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Recension : Leonard V. Smith, Between Mutiny and Obedience

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SMITH Leonard V., Between Mutiny and Obedience, The case of the French fifth infantry division during World War I , Princeton (E-U), Princeton University Press, 1994, 274 p.

La clé de lecture d’un tel ouvrage se situe peut-être dans les citations placées en ouverture. L’une, de Jean Norton Cru, reprend la parole de l’auteur de Témoins, lorsque celui-ci affirme que si les ordres avaient été obéis à la lettre, c’est l’ensemble de l’armée française qui aurait été massacrée avant août 1915. L’autre est empruntée à Michel Foucault, pour lequel, au cœur des relations de pouvoir, se rencontrent le caractère récalcitrant de la volonté et l’intransigeance de la liberté. Ainsi, Smith annonce d’emblée qu’il entend se situer au croisement de deux pensées. Celle de Norton Cru, qui invite à étudier au plus près les conditions de vie des combattants, sans laisser de place aux inventions de l’imaginaire, qu’il soit national, politique, ou individuel. Et celle d’un philosophe passionné par la question du savoir, par les logiques institutionnelles et les pratiques discursives du pouvoir, qui affirmait notamment : “tout comme le réseau des relations de pouvoir finit par former un épais tissu qui traverse les appareils et les institutions, sans se localiser exactement en eux, de même l’essaimage des points de résistance traverse les stratifications sociales et les unités individuelles ». Les analyses de Michel Foucault, qui l’amèneront à beaucoup écrire sur les marges du pouvoir, sur ces espaces dans lesquels s’inscrit la liberté du sujet, ont nettement influencé Smith dans l’élaboration de la thèse centrale de son livre : à savoir que durant la Première Guerre Mondiale, les soldats ont déterminé comment ils feraient ou ne feraient pas la guerre, en fonction de leur perception et de leurs intérêts.

Pour répondre à une telle problématique, cet historien américain s’appuie sur l’étude du parcours de la 5 ème Division d’Infanterie française, de la veille de la guerre (où elle fait partie de la 3 ème Région Militaire et séjourne à Rouen) jusqu’à la fin des hostilités, où on la retrouve en Belgique, à la suite du repli allemand. Dans ce cadre spatial et temporel, Smith, qui entend faire œuvre d’histoire sociale et militaire, nous invite à suivre ses soldats, et l’évolution de leurs comportements, des champs de bataille de Guise à ceux de Verdun, en passant par la Marne ou le Chemin des Dames. Cette division était très intéressante à étudier, puisque considérée comme la meilleure division d’infanterie par les Allemands. Employée sur les principaux théâtres d’opérations, elle connut une forte agitation lors de l’épisode des mutineries de 1917, avant de continuer de se battre et de subir de très lourdes pertes lors de la dernière année de guerre.

Les sources choisies par Smith sont nombreuses et variées. Au SHAT de Vincennes, Smith a consulté l’ensemble des documents concernant la 5 ème DI, mais aussi les fonds Gallieni, Joffre et Clémenceau, ainsi que la série J (justice militaire) pour son étude des mutineries. Il s’est aussi servi, relativement, d’articles de journaux, et s’est souvent appuyé sur les mémoires et récits des hommes de cette division, qu’ils soient généraux (Roquerol, Mangin), capitaines (La Chaussée, Rimbault) ou simple soldat (Toussaint). L’opinion et l’évolution du moral des combattants sont saisies, à partir de 1917, à travers les archives du contrôle postal. Enfin ,l’étude de sa bibliographie, forte d’environ 170 ouvrages, nous montre un historien influencé notamment par les travaux majeurs de l’historiographie anglo-américaine (Ashworth, Fussel, Baynes, Leed), et par ceux des chercheurs associés à l’Historial de Péronne (Becker, Audouin-Rouzeau). Un auteur qui, en conclusion de son ouvrage, s’inscrit clairement dans l’école « sociale » des historiens du premier conflit mondial, se réclamant bien plus des analyses de Guy Pédroncini, Jean-Jacques Becker ou encore Jay Winter, que de celles de Modris Ecksteins et des autres historiens de l’école « culturelle ». Ecksteins à propos duquel il écrit : « Je trouve l’axiome d’un esprit humain cassé ou mutilé par la Première Guerre Mondiale hautement problématique en dehors des cercles intellectuels ou artistiques ».

