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Colloque "Obéir/Désobéir. Les mutineries de 1917 en perspective"
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Le colloque se tiendra les 9 et 10 novembre 2007 à Craonne et à Laon, avec le soutien du Conseil Général de l'Aisne (voir les informations pratiques). Il sera suivi de la journée du livre de Craonne, le 11 novembre.
Les communications seront synthétisées par un rapporteur, tandis que des discutant/es en dégageront les problèmes et perspectives afin de permettre une discussion.
Voici le programme détaillé des communications. Les résumés de certaines communications sont accessibles en cliquant sur leurs titres.
Télécharger le programme du colloque au format "pdf" (9 MB environ)

Demi-journée 1 : « Obéir et désobéir en guerre en 1914-1918 » (9 novembre, matin, Craonne)

Président: John Horne (Trinity College, Dublin)
Rapporteur: Rémy Cazals (Université Toulouse-II)
Discutant: Antoine Prost (Université Paris-I)

Demi-journée 2 : « Les mutineries de 1917, acteurs et pratiques » (9 novembre, après-midi, Craonne)

Président: Leonard Smith (Oberlin College)
Rapporteur: Jean-Louis Robert (Université Paris-I)
Discutant: Eric Soriano (Université Montpellier-III)

Demi journée 3 : « Obéir et désobéir en guerre au xxe siècle » (10 novembre, matin, Laon)

Président: Jean-François Muracciole (Université Montpellier-III)
Rapporteur: Frédéric Rousseau (Université Montpellier-III)
Discutante: Brigitte Gaïti (Université Paris-IX)

Demi journée  4 : « La mémoire des mutineries de 1917 » (10 novembre, après-midi, Laon)

Président: François Cochet (Université de Metz)
Rapporteur: Philippe Olivera (Crid 14-18)
Discutant: Patrick Garcia (IUFM de Versailles)

  • Gwénaël Lamarque (Université Bordeaux-III), « Les mutineries de 1917 au regard des cultures politiques françaises : une mémoire encore conflictuelle ou en voie d'apaisement? (1998-2007) »
  • Nicolas Mariot (CNRS CURAPP/Crid 14-18), « Le "nombre" des mutins, enjeu historiographique et épistémologique »
  • Nicolas Offenstadt (Université Paris-I), « La mémoire des mutineries dans les années 1960 »
  • Emmanuelle Picard (INRP), « La mémoire des mutineries dans les manuels et les programmes scolaires »
  • Markus Poehlmann (Université de Salford), « Une occasion manquée ? les mutineries de 1917 dans la stratégie et l’historiographie allemandes »
  • Pierre Schoentjes (Université de Gand), « Être « héros si on compte six au lieu de dix ». Images de mutins dans la littérature de fiction »

Contact : colloquecrid@club-internet.fr

Résumés des communications

Demi-journée 1 : « Obéir et désobéir en guerre en 1914-1918 » (9 novembre, matin, Craonne)

Julie d’Andurain (Université Paris-IV), « Obéissance et désobéissance des généraux de la Grande Guerre »
Poser la question de l’obéissance ou de la désobéissance des généraux de la Grande Guerre semble être une gageure.
Pourtant à la fin du XIXe siècle, l’armée a connu de profondes transformations qui ont eu des répercussions sur la formation des jeunes officiers. L’obéissance n’est devenue une règle intangible qu’avec la création d’un corps de fonctionnaires à qui on garantissait une carrière. Malgré la nouveauté, des règles plus anciennes continuent à prévaloir : si le soldat devait obéir, l’officier continuait à se dévouer à un chef lui témoignant, en retour, sa bienveillance. Dans ce rapport entre pairs, une fonction de conseil, permettant d’exprimer accords et désaccords, était également attendue.
Au début du conflit, ce rapport à l’autorité se dérègle. Les limogeages du dernier trimestre 1914 et du début de l’année 1915 attestent de l’incapacité à obéir (matérielle, technique ou humaine) d’une grande partie des généraux d’active. Révocables ad libitum, les limogés sont moins choqués par le principe que par le procédé qui consiste à se voir destituer par un officier de grade inférieur proche du général Joffre. L’incompétence des officiers ou leurs faiblesses sont soigneusement masquées afin de n’alerter ni l’opinion publique ni l’ennemi.
L’âpreté du conflit engendre pourtant des formes de désobéissance au plus haut niveau de l’armée. Celles–ci s’expriment à travers des écoles de pensée ou des réseaux professionnels, dont les origines sont liées à la formation des officiers, à leurs armes ou leurs choix politiques. Quand elles sont associées à la politique, les accusations de désobéissance à l’égard des grands chefs recouvrent surtout des procès d’intention. La plupart du temps, un limogeage règle la question. Mais la qualification de « désobéissance », - utilisée à la fois à l’encontre les soldats et des officiers - résulte d’un comportement qui, ayant mis en péril la solidité de l’institution, exige une condamnation publique. Appréciée rétrospectivement, la désobéissance donne lieu à un jugement qui a pour vocation de sacrifier un homme pour sauver l’armée.

Ozan Arslan (