Résumé de l’ouvrage :
Jacques de Dampierrre, Carnets de route de combattants allemands. Paris, Librairie Militaire Berger-Levrault, 1916, 182 pages.
L’ouvrage s’ouvre sous cette justification : « En confiant à un ancien élève de l’Ecole des Chartes [Jacques de Dampierre, archiviste-paléographe] le soin de publier intégralement quelques-uns des carnets de campagne trouvés sur les soldats allemands tués ou pris, le ministère de la Guerre a voulu montrer, une fois de plus, que ni l’armée ni la nation française n’avaient rien à craindre des jugements de l’Histoire. (…) La France a tenu à l’honneur de ne présenter au monde entier, sur ces événements historiques, que des données sobres mais exactes et des documents faciles à contrôler » (page V). Suit une longue introduction qui se veut tant justificative que méthodologique sur les supports analysés, leur rédaction mais surtout pour leur contenu à haute valeur documentaire, prenant toute précaution quant à leur traduction, « aussi rigoureuse que possible » et à la signification, directe ou induite, de leur contenu. L’autre précaution avance : « Après quelque hésitation, l’on s’est déterminé à ne pas imprimer le nom même des signataires de ces carnets, pour des raisons de délicatesse morale que la critique allemande nous reprochera sans doute, mais que les honnêtes gens apprécieront. Parmi ces signataires en effet d’aucuns sont morts, et notre scrupule de publication intégrale, sans aucune coupure, pourra livrer au public des sentiments de famille qui doivent se couvrir de l’anonymat. D’autres sont vivants, et certaines critiques un peu vives des actes de leurs chefs risqueraient de procurer un jour des sévices immérités à ces hommes sincères. Quant à ceux qui ont agi et parlé en véritables criminels, le plus souvent justice est faite et leur nom n’ajouterait rien à l’Histoire » (page IX). De fait, chacun des trois carnets dont la reproduction suit, s’il est correctement identifié quant à l’unité, ne permet pas à priori de retrouver les signataires. La suite de l’introduction donne des informations méthodologique (choix des textes publiés, organisation et terminologie de l’armée allemande, etc.) et les carnets reproduits sont complétés de très nombreuses notes, opportunes, confirmatives du parcours géographique des soldats, explicatives ou reproduisant les expressions dans leur langue d’origine. Toutefois, l’ouvrage reste résolument un outil, construit et d’apparence scientifique, de propagande, présenté par un spécialiste en la matière (voir sa biographie). En dénote une des notes finales, instructives sur l’état d’esprit sociologique du présentateur quant à la mentalité allemande. Il dit, relativement à la gourmandise du fusilier : « … elle est caractéristique d’une âme simple, aux instincts frustes et au tempérament passif. On sait que les animaux voraces sont les plus faciles à dresser ; il se pourrait que, dans l’espèce humaine, des appétits matériels très développés s’accordassent tout particulièrement bien avec les exigences d’un discipline irréfléchie » (page 169).
Pages 1 à 71 : Journal de campagne d’un officier saxon, 8ème compagnie du 178ème d’infanterie ou 13ème saxon qui tenait garnison à Kamenz (40 kilomètres au nord-est de Dresde). Il formait avec le 177ème (ou 12ème saxon) la 64ème brigade de la 32ème division du XIIème corps d’armée. Carnet relié en moleskine noire de 4,5×8,5 cm de 95 feuillets non paginés, dont 60 écrits en caractères romains au crayon de fuchsine. Les planches 2 et 3 reproduisent la couverture et une page de ces carnets. Il comprend la période du 6 août au 25 septembre 1914. Le parcours résumé de l’officier est le suivant :
En Allemagne : Kamenz – Ouren (vallée de l’Our) (6-10 août)
Au Luxembourg : Weisswampach (10 août)
En Belgique : Deyfeld – Wibrin – Achêne – Ferme Salazinne – Lisigne – Sorinnes (et non Dorinnes) – Dinant – Morville – Nismes – Couvin – Brûly (10 – 26 août).