Smith cherche à développer une vision neuve des relations de pouvoir à l’intérieur de l’armée française, sans se perdre dans une analyse abstraite, éloignée du vécu quotidien des combattants . Il y parvient, de manière magistrale, en posant dans un premier temps un regard excentré sur les soldats de la 5 ème DI. L’avancée majeure de Smith se situant ensuite dans sa volonté de prendre acte des conséquences de l’appartenance de ses hommes à la communauté politique des citoyens français, et d’interroger les conséquences et l’influence d’une telle appartenance dans leurs choix et leurs comportements.

Un regard excentré

Face à la théorie classique d’une guerre organisée « d’en haut » et exécutée « d’en bas », Smith entend interroger les conceptions générales de l’obéissance, en proposant un modèle alternatif d’analyse de l’autorité du commandement. Dans ce but, il convient, dans un premier temps, de remettre en cause la conception clausewitzienne de l’autorité au sein de l’armée. En subordonnant la guerre à la politique, Clausewitz avait fait du soldat un civil bureaucrate, dont la seule responsabilité résidait dans l’exécution des ordres. Pour Smith, le penseur fait erreur en considérant l’obéissance aux ordres comme une donnée immuable. Une telle conception aurait même, selon lui, perverti la vision des historiens de la Première Guerre mondiale, participant d’une véritable victimisation des soldats. Parler de « massacres des innocents » ne doit pas empêcher d’étudier ce qui est arrivé aux soldats durant la guerre. Derrière Foucault, pour qui « le pouvoir ne s’exerce que sur des sujets libres », Smith évoque cet espace où peut s’exprimer, face aux ordres, la liberté du sujet. Il place ainsi sa recherche dans le cadre du débat toujours actuel sur les questions de consentement à la guerre et de puissance de la contrainte, en interrogeant, par exemple, les théories d’Eric Leed sur le pouvoir de coercition du commandement. En s’efforçant de considérer les combattants comme des sujets à même de faire des choix, Smith entend démontrer que la question de l’obéissance des hommes – simple « problème technique » chez Clausewitz – dessine en réalité la trame d’un système de relations complexe entre les soldats et le commandement.

Pour définir cette trame, l’auteur s’appuie sur la construction de concepts opératoires. On se souvient que Jean Norton Cru avait fondé sa définition du combattant sur l’exposition au danger. Pour Smith, le soldat doit être entendu comme celui qui reçoit un ordre, au moment où il le reçoit. Ensuite, s’appuyant sur la conception médiévale de la guerre juste, il fait remarquer qu’elle reposait sur deux fondements, la discrimation et la proportionnalité. Ce dernier principe impliquait pour les combattants la nécessité de définir quelles armes pouvaient être utilisées, et comment elles devaient l’être. L’auteur propose une relecture de la proportionnalité, dont il fait l’un des concepts centraux de son ouvrage. Elle devient alors une question, posée de manière implicite ou explicite par les soldats : quel degré de violence peut-on accepter par rapport aux buts fixés par le commandement ? Smith entend alors prouver qu’ en s’appuyant sur un processus commencé dès août 1914, les soldats français ont appris à placer leurs propres limites face à la violence ordonnée par leurs officiers. En parallèle, ce processus a fait évoluer le commandement, qui s’est trouvé obligé de prendre en compte dans sa manière de mener la guerre les calculs de proportionnalité des soldats. Pour cela, il rencontre au sein de la 5 ème DI de nombreux exemples qui lui permettent de montrer comment, au cœur de la bataille, la confrontation et la négociation ont pris place au cœur des relations entre soldats et commandement. Il fait remarquer qu’à Charleroi, les soldats de la 5 ème Armée ont commencé le mouvement de retraite bien avant d’en recevoir l’ordre, ce qui prouve qu’ils avaient tiré leurs propres conclusions des éléments de la défaite. Avec la bataille de la Marne s’ouvre la possibilité d’une réflexion sur les avantages comparés de l’attaque. La proportionnalité se décline alors en deux acceptions : une volonté d’attaquer si on en perçoit l’utilité, mais, en parallèle, la décision de cesser l’attaque si cette perception est absente. C’est dans une telle affirmation qu’apparaît le regard excentré de Smith : alors que l’agression et la violence apparaissent comme des éléments « irrationnels », pour des hommes placés au milieu du chaos et de la confusion des combats, l’historien les présente comme des êtres pensants et, en un certain sens, calculateurs. Mais attention : cette idée de « calcul » doit être entendue comme un processus qui s’est progressivement installé chez les soldats au cours des semaines et des mois de combats, plutôt que dans les heures particulières de la bataille. Sur la Marne, un consensus existait déjà entre les soldats et leurs officiers concernant l’utilité de l’attaque. L’auteur démontre de manière convaincante que si des unités de la 5 ème DI se rendent à Brimont ou Courcy, c’est parce que ce consensus s’est brisé, quand le commandement a voulu emmener les soldats plus loin qu’ils n’étaient prêts à aller. La solution, déterminée sur le champ de bataille, avait été imposée au commandement.

