Couraly, Pierre (1874-1937)

Pierre Couraly, Ce que nous avons eu de souffrances, Les éditions de Paris,  2014, 78 pages.

Le témoin
Pierre Couraly est tuilier à Varennes-sur-Tèche (Allier) en 1914. Marié, père de deux enfants, dont un déjà en apprentissage, il sert pendant tout le conflit dans des régiments territoriaux : 104e RIT d’août 1914 à septembre 1915 (à Roanne), 300e (09/1915 – 04/1917), puis 309e et 145e RIT. Il alterne périodes de travaux et de présence à la tranchée, et passe la plus grande partie de la guerre autour de Reims, mais aussi dans l’Aisne, à Verdun et en Lorraine. En 1918, il se fait détacher dans une compagnie des camps et cantonnements, il participe alors à la construction de baraquements pour les Américains et de camps d’aviation.
Le témoignage
Le petit-fils de l’auteur a découvert dans un tiroir un carnet 12x8cm, un journal de guerre (septembre 1915 – décembre 1918) qui a été édité en 2014 sous le titre Ce que nous avons eu de souffrances, carnet de la guerre 1914-1918, Editions de Paris (préface de Serge Vancina, initiateur de la publication). Chaque tête de chapitre présente en fac-similé la reproduction d’une page de l’original. L’iconographie a été ajoutée par les éditeurs.
Analyse
Le carnet, précis sur les lieux et les activités de P. Couraly à partir du 17 septembre 1915, est très synthétique : on y observe « les travaux et les jours », avec le terrassement, l’aménagement de baraques, de voies ferrées étroites, la garde de prisonniers… Par exemple, en juillet 1916 : « corvée de vingt hommes pour aller travailler au génie et poser des câbles électriques qui vont aux premières lignes et les réseaux de fil de fer barbelés. J’y ai travaillé pendant huit jours pour mon compte » p. 40. Comme le souligne la préface, le mot « travail » revient presque à chaque page, une ou plusieurs fois. L’auteur, qui peut aussi prétendre au statut de propriétaire cultivateur, obtient deux permissions agricoles qui se passent au travail : août 1917 « Je pars en permission de 20 jours agricoles. J’ai travaillé chez moi et chez Pouillon fermier au domaine de Baranthon» p. 63. Il monte souvent en 1ère ligne en 1915 (tenue de créneau ou ravitaillement). La tranchée peut être aussi un lieu de punition : 8 mai 1916 « j’ai attrapé 8 jours de prison c’est-à-dire de 1ère ligne pour n’avoir pas été planton au poste du Commandant (…) J’ai fait ma punition à l’ouvrage 500 en 1ère ligne » p. 34. À partir de 1917 il ne fait plus que des travaux à l’arrière (3e ligne, zone des étapes). Il raconte de manière succincte des faits saillants, les bombardements…. Il évoque par exemple de manière hostile, puis apaisée, des troupes indigènes : août 1916 « Commandé de corvée pour le nettoyage des rues de Verzenay que ces sales moricauds de Marocains ont salies depuis 5 heures du matin jusqu’à 4 heures du soir » p. 43, et 23 août « Les Marocains sont aux créneaux avec nous. Ils voudraient tirer tout le temps sans s’occuper de ce qu’il y a devant eux. Ils tireraient aussi bien sur les Français que sur les Boches. Avec beaucoup, on a de la peine à pouvoir se faire comprendre, mais à force on y arrivera » p. 43. Les remarques à propos de la qualité variable de la nourriture et du gîte sont nombreuses : Juillet 1917 (cycliste de liaison) «Je suis en subsistance à la 3e Cie de manœuvre du 309 où on est nourri comme des bourgeois et pas beaucoup de peine » p.62. Dépendant uniquement de l’ordinaire, Couraly ne peut améliorer de lui-même sa situation : Juillet 1918 « En arrivant nous avons resté deux jours sans être ravitaillés (…) Nous sommes très mal nourris et très mal couchés et nous travaillons à plein bras, cela ne peut durer longtemps. On a amené 100 Boches qui sont mieux nourris que nous. Nous, nous couchons sur la planche et les Boches couchent sur la paille » p. 76. Pas de considérations politiques ou religieuses, ni sur les Allemands et presque rien sur la vie privée ; P. Couraly reste en général d’humeur égale sauf à un moment avec son fils : « J’ai reçu une lettre que Léon est sorti de sa place [apprenti-plombier] mais je n’avais toujours rien dedans [de l’argent ?], aussi je n’ai pas rendu de réponse tout de suite car j’étais d’une colère que je ne me connaissais pas »p. 26.
Pour l’auteur, l’expérience de Verdun, en 1917, est la plus marquante de la guerre : « Jamais mes yeux n’ont vu pareil spectacle de ruines et de désolation, partout ce n’est que cadavres moitié enterrés et d’autres pas du tout, les sacs, les fusils, les grenades, les obus, tout cela est pêle-mêle sur le champs de bataille avec les corps morts. Je ne crois pas que la nature puisse produire quelque chose de plus terrifiant (p. 59) et au ravin de la Dame : « En pleine nuit aussi, à coups de pioche, nous ramenons à jour une tête, un bras humain, un fusil, français ou boche. Il y a beaucoup de Boches, je crois davantage que de Français. Je puis vivre longtemps, je me rappellerai toujours le spectacle effrayant que c’est à voir. » Il décrit ses nuits harassantes en juillet 1917 « C’est bien dans ces carrières [d’Haudremont] que j’ai le plus souffert depuis la guerre. (…) Nous transportons de l’eau potable, des fils de fer barbelés en première ligne, aux jeunes qui garantissent des Boches le terrain que nous venons de leur prendre au prix d’énormes sacrifices. Nous avons des carrières d’Haudremont au ravin Navaud 8 km aller, nous les faisons deux fois par nuit sous une pluie d’obus, de tir de barrages, de gaz asphyxiants, que lorsque je me trouve de rentrer la corvée finie, à 3 heures et souvent à 5 heures du matin, je me demande comment cela se fait que nous sommes encore vivants. Beaucoup de mes camarades sont été blessés. Jusqu’à ce temps je n’ai rien eu » (p. 64).
Le titre donné au carnet par les éditeurs s’inspire des deux dernières lignes, écrites en décembre 1918 : « Que celui qui lira ce petit calepin après moi le conserve, il verra dessus ce que nous avons eu de souffrances » (p. 78).