En France : Gué-d’Hossus – Marlemont – Signy-l’Abbaye – Launois-sur-Vence (baptême du feu) – Faux – Rethel – Juniville – Tours-sur-Marne – Jâlons – Villeseneux – Normée – Euvy – (retraite après La Marne) – Châlons-en-Champagne – Saint-Etienne-au-Temple – Mourmelon-le-Petit – Vaudesincourt – Boult – Aménancourt – Pontgivard – La Ville-au-Bois-lès-Pontavert – Juvincourt-et-Damary – Amifontaine (27 août – fin 25 septembre 1914). L’officier meurt le 25 septembre lors d’un assaut français dans une tranchée près de La Ville-au-Bois-lès-Pontavert.
Pages 73 à 146 : Journal de campagne d’un sous-officier de Landwehr de la 9ème compagnie du 46ème régiment de Réserve qui tenait garnison à Posen (aujourd’hui à Poznan) (1er bataillon), Samter (aujourd’hui Szamotuły) (2ème) et Neutomischel (aujourd’hui Nowy Tomyśl) (3ème, son bataillon) tous trois aujourd’hui en Pologne. Il fait partie du Vème corps d’armée de réserve. Il semble parler assez le français pour indiquer qu’il sert d’interprète avec le maire de Meix-le-Tige pour réquisitionner de l’avoine (page 93). Il devient sous-officier et change alors de compagnie (page 105). Le témoignage est composé de deux carnets ; l’un de 8,9 par 14,3 cm de 57 feuillets en caractères gothiques eu crayon noir ou fuchsine. Il contient les dates du 5 août au 13 octobre 1914. Le deuxième mesure 10,2×16,5 cm de 19 pages renseignées du 14 octobre au 22 novembre 1914. Le parcours résumé du sous-officier est le suivant :
En Pologne allemande (11 août) : Neutomischel
Allemagne (11 août) : Saxe – Bavière – Mannheim – Duppenweiler – Neunkirchen – Gauwies.
Luxembourg (19 août) : Bettenbourg – Meudelange – Bretrange – Mamer – Steinfort.
Belgique (22 août) : Arlon – Châtillon – Saint-Léger – Meix-le-Tige – Messancy.
France (30 août) : Longuyon – Romagne-sous-les-Côtes – Gercourt – Consenvoye – Damvillers – Romagne-sous-les-Côtes – Mangiennes – Billy – Haut-Fourneau – Maucourt-sur-Orne – Cote 246 – Ferme de la Gélinerie – Ornes (fin 22 novembre 1914).
Pages 147 à 173 : Journal de campagne d’un Réserviste Saxon de la 6ème compagnie du 179ème I.R. (14ème saxon), 6ème compagnie qui tenait garnison à Wurzsen en Saxe. Il formait avec le 139ème I.R. (11ème saxon) (Dölben) la 47ème brigade d’infanterie de la 24ème division du XIXème Corps d’Armée. Le témoignage est composé d’un petit carnet de 148×75 mm intitulé Merkbuch (carnet de note) de 30 feuillets écrits en crayon noir ou fuchsine renseignés du 4 août au 18 septembre inclus. Le parcours, heureusement aidé par le présentateur car moins précis que les deux précédents témoins, résumé du sous-officier est le suivant :
Allemagne (4 août) : Leisnig (entre Leipzig et Dresde par Döbeln) – Engelsdorf – Apolda – Hersfeld-les-Bains – Elm – Hanau – Francfort-sur-le-Main – Untersalm – Rüdesheim – Coodel – Wolsfeld – Neuerburg
Luxembourg (10 août) : Medernach – Aeselborn
Belgigue (18 août) : Bastogne – Ambly – Forrière – Rochefort – Mont-Gauthier – Bourseigne-Neuve
France (23 août) : Secteur Hargnies – Lametz – Machault – Mourmelon-le-Grand (8 septembre – blessé, prisonnier à Vitry-la-Ville) – Châlons-sur-Marne – Saint-Ouen – Chavanges – Chaumont – Jessains – Clairvaux (hôpital) (fin 19 septembre 1914).