Les hommes pouvaient accepter la violence et la mort si elles leur semblaient liées à un objectif militaire justifié. Pour Smith, ils sont bel et bien parvenus à imposer leur vision au commandement et il en voit la confirmation, entre autres, dans le règlement d’infanterie de janvier 1918. Pétain y reconnaît, implicitement, que les chefs et les soldats exercent une autorité les uns sur les autres. En conclusion de son livre, il affirme même qu’en un certain sens, les soldats ont gagné leur guerre à l’intérieur de l’armée, parce qu’ils ont été capables de jouer un rôle considérable dans l’élaboration des paramètres de commandement.

Pourquoi, dès lors, parler de « grandeur et misère » de la proportionnalité ? La misère de la proportionnalité tient dans le fait que les nouvelles relations entre soldats et donneurs d’ordres (on pourrait utiliser le néologisme ordonnants) ne pouvaient pas, en elles-mêmes et par elles-mêmes, arrêter la guerre. C’est dans ce cadre qu’il faut présenter ce qui apparaît comme le second apport majeur de Smith, à savoir sa relecture des mutineries de 1917. Contrairement à Pédroncini, il les considère comme des actes politiques. L’échec de l’offensive Nivelle aurait fait converger sur le Chemin des Dames deux crises, celle de la guerre de mouvement et celle de la guerre de tranchées. Comment les hommes ont-ils réagi à ce que Smith présente comme une crise de désespoir foucaultien ? En se comportant en citoyens.

Repenser l’obéissance en termes de choix : le cas d’une armée de soldats-citoyens

Les levées en masse de 1792 ont donné naissance à une nouvelle pratique de la guerre. La France, en partant en guerre pour défendre la souveraineté populaire, entraîne l’apparition d’une nouvelle relation à l’obéissance, dont les influences se font encore nettement sentir un siècle plus tard. Dès cet instant était apparu ce que l’on peut appeler le paradoxe de la souveraineté populaire, qui d’après Smith, régit le mouvement des mutineries, et qui se résume en une question : que signifie cette attente de nous voir obéir à une autorité qui émane de nous ? Une telle interrogation ne pouvait qu’avoir des conséquences sur la perception des fins et des moyens en cours sur le champ de bataille, et a joué un rôle important dans la naissance et le développement du principe de proportionnalité au sein de l’armée française. Ceci posé, en quoi le regard excentré de Smith et son étude des relations entre soldats et ordonnants éclairent-t-ils d’un jour nouveau le phénomène complexe des mutineries ?

Pour l’auteur, les mutineries s’apparentent à une véritable saturnale du pouvoir, le moment où les soldats passent de la manipulation des relations d’autorité formelles à leur rejet ouvert (il intitule d’ailleurs son chapitre « la lutte implicite devient explicite »). Là où Pédroncini rendait compte d’un phénomène essentiellement militaire – et donc « apolitique » - Smith l’envisage comme une complexe renégociation politique sur les paramètres de l’autorité du commandement.