Vincent Suard, novembre 2016

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Muyls, Amédée (1885-1959)

Le témoin
Amédée Muyls, septième enfant d’une famille de cultivateurs, a fréquenté l’école jusqu’à douze ans. Jardinier depuis 1910 à Saint-Pol-sur-Mer près de Dunkerque, il est mobilisé au 310e Régiment d’infanterie en août 1914. Au front jusqu’en février 1915, il est blessé et évacué à Quimper ; malade, il passe par Breuzec et La Ferté Bernard, et revient après avril 1916 comme brancardier au 110e RI jusqu’à la fin de la guerre.
Le témoignage
Jean-Marie Muyls, vice-président de la société « Généalogie et Histoire du Dunkerquois », a retrouvé en 1994 dans le fond d’une vieille malle un petit carnet de 42 pages manuscrites qui contiennent les notes de campagne d’Amédée Muyls son grand-père. Ces notes vont de la mobilisation à février 1915. Une suite à ce carnet, dont l’existence est avérée, a disparu. Nous avons consulté un envoi électronique de 18 pages format A4, avec des photos ajoutées qui viennent des archives familiales (conversation téléphonique avec J.M. Muyls juin 2016). Le carnet est visible intégralement sur le site « chtimiste.com » (carnet 3).
Analyse
Les notations sont rapides et brèves, les informations concises (deux ou trois lignes par jour), elles évoquent les lieux, les combats ; l’auteur insiste sur la fatigue, les conditions météorologiques ou l’alimentation. C’est au début de la campagne que ses impressions sont les mieux décrites, comme par exemple dans cet extrait qui évoque les civils belges : 25 août 1914 p. 10 à 11 «on est épuiser de fatigue, plutôt mort que vivant. L’on voit toujours tous les habitants avec leurs petits enfants qu’il ne font que pleurer jour et nuit, se sover et ne save même pas où. La plus grande part viennent en France. » Les préoccupations liées à la nourriture sont centrales, avec les interruptions de ravitaillement, la nourriture que l’on doit manger froide et les désordres liés aux mouvements importants (août et septembre 1914). Le style très oral et l’orthographe aléatoire obligent à une lecture verbalisée et nous rendent plus proche ce combattant : 30 août 1914 p. 13 à 14 « Ont pillier et voler tout sur notre passage pour tenir notre vie, ont nous nourisser rien qu’avec des pommes et des fois une bouteille de cidre que l’on voler dans des caves car il n’y avait plus d’habitant nul par et tout était abandonner. » On note une mention rare de parlementaires pendant la guerre de mouvement: 4 septembre 1914 p.17 à 18 « Nous avons vue des parlementaires pour demander une armistice pour pouvoir enterrer les morts. » puis après octobre les mentions se raréfient et le carnet devient allusif : 1er au 5 novembre p. 35 et 36 « Aux tranchées, aux postes d’écoute à 200 mètres des Allemands. Toujours debout et comme repos dormir sur la terre. Fusillade et cannonade. Une fois à manger par jour. J’ai grand rum, par la froidure de la mort. »
Vincent Suard, novembre 2016

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