Eléments biographiques sur le présentateur :
Né le 13 octobre 1874 au Louroux-Béconnais (Maine-et-Loire), Michel Marie Jacques, comte de Dampierre dit Jacques I est le fils d’Aymar de Dampierre et d’Isabelle de Lamoricière. De son mariage en 1899 avec Françoise de Fraguier (1875-1959), il aura trois enfants, Henry (1901-1964), Armand (1902-1944) et Jacques-Audoin, dit Jacques II (1905-1996), et 4 petites-filles.
Il entre à l’École des Chartes en 1896 et en sort premier avec une thèse intitulée « Les Antilles françaises avant Colbert. Les sources, les origines », éditée en 1904 dans la collection des mémoires et documents de la Société de l’Ecole des Chartes, sous le titre Essai sur les sources de l’histoire des Antilles françaises (1492-1664). Il participe aux Sources inédites de l’histoire du Maroc, en collaboration avec le lieutenant-colonel de Castries, son père adoptif, et publie les Mémoires de son arrière-grand-oncle, François Barthélémy (1747-1830). Exempté du service militaire, Jacques de Dampierre se met cependant, dès le 2 octobre 1914, à la disposition du gouvernement pour la propagande française à l’étranger. Il signale bientôt au ministère des Affaires étrangères la nécessité d’une action habile en cette matière auprès des pays neutres, alors hésitants. D’octobre à décembre 1914, il dépouille les carnets et autres papiers pris sur les combattants allemands et en tire la documentation utilisée par le ministère des Affaires étrangères pour ses premiers tracts de propagande. Il suggère la formation parallèle du Comité de propagande catholique à l’étranger. En 1915-1916, le marquis de Dampierre poursuit ses travaux et concourt à la documentation de nombreux publicistes étrangers, anglais, hollandais et américains. A la demande des Affaires étrangères, il publie L’Allemagne et le droit des gens, ouvrage qui dénonce les exactions commises par l’armée allemande et qui, traduit en anglais, aura une influence considérable sur l’opinion publique des États-Unis en faveur de la France. Son volume des Carnets de route de combattants allemands est combattu par la propagande allemande. Au printemps 1916, Jacques de Dampierre est chargé d’organiser une association de propagande intellectuelle à l’étranger, le Comité du livre. Il en devient secrétaire général et il est l’un des principaux organisateurs du Congrès du livre, en mars 1917, à Paris. Ayant été particulièrement mêlé aux débuts de l’alliance américaine, c’est à lui qu’échoit, le 4 juillet 1917, l’honneur d’haranguer officiellement en anglais, dans la cour des Invalides, au nom de la France, et en présence des membres du gouvernement français, le général Pershing arrivant à Paris avec les premiers bataillons américains.
Après 1918, le marquis de Dampierre prend une part de plus en plus active aux travaux de l’Union des grandes associations contre la propagande ennemie, du Comité de la Rive gauche du Rhin et de diverses autres organisations de défense des intérêts français auprès des alliés. Il est l’un des rapporteurs du Congrès national français, qui a été institué lors de l’armistice pour soutenir le droit de la France aux « réparations, restitutions et garanties ».
Créateur de la Fondation Richelieu pour l’histoire des activités françaises hors de France, Jacques de Dampierre publie de 1918 à 1930 l’Annuaire général de la France et de l’étranger, publication comparable à l’Almanach du Gotha et au Statesman year book. Il rend compte d’une enquête officielle menée à partir de 1937 dans les Publications officielles des pouvoirs publics, en vue d’établir un Répertoire des publications officielles françaises. Chargé par le ministère de la Production industrielle de soumettre au gouvernement un projet de mesures pour l’organisation scientifique du travail dans les administrations publiques par une coordination des archives, bibliothèques et centres de documentation et de recherche ressortissant aux différents départements ministériels, le marquis de Dampierre préside aussi la Société d’information documentaire et les comités directeurs de l’Agence française de normalisation (AFNOR) et de l’Union française des organismes de documentation (UFOD).
