Galopin, Arnould (1863-1934)

Le témoin

Arnould Galopin est né à Marbœuf (Eure) le 9 février 1863, d’un père instituteur qui exerçait également la fonction de secrétaire de mairie. Après des études au lycée Corneille de Rouen puis à Paris, son service militaire effectué, il devient maître répétiteur avant de s’orienter vers le journalisme, métier qu’il exercera pendant une dizaine d’années, notamment pendant la période de la Grande Guerre, pour différents médias comme La Nation ou Le Soir. Il publie son premier ouvrage, Les Enracinées, en 1903, ainsi qu’un roman de cape et d’épée, puis se lance ensuite dans l’écriture de romans feuilletonnisés tels L’espionne du cardinal ou La petite Loute. Il prend la relève d’Henry de la Vaulx pour la rédaction des fascicules de Cent mille lieues dans les airs puis, obtenant un succès avec le Docteur Oméga, récit d’un voyageur sur la planète mars, en 1906, dans la revue Mon beau livre. Ayant de surcroît cosigné des ouvrages avec Emile Driant, alias le Capitaine Danrit, il est qualifié du titre de « Jules Verne moderne ». Il continue d’écrire dans des domaines divers, touchant à nombreux styles littéraires (jeunesse (il publie 2 500 fascicules d’aventures pour les enfants), sentimental, policiers, historique voire science-fiction) pour Fayard et Tallandier, participant à la réédition de mémoires historiques, puis se met au service d’Albin Michel tout en publiant également des feuilletons pour Le Journal ou Le Petit Journal. Pasticheur de talent, dans un style simple et élégant, on lui doit les personnages de Ténébras, rival de Fantômas, et d’Allan Dickson, coéquipier remplaçant Watson auprès d’un Sherlock Holmes vieillissant. En 1922, il récidive en publiant les mémoires d’Edgar Pipes, pastiche d’Arsène Lupin. Pendant la guerre, il se mue en correspondant de guerre et publie, outre Sur la ligne de feu, son pendant maritime Sur le front de mer, lequel sera couronné par l’Académie française. Il va d’ailleurs y ajouter plusieurs romans sur le thème de 14-18, tel Les gars de la flotte, tous chez Albin Michel, dont deux seront repris en films : Les Poilus de la 9ème (qu’il rencontre fortuitement dans une tente anglaise lors d’une visite d’un camp en décembre 1915 !) et La Mascotte des Poilus. Auteur finalement d’une centaine d’ouvrages, Arnould Galopin décède brutalement à Paris le 9 décembre 1934. Sa biographie complète sur | Arnould GALOPIN (franceserv.com)

Résumé de l’ouvrage

Alors qu’il est correspondant de presse pour le quotidien Le Journal (page 56), il brosse dans Sur la ligne de feu 17 tableaux répartis du 10 septembre 1914 au 15 avril 1916, portraitisant ainsi « nos soldats », « nos alliés » qu’il complète par des anecdotes « sur la mer ». Il rend tout au long de l’ouvrage un long hommage aux alliés anglés, écossais et surtout indiens, sikhs et gourkhas, redoutables guerriers, ce sur le front, à l’arrière comme sur mer.

Analyse
Bien que publié en 1917, l’ouvrage, issu d’un journaliste, Sur la ligne de feu. Carnet de campagne d’un correspondant de Guerre (E. de Boccard, Paris, 1917, 208 pages) est sans étonnement un modèle de « bourrage de crâne » issu d’un « reporter » qui, si il est vraisemblablement allé au front, en fantasme la réalité de la guerre, magnifiant ses acteurs, caricaturant l’ennemi et héroïsant les alliés, de toutes origines de l’Empire colonial anglais, en diables implacables, victorieux et invincibles. Quelques rares informations sont dégageables avec toutes les réserves inhérentes à ce style testimoniale particulier, par trop impacté par une vision journalistique tronquée de la réalité de la guerre. En contrepoint, le livre vaut en tous cas pour le long défilé des archétypes de la littérature de bourrage de crâne, en multipliant les tableaux outranciers destinés à des civils crédules et avides d’aventures victorieuses et inoffensives. Etonnamment, alors qu’il s’évertue à cacher l’ensemble des patronymes, il en rétablit un toutefois (dans une note page 87) en indiquant que l’objet de sa page de bravoure est le lieutenant Langlamet, professeur de mathématique au lycée de Cherbourg.
L’ouvrage est agrémenté de 20 illustrations de lieux, matériels ou de soldats de toutes origines alliées.


Renseignements tirés de l’ouvrage :

Liste des « tableaux » rapportés par l’auteur et dates :
Nos soldats
Quelques heures vécues au milieu de la bataille (10 septembre 1914)
Une charge décisive (18 septembre 1914)
Parmi les ruines (20 septembre 1914)
Horrible aspect d’un champ de bataille (22 septembre 1914)
Sous les obus (5 octobre 1914)
Procédés de Barbares (10 octobre 1914)

Trois braves (16 octobre 1914)
La leçon de français (30 octobre 1914)
Nos alliés
Dans le camp des indiens (6 novembre 1914)
Le départ pour le front (7 novembre 1914)
L’enthousiasme belliqueux des terribles Gourkhas (10 novembre 1914)
Les Ecossais marchent en jouant la Marseillaise (16 novembre 1914)
Les Gourkhas à l’assaut des tranchées (18 novembre 1914)
Les Castors (25 novembre 1914)
Un camp anglais (30 décembre 1914)
Le triomphe de « Jack ». Comment un ballon de football amena la destruction d’un bataillon de la Garde prussienne (août 1916)
Sur la mer
Devant Zeebruge (13 décembre 1914)
Le pirate capturé (15 avril 1916)

Eléments utiles au fil de la lecture :

Page 12 : Obus Robin, dits craquelins, obus à balle type 1897
17 : Illustration du train blindé « Vendetta »
36 : Voit des cadavres flottants qui « même après la mort, s’étreignent » !
46 : Balles allemandes tirées de trop loin, n’ayant pas assez de force pour pénétrer profondément
51 : Espions allemands déguisés en femmes
61 : Obus peu dangereux, éclatant sans dommage trop haut
63 : Artilleurs allemands tirant sur les villages pour s’éclairer
97 : Espionnite
84 : Cavaliers piétinant les morts, barbarie
88 : Thann, l’école, l’instituteur
99 : Vue d’indiens Sikhs (fin 156) et de Gourkhas (surnommés les castors (p.150))
127 : Bhangs, hachich indien
135 : Ecossais
142 : Sur le combattant anglais par rapport aux français
144 : Honneur du combat à l’arme blanche des Sikhs
156 : « Capstan », tabac anglais
157 : Vue de camp anglais
167 : Chien
170 : Voit des funiculaires

176 : Footballeurs du 8e Est Surrey qui attaquent avec un ballon de foot
177 : Mads, camarades en anglais

Yann Prouillet – juillet 2023

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Portes, Jules (1890-1914)

Il y a quelque temps, la revue en ligne « Patrimoines du Sud » de la région Occitanie m’a demandé un article sur le livre d’or des tués 1914-1918 de la paroisse Notre-Dame de Mazamet (Tarn). Il a paru dans le n° 14, de 2021. Un soldat de la liste s’appelait Louis Portes. Ce garçon de 22 ans, du 81e RI, est mort de ses blessures à Toul, le 1er octobre 1914. Et voici qu’un de mes amis, collectionneur passionné de livres, me confie un exemplaire d’un ouvrage qui permet de classer Jules Portes, frère de Louis, parmi nos témoins.

Le témoin

Jules Portes est né le 20 février 1890 à Payrin, près de Mazamet, où la famille vient bientôt s’installer. Le père est employé de l’entreprise textile Boudou. Après le primaire, Jules suit pendant deux ans les cours de l’École pratique de commerce et d’industrie. À l’âge de 15 ans, il entre à son tour comme employé de bureau dans la même entreprise que son père. Des amis protestants lui font partager leurs activités au sein de l’Union chrétienne de jeunes gens et le persuadent de se convertir, décision courageuse « dans une petite ville provinciale où les partis confessionnels sont si tranchés et les abjurations si rares » (Gaston Tournier).

Il effectue son service militaire au 81e RI de Montpellier de 1911 à 1913 et devient sergent. Il se marie en décembre 1913. Devenu chef de la section des éclaireurs unionistes (scouts protestants), il prononce, le 25 janvier 1914, lors de la remise d’un drapeau à sa troupe, un discours dans lequel je retiens ce passage qui établit une distinction entre deux patriotismes : « Le premier se compose de tous les préjugés, de toutes les haines, de toutes les antipathies qu’un peuple, quelquefois par ignorance, nourrit contre un autre peuple. « Je déteste bien, je hais bien le peuple qui se trouve au-delà des frontières et qui est mon rival. Donc je suis patriote. » Voilà le patriotisme de beaucoup. Ce patriotisme-là ne coûte pas cher ; il ne doit pas être le tien. Il en est un autre qu’il n’est pas aussi facile de réaliser mais qui est plus digne de toi ; il est fait de toutes les vérités, de tous les droits qui sont communs à tous les peuples ; il veut que tout en aimant passionnément ton pays, tu laisses déborder ta sympathie au-delà des races, des langues et des frontières. » C’est un patriotisme « fait d’amour et non de haine ». Jules Portes rejoint son 81e en août 1914. Il affronte de durs combats en Lorraine. Le 24 septembre, il aide son frère blessé à rejoindre un poste de secours, en se faisant des illusions sur une rapide guérison. Lui-même est tué le 5 octobre ; il est enterré au bord de la route de Toul à Bernécourt. Le 12 octobre, son fils nait à Mazamet. Le livre laisse imaginer ces journées d’octobre pour la famille.