Dans sa présentation de la structure du phénomène, l’auteur débute par une réfutation d’un lien évident entre l’échec de l’offensive Nivelle et les mutineries, dans la mesure où la 5 ème DI n’avait pas participé aux opérations. De plus, lorsque les contestations éclatent, la division était sortie des tranchées depuis plus de trois mois. Comme il le fait remarquer, les soldats avaient passé assez de temps hors des tranchées pour se poser la question de l’opportunité d’y retourner. C’est pourquoi il faut chercher les origines d’un tel mouvement, bien plus dans la période précédant l’offensive, lors du passage, entre juin 1916 et février 1917, de la 5 ème DI aux Eparges, secteur dont la dureté a été souvent décrite, et notamment par Maurice Genevoix. Durant cette période, Smith indique que les accords négociés entre soldats et ordonnants sur la proportionnalité dans les tranchées « explosent ». Les soldats commencent à se penser comme « incarcérés » dans les tranchées, peut-être à perpétuité. Ces soldats vont alors ressentir une violente division intérieure, entre deux pôles répulsifs. D’un côté, le refus de demeurer pris au piège des tranchées. De l’autre, le rejet de la défaite, amenée à se produire si l’on quittait ces mêmes tranchées. L’apparition du contrôle postal confirme le tiraillement des soldats entre deux sentiments opposés, qu’ils éprouvent de manière synchronique. Le principe de tenir dans les tranchées en est venu à signifier « le contrôle, la misère et la mort », les boyaux et autres petits postes incarnant désormais l’inutilité de leurs efforts militaires. Comme si, quelque part, la France avait déjà perdu la guerre : à quoi bon continuer ? En parallèle, on voit comment la victoire demeure un intérêt viscéral, le but ultime de ces soldats.

Durant le printemps 1917, ils ont dû choisir l’un de ces deux sentiments comme matrice de leur rapport à la guerre. Quand le 28 mai, on leur ordonne de réintégrer les lignes du front, les actes collectifs d’indiscipline débutent. On refuse de retourner aux tranchées. Le fait d’y retourner sera le fruit d’un choix.

Smith semble discerner dans les mutineries de la 5 ème DI un vaste mouvement, visant à créer une alliance entre citoyens et soldats-citoyens pour exiger une paix, dont le gouvernement ne veut pas encore. Dans ce cadre, les grèves des « midinettes » parisiennes ont pour écho celles du front. Comment expliquer que les manifestants réclament, à la fois, la paix et la multiplication des permissions ? Pour l’auteur, une telle ambivalence de la demande n’a de sens que si l’on accepte d’y voir des tentatives pour renouer des liens avec l’intérieur. Comment comprendre alors les nombreux appels envoyés par les soldats à leurs députés lors de cette période troublée ? En fait, tout au long des mutineries, les combattants se sont comportés en citoyens. En faisant appel à leurs représentants légaux, ils reconnaissent tacitement la légitimité de la Troisième République, malgré les horreurs de la guerre. La question des droits et des obligations des citoyens français devient alors le point de rencontre entre le discours – caché – de la frustration et du désespoir chez les hommes, et le discours national – public – de l’obligation de tenir. En désobéissant, les soldats réaffirment leur appartenance à la communauté civique française.

Cette revendication d’une réintégration des combattants à la communauté nationale, Smith l’associe au vaste mouvement de « retour du politique » qui marque l’année 1917, symbolisé par l’arrivée de Clémenceau au pouvoir. Le militaire se trouve à nouveau soumis au politique ; dans le même temps, les soldats révoltés affirment leur appartenance à la politeia, à la communauté des citoyens. Dès lors, si les soldats acceptent de retourner se battre, s’ils acceptent de suivre à nouveau des sous-officiers en qui ils gardent leur confiance (ces officiers qui eux, dès le départ, avaient considéré les mutineries comme une manifestation politique), c’est en tant que citoyens. Ce sont des hommes « libres » qui retournent aux tranchées, pour fournir le « dernier effort » à même d’entraîner la décision. Ce sont ces hommes qui, un an plus tard, retrouvent la guerre de mouvements, avec un niveau de pertes inédit depuis Verdun.

