Ballot, François-Xavier (1886-1954)

Né à Vincey (Vosges) le 13 mars 1886 de père inconnu et de Marie-Joséphine Ballot. Avant la guerre, il est contrôleur à la Compagnie Lorraine d’Électricité. Il rejoint le 146e RI de Toul lors de la mobilisation. Réformé n°2 fin novembre de la même année, on le retrouve après la guerre directeur de la brasserie-restaurant Mollard-Wepler à Paris. En 1919, il épouse la directrice du Negresco de Nice, établissement dans lequel il est chef de rang. Mais le Negresco périclite et le couple se sépare ; François-Xavier rentre à Vincey où il devient comptable. Profondément pieux et marqué par deux guerres, il publie entre 1945 et 1948 sept ouvrages touchant à la religion et à la paix dans une Europe qu’il souhaite pacifiée. Il décède à Nancy le 27 février 1954 (merci à Bernard Visse pour les éléments biographiques fournis).
Son témoignage de guerre est publié sous un nom d’emprunt, formé par l’anagramme de son patronyme : Tollab, François-Xavier, Jusqu’à l’Infini, Nancy, Imprimerie nancéienne, 1931, 229 p. Le texte évoque un mois et demi de campagne en Lorraine d’un sergent fourrier, agent de liaison, du 2 août au 11 septembre 1914, date à laquelle il est évacué. De santé fragile, un « état pulmonaire et général » dégradé lui vaut d’être réformé n°2. S’il quitte le front, il reste mobilisé et « versé dans l’auxiliaire en avril 1915, puis affecté le 1er octobre de la même année à la 22e section de COA [Commis et Ouvriers d’Administration], caserne Latour-Maubourg » à Paris. En février 1916, une rechute l’envoie au sanatorium de Bligny, et une longue convalescence s’achève par une réforme définitive en mars 1917.
Souvenirs délayés et teintés de gouaille française, Ballot évoque sa guerre par tableaux, mêlant dialogues, impressions et panoramas. Ainsi sont mélangés inégalement fictions inutiles, bourrage de crâne (bien que la publication date de 1930), et touches réalistes et opportunes de la description de la bataille des frontières en Lorraine, à l’est de Nancy. Sans être exceptionnelle, la partie réellement testimoniale de son parcours est à prendre en compte. Sa description de l’habillement des réservistes est épique, comme celle des quolibets et invectives au croisement de régiments de l’Est avec ceux du Midi, souvent stigmatisés dans les témoignages. Les poncifs du bourrage de crâne sont présents, avec leur lot d’exactions plus supposées que constatées, d’espionnite et de trahisons des populations locales : « C’est un fait, et les psychologues l’expliqueront s’ils le peuvent. » Il recherche tous les signes prouvant la préparation allemande à la guerre bien avant qu’elle soit déclarée. Alors qu’il est désigné comme agent de liaison entre deux compagnies, et qu’il effectue une patrouille au nord de Château-Salins, il rencontre « tout un réseau de fils de fer rouillés et dont personne n’aurait pu déceler la présence. Ici encore, les Allemands avaient bien prévu la guerre ! » Il y revient plus loin : « Nous savions très bien que les Allemands, auteurs de la guerre, avaient su s’y préparer. De nombreuses tranchées avaient été creusées dès juin 1914, même avec le concours de civils de la région. Ces derniers durent s’exécuter parfois sous la menace du revolver. Nous savions aussi que les retranchements organisés sur les hauteurs dominant Prévocourt, Frémery, Chicourt et bien au-delà, étaient d’une puissance formidable. Pour nous, soldats et chefs, c’était le massacre à coup sûr ; néanmoins, il fallait aller de l’avant. » La réalité de la guerre est tout autre ; il subit son baptême du feu le 20 août à Frémery, terrible : « À l’appel, sur le plateau de la Marchande, le 20 août à la nuit, la 12e compagnie du 146e régiment d’infanterie put d’abord présenter quatorze hommes et onze qui arrivèrent peu après ; soit au total vingt-cinq hommes sur trois cents environ qu’ils étaient à l’aube, avant la bataille ; les autres compagnies du régiment, réduites à l’état squelettique, avaient perdu presque tous leurs officiers. » Est-ce pour cela que les pages du 17 au 21 août 1914 sont manquantes dans le JMO ? Lui-même indique qu’un obus lui a frôlé la joue, se fichant en terre à ses pieds sans exploser, que son uniforme est troué de multiples balles, qu’il a évité de justesse d’être embroché par la baïonnette d’un soldat français devenu fou et qu’il a sauvé la vie d’un autre en s’interposant entre un traînard et un officier qui voulait lui brûler la cervelle. Véritable traumatisme, l’échec de Morhange l’interroge sur l’héroïsme vain des soldats trahis par les erreurs commises, et entraîne le raccourcissement des galons des officiers. Lui-même supprime ses galons de fourrier pour éviter de tomber sous les balles des bons tireurs allemands. La bataille achevée, il fait le bilan d’un ennemi forcément déloyal ; ici un blessé achevé par un Allemand, là des balles dum-dum ou explosives, ailleurs un mort « brandissant vers le ciel son revolver » ou d’autres « debout et abrités derrière une haie, épaulant encore leur fusil » et souvent des artilleurs qui tirent délibérément sur les ambulances. Il voit aussi des 77 qui n’éclatent pas, des soldats qui jouent « aux cartes par le plus fort du bombardement » et des Allemands s’exprimant en français pour tromper les défenseurs. Malade, il entre le 11 septembre dans une ambulance installée dans un bateau sur le canal de la Marne au Rhin à Varangeville et cet épisode est riche d’enseignements : « Nous étions plus de cent qui reposions dans la cale ; une trentaine de blessés allemands étaient des nôtres et, pour la première fois, face à face, nous fraternisâmes pour le bien de l’humanité. » Une conclusion déjà amorcée quelques dizaines de pages auparavant : « Est-il possible de se faire une guerre aussi cruelle pour quelques mégalomanes notoires ? »
Yann Prouillet

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