Le témoignage

Gaston Tournier, d’une autre famille active dans l’industrie de la laine, protestant militant, a publié à ses frais le livre : Jules Portes, Souvenirs et Correspondance de Guerre, Comité national des éclaireurs-unionistes de France, Paris, 1915, 184 pages, avec un portrait de Jules. Une phrase précise : « Cet ouvrage, tiré à un nombre restreint d’exemplaires, est vendu au profit des soldats français blessés. » Il comprend quatre parties : I. Souvenirs (sur Jules Portes, par Gaston Tournier) ; II. Correspondance de guerre (60 lettres de Jules principalement adressées à sa femme ; le 31 août, il écrit qu’il vient de perdre son carnet de notes) ; les parties III et IV apportent quelques compléments et appendices.

Les lettres témoignent d’abord de l’amour conjugal. Jules demande à sa femme enceinte de ne pas s’épuiser au travail. Il dit à quel point les lettres de celle-ci sont un réconfort. Le 23 août, il lui avoue qu’il ne pourra pas lui dire tout, et il est vrai que ses évocations de « l’horreur » existent mais ne sont pas chargées de précisions. Par contre, les lettres fourmillent d’observations concrètes sur la vie du soldat, qui sont intéressantes pour nous. Il signale aussi diverses rumeurs, mais beaucoup moins systématiquement que le sergent Arnaud Pomiro (voir ce nom dans notre dictionnaire). Et son rapport à Dieu est une dimension qui mérite examen.

Le départ

Le trajet de Mazamet vers Montpellier s’est fait dans un mélange d’enthousiasme patriotique, de tristesse et de « joie intérieure faite d’espoir ». « Il faisait très chaud et, vers la fin du trajet, de nombreux camarades ayant profité largement des distributions gratuites de vin que les habitants des villes faisaient dans les gares, il y avait un supplément d’enthousiasme. » La ville de garnison du 81e RI et d’autres régiments est remplie de soldats : « on ne voit qu’uniformes dans les rues. » Arrivé le 7 août près de Chalon-sur-Saône, il note : « Pas plus que vous qui êtes dans le Midi, nous ne sommes au courant de ce qui se passe devant nous ; il parait que les nouvelles sont bonnes et que le drapeau français flotte à Strasbourg. » En passant à Mirecourt : « Sur la place se trouve une statue de Jeanne d’Arc ; le bataillon a présenté les armes ; cela a fait plaisir à tout le monde. »

« Se revoir ainsi loin du pays »

Jules emploie cette expression le 24 août en signalant qu’il a rencontré des camarades de Mazamet. Il demande l’envoi des journaux locaux, Le Réveil du Tarn, La Dépêche. Les lettres qu’il reçoit sont comme « un peu du « pays » qui me vient jusqu’ici ». Il réagit favorablement lorsque sa femme lui apprend l’arrivée à Mazamet de 60 petits Parisiens réfugiés (peut-être acheminés par l’œuvre de la Sauvegarde dont s’occupe une protestante apparentée à Gaston Tournier, Marie-Louise Puech-Milhau – voir ce nom dans notre dictionnaire des témoins). Ces enfants sont hébergés dans les locaux de l’Union chrétienne. Mazamet a aussi reçu des soldats blessés ou malades : « On a eu la bonne idée d’installer les blessés chez les Allemands », note Jules Portes qui fait allusion au domicile de familles allemandes venues à Mazamet dans le cadre du commerce international des laines.

Nouvelles formes de guerre

Dès le 29 août, il signale le rôle principal joué dans la guerre par l’artillerie. Le 6 septembre, il décrit le creusement des tranchées qui permet d’éviter de sacrifier des hommes, et il revient là-dessus le 14 : « Nous avons perdu beaucoup de monde en attaquant à découvert ; nous les attendrons sans doute dans des retranchements pour ne pas perdre trop de monde. » L’entrainement des éclaireurs protestants rend supportable la vie à la dure (3 septembre). Le 22 septembre, après une marche sous la pluie : « Heureusement nous avons été cantonnés convenablement ; moi j’ai couché entre deux vaches qui m’ont tenu chaud la nuit et fourni du lait au réveil. » Il serait cependant utile de recevoir un colis contenant un passe-montagne, de fortes chaussettes et du chocolat (28 septembre). Comme beaucoup, il craint de plus fortes souffrances dans une campagne d’hiver (voir une entrée dans l’index des thèmes du livre 500 témoins de la Grande Guerre). Pour un sergent fourrier, il est émouvant de recevoir des lettres destinées à des camarades disparus (3 septembre). Et encore, le 30 septembre : « Beaucoup de paquets qui arrivent n’ont plus hélas leur destinataire ; il est disparu. Que faire de ces paquets de chocolat, de tabac et de chaussettes ? Je ne les renvoie pas, ça ne vaut pas la peine et serait d’ailleurs volé en route. Je les distribue à ceux de la compagnie qui en sont dépourvus. » En même temps, les rumeurs les plus folles se répandent : gros succès russes ; Kronprinz assassiné ; révolution en Allemagne ; Berlin bombardé.

L’ennemi

Le 26 août, passant dans un village de Lorraine qui a été brièvement occupé par les Allemands, Jules Portes note : « Ils ont fait là du bel ouvrage ; ils n’ont pas eu le temps de mettre le feu, mais c’est tout ; ils ont pillé, volé, violé, tout ce qui leur est habituel. Vraiment il n’est pas croyable que Dieu soit avec des gens qui comprennent ainsi la guerre. » De son côté, la France se bat « pour la défense du droit et de la civilisation (3 septembre). Ce même jour, il ajoute : « Non certes que le peuple allemand soit plus mauvais que celui d’un autre pays ; les prisonniers que nous faisons nous disent bien ce qu’ils en pensent et combien chez eux cette guerre est pénible, mais il est certain que le parti militaire allemand est au-dessous de tout ce que l’on peut penser. » Le 14 septembre, encore une position nuancée : « Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de nous rendre compte que les Allemands, contrairement à ce qui a été dit, soignent bien les blessés français. Cela ne les empêche pas de se conduire en parfaites brutes envers les populations qu’ils ont sous leurs mains. Ils ont pour principe d’inspirer la terreur par des incendies et des fusillades. »

La lettre du 24 septembre contient un passage remarquable : « Jusqu’ici j’ai eu le privilège non seulement de ne pas être touché, mais, ce que j’apprécie, j’ai pu, tout en faisant mon devoir d’agent de liaison, ne pas faire une victime. J’ai tellement horreur de ce carnage qui se trouve tellement coupable, que je serais privilégié et béni de Dieu s’il en était ainsi jusqu’à la fin de la guerre. Tant de fois déjà j’ai pu me rendre compte que ce sentiment-là est partagé par la plus grande partie de mes camarades et de combien d’Allemands aussi. Je veux te raconter un fait caractéristique : avant-hier soir, un homme de ma compagnie se trouvant face à face avec un Allemand, celui-ci le renversa à bras-le-corps, le désarma et lui tendit la main. »

Et Dieu, là-dedans ?

Comme pour Gaston Tournier, Dieu compte beaucoup pour Jules Portes. Au témoignage du premier, le second aurait dit juste avant la guerre : « Dieu ne permettra pas un tel fléau, ce serait trop affreux ! » Mais la guerre est là. Le 6 septembre, Jules cherche à comprendre : « Chaque jour je me demande pourquoi l’homme, après avoir connu pendant vingt siècles le commandement d’amour du Christ : « Aimez-vous les uns les autres » est encore si mauvais pour son semblable. » (Je me permets de citer ici deux phrases du dernier article de Jaurès paru le 30 juillet 1914 dans le journal toulousain La Dépêche : « Quoi ! C’est à cela qu’aboutit le mouvement humain ? C’est à cette barbarie que se retournent dix-huit siècles de christianisme, le magnifique idéalisme du droit révolutionnaire, cent années de démocratie ! ») La réponse de Jules Portes n’est évidemment pas celle de Jaurès : « J’ai la certitude que nous avions trop offensé Dieu et ses enseignements ; il fallait sans doute cette épreuve. »

Notre témoin est parti en guerre en emportant un exemplaire de la Bible : « Dans la compagnie je suis seul à avoir pris ma Bible ; j’ai trouvé plusieurs protestants qui ont été heureux de lire quelques passages dans la mienne. Elle passe même de mains en mains et quelquefois je lis à haute voix quelques chapitres. Plusieurs élèves ecclésiastiques catholiques prennent part à nos causeries et c’est je crois de façon bénie que nous nous groupons autour du Livre et devant notre Père commun. » Le 9 septembre, dans un engagement, Jules Portes a eu la certitude que le bras de Dieu le protégeait. En fait, il a reçu une blessure insignifiante (« une égratignure ») et il a regretté qu’elle ne soit pas plus grave car il aurait pu être soigné dans « une salle d’hôpital avec des lits bien blancs, entouré de visages amis ».

