Quey, Delphin (1895-1945)

1. Le témoin

Né le 13 octobre 1895 à Versoie (Savoie), près de Bourg-St. Maurice, vallée de la Tarentaise. Famille d’éleveurs et cultivateurs. Voisin et filleul de Maurice Marchand (voir ce nom). Mobilisé avec la classe 15. Son frère aîné Joseph a été tué le 10 septembre 1914.

Après la guerre, il reprend ses activités du temps de paix. Marié en 1924. Mort le 20 août 1945.

2. Le témoignage

Claude et Jean-François Lovie ont acheté à Versoie la maison Quey et y ont retrouvé une collection de lettres du temps de la Grande Guerre, parmi lesquelles 201 de Delphin à ses parents ou à ses frères et sœurs (2 en 1914 ; 96 en 1915 ; 66 en 1916 ; 28 en 1917 ; 9 en 1918). Importante lacune d’avril à décembre 1917. Publiées dans Poilus savoyards (1913-1918), Chronique d’une famille de Tarentaise, 320 lettres présentées et annotées par Jacques Lovie, Montmélian, « Gens de Savoie », 1981, 247 p., illustrations. Le livre respecte avec raison le texte original, mais l’orthographe a été normalisée dans les citations choisies pour la présente notice.

3. Analyse

Après avoir fait ses classes, Delphin part sur le front dans les Vosges avec le 62e BCP. Il y reste du printemps 1915 au printemps 1917. Lors de l’offensive Nivelle, il se trouve près de Reims où il remplit les fonctions de colombophile, mais la lacune dans la correspondance ne permet pas d’en dire plus. Lors de l’ultime offensive alliée, il est près de Saint Quentin en octobre 1918.

Contestataire dès le séjour en caserne, il se moque de ceux qui promettent aux recrues qu’elles iraient planter le drapeau français à Berlin ; il se plaint des officiers et les critique très vertement. Il ne cesse de donner à son jeune frère des conseils de simulation de maladie pour se faire réformer. Au front, il épingle les jeunes gradés : « On dirait qu’ils vont bouffer les Boches avec la langue. […] Mais une fois que ça pète, les voilà morts de frayeur et ils osent plus sortir de leur cahute. »

Il a, par lettres, un premier accrochage avec sa sœur qui lui a reproché de trop dépenser d’argent (mai 1916). Puis (en octobre), il envoie à la famille une carte illustrée du poilu criant « On les aura ! » et invitant à souscrire à l’emprunt de la Défense nationale. Mais il l’a corrigée ainsi : « On les aura ! pas » et « Souscrivez pas ». Sa sœur lui ayant demandé le texte d’une chanson qu’on essaie de faire chanter aux soldats pour remonter leur moral, Delphin répond sèchement : « Des chansons militaires, le moral n’est pas assez haut pour te faire ce plaisir. Je t’enverrais des autres, mais celle-là je n’ai jamais ouvert la bouche pour apprendre l’air. Le patriotisme j’en ai sous les talons de mes souliers, il n’y a qu’une chose que je demande, c’est la même que vous, la fin de toutes ces misères. Après cela on verra bien si on apprend des chansons. »

Les autres descriptions sont habituelles : la pluie, la boue, la neige ; la nourriture insuffisante ; l’importance du courrier ; la fabrication de bagues en aluminium ; le souhait de la « bonne blessure » ; la critique des embusqués ; les cadavres restés entre les lignes.
Agriculteur, Delphin Quey ne supporte pas que l’armée saccage les cultures. Une de ses dernières lettres, au cours de l’été 1918, donne à sa mère et à ses sœurs des conseils pour la garde du troupeau sur l’alpage. Il signe : « Votre fils et frère qui voudrait bien faire le berger à votre place. »

Rémy Cazals, mars 2008

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