Smith termine alors sa démonstration du caractère éminemment politique des mutineries, en affirmant que contrairement à la thèse de Pédroncini, les succès de Pétain dans la résolution de la crise ne se réduisent pas au fait d’avoir su donner aux soldats ce qu’ils attendaient depuis longtemps (permissions, prudence et guerre défensive, meilleure nourriture). S’il Pétain réussit, c’est d’avoir su accepter, en un point médian, la rencontre de revendications pourtant contradictoires. Continuer à mener la guerre selon ses conceptions, c’était remettre à plus tard la paix. Mais, en même temps, c’était reconnaître que quelque chose avait changé dans les relations de pouvoir au sein de l’armée. Le commandement signifiant alors aux soldats qu’ils étaient des interlocuteurs légitimes. Et que cette position d’interlocuteurs leur était reconnue du fait de leur statut de citoyens. Ce qui permet à Smith d’affirmer dans sa conclusion que les mutineries ont été, dans leurs structures mêmes, un phénomène propre à la Troisième République. Si les soldats russes n’ont pas été suivis par leurs homologues français dans la vague révolutionnaire, c’est que seuls ces derniers étaient membres d’une République avant, pendant et après la guerre. Lors des mutineries de 1917, les Français avaient une identité républicaine, qui les différenciait nettement des soldats anglais, allemands ou russes.

Redonner la parole aux soldats

L’ouvrage de Leonard Smith peut être envisagé comme une vaste entreprise pour redonner aux soldats une parole qu’une partie de l’historiographie classique du premier conflit mondial leur aurait « confisquée ». En ce sens, il représente un point incontournable, une pierre d’achoppement dans les débats, sur le consentement, la contrainte, l’ambivalence, ou encore sur le statut et la place du témoignage des combattants dans les réflexions des historiens contemporains. Le parti pris de considérer les soldats comme des citoyens avant tout tient beaucoup à la qualité de sujets qui leur est reconnue par l’auteur. La perception des combattants comme une masse inerte et unanime ne résiste pas à l’analyse. La réalité des faits a instauré des situations complexes, et pour les soldats, « une mosaïque d’expériences à appréhender ».

Dans une telle démarche, on sent bien sûr l’influence de la pensée de Michel Foucault, placée au carrefour de l’histoire et de l’ethnologie, de la psychanalyse et de la philosophie. La critique d’une conception transcendentale de l’autorité, qu’on retrouve par exemple dans la pensée d’un autre lecteur de Foucault, Gérard Mandel, est éloquente. Comme lui, Smith invite à penser le groupe social (ici celui des soldats) en termes d’horizontalité et de dialectique des relations de pouvoir. Cependant, si l’influence du philosophe français se révèle opérante pour l’étude de la proportionnalité ou des mutineries, on a plus de mal à suivre Smith dans son analyse de la logique carcérale et du désespoir foucaultien des soldats de Verdun. Peut-être une telle résistance est-elle due à la barrière de la langue face à des problématiques complexes. Enfin, on peut aussi reprocher à Smith de créer, du fait de la forme de ses analyses, un absent : l’allemand, l’adversaire. Il serait intéressant de compléter un tel travail par une étude de l’influence du comportement des adversaires sur l’évolution des relations de pouvoirs à l’intérieur d’une armée, pour dépasser les limites d’une analyse centrée seulement sur l’un des protagonistes du conflit.

Au cœur du renouvellement de l’historiographie de la Première Guerre mondiale, Leonard Smith présente, dans la lignée de son directeur de recherches, Robert Paxton, un ouvrage important, dont on ne peut que regretter l’absence de traduction. Ouvert sur l’ambivalence et la complexité du vécu humain, inscrivant l’étude des comportements dans la longue durée historique sur ces mêmes comportements, son livre présente une étude très stimulante, qui dessine des pistes de réflexions qui sont loin d’avoir toutes été épuisées.

FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité. Tome 1 : la volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, p.127

voir son ouvrage Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975 (notamment sa description du comportement des foules lors des exécutions publiques)

LEED Eric, No Man’s Land : Combat and identity in World War I, New York, Cambridge University Press, 1979

PEDRONCINI Guy, Les mutineries de 1917, PUF, Paris, 1967

MANDEL Gérard, Une Histoire de l’autorité, La Découverte, Paris, 2002

Benoist COULIOU.

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