont été écrites au jour le jour pendant la Grande Guerre. Elles ne contiennent que l’emploi de mon temps, les impressions personnelles sur les faits de guerre qui m’ont le plus frappé. Vous ne trouverez donc pas ici le récit de grandes opérations, le but que j’ai poursuivi en écrivant mon carnet de route a été celui de vous renseigner au jour le jour dans le cas où la bonne fortune ne m’aurait pas favorisé ; dans le cas où comme tant de bons camarades que j’ai eus, j’aurais pu rester sur quelque champ de bataille. » Et se termine ainsi : « Tels sont les souvenirs que je garde du 2 août 1914 au 1er janvier 1920, temps pendant lequel l’humanité entière a été bouleversée par la plus terrible des guerres qu’un tyran à la tête d’une nation militarisée a enclenchée. Transcrit des carnets de route pendant l’hiver 1920 et l’hiver 1920-21. Terminé le 25 novembre 1921. » La copie au propre reste bien datée et localisée ; les notes de certains jours sont très brèves.
Fin juillet, en Bretagne, le colonel de la Ruelle est inquiet, et sa cuisinière aussi car elle a vu 1870. Il faut partir au milieu de Bretons que le cidre rend fort joyeux, puis très malades. Le 22 août, c’est le spectacle atroce des blessés lors de la bataille de Bertrix. Le régiment passe l’hiver en Champagne et le suivant en Artois. En décembre 1915, Théodore signale la pluie, mais pas de sortie des tranchées ou de fraternisation. En janvier 1916, il passe à la compagnie de mitrailleuses. En mai, il signale le travail intense des soldats pour assurer à un lieutenant un confort qui choque : « Ils [les officiers] ne sont en général que des égoïstes qui ne pensent qu’à leur bien-être propre et se soucient peu du bonheur de leurs subordonnés. » Lui-même devient ordonnance du sous-lieutenant Archinard. À Verdun, le 26 juillet, l’officier et l’ordonnance sont blessés, Théodore par un éclat d’obus. Courte convalo et le voici en septembre à la côte du Poivre où la vie est fort triste, le ravitaillement arrivant mal. Le 9 février 1917, il note, sachant de quoi il parle : « Les officiers, qui sont comme des petits seigneurs dans un secteur calme, exigent de leur subordonné une exactitude qui ne peut être possible que dans un intérieur où rien ne manque. Si ces messieurs trouvent des ordonnances, cuisiniers et autres employés, c’est que ceux-ci, uniquement pour leur bien-être et pour la sécurité, mais pas complète, de leur existence, préfèrent souffrir ces petits ennuis de tout moment que de monter la garde à la tranchée. »
Le 17 avril 1917, près de la ferme de Moscou, il aménage les tranchées allemandes de 1ère ligne tout juste prises. Après la relève, le 28, les soldats grognent parce qu’on parle de les faire remonter pour attaquer. Alors, situation insolite, « pour punir la compagnie, nous sommes privés de confitures ». Le lendemain, tandis que Théodore et les autres montent, il y a des mutins qui se défilent (la moitié de l’effectif, dit-il). Le 1er mai, tandis que quelques mutins reviennent, les autorités enquêtent pour identifier les meneurs. L’épisode du 20e RI est considéré comme le premier de la crise de 1917 ; il est assez grave pour que 6 condamnations à mort soient prononcées (mais non exécutées). Théodore n’en parle pas, mais signale que les mutins vont être dispersés dans d’autres unités. Lorsqu’il part et revient de permission, il ne dit rien des troubles dans les trains. Aurait-il supprimé quelques notes lors de la mise au propre de son texte ?
Le 23 juillet 1918, il est blessé au bras par un nouvel éclat, et pris en charge par « des gentilles Américaines » à Paris et il reçoit à l’hôpital la visite du colonel de la Ruelle. Retour à la compagnie fin septembre, où manquent beaucoup de camarades : « Que de vies que la dernière offensive y a volées ! » Sa demande pour servir dans les tanks est acceptée et il part pour le camp de Cercottes près d’Orléans, où l’instruction doit durer trois semaines. Au cours de la première : « nous n’avons rien fait. » Au cours de la seconde, les instructeurs donnent des explications très claires. L’armistice survient au cours de la troisième.
RC
*« Journal de guerre de Théodore Clermont », dans Savès-Patrimoine, 3e et 4e trimestres 2008, 207 p. format A4. Contient un tableau très détaillé des lieux et des dates.