Angevin de naissance, de famille et de vie, Jacques de Dampierre est conseiller général du canton du Louroux-Béconnais, pendant quinze ans conseiller municipal et pendant sept ans maire de la commune de Villemoisan. Membre actif de nombreuses associations angevines, il devient avant 1914 l’un des collaborateurs du banquier angevin Georges Bougère et se fait apprécier, tant à Angers que dans le département de Maine-et-Loire, par de nombreuses conférences, notamment pour la Société de secours aux Blessés militaires, dont la présidente a été sa mère, Isabelle de Lamoricière de Castries, et pour laquelle sa femme, Françoise Fraguier de Dampierre, est, pendant la Première Guerre mondiale, infirmière dans les hôpitaux d’Angers. Jacques de Dampierre s’intéresse également aux petites industries rurales. Membre du Conseil de la Société centrale d’aviculture de France, il fonde la Société des aviculteurs angevins, dont, avant la guerre de 1914-1918, les expositions sont les plus importantes de France, après celles de Paris.
Jacques de Dampierre meurt à Paris le 16 mars 1947. (Notice biographique réalisée par compilation de plusieurs nogénéalogies disponibles sur Internet)
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Nonobstant le caractère volontairement anonyme de la retranscription, très profondément présentée et annotée, ces trois documents apportent une foultitude d’informations sur la mobilisation, la traversée des pays (Allemagne, Luxembourg, Belgique), avec des description anthropologiques (voir pages 115 ou 116) et les combats, mais aussi les exactions et actions militaires qui émaillent les parcours comme les localités occupées.
Page 11 : « Leçon de français aux sous-officiers et autres intéressés »
12 : Pillages ; « notre landwehr s’est comportée comme des vandales » (vap 22)
13 : Note sur les Fusslappen : Les fantassins allemands remplacent la chaussette par un linge carré dont ils s’enveloppent le pied
15 : Coupe-fils sur les véhicules d’états-majors
16 : Ennemi (français) tirant trop haut
20 : Francs-tireurs fusillés (16), comment (vap 22), pertes, incendies
31 : Sur le massacre des civils, incendie des villages, exactions
34 : Coup de feu fantôme
35 : Sur l’utilisation du terrain
37 : Camouflage des turcos
40 : Supériorité de l’artillerie française
43 : Incendie de Rethel et pillage, il y participe (vap 125, 126, 159, scrupule à piller)
50 : Bière Pilsen
57 : Ordre de retraite allemand
58 : Réalité de creusement dans la retraite
61 : Description du camp de Mourmelon
65 : « Les Français sont passés maîtres dans le combat de rues, comme du reste dans tous les genres de combats où il est possible de tirer à couvert »
79 : Sur les pattes d’épaules allemandes camouflées par ordre
81 : « … nous ne sommes tous maintenant rien d’autre que des concessionnaires du meurtre »
82 : Phrase prémonitoire : « Le vaincu s’en retournera avec rien, le vainqueur avec des décombres »
: Sur la différence d’emplacement des tas de fumier (en cour chez les Allemands, devant la maison chez les Français), culture posnanienne
85 : Impression sur le bourrage de crâne (vap 89)
: Note sur les déserteurs posnaniens qui ne veulent pas combattre contre la France, championne des libertés polonaises (vap 100)
87 : Espion français à boule lumineuse (vap 88 fusillé)
88 : Sur les conséquences du chemisage de cuivre des balles françaises : « Les projectiles français ont une surface extérieure cuivrée, ce qui amène souvent dans les blessures de la suppuration ; nos cartouches d’infanterie sont à ce point plus aimables »
92 : Entraînement au tir sur des mannequins avec système de comptage de points (buts)
95 : Tirs amis (vap 136)
99 : Brimades, injures et punitions (vap 120)
101 : Obus aveugles = qui n’éclatent pas, ou pas tout de suite
109 : Pillage
116 : Population meusienne composée de vieilles gens débiles
122 : Biergarten, jardins de bière, équivalent des guinguettes
123 : Cantines roulantes (assez cher) et postes aux Armées, solde par grades
134 : Construction au Haut Fourneau d’une voie ferrée pour transporter les gros « bourdons », Brummer, surnom du 420 mm (42 cm) (batterie de Duzey ?)
165 : Rêve de fine blessure (hôpital)
166 : Blessé, prisonnier, premier contact avec les Français
167 : Récupération de trophées sur les prisonniers allemands : boutons, pattes d’épaules, casques, cocardes
: Miction
Yann Prouillet, 22 juillet 2025