logoCollectif de Recherche International et de Débat sur la Guerre de 1914-1918

ENSEIGNER L´HISTOIRE ET LA GEOGRAPHIE DANS LA LANGUE DU PARTENAIRE
Colloque du Goethe-Institut de Nancy, 21-23 mars 2007

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Compte-rendu par Yohann Chanoir, agrégé d´histoire, Professeur en classe européenne allemand.

La troisième édition du colloque franco-allemand, organisé par le Goethe-Institut de Nancy, avait pour thème la Première Guerre Mondiale. Il réunit des professeurs français enseignant l´Histoire-Géographie en sections européennes allemand et des professeurs allemands intervenant en sections bilingues. Ces derniers ne sont d´ailleurs pas forcément des professeurs d´Histoire ou de Géographie.

Après deux interventions consacrées spécifiquement à l´enseignement billingue, le colloque entre dans le vif du sujet avec une conférence-débat sur les Réalités et Mémoires de la Première Guerre Mondiale. La conférence est présentée par Didier Francfort, professeur de l´Université de Nancy 2 et laisse la parole à Francois Roth, professeur émérite à l´Université de Nancy 2,

François Roth a choisi d´évoquer les premiers mois du conflit. Il rappelle que ce conflit a été une guerre-tunnel, interminable pour ceux et celles qui l´ont vécue. Si la précédente guerre de 1870-1871 n´avait duré « que » sept mois, la Première Guerre Mondiale  se déroule sur 52 mois… D´où le surnom sans doute de Grande Guerre. Une guerre qui n´avait pas le même sens du côté allemand que du côté français. Pour les premiers, il s´agissait d´une guerre menée à l´extérieur du territoire, du Vaterland. Pour les seconds, la guerre consistait à défendre la patrie et à arracher les territoires déjà conquis par les Allemands. Le professeur émérite poursuit son introduction en insistant sur « ceux de 1914 », comme l´a si bien écrit Maurice Genevoix, c´est à dire sur l´expérience vécue par les soldats français lors des premiers mois de guerre. Cette guerre est d´abord une guerre de fantassins, jusqu´en octobre1914, une guerre de mouvement. Mais une guerre où l´artillerie joue déjà un rôle déterminant. Il cite alors les souvenirs d´André Bellard, originaire de Nancy, qui évoque la journée du 20 août 1914, marquée par les bombardements, les pertes substantielles dues à ces derniers  et le reflux conséquent des troupes françaises dans le secteur de Moranges. Francois Roth conclue ainsi sur l´hécatombe de 1914, qu´il ne faut pas oublier. La parole est laissée Gerd Krumeich, professeur à l´Université de Düsseldorf et à Frédéric Rousseau, professeur à l´Université de Montpellier 3.

La première question posée par Didier Francfort est « pourquoi les soldats ont tenu ? ».

Frédéric Rousseau évoque un faisceau de facteurs : le patriotisme, la solidarité au sein des groupes primaires (comme la section), l´esprit de corps, l´orgueil viril, la contrainte de la discipline militaire, le rôle des officiers de tranchées qui vivent avec leurs soldats, les attentes de l´arrière, la contrainte de l´engagement premier pour défendre la patrie qui incite à ne pas se renier, la culture de l´obéissance (dispensée par l´école, l´Eglise, la caserne, le travail…), l´acceptation des rôles sexuels et enfin, les stratégies individuelles d´évitement, comme l ´économie des morts, les trêves tacites… A cela, Gerd Krumeich répond que les raisons essentielles expliquant pourquoi les soldats ont tenu, sont le consentement à la violence, l´obéissance, la défense de la patrie pour les Français, la volonté pour les Allemands d´épargner au Vaterland les destructions observées en France. De telles idées animent par exemple les soldats allemands ayant eu à combattre lors de l´offensive britannique de la Somme en 1916. Frédéric Rousseau conteste le terme de consentement, ne serait-ce d´abord que par son caractère polysémique. Consentir signifie tout à la fois accepter, être d´accord, subir, obéir, se soumettre… Il s´agit d´un concept à la mode, qui même s´il fait référence à la liberté individuelle du citoyen, oublie les contingences économiques, sociales, politiques…