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Monti, Olivier (1894-1964)

D’une famille corse, Olivier Charles André Monti est né à Paris le 26 décembre 1894. Mobilisé avec sa classe, il tient un journal de guerre sous la forme de six carnets de petit format, qu’il a réunis dans un étui en cuir. Ses enfants les ont retrouvés et retranscrits en rencontrant des problèmes qu’ils n’ont pas toujours surmontés : taupe pour Taube, Knipp pour Krupp, par exemple. Les notes d’Olivier Monti sont parfois laconiques, ainsi en décembre 1917 et janvier 1918 où l’information quotidienne est presque limitée à l’expression : « Il gèle. » La dernière page montre sa fierté d’avoir été assidu : « Beaucoup de mes camarades l’avaient commencé mais presque tous n’ont pu le continuer. » Deux phrases en latin témoignent d’une certaine culture que les transcripteurs ne précisent pas, pas plus que sa profession.
Olivier Monti est mobilisé en septembre 1914. Il arrive sur le front en Champagne et découvre les tranchées le 25 février 1915, avec la pluie, la boue, le quart de jus froid destiné à « réchauffer » les guetteurs. Malade, il est évacué en avril et ne revient sur le front qu’en octobre. En avril 1916, il est agent de liaison. Il connaît les durs moments de Verdun en juillet : lors de la relève, il ne reste que « 21 sur 99 que nous sommes montés ». En avril 1917, il participe aux attaques sur le Mont Téton près de Reims. Le 11 mai, apprenant que son régiment va être dissout (le 207e RI ?), il remarque : « Je voudrais être à la place du drapeau. » Il est affecté à une compagnie de mitrailleuses du 20e RI. Le 28 août, il fait sa demande pour l’aviation et il est accepté en janvier 1918. Il passe alors des examens de santé, il apprend à piloter, fait des essais et accomplit son premier vol en solo le 5 mai. Le 9 mai, en atterrissant, il « casse deux zincs », le sien et un autre qu’il vient emboutir. Cela lui vaut d’être renvoyé au 20eRI, mais en passant par des périodes confuses de fausses permissions et de peines de prison. Notons que les Parisiens étaient avantagés par la proximité de leur domicile des lignes. Notons aussi que la prison peut présenter quelques avantages : « Nous sommes très bien couchés, mieux qu’à la compagnie, de la paille bien propre, mais assez de mouches. Le grand avantage c’est que le matin on fait la grasse matinée tandis que dans les Cies ils vont à l’exercice. Rien à faire, pas de corvées. On nous porte à manger en quantité et l’on touche notre vin. C’est épatant. On fume, on boit et l’on chante. »
Fin août 1918, Olivier Monti décrit le passage de l’Ailette. Le 27 octobre, il note que les avions allemands lâchent peu de bombes et des proclamations contre la continuation de la guerre. Le 30, il s’agit d’une attaque de tanks vers Guise, et Monti bivouaque dans l’usine Godin. Le 7 novembre, il signale le passage des parlementaires allemands, puis l’armistice qui déclenche une joie « générale mais non bruyante ». Suit une période de discipline relâchée, « de cafard et de soûlographie ». En juillet 1919, à Paris, il fait son possible « pour ne pas être désigné pour défiler le 14 courant » et il réussit. Démobilisé le 11 septembre 1919, il note : « Voilà, c’est fini, je suis civil. »
Au cours de ces années de militaire, Olivier Monti a eu l’occasion de signaler plusieurs cas d’officiers pris de boisson, d’autres incapables de lire une carte. La grande originalité de ses carnets est de décrire aussi ses activités en permission à Paris, ses virées avec les copains (autres permissionnaires ? affectés spéciaux ? on ne sait) et les nuits passées avec telle ou telle jeune femme. Sa fille commentait ainsi le témoignage : « Que de tristesse, d’épuisement, le désespoir n’étant jamais exprimé. Au contraire ressurgit la possibilité d’apprécier la moindre bouteille de vin, une nuit passée auprès d’une gentille fille, un match de foot ou quelques notes de musique. »
RC