Il dit qu’il s’habitue aux horreurs de la guerre, mais elles restent des horreurs. Le 25 septembre, il écrit : « Ce sont des moments bien affreux, je vous assure, et il faut avoir bien confiance en Dieu pour ne pas être abattu tout à fait. » Son frère a été blessé : « Certes, les voies de Dieu nous sont cachées, mais j’ai la ferme assurance que nous reviendrons tous deux. » Et encore, dans la longue lettre du même jour : « Si Dieu voulait que ce fût un des derniers efforts que l’on nous demande, ce serait une grande bénédiction, et pour tant que les hommes soient mauvais, je ne pense pas que Dieu veuille prolonger cette horrible épreuve. »

Le 28 septembre, le doute se précise : « Que Dieu ait enfin pitié de nous tous et fasse finir bientôt cette horrible guerre ! Je suis toujours confiant et j’espère que ce n’est pas en vain, mais à certains moments je suis écœuré. » Enfin, dans sa dernière lettre, celle du 4 octobre : « C’est à la volonté de Dieu, je ne souhaite plus rien. Lui sait mieux que nous quels sont nos besoins. » Jules Portes est tué le lendemain et il est impossible de savoir si sa pensée aurait évolué comme ses dernières évocations de la volonté divine pourraient le laisser envisager.

Rémy Cazals, janvier 2022

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Latzko, Andreas (1876-1943)

Cet écrivain hongrois de langue allemande, citoyen de l’empire des Habsbourg en 1914 a laissé un témoignage sous forme de pamphlet pacifiste : Menschen im Krieg publié en 1917 à Zurich pour échapper à la censure. Hommes en Guerre est traduit en français dès 1918, repris par les éditions Agone en 1999. Traduit aussi en anglais, néerlandais, hongrois, espagnol, suédois, russe, grec, bulgare, etc.

Pour une mise au point sur cet auteur, un colloque s’est tenu à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès en 2017 dont les communications ont été réunies par Jacques Lajarrige en 2021 aux éditions Frank & Timme de Berlin sous le titre Andreas Latzko (1876-1943) – Ein vergessener Klassiker der Kriegsliteratur ? (un classique de la littérature de guerre oublié ?). Ce livre contient une introduction par Jacques Lajarrige et Kerstin Terler, dix articles en allemand sur l’auteur, la réception de ses œuvres, ses relations avec d’autres écrivains (Miroslav Krležas, Stefan Zweig, Alexander Moritz Frey), des annexes faisant la liste des œuvres de Latzko et de la bibliographie le concernant.

Cinq articles de ce livre sont en français :

– « La Suisse dans l’itinéraire d’Andreas Latzko (1916-1919) » par Landry Charrier.

– « La réception de l’œuvre de Latzko en Belgique » par Philippe Beck.

– « Andreas Latzko et les gauches littéraires françaises » par Alfred Prédhumeau.

– « Marcia Reale : la guerre après la guerre », par Jacques Lajarrige.

– « Hommes en guerre au miroir des témoignages français de 14-18 » par Rémy Cazals.

Ce dernier texte est évidemment en rapport étroit avec l’intérêt porté par le CRID 14-18 aux témoins. L’article reprend quatre thèmes, quatre expressions de Latzko lui-même :

– « L’enfer », mot qui fait l’unanimité parmi les fantassins français.

– « Le vainqueur de *** », équivalent du vainqueur de la Marne et du vainqueur de Verdun. Latzko fait une critique féroce des grands chefs et des officiers.

– « Les mots dévorateurs de vie », que les Français connaissaient bien et qu’ils ont stigmatisés sous le terme de « bourrage de crâne ».

– Les soldats se sentent « livrés, expédiés » au front par les autorités, par l’arrière, et sans que les femmes ne s’y soient opposées. Thème également fréquent chez les Français.

Rémy Cazals, août 2021

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Wharton, Edith (1862-1937)

1. Le témoin
Edith Wharton, romancière, nouvelliste, poète et essayiste américaine, née le 24 janvier 1862 à New-York (décédée le 11 août 1937 à Saint-Brice-sous-Forêt dans le Val-d’Oise), est installée à Paris depuis 1907. Elle y revient à la déclaration de guerre et y décrit, du 30 juillet 1914 à février 1915 l’ambiance et l’évolution des choses, des gens comme des mœurs. A la fin de ce dernier mois, elle parvient à décrocher « l’autorisation de visiter quelques ambulances et quelques hôpitaux d’évacuation à l’arrière des lignes ». Son premier voyage l’amène en Argonne sur les traces de la bataille de La Marne. Le second lui fait parcourir la Lorraine et les Vosges, du 13 au 17 mai, de Nancy à la première ligne d’un front de montagne qu’elle s’applique, censure oblige, à ne pas localiser précisément. Du 19 au 24 juin elle visite dans le Nord le front anglo-belge puis glisse à l’opposé, à partir du 13 août pour un voyage en Alsace (Thann) jusqu’à Belfort (le 17, en revenant par le front des Vosges lorraines, également non précisé. Son dernier texte se propose de comprendre l’âme française et le « Moral de la France », se penchant sur l’état d’esprit, mettant en avant l’abnégation, l’intelligence et le courage dans un élan éminemment francophile.

2. Le témoignage
Débutant par un long tableau de Paris, de l’effervescence de la mobilisation à l’accoutumance du temps de la guerre, et à l’installation d’une habitude et d’une adaptation qui finiront, pour le poilu, dans le surréalisme et la dichotomie. Parvenant à obtenir, on devine avec toutes les difficultés, les autorisations de circulation et de mouvements idoines, et manifestement munie d’un guide touristique, elle décrit tour à tour quelques arrières front en Champagne, Argonne, dans le Nord, en Lorraine, en Alsace ou dans les Vosges.

3. Analyse
A l’instar de Gérald Campbell, d’Edmond Bauty et de beaucoup d’autres, Edith Wharton, à la manière d’une journaliste, fait quelques voyages au front pour, selon l’oxymore relevé par Annette Becker, qui assure la préface de cette édition, nourrir la fascination et l’horreur du grand massacre, du spectacle de la guerre. mais avec une double superficialité qui la place en-dessous des voyages des journalistes. Edith Wharton, qui verse, comme tous à leur époque, dans le martyrologe, fournit en fait une vision superficielle de la réalité des fronts, ce dans une écriture qui privilégie le plus souvent la stylistique à la profondeur descriptive. Bien entendu, soumise à une censure allant croissant au fur et à mesure qu’elle approche les fronts actifs, ses visions se transforment en balades champêtres anonymes lorsqu’elle approche des premières lignes, comme c’est le cas dans le massif des Vosges, fronts alsacien comme lorrain. Ainsi rencontre-t-elle sans le nommer l’abbé Collé, curé de Ménil-sur-Belvitte (p. 118) et décrit-elle peut-être le front aux alentours de La Chapelotte ou de La Fontenelle mais de manière tellement superficielle que ce pourrait se trouver partout ailleurs dans le secteur. Bien entendu, elle commet des erreurs, voyant à Nancy les grilles de Jean Damour, plaçant au même rang Verdun, Badonviller et Raon-L’Etape dans l’évacuation (p. 150) et passant l’ancienne frontière alsacienne sans s’en rendre compte (p. 177). Bref, malgré une stylistique recherchée et quelques métaphores intéressantes, l’absence de profondeur descriptive de l’auteure rend son ouvrage trop superficiel pour être référentiel et utile à l’historien. L’ouvrage est agrémenté de 12 photographies mal reproduites en cahier final. Cet ouvrage n’apporte que très peu à l’historien, les descriptions étant trop sommaires et les toponymes utiles absents. L’ouvrage reste toutefois à mentionner dans les bibliographies de paradigme similaire des voyages et tableaux civils au front. Quelques coquilles toponymiques n’ont pas été corrigées par l’éditeur (p. 177 Massevaux pour Masevaux).

4. Parcours emprunté par l’auteure / date
30 juillet 1914 – pages 29 à 61 : Part de Poitiers – Chartres – Paris
Février 1915 – pages 63 à 100 : Meaux – Montmirail – Châlons-en-Champagne (pages 66 à 71) – Auve – Sainte-Menehould – Clermont-en-Argonne – Blercourt – Verdun – un village au sud, à 6 kilomètres à l’ouest des Eparges – Bar-le-Duc – Laimont – Heitz-le-Maurupt – Châlons-en-Champagne
13-17 mai – pages 101 à 137 : Sermaize-les-Bains – Commercy – Gerbéviller – Nancy – Mousson – Pont-à-Mousson – Crévic – Ménil-sur-Belvitte – colline isolée à trois kilomètres de la frontière allemande – des « villages nègres »
19 juin – 12 août – pages 139 à 200 : Quelque part entre Doullens et Montreuil-sur-Mer – Saint-Omer – Cassel – route de Cassel à Poperinge – Poperinge – Ypres – Poperinge – Furnes – Bergues – Dunkerque – Cassel – « Bois triangulaire » – Nieuport – La Panne (Belgique) – Dunkerque – La Panne – Saint-Omer.
13-15 août : Près de Reims – Reims
15-16 août : Masevaux – Thann – sommets à l’est de Thann
17 août : Belfort – Dannemarie
18 août : « Une chaîne de collines près des frontières de la Lorraine » pouvant être en Déodatie (la description d’un village occupé ressemble au hameau-centre de Launois, au Ban-de-Sapt).