La seconde question porte sur la culture de guerre

Selon Gerd Krumeich, la guerre crée sa propre culture. Il évoque l´exemple des enfants allemands frustrés de la guerre, ceux nés entre 1903 et 1906, comme Himmler, Eichmann. Leur culture de guerre est une culture de frustration, la frustration de n´avoir pu y participer, mais de l´avoir vécue indirectement par la propagande massive, utilisant des moyens modernes. Cette propagande a d´ailleurs diffusé selon lui cette culture de guerre dans de larges pans des sociétés concernées par le conflit. La culture de guerre s´explique aussi par une sorte de sacralisation du conflit, un événement extraordinaire au sens littéral du terme.  Frédéric Rousseau relativise l´apport de la propagande qui vient de l´arrière. Il rappelle ainsi que les soldats du front rigolaient franchement devant la relation des atrocités de l´ennemi, qui leur était lue par leurs sous-officiers ou par leur officier. Ils connaissaient l´ennemi, le côtoyaient. Il existait aussi des contacts, que ce soit par les trêves tacites, par les prisonniers… Plus qu´être une culture, la guerre est avant tout une expérience commune à bon nombre d´Européens. Cette expérience se caractérise par la peur de la mort, de la mutilation, de la séparation. Il insiste donc sur la nécessité de confronter l´histoire culturelle avec l´histoire des pratiques, grâce notamment aux témoignages.  Il cite l´ anecdote du caporal Gaudy, dans le secteur du Chemin des Dames à la date du 16 avril 1917. Il y a eu une attaque des positions allemandes. Cette attaque a réussi, les Français prennent un abri adverse. Les soldats sont surexcités et se battent pour être le premier à jeter des grenades dans l´abri ennemi. Une demi-heure plus tard, les mêmes soldats, accompagnés de prisonniers, subissent une attaque au gaz, les Allemands n´ont plus leurs masques à gaz. Les Français leur en prêtent.
Gerd Krumeich rappelle aussi qu´il n´y avait pas de mépris particulier des Allemands pour les soldats français. La langue allemande, mise à part Schweinhund, ne disposant pas de termes spécifiques pour désigner l´Autre, comme le Boche, le Hun, le Teuton dans la langue française… Toutefois, le membre de l´Institut de Péronne ne croit pas aux témoignages isolés et conteste la représentativité de quelques centaines de cas sur des millions de soldats. Seul le quantitatif est représentatif selon lui.

Didier Francfort pose la question de l´unicité de la Guerre grâce aux aller-retours entre le front et l´arrière. La Guerre est-elle un tout ?

Gerd Krumeich répond de manière affirmative, en rappelant la noria des troupes françaises à Verdun. Toutes les unités ont ainsi participé à cette bataille, d´où la force du souvenir de la bataille de Verdun en France. Les unités allemandes ont elles combattu jusqu´à ce que les effectifs valides soient insuffisants ou que les unités soient annihilées. Frédéric Rousseau tient à relativiser les relations entre arrière et combattants, en prenant l´exemple des mutineries de 1917, qui n´ont pas engendré une Révolution en France. Il revient ensuite sur le concept de brutalisation, forgé par Georges L. Mosse. Certes, on observe très rapidement, dès les premières semaines, une cristallisation de la haine du Boche, mais dès décembre 1914 interviennent des fraternisations. Elles n´ont pas recommencé ensuite, car les officiers faisaient tirer l´artillerie afin d´animer le front. Par ailleurs, si la brutalisation, apparue en août 1914, s´est maintenue jusqu´aux 7/8 mai 1945, pourquoi s´éteint-elle ensuite ? Car on ne peut avancer que les sociétés européennes aient été marquées par la brutalisation après 1945. Gerd Krumeich reconnaît que le concept de brutalisation date un peu et qu´il est à réviser. Mais il réaffirme l´unicité de la Guerre, les soldats n´étant que des civils travestis en soldats et inversement. Frédéric Rousseau conclut en relevant le caractère pluriel de ces va-et-vient. La relation d´un soldat du conflit qu´il vit, n´est pas la même selon qu´il écrit à sa mère, à sa femme ou à lui-même dans un journal intime ou plus tard dans ses mémoires au soir de sa vie. Il rappelle ainsi que les discours sont multiples, y compris chez un même individu.

On revient alors dans le feu de la discussion sur la notion de consentement.