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Moles, Raymond (1884-1961)

1) Le témoin

Né en 1884, Raymond Moles a 30 ans lors de la mobilisation. Il est marié avec Léonie Lacaze et père de famille (depuis 1913). Il exerce le métier d’agriculteur à Catus, au nord-ouest de Cahors, dans le Lot, où se trouve sa ferme, le Mas de Pégourié. Il est croyant et pratiquant. Il est affecté dès août 1914 à la 4e section du 138e RI. Il fait fonction d’agent de liaison. Le 7 janvier 1915, il est nommé soldat de 1ère classe, puis occupe la fonction de cycliste du médecin aide major le 23 mars 1915. Il tombe malade en mai et est évacué jusqu’en septembre. Jusqu’en décembre, il reste à l’arrière et témoigne des multiples exercices auxquels il doit se plier. Il semble revenir au 20e RI et regagne le front vers Arras. Il passe le 13 juillet 1917 au train des équipages. Sa femme meurt d’une phtisie ganglionnaire le 28 février 1920 à 29 ans. Elle laisse deux enfants : Emmanuel, né le 28 février 1920 et Roger, né en octobre 1919. Raymond Moles se marie alors avec sa belle-sœur, la femme du frère de Léonie, lui-même décédé des suites de la guerre.

2)      Le témoignage

Depuis 1913, Raymond Moles écrit les faits marquants de ses journées. On relève peu d’émotion ou de prises de position dans ses pages : il se borne à rapporter le temps qu’il fait, les travaux des champs, la guerre. Il continue cette prise de note jusqu’au début des années 1960. Ses carnets de guerre ont été publiés dans Bleu horizon : témoignages de combattants de la guerre, 1914-1918, parallèlement à ceux de Raymond Defaye (sous la direction de Gilles Bernard, Éditions Empreinte, 1999). Il a été recomposé, sans la moindre coupure et en conservant la chronologie, en trois chapitres : « Le front », « Les arrières » et « la vie à Pégourié ». Ces pages sont accompagnées de 160 photographies inédites de Raymond Defaye.

3)      Analyse

Les opinions et les sentiments de R. Moles cèdent souvent le pas devant l’écriture des faits : mouvements de troupes, temps qu’il fait, etc. En effet, son désir d’inscrire tous les événements marquants de sa journée est net : ainsi voit-on passer les troupes décimées et harassées de fatigue (23 août 1914), il donne à lire les cadavres déchiquetés (20 décembre 1914), les bombardements, les misères quotidiennes liées au temps (froid, pluie, boue,…). Le « je » est souvent remplacé par le « nous » ou le « on ». Mais ses observations sont souvent riches à l’instar de son récit d’un assaut sur des tranchées allemandes près de Tahure, le 5 mars 1915 : « nous pouvons remarquer que les types couchés n’étaient pas morts et que la plupart creusaient des trous ou arrangeaient les trous d’obus. » Il détaille l’instruction reçue à l’arrière de septembre à décembre 1915 : le 13 septembre, par exemple, il note que l’après-midi est consacré à de la « théorie sur les marques extérieures de respect et les règlements sur les peines attachés aux crimes ou délits militaires. » Pour autant, l’impression d’une écriture dénuée de sentiments est à nuancer : les rires (27 septembre 1914), la peur (4 mai 1916) sont évoqués.

En dépit de l’apparente objectivité de Raymond Moles, c’est bien sa guerre qu’il raconte dans son carnet. Un témoignage intéressant, donc, qui invite à la comparaison. Saluons d’ailleurs, dans la construction même de l’ouvrage Bleu horizon, le face à face, page après page, des notes de R. Moles et de celles de R. Defaye, médecin issu d’une famille de notable, et qui porte sur la guerre un tout autre regard. Autre regard tout aussi intéressant, celui de R. Moles sur l’arrière.

Marty Cédric, 19 mars 2010.

 

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