5. Quelques annotation à retenir
Page 35 : Vue de la mobilisation à Paris, ambiance
43 : « Ambiance » administrative, difficulté pour communiquer, comportement des agents
49 : Parisiens allant voir les premiers drapeaux pris à l’ennemi
54 : Vue de « l’armée des réfugiés »
68 : Uniformes bigarrés et différentes teintes de bleu
72 : 75 et camions : « On aurait dit des gazelles géantes au milieu d’un troupeau d’éléphants »
77 : A Clermont-en-Argonne, voit la guerre d’une terrasse gazonnée, comme un balcon sur la guerre
93 : Disparition des panneaux directionnels à l’arrière du front ; elle manque de perdre son chemin
100 : Evoque sans être explicite (« sa dépouille fut déshonorée ») le viol d’une morte par l’ennemi à Gerbéviller
130 : Vue d’orfèvres parisiens artisans de tranchée
158 : Bruit du canon comparable « au bruit que feraient tous les rideaux de fer du monde s’ils retombaient en même temps »
162 : Métaphore sur la vision des forêts : « Lorsque les belles forêts continentales sont victimes du canon, les troncs puissants jetés à terre se prêtent à des visions majestueuses de temples en ruines »
« La ville moderne de Nieuport semble être morte de la colique » !
185 : « Chaque canon avait son canonnier, qui veillait sur lui avec l’œil fier et jaloux du jeune marié pour son épouse »
190 : Alsacien repeignant les enseignes en français à Dannemarie

Yann Prouillet – avril 2020

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Aldington, Richard (1892-1962)

Richard Aldington débute sa carrière littéraire en 1911 au sein du mouvement poétique des Imagistes, qui connaît son heure de gloire entre 1910 et 1917. Après avoir fait la connaissance d’Ezra Pound, le principal initiateur de ce mouvement d’avant-garde, il épouse en 1913 l’auteure américaine Hilda Doolittle, plus connue sous les initiales H.D., laquelle fait également partie des Imagistes. Tournant le dos au romantisme, ces poètes prônent un traitement précis de l’image, loin de toute abstraction, avec recours au vers libre. Ils sont également influencés par la littérature extrême-orientale, notamment les haïkus japonais. Le premier recueil d’Aldington, Images 1910-1915, paraît en 1915.
Après avoir été rejeté par l’armée en 1914 pour avoir été récemment opéré d’une hernie, Richard Aldington essaie à nouveau en 1915 de se faire incorporer dans un centre de formation pour officiers mais sans plus de réussite. Il se consacre dès lors à sa carrière naissante, écrit pour la revue The Egoist, travaille en collaboration avec Ford Madox Ford pour des ouvrages de propagande et côtoie la bohème imagiste, soucieux de se faire un nom sur la scène littéraire. La guerre ne fait plus partie de ses préoccupations. Mais la Grande-Bretagne instaure la conscription au début de l’année 1916. Il doit rejoindre les rangs de l’armée en juin. Le passage entre la vie d’artiste et la discipline de la caserne ne va pas sans quelques difficultés d’adaptation, mais quand il arrive en France à la fin de l’année il parvient à se fondre dans la masse et à exercer sans état d’âme le métier de soldat. Son sens aigu de la satire l’aide à affronter la réalité des combats. Ainsi, il écrit en français à son ami Flint : « Ne crois pas que je veux de tes nouvelles ; c’est que je manque diablement de torche-culs. C’est un manque dont M. le Commissaire-Général se s’est point aperçu, sans doute. » Il pose sur le spectacle de la guerre un regard distant. « C’est d’une emphase qui vaut la peine d’être vue, ne serait-ce que pour s’imaginer ce que fut Pompéi au moment où les éruptions l’engloutissaient. » Il souffre cependant du mal du pays. Au printemps 1917, il accomplit sa mission de signaleur en marge de la bataille d’Arras puis revient pour plusieurs mois en Grande-Bretagne afin de suivre une formation d’officier. Il ne contient pas toujours sa colère contre les planqués et les profiteurs : « Je souhaiterais que les capitalistes se révoltent. Nous aurions alors l’occasion de les écraser définitivement. Ce jour-là, je ne serais pas armé d’un fusil mais d’une mitrailleuse. » Il craint également qu’à son retour au front ses nerfs lâchent : « Je crois que je vais me jeter au sol et pleurer comme un gosse si je dois vivre un autre barrage d’artillerie ».
De retour en France en avril 1918, dans le secteur de Loos, il déplore la piètre qualité des nouvelles recrues et continue d’écrire des poèmes de guerre, même s’il juge que sa sensibilité littéraire s’est émoussée. Son recueil, War and Love, vient de paraître et n’a pas l’impact qu’il espérait. La poésie de guerre est encore majoritairement patriotique et le public rejette pour l’instant les plumes acerbes. Recourant au style imagiste qui privilégie le détail évocateur, le poète Aldington sait pourtant mieux que nombre de versificateurs peu inspirés évoquer les instants de guerre avec une sobriété bienvenue. Dans une lettre à Hilda, il confie avoir essayé de se suicider en se plaçant délibérément dans la ligne de tir de l’ennemi. Il participe à l’offensive alliée de l’automne 1918 dans les secteurs de Doullens, Lens et Cambrai. Son unité se trouve à Wargnies-le-Grand quand sonne l’Armistice. Il n’est démobilisé que quelques mois plus tard. Comme beaucoup de ses camarades, il est épuisé par le combat et en porte les séquelles : symptômes post-traumatiques avec crises d’angoisse, insomnies et troubles psychiques.
L’expérience de combattant de Richard Aldington a été compliquée par une anxiété permanente liée à sa vie sentimentale, qui l’a miné tout au long de sa présence en France et pendant sa période de formation en Angleterre. Après la naissance d’un enfant mort-né en 1915, Hilda a vécu avec Cecil Gray, un ami de D.H. Lawrence, pendant qu’Aldington se battait en France. Elle a accouché d’une fille issue de cette liaison et vers la fin de la guerre a entamé une relation homosexuelle avec Annie Winifred Ellerman, qui publiait sous le nom de Bryther. Malgré cet imbroglio sentimental digne d’un roman à sensations, Richard Aldington ne souhaite pas rompre avec son épouse. En 1919, le couple essaie de surmonter ses difficultés mais la séparation s’avère très vite inévitable. Ils ne divorcent cependant qu’en 1938 et resteront amis tout au long de leurs vies.
Pendant près de dix ans, Aldington essaie de retrouver la position qu’il occupait sur la scène littéraire britannique au début de la guerre. C’est l’époque où T.S. Eliot monte en puissance et où le courant imagiste devient obsolète. Il écrit des critiques et une étude sur Voltaire, son modèle, et publie des traductions, notamment des correspondances de Voltaire et de Madame de Sévigné. En 1928, Aldington quitte l’Angleterre pour s’établir en France. C’est en Provence, sur l’île de Port-Cros, qu’il écrit Death of a Hero à partir d’un premier manuscrit rédigé dix ans auparavant. Roman d’un désenchantement total et d’un humour souvent exubérant, Death of a Hero est une réussite littéraire évidente qui établira durablement la réputation de l’auteur.
En 1930, Aldington publie une traduction du Décaméron et en 1933 un roman intitulé All men are enemies, qui reprend le thème de la désillusion engendrée par la Grande Guerre. En 1942, exilé aux États-Unis avec sa nouvelle épouse, Netta Patmore, il entame un cycle de biographies sur Wellington, D.H. Lawrence, Robert Louis Stevenson et T.E. Lawrence. Celle consacrée à T.E. Lawrence causera un scandale retentissant. Le milieu littéraire ne pardonnera jamais à Richard Aldington de s’être attaqué à la figure légendaire de Lawrence d’Arabie et de l’avoir en partie montré sous les traits d’un imposteur. Si par la suite les historiens donneront raison à Aldington, l’effet du livre n’en est pas moins désastreux pour son auteur dans les années 50.
Il meurt en France, à Sury-en-Vaux, en 1962. Le Times écrit alors : » Il fut un jeune homme en colère avant que ce concept ne devienne à la mode… et est resté jusqu’à la fin un vieil homme en colère. »

Francis Grembert, novembre 2016

2) L’oeuvre
Mort d’un héros, publié en 1928, est considéré dès sa sortie comme une oeuvre importante. Le roman est traduit en français en 1987 (Actes-Sud). En 1930, Aldington publie Roads to Glory, une série de nouvelles traitant également de la guerre. Ses poèmes de guerre sont publiés sous les titres Images of War (1919) et Love and War (1919). An Imagist at War: The Complete War Poems of Richard Aldington (2002) regroupe l’ensemble de sa production poétique de guerre.

3) Analyse.

Les deux premières parties de Mort d’un Héros retracent la jeunesse et le mariage moderne de George Winterbourne, ce qui nous vaut un portrait dévastateur de l’Angleterre du début du siècle. Les petits bourgeois et le monde de la bohème artistique font l’objet d’une satire féroce. La troisième partie est centrée sur la guerre.
Ce roman est le portrait d’une génération perdue. L’amertume peut parfois laisser supposer que l’auteur fait preuve de misanthropie, mais il s’agit avant tout de colère. Celle-ci est exprimée avec un humour ravageur, très britannique, et une verdeur de langue qui vaut à son auteur quelques problèmes avec la censure. La première publication en Angleterre a d’ailleurs été tronquée.
Mort d’un héros a occulté les autres oeuvres d’Aldington consacrées à la guerre. Ses poèmes de tranchées et Roads to Glory présentent pourtant un intérêt similaire et attestent de l’impact durable qu’a eu la guerre sur leur auteur. Le texte suivant, publié une première fois dans la revue The Egoist puis dans Roads to Glory, donne une idée de son style.