Elle est à nuancer très fortement selon Frédéric Rousseau, ne serait-ce que chronologiquement. Il reprend alors l´exemple de Robert Herz, ce soldat français d´origine juive. Il écrit à sa femme en juin  1915. Il adhère alors à l´idée de faire la guerre. Plus tard, il lui écrit :  « tu sais, il n´y a guère que les catholiques et les socialistes qui savent pourquoi on fait la guerre ». Les soldats refusent leur assentiment aveugle, ils s´en sortent par l´humour, qui permet de supporter la discipline. Cette « soumission au destin » est, en outre, plus présente dans les couches populaires que dans les élites. On ne peut généraliser. Gerd Krumeich refuse et récuse cette vision. L´obéissance et la discipline n´expliquent pas tout. Après tout, dit-il, il n´y avait pas un gendarme derrière chaque soldat ! Les Allemands, qui se sont toujours en terre étrangère battus (excepté dans les premiers jours de la guerre pour défendre Königsberg), étaient convaincus et déterminés. Le patriotisme explique pourquoi ils ont tenu.

Quelle est la place des minorités dans l´armée allemande ?

Gerd Krumeich évoque le cas des Polonais. Il y avait 70 000 Polonais qui combattaient à Verdun, de chaque côté de la ligne de front, et dans l´armée allemande, et dans l´armée française. Par ailleurs, on trouvait des Polonais dans l´armée russe, dans l´armée autrichienne et dans l´armée allemande. On pourrait aussi citer les Juifs allemands, qui ont combattu nombreux. Frédéric Rousseau cite ainsi l´ouvrage de Robert Herz, Un ethonologue dans les tranchées.

Didier Francfort laisse alors le public poser des questions aux deux intervenants. Une première question porte sur les mutilations volontaires.

Frédéric Rousseau les définit comme une stratégie individuelle d´évitement du danger. Les mutilations que l´on connaît sont celles identifiées en tant que telles et donc sanctionnées par les tribunaux militaires. Il y a aussi d´autres stratégies, comme le choix de l´arme. Il cite ainsi l´exemple des engagés militaires. En 1915, ils choisissent en majorité l´infanterie, pour tuer des Boches ! En 1916, ils prennent l´artillerie, en 1917, ils s´engagent massivement dans l´ artillerie… lourde. En 1918, ils choisissent la marine ! Y compris… à Nîmes ! Gerd Krumeich évoque le cas allemand. En Allemagne, les historiens disposent d´une source exceptionnelle, les Sanitärberichte über das deutsche Heer (les rapports sanitaires de l´armée allemande) publiés en 1936 dans cinq volumes. Les automutilations sont minoritaires. On trouve par exemple 10 cas pour un régiment ! Les automutilations sont vues comme un désaveu de la camaraderie militaire.

Une remarque suit sur la diffusion des concepts de l´Historial de Péronne.

Un enseignant précise qu´elle pénètre toutes les périodes historiques, même les plus anciennes. Il rappelle ainsi qu´une dissertation en histoire ancienne  de l´agrégation externe 2000  portait sur la culture de guerre dans les sociétés grecque et macédonienne au cinquième siècle avant notre ère.

Une nouvelle question porte sur l´armée russe. Pourquoi n´a t-elle pas tenu ?

Frédéric Rousseau estime que cette question n´a pas de raison d´être, car les armées italienne et allemande, elles aussi, n´ont pas tenu. En effet, l´armée allemande ne tient pas jusqu´au bout. Elle perd le conflit. Une révolution est déclenchée en Allemagne, des soviets se forment dans les régiments. Des mutineries éclatent dans la Reichsmarine, à Wilhelmshaven, Kiel et plus tard à Scapa Flow.

Quelles sont les relations entre populations occupées et Allemands ?

Les intervenants renvoient à l ´ouvrage d´Annette Becker, les populations civiles occupées, pour les régions du Nord-Est de la France.

Il apparaît désormais évident,  en ce qui concerne la Première Guerre Mondiale, que les oppositions sont bien plus des oppositions d'écoles historiques ou d'historiens, que des oppositions nationales. Didier Francfort clôt alors la conférence et les membres de l´assemblée sont invités à prendre le verre de l´amitié, avant de rejoindre le Goethe Institut pour un buffet marqué par la Gemütlichkeit allemande…

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