Je suis hanté par les aubes. Non ces aubes lointaines où je vis pour la première fois les clochers de Florence dans l’air pur de la Toscane ou les collines violettes de Ravello, auréolées de brume sous l’or du ciel ; ni ces aubes où je me réveillais à côté d’un corps aimé, aux courbes délicates, l’esprit encore fiévreux de désir, les lèvres et les yeux lourds de baisers, et contemplais la lumière glisser sur les toits de Londres tandis que les moineaux du petit matin gazouillaient dans les platanes. Ce ne sont pas ces aubes-là qui me hantent, mais d’autres, tragiques et pitoyables.
Je me souviens de réveils pénibles en hiver dans des granges françaises. Il manquait toujours quelques tuiles au toit, ce qui nous permettait de pouvoir observer le scintillement morose des étoiles, et à l’aube le chatoiement stérile de la neige. Notre haleine gelait sur les couvertures et le contact avec l’air nous était une angoisse.
Je suis hanté par les aubes sombres, dont certaines avaient un charme ironique, qui naissaient sur les champs de manœuvres, les aubes brumeuses de printemps, quand les formes indistinctes des fils barbelés ressemblaient à des ennemis qui rampaient, les aubes d’été, où le bleu profond et la fraîcheur incommensurable du ciel étaient comme un blasphème, une insulte à la misère humaine.
Mais parmi toutes ces aubes une me troubla à jamais. Tandis que les formes émergeaient petit à petit de l’obscurité et que la lente progression de la lumière en définissait les contours, de petits groupes d’hommes portant brancards à l’épaule avançaient laborieusement le long de la rue en ruines. Chaque groupe se détachait sur l’orient qui blanchissait : les casques d’acier (comme ceux portés par les soldats du Moyen-âge), les fusils en bandoulière, les corps tendus par l’effort, les cadavres qui vacillaient inutilement sous la couverture sépulcrale. Au fur et à mesure qu’ils arrivaient à leur destination, les brancardiers criaient les noms des choses qu’ils transportaient – des choses qui hier encore avaient été des vies d’homme.

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Wilson, Cameron (1888-1918)

1. Le témoin
Fils et petit-fils de pasteur, Theodore Percival Cameron Wilson est né à Paignton, dans le Devon, en 1888, quatrième enfant d’une famille qui en comptera six. Son grand-père, Theodore Percival Wilson, avait été en son temps un romancier à succès. Après une scolarité en dents de scie, il suit des cours à Oxford en 1907 sans toutefois pouvoir intégrer un des prestigieux Colleges de l’université. Il quitte l’établissement trois ans plus tard sans diplôme et enseigne dans une école primaire. Son premier roman, The Friendly Ennemy, est publié en 1913.
Cameron Wilson s’engage en 1914 dans les Grenadier Guards et devient sous-officier l’année suivante dans le régiment des Sherwood Foresters. Arrivé en France en février 1916, il fait partie de ces nombreux combattants qui condamnent le principe de la guerre tout en étant convaincus qu’il est de leur devoir de se battre. Son poème Des pies en Picardie est publié dans la Westminster Gazette en août 1916. C’est à cette époque qu’il est muté au Grand Quartier Général. Après avoir été promu capitaine, il repart au front et trouve la mort le 23 mars 1918 à Hermies, dans le Pas-de-Calais. Son nom est gravé sur le mémorial d’Arras à côté de 35 000 autres soldats portés disparus dans ce secteur.
Marjorie Wilson, la soeur de Cameron, qui avait été aide-soignante bénévole pendant la guerre, publie en octobre 1918 dans le Spectator un poème intitulé A Tony, âgé de 3 ans – en mémoire de T.P.C.W. Ce type de « poème-hommage » était une façon d’honorer les soldats tués au combat en dédiant leur sacrifice aux jeunes enfants qu’ils ne verraient jamais grandir.
2. Le témoignage
L’ensemble des poèmes de Cameron Wilson est publié en 1919 sous le titre Magpies in Picardy par le poète Harold Monro, qui était aussi son ami. Un autre ouvrage, intitulé Waste Paper Philosophy, paraît l’année suivante. Plusieurs de ses lettres ont également été publiées, notamment dans War Letters of Fallen Englishmen.
3. Analyse
Le poème éponyme du recueil Magpies in Picardy est présent dans la plupart des anthologies de poésie consacrées à la Grande Guerre. Tout comme John McCrae, Noel Hodgson, Julian Grenfell et Alan Seeger, Cameron Wilson fait partie de ces auteurs-combattants passés à la postérité pour un seul de leur poèmes. Si le style de Magpies in Picardy est un peu suranné, il faut toutefois reconnaître qu’il possède une originalité séduisante et un charme pastoral évident. Son aspect documentaire est également à prendre en compte. Les commentaires sur la faune et la flore sont récurrents dans les témoignages britanniques de la Grande Guerre, et les oiseaux y ont une place de choix. L’image de l’alouette volant au-dessus du no man’s land est notamment une notation incontournable dans les écrits de combattants. Les autres poèmes du recueil évoquent les combats, les périodes de repos et les paysages français. Si Song of Amiens et quelques autres poèmes sont des instantanés réussis de « vie française », on peut cependant déplorer des faiblesses de style à bien d’autres endroits du recueil.
Les lettres de Cameron Wilson sont moins connues mais méritent tout autant l’attention que ses poèmes. Son dégoût de la guerre y est énoncé à plusieurs reprises, en des termes plus ou moins semblables, comme s’il voulait à tout prix persuader ses proches de ne pas se laisser leurrer par les discours officiels : « La guerre est incroyablement dégoûtante. Tout homme qui y a participé et l’encense est un dégénéré » (Lettre de mars 1916 à sa tante). « Quand on a vu un beau gars aux yeux bleus se transformer en un stupide pantin désarticulé, avec sa propre cervelle qui lui dégouline sur les yeux, comme je l’ai moi-même vu, on devient soit un pacifiste soit un dégénéré » (Lettre du 27 avril 2016 à sa tante). « Les corps désarticulés sont obscènes, quoique puissent écrire les correspondants de guerre. La guerre est une obscénité. Mais Dieu merci nous nous battons pour qu’il n’y ait jamais plus de guerre » (Lettre du 3 mai 1916 à sa mère). Le ton est radicalement différent de celui des poèmes. La mise en parallèle des deux types d’écriture nous renseigne sur les différentes attitudes, parfois opposées, qui cohabitent chez de nombreux combattants. Pour de nombreux jeunes officiers britanniques, la poésie a été un moyen d’expression privilégié leur permettant d’une part de conserver un lien avec le monde d’avant – pour beaucoup d’entre eux l’université – et d’autre part d’échapper momentanément aux prises de position pour aboutir à une vue distanciée et multiple de la réalité combattante.
Sources :
Magpies in Picardy, T.D Cameron Wilson, The Poetry Bookshop, 1919
Waste paper philosophy, T.D Cameron Wilson, George H. Doran Company, 1920
War letters of fallen Englishmen, Victor Gollancz Ltd, 1930

Francis Grembert

(Tel que publié dans le recueil Magpies in Picardy, 1919)

DES PIES EN PICARDIE

Les pies de Picardie
Sont plus que je ne saurais dire.
Elles planent au-dessus des routes poudreuses
Et ensorcellent les hommes
Qui traversent la Picardie,
La Picardie, prélude à l’enfer.

(Le merle, farouche, s’envole au moindre bruit,
L’hirondelle la lumière inlassablement suit,
Les pinsons ont des allures de dame,
La chouette flotte dans l’air du soir.
Mais la grande et radieuse pie
Vole à la manière des artistes.)

Une pie, quelque part en Picardie,
m’a révélé ses secrets :
La musique qu’abritent ses plumes blanches,
La lumière qui chante
Et danse dans la profondeur des ombres.
De ses ailes, elle me l’a dit.

(Le faucon, cruel et austère,
Toujours nous regarde du haut du ciel ;
La morne corneille traîne de l’aile,
Le rouge-gorge aime la bagarre ;
Mais la grande pie radieuse
A le vol gracieux de l’amour.)

Elle m’a dit qu’en Picardie,
Une génération ou deux auparavant,
Quand ses pères étaient encore dans l’œuf, Toutes ces grandes routes poussiéreuses
Charriaient des soldats qui partaient à la guerre,
La guerre en chantant,
Le long des prés et des champs de Picardie,
Prélude à l’enfer.
MAGPIES IN PICARDY

The magpies in Picardy
Are more than I can tell.
They flicker down the dusty roads
And cast a magic spell
On the men who march through Picardy,
Through Picardy to Hell.

(The blackbird flies with panic,
The swallow goes like light,
The finches move like ladies,
The owl floats by at night ;
But the great and flashing magpie
He flies as artists might.)

A magpie in Picardy
Told me secret things –
Of the music in white feathers,
And the sunlight that sings
And dances in deep shadows –
He told me with his wings.

(The hawk is cruel and rigid,
He watches from a height ;
The rook is slow and sombre,
The robin loves to fight ;
But the great and flashing magpie
He flies as lovers might.)

He told me that in Picardy,
An age ago or more,
While all his fathers still were eggs,
These dusty highways bore
Brown singing soldiers marching out
Through Picardy to war.

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Bairnsfather, Bruce (1887-1959)

1) Le témoin
Ce célèbre caricaturiste britannique a créé le personnage d’Old Bill, un tommy grincheux avec moustache à la gauloise qui connaîtra un immense succès pendant la guerre et reste à ce jour une figure emblématique du combattant de la Grande Guerre.
Bruce Bairnsfather naît et grandit en Inde, dans une famille de militaires. Comme le veut la tradition, ses parents l’envoient en Grande-Bretagne pour qu’il y poursuive des études. Destiné à une carrière militaire, il rejoint les rangs de l’armée britannique mais démissionne en 1907. Après avoir suivi des cours à l’école d’art John Hassal, il décroche quelques contrats publicitaires pour les thés Lipton et les cigarettes Player’s mais ces commandes sont loin d’être suffisantes pour vivre.
Au déclenchement de la guerre, Bairnsfather s’engage dans le régiment des Royal Warwickshire, où il obtient au bout de quelques semaines le grade de lieutenant. Il est envoyé en France, où il commande une section de mitrailleurs. Choqué par les conditions de vie dans les tranchées, il craint d’être envoyé en permission, doutant de sa capacité à trouver ensuite le courage de revenir au front. Il participe au célèbre épisode de fraternisation de Noël 1914 et évite de justesse la cour martiale.
Pendant qu’il est au front, il dessine des scènes de la vie des tranchées. En avril 1915, il prend part à la 2e bataille d’Ypres, où il est exposé au gaz et blessé suite à une explosion d’obus. A l’hôpital général de Londres, les médecins diagnostiquent une commotion. Pendant sa convalescence, le Bystander lui demande de fournir au journal un dessin par semaine. C’est ainsi qu’il crée Old Bill (et ses camarades Bert & Alf). Ces dessins sont publiés sous la forme d’une chronique intitulée Fragments From France. Old Bill est immédiatement apprécié des soldats. Mais l’état-major trouve les caricatures vulgaires et peu respectueuses des « héros qui se battent dans les tranchées ». Si les dessins s’inscrivent dans une tradition humoristique populaire, ils reflètent néanmoins la réalité de la vie au front telle que leur auteur l’a vécue. On peut légitimement avancer que la publication de ces caricatures est ce qui s’est fait de mieux en matière de contre-propagande. Old Bill illustre l’humour propre aux tommies, lequel les aidait à affronter le quotidien de la guerre. Les autorités militaires finissent par juger que l’impact de ces caricatures sur le moral des troupes est très positif. Dès lors, le ministère de la guerre demande à Bairnsfather de produire des dessins équivalents pour l’ensemble des forces alliées.
Après la guerre, Old Bill ne perdra pas de sa popularité et ses aventures seront adaptées pour le grand écran. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Bruce Bairnsfather reprend du service en tant que caricaturiste, mais cette fois pour les Américains.
Bruce Bairnsfather meurt en 1959. Si le succès d’Old Bill lui a permis de mener une brillante carrière de caricaturiste, il l’a également enfermé dans un registre restreint, ce qu’il a parfois regretté.
2) Le témoignage
Bullets & Billets paraît en 1916. Le texte est illustré par des dessins d’Old Bill. Par la suite, les caricatures parues dans le Bystander paraîtront en plusieurs volumes jusqu’à la fin de la guerre.

3) Analyse
Le récit de l’expérience combattante de Bruce Bairnsfather, publié en 1916 sous le titre de Bullets & Billets, propose de très intéressantes descriptions de la mission d’un officier en 1914 et 1915. Chargé de superviser un ensemble de postes de mitrailleurs, il se doit d’acquérir une connaissance exacte du terrain, ce qui nous vaut des descriptions précises du système de tranchées et du paysage dans lequel il s’inscrit. La période concernée – fin 1914 et début 1915 – correspond à l’élaboration de ce système, encore chaotique. Bairnsfather insiste sur ce point et parle d’une « époque » révolue : « Pendant ces jours anciens – d’août 14 à juillet 15 – tout était si précaire et primitif. Les tranchées étaient encore affaire d’amateurisme et la vie militaire mal définie, ce qui à mes yeux donnait à cette guerre ce dont elle avait tristement besoin : une touche d’aventure et de romance. » Au cœur de ces « temps anciens », la célèbre trêve de Noël 1914, apparaît effectivement comme une anomalie au vu des Noëls suivants. Son compte rendu détaillé et objectif remet les pendules à l’heure et donne les limites exacte de la fraternisation. Dans une maison en ruines du village de Saint-Yvon, près de Ploegsteert, Bairnsfather commence à dessiner de petits instantanés de guerre et en envoie un au Bystander. Le journal le sollicitera pour qu’il en dessine d’autres. Les périodes de cantonnement en Flandre française, à Nieppe, Armentières et Bailleul, constituent un autre aspect intéressant du témoignage. Rarement un combattant ne s’attardera autant sur les rapports entre combattants britanniques et population locale. La période de dix jours passée dans une famille d’Outtersteene, hameau de Bailleul, donne ainsi lieu à plusieurs pages dans lesquelles il est possible d’identifier les habitants cités et même de goûter à un mini récit sur la vie de ces villageois en temps de guerre. Après quelques mois où prédomine la « routine des tranchées », qui entraîne des humeurs changeantes, il obtient une permission, au terme de laquelle il découvre, étonné, un curieux phénomène : « J’étais impatient de repartir. La chose est étrange mais néanmoins vraie. D’une certaine façon, patauger dans les champs lugubres de la guerre était ce qui comptait le plus. Si quelqu’un m’avait offert un poste tranquille et sécurisé en Angleterre, j’aurais refusé. Je n’accorde aucune gloire à cette sensation. Je sais que nous l’avions tous. »
Au printemps 1915, Bairnsfather participe à la deuxième bataille d’Ypres, au cours de laquelle il est blessé et il est rapatrié en Angleterre.
Bullets & Billets est d’une écriture agréable et soignée, preuve que le dessinateur avait également de réels talents d’écrivain. Le ton, proche de celui des dessins d’Old Bill, possède cette propension caractéristique des Britanniques à la dérision, qui fut un atout pour maintenir le moral des troupes. Ce passage évoquant avec humour un épisode où l’auteur est obligé de révéler ses piètres talents d’écuyer est représentatif du style de Bullets & Billets, qui oscille sans cesse entre le récit conventionnel d’un parcours de combattant, des scènes cocasses et des réflexions sur la guerre :

« Je dois confesser que je n’ai jamais été un grand adepte des plaisirs de l’équitation. Ce qui est dommageable pour un officier de mitrailleurs, lequel a le rare privilège de bénéficier d’un cheval. J’étais autorisé à quitter les tranchées, et à les regagner, à dos de cheval, tout comme je pouvais faire trotter ou galoper ma monture où bon me semblait pendant les périodes de repos. Mais cet avantage, que m’enviaient mes camarades sans monture, me laissait de marbre. Je ne ferai jamais partie de la Haute École, j’en ai bien peur, même si j’ai essayé d’aimer l’équitation pendant que j’étais en France. Quand le dernier jour de la période de repos est arrivé, c’est à cheval que j’ai accompagné mes hommes vers les tranchées.
« Faire du cheval en Angleterre, ou dans n’importe quel pays civilisé, est une chose mais c’en est une autre dans les étendues désolées et truffées de trous d’obus des Flandres. Le soir où il nous a fallu regagner les tranchées, la pluie et la boue étaient comme d’habitude au rendez-vous. Mon palefrenier – maudit soit-il ! – n’avait pas oublié de seller mon cheval et de me l’amener. L’animal était bien là, grand et émacié, devant ma section de grenadiers au garde-à-vous. De ma plus belle démarche équestre, j’ai traversé la cour, je suis monté sur le cheval et j’ai donné d’une voix étouffée l’ordre de reprendre la route des tranchées.
« Dieu merci, je n’avais pas été versé dans un régiment de cavalerie. Les routes que nous empruntions ne faisaient pas plus de deux mètres de large, avec de chaque côté un fossé à pic. A ceci s’ajoute le fait qu’il nous fallait croiser ou être dépassé par un camion toutes les dix minutes. Ces conditions étaient celles où je devais faire valoir mes supposés talents de cavalier.
« Mais pendant toute la durée de ma carrière équestre en France, j’ai tenu bon. Ce jour-là, je précédais ma section, à la manière d’un Vaisseau du désert, devant les estaminets, les moulins et les maisons en ruines. Je n’en menais pas large quand mon cheval, trop souvent, me proposait un demi-tour dans un champ pour éviter un énorme camion dont l’unique phare éclairait aussi fort qu’un millier de bougies. Finalement, nous sommes arrivés à l’endroit où tout cavalier doit descendre de sa monture pour regagner la terre ferme : au seuil des tranchées, une fois de plus. »
Francis Grembert, mars 2016
Jean Norton Cru avait attiré notre attention sur « l’admirable série de dessins de guerre » de Bairnsfather dont quelques-uns illustrent le livre de Fernand Laurent, Chez nos alliés britanniques, Boivin, 1917. Voir Témoins, p. 447-448.

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Schaarschmidt, Helene (1886- ?)

Née à Davos, Helene Schaarschmidt, de nationalité allemande, se trouvait vraisemblablement en vacances en France lors de l’entrée en guerre en 1914. Elle fut internée au camp de Garaison (Hautes-Pyrénées) du 7 septembre au 3 novembre 1914, après un détour par Flers en Normandie. Le camp de Garaison, installé dans le collège religieux Notre-Dame de Garaison devenu disponible en 1903, faisait partie des camps d’internement dans lesquels le gouvernement français décida de retenir les civils mobilisables, ressortissants des puissances en guerre contre la France.
On sait très peu de choses au sujet de la biographie d’Helene Schaarschmidt. Son dossier des Archives des Hautes-Pyrénées nous apprend qu’elle était alors célibataire. À son retour en Allemagne, elle publia un bref récit de 60 pages : Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich nach Ausbruch des Krieges [Expériences d’une Allemande en France au lendemain de l’entrée en guerre], Chemnitz, Thümmlers Verlag, 1915. Les extraits de ce récit relatifs au passage à Garaison viennent d’être traduits en français : Helene Schaarschmidt, Une Allemande en France au lendemain du déclenchement de la guerre, traduit de l’allemand par Hélène Florea, Hilda Inderwildi, Hélène Leclerc, Alfred Prédhumeau, in Gertrud Köbner, Helene Schaarschmidt, Récits de captivité. Garaison 1914, textes édités par Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc, Toulouse, Le Pérégrinateur, 2016. La traduction intégrale de son récit-journal (trad. Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc) est prévue pour 2019.
Le récit d’Helene Schaarschmidt ne se présente pas comme un journal ; les dates sont peu présentes, le texte est rédigé au passé, assumant le décalage entre temps narré et temps de la narration ; il relève donc davantage du récit de souvenirs. À sa lecture, on a l’impression que l’auteur en a volontairement escamoté tout indice biographique. Cette discrétion s’applique également à ses co-internés. Ainsi ne trouve-t-on aucun nom dans le texte d’Helene Schaarschmidt, les lieux traversés ne sont que très peu décrits, en particulier le couvent de Garaison ; l’auteure semble se concentrer sur l’attitude des Français envers les Allemands, évoquant notamment l’hostilité immédiate et le développement d’actes antiallemands.
Ce texte se caractérise en effet par l’expression d’un patriotisme allemand. Helene Schaarschmidt, qui n’était vraisemblablement que de passage en France au début du mois d’août 1914, défend, dès la première page de son récit, l’Allemagne, accusée de militarisme outrancier par les amis français de l’auteure : « Je dis que cela n’est pas tout à fait exact. L’Allemagne ne souhaite pas la guerre, elle est juste contrainte à préserver ses forces défensives pour se protéger. » Elle évoque plus loin « le fossé » qui s’est « soudain [creusé] entre gens de nationalité différente ». Elle insiste tour à tour sur les violences policières (p. 11-12), l’attitude hostile de sa logeuse parisienne (p. 14) et dénonce la mauvaise organisation des départs forcés (p. 16), les inscriptions antiallemandes (p. 17) ou les Normands de Flers qui la logent uniquement par cupidité (p. 18). Un leitmotiv de son récit sont les insultes et les crachats dont sont victimes les Allemands (p. 23-25). Toutefois, elle sait reconnaître le rôle de la propagande et l’influence de l’école républicaine et de l’Église, qui alimentent le ressentiment antiallemand : « Ce n’est toutefois pas entièrement de leur faute ; car l’école d’abord leur inculque ces bêtises ; par exemple, en 1870, l’Allemagne a provoqué la guerre et l’a commencée à partir de rien ; les Français n’auraient jamais perdu si Bazaine n’avait pas vendu l’armée aux Allemands, etc. Et le peu de bon sens populaire qui reste encore est laminé par l’Église ; les sermons en chaire ne sont que haine de l’Allemagne. » (Helene Schaarschmidt, Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich nach Ausbruch des Krieges, op.cit., p. 23)
En dépit de sa dénonciation de l’anti-germanisme français, qui, tel qu’il est décrit, semble attester l’existence d’une « culture de guerre », Helene Schaarschmidt tente donc finalement de disculper les Français qu’elle rencontre ; malgré le sort qu’elle subit, elle se montre encore prête au dialogue et à la compréhension, ce qui tendrait cette fois à relativiser la notion de « culture de guerre ».

Hélène Leclerc, MCF Université de Toulouse Jean Jaurès, mars 2016

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Köbner, Gertrud (1879- ?)

Gertrud Köbner, épouse John, est née à Berlin en 1879. De nationalité allemande, elle résidait en France, à Neuilly, depuis 1906, avec son époux Eduard John, né lui aussi à Berlin, en 1875. D’après le dossier des Archives départementales des Hautes-Pyrénées le concernant (9_R_88), Eduard John était publiciste, un document le qualifie d’ « intellectuel boche ». Le couple avait deux enfants, nés en France. Toute la famille John, ainsi que la mère de M. John, fut contrainte de quitter son domicile dès l’entrée en guerre de la France et arriva au camp de Garaison dans les Hautes-Pyrénées le 11 septembre, après un long périple et détour par Flers en Normandie. Le camp de Garaison, installé dans le collège religieux Notre-Dame de Garaison devenu disponible en 1903, faisait partie des camps d’internement dans lesquels le gouvernement français décida de retenir les civils mobilisables, ressortissants des puissances en guerre contre la France ; Garaison était plus spécifiquement dédié à l’accueil de familles. C’est donc toute la famille John qui y fut internée. Le 2 novembre 1914, Gertrud Köbner fut toutefois rapatriée en Suisse, en compagnie de ses enfants et de sa belle-mère, Eduard John, mobilisable, devant rester à Garaison, d’où il s’évada en août 1916. Elle semble être restée en Suisse, comme l’atteste la correspondance qu’elle adressa à son époux en août et septembre 1916 (Eduard John s’étant évadé de Garaison, l’administration française a conservé les lettres à lui adressées après son évasion ; son épouse lui écrit de Lenzburg en Suisse. Cf. dossier 9_R_88 Archives départementales des Hautes-Pyrénées). Gertrud John publia sous son nom de jeune fille, peu de temps après son rapatriement un récit assez circonstancié (214 pages) : Drei Monate kriegsgefangen. Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich [Prisonnière de guerre pendant trois mois. Une Allemande en France raconte], Berlin, Kronen-Verlag, 1915). Les extraits de ce récit relatifs au passage à Garaison viennent d’être traduits en français : Gertrud Köbner, Trois mois de captivité. Une prisonnière de guerre allemande raconte, traduit de l’allemand par Hélène Florea, Hilda Inderwildi, Hélène Leclerc, Alfred Prédhumeau, in Gertrud Köbner, Helene Schaarschmidt, Récits de captivité. Garaison 1914, textes édités par Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc, Toulouse, Le Pérégrinateur, 2016.
Si Gertrud Köbner apparaît comme sans profession dans la fiche établie par les autorités de Garaison lors de son évacuation pour la Suisse, son récit révèle une observatrice informée et cultivée, familière de la presse et de la vie politique française, engagée avant-guerre dans les mouvements pacifistes ; elle participa en effet en août 1913 à l’inauguration du Palais de la Paix à La Haye et place son récit sous l’égide de Bertha von Suttner qu’elle évoque dès la première page. Dans ce récit, Gertrud Köbner revendique d’emblée sa position de témoin subjectif, porteur d’une vision nécessairement partielle, voire erronée, du fait de son éloignement du théâtre des événements, de son accès restreint aux sources d’information, de sa situation d’Allemande dans le sud-ouest de la France. Ayant conscience d’être un témoin particulier, elle met en avant l’intérêt pour ses compatriotes du point de vue d’une « Allemande en France ». Les pages consacrées à Garaison (p. 179-214) ne représentent qu’un sixième du texte qui privilégie le récit des événements en amont de l’arrivée au camp, depuis l’entrée en guerre de la France et la tentative vaine pour la famille John de regagner l’Allemagne, le séjour à Flers en Normandie et le long périple en train de Flers à Lannemezan, puis en charrette ou à pied jusqu’à Garaison. Gertrud Köbner consacre en réalité les plus longs développements de son journal – les soixante premières pages – à l’entrée en guerre proprement dite ; encore à Paris jusqu’au 7 août, elle parvient à se procurer la presse, dont elle insère de longs extraits.
Ce texte n’est en rien un brûlot anti-français ; vivant en France depuis de nombreuses années, Gertrud Köbner considère ce pays comme sa seconde patrie et le début du conflit représente pour elle un douloureux déchirement : « Telle une décharge électrique, une pensée m’assaille : ici, en ce moment, tu te trouves face à un tournant de l’histoire ! Ce tournant, j’en fais l’expérience en pays ennemi [terme souligné par l’auteure], un pays dans lequel je vis depuis de nombreuses, très nombreuses années et que j’ai appris à aimer de tout mon cœur. Que les sentiments de ce pauvre cœur torturé soient partagés … qui pourrait en douter ! De l’autre côté du Rhin, mes frères, mes parents, tous ceux qui me sont chers, partent servir le drapeau noir-rouge-or et attaquent avec canons, fusils et baïonnettes ceux auxquels je suis attachée de ce côté-ci du Rhin et qui appartiennent à un pays dans lequel je me sentais heureuse et auquel j’associe un nombre infini de beaux souvenirs. » (Gertrud Köbner, Drei Monate kriegsgefangen. Erlebnisse einer Deutschen in Frankreich, Berlin, Kronen-Verlag, 1915, p. 6-7). Ce récit se caractérise par une propension à atténuer la portée des actes d’hostilité des Français à l’égard des Allemands qui se retrouvèrent dans sa situation par le récit de marques de générosité dispensée par des Français, comme l’accueil chaleureux d’une Normande (p. 69) ou l’appel du maire de Flers à traiter les Allemands avec humanité (p. 72). La volonté persistante de ne pas accabler la France se double toutefois progressivement du sentiment d’être une étrangère en France, une « Franco-Etrangère » (p. 31), où Allemand devient synonyme et quintessence de l’étranger, et de l’affirmation répétée de son identité allemande.
Le récit s’achève par un message résolument pacifiste : « Et pourtant, voici qu’au moment où le train me reconduit à Berlin, ma ville natale, mes pensées, nostalgiques s’envolent vers mon second chez-moi, la France, et vers mon mari, resté là-bas. Doucement, tout doucement, mon esprit tisse les fils qui relient le pays des Allemands à celui des Français. C’est alors que s’élève sur l’horizon lointain un timide soleil de novembre, pareil à une pâle lueur d’espoir, un espoir très très faible mais qui pourrait peut-être malgré tout devenir réalité… » (Gertrud Köbner, Trois mois de captivité. Une prisonnière de guerre allemande raconte, Hilda Inderwildi et Hélène Leclerc (éds), op.cit., p. 51).

Hélène Leclerc, MCF, Université de Toulouse Jean Jaurès, mars 2016

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Redmond, Willie (1861-1917)

1. Le témoin
Décédé le 7 juin 1917 dans une salle de soins du couvent Saint-Antoine de Locre (Belgique), Willie Redmond a été enterré dans les jardins de l’établissement, à proximité du cimetière où reposent la plupart des hommes de sa brigade. En 1919, sa veuve, venue se recueillir sur la sépulture, se déclare particulièrement satisfaite de cet emplacement. Elle s’oppose à la Commission des Sépultures de Guerre, qui au début des années 20 transfère les tombes isolées dans des cimetières de regroupement. La croix qui se dresse encore aujourd’hui au milieu d’un carré d’herbe, à quelques mètres du cimetière, honore un des nationalistes irlandais les plus éminents du début du XXe siècle.
Issu d’une famille catholique irlandaise, William Hoey Kearney Redmond suit les traces de son père et de son oncle, qui avaient tous deux lutté pour la cause irlandaise à la fin du XIXe siècle. Son frère aîné, John, deviendra quant à lui le leader du Parti Parlementaire Irlandais.
Ayant rejoint les rangs de Charles Parnell au sein de l’Irish National Land League, il est arrêté en 1882 et emprisonné trois mois à Dublin pour possession de littérature séditieuse. Sitôt libéré, il se rend aux États-Unis et en Australie pour lever des fonds en soutien de la cause nationaliste. Il est ensuite élu député pour le comté de Wexford et siégera pendant 34 ans à la Chambre des Communes de Londres.
Fervent défenseur de l’autonomie irlandaise, il n’hésite pas à prononcer des discours radicaux, qui lui valent un nouveau séjour en prison en 1902. Visitant régulièrement les communautés irlandaises outremer, il s’inspire du statut de dominion du Canada et de l’Australie pour forger un concept d’autodétermination propre à l’Irlande.
En août 1914, son frère John incite les Volontaires Irlandais à rejoindre les rangs de l’armée britannique, considérant d’une part que l’Allemagne est l’ennemie commune de la Grande-Bretagne et de l’Irlande et d’autre part que l’implication dans l’effort de guerre favorisera ultérieurement l’autonomie irlandaise. Willie est un des premiers à organiser des campagnes de recrutement. Il décide également de s’engager dans l’armée, malgré ses 55 ans. Quatre autres députés irlandais serviront dans des unités britanniques.
Devenu capitaine au sein du Royal Irish Regiment, il arrive au front au cours de l’hiver 1915-16. Il se distingue d’emblée par son esprit combatif et sa proximité avec la troupe, marchant notamment avec ses hommes au lieu de les accompagner à cheval, comme le faisaient de nombreux officiers. En juillet 1916, il doit revenir en Irlande pour raisons de santé. En mars 1917, il prononce son dernier discours parlementaire.
De retour au front, Willie Redmond participe à la bataille de la crête de Messines. Il est l’un des premiers à sortir de la tranchée. Immédiatement blessé au poignet, puis peu après à la jambe, il est évacué à l’unité de soins du couvent de Locre, et y meurt quelques heures plus tard. Son décès est probablement davantage dû à un état de choc qu’aux blessures en elles-mêmes. La nouvelle de sa mort est annoncée dans tous les journaux britanniques. Du monde entier, des messages de condoléances parviennent à sa famille et le gouvernement français lui attribue la légion d’honneur à titre posthume.
Sa tombe isolée a entraîné de nombreux commentaires. D’aucuns ont prétendu qu’il avait lui-même choisi cet emplacement pour protester contre l’exécution des rebelles de Dublin par l’armée britannique au printemps 1916. Mais rien n’est moins sûr. L’isolement de sa tombe n’a peut-être aucune signification politique, même si, symboliquement, le fait qu’un nationaliste irlandais soit enterré à part ne peut que nous interpeller. En décembre 2013, les Premiers Ministres britannique et irlandais, David Cameron et Enda Kenny, se sont rendus ensemble sur les champs de bataille de Flandre et se sont recueillis côte à côte sur la tombe de Willie Redmond. Le député nationaliste aurait certainement apprécié cet hommage, lui qui espérait qu’après la guerre les soldats du Nord et ceux du Sud ayant combattu côte à côte puissent faire pencher la balance en faveur d’une autonomie sans violence. Il n’en a rien été. La guerre d’indépendance irlandaise et la guerre civile qui a suivi immédiatement, ont déchiré le pays de 1918 à 1922. John Redmond, son frère, est décédé le 6 mars 1918. William Archer Redmond, le fils de John, a également combattu en France et en Belgique. Nationaliste comme son père et son oncle, il siégera au parlement irlandais dans les années 20.

La lettre qui suit est adressée à son ami Sir Arthur Conan Doyle, le créateur de Sherlock Holmes. Datant du printemps 1917, elle résume l’attitude de Willie Redmond face à la question irlandaise et à l’engagement des nationalistes dans la guerre.

« De nombreux Irlandais estiment aujourd’hui que cette guerre doit nous donner l’occasion de bâtir une nouvelle Irlande. Mais les hommes sont en général réticents à faire la moitié du chemin pour se rencontrer. Ce serait un splendide mémorial pour ceux qui ont donné si courageusement leur vie si nous pouvions, au-dessus de leurs tombes, construire un pont entre le Nord et le Sud.
J’ai beaucoup réfléchi à ces choses depuis que je suis en France, et comment ne pas y songer quand le Nord et le Sud de l’Irlande occupent les mêmes tranchées ! Les mots sont impuissants à rendre justice aux actions splendides des volontaires irlandais. Ils n’ont jamais flanché, ils se comportent toujours avec discipline et savent rester sobres. On peut compter sur eux à tout moment. »

2. Le témoignage
Trench pictures from France, publié en 1917, se distingue tout d’abord par sa forme. Il ne s’agit pas du compte rendu habituel de la vie d’un officier sur le front. Composé d’articles publiés anonymement dans le Daily Chronicle, l’ouvrage s’attache à donner au public de l’époque des informations sur la guerre qui ne se résument pas à un récit d’actions militaires et de « vie quotidienne » dans la tranchée et les cantonnements. À la manière d’un journaliste soucieux d’explorer une série restreinte de thèmes, Willie Redmond traite de la place de la religion dans le quotidien des combattants irlandais, du no man’s land, de la bataille de Ginchy, de l’histoire d’un chien égaré devenu la mascotte d’une unité, des services médicaux et de l’importance de la nature en temps de guerre. Ce dernier thème est un de ceux qui sont traités avec le plus de bonheur. La présence de fleurs le long des tranchées ou sur les tombes ne se réduit pas à l’anecdote. Elle indique la force du lien avec la nature, qui dans le monde déshumanisé de la guerre donne un peu d’espoir aux combattants.

« En hiver, la tranchée est sombre, humide, inhospitalière et lugubre. Un véritable sentier de douleur et de martyre où trébuchent des pieds fatigués et où aucune lueur ne vient rompre la morosité ambiante. Mais l’été, la tranchée se transforme. Le long du parapet, de chaque côté, on peut observer de longues plates-bandes de fleurs qui ne connaissent presque pas d’interruption. Ce ne sont pas des parterres plantés par des jardiniers, ils sont bien plus beaux que tout ce qui peut naître des mains de l’homme. C’est la Nature elle-même qui leur a donné naissance.
Les coquelicots et les bleuets s’étalent avec une merveilleuse luxuriance. Des pâquerettes blanches et jaunes, de longues et gracieuses tiges de graminées, avec ici et là quelques pousses de blé ondulant, ayant germé à partir d’anciens semis datant des époques où les champs n’étaient pas labourés par les obus. Ces épis de blé se mêlent aux coquelicots rouges avec une harmonie que le plus talentueux des fleuristes ne pourrait obtenir.
Cette tranchée-jardin, comme il me plaît de l’appeler, s’étire au milieu d’une plaine nue, dénuée de tout relief ; et le vent qui la balaie emmène au loin les semences de fleurs sauvages pour les déposer sur le sol retourné qui longe les tranchées. Il est difficile d’imaginer contraste plus saisissant que celui offert par la fantastique profusion florale qui s’étale au-dessus des profondeurs obscures.
(extrait du premier chapitre, « A Garden Trench »)

Persuadé que le sort de l’Irlande est lié à la guerre contre l’Allemagne, Redmond se sent investi d’une mission. Le sacrifice auquel il a librement consenti ne peut selon lui que servir la cause de l’unité irlandaise. L’ouvrage est écrit sous cet angle. Si cela lui donne une certaine originalité, sa portée n’en demeure pas moins limitée en raison de la volonté – quasi obsessionnelle – de l’auteur de mettre en avant les vertus irlandaises. Un enterrement où officient un prêtre catholique à côté d’un pasteur protestant devient ainsi le symbole d’une cause commune : l’unité du futur État indépendant. Pendant l’attaque de Ginchy, les troupes irlandaises entonnent des chants patriotiques. La population locale apprécie le comportement et la dévotion des troupes catholiques irlandaises, qui se rassemblent en nombre le dimanche dans les églises flamandes ou picardes, obligeant les curés français à multiplier les offices.
Au-delà de cet aspect, le témoignage de Willie Redmond est d’un intérêt certain. L’introduction biographique écrite par Eleanor Mary Smith-Dampier n’échappe pas au panégyrique caractéristique des publications d’écrits de combattants tombés au front mais a le mérite de brosser le portrait d’une des grandes figures du nationalisme irlandais du début du siècle.
Francis Grembert, janvier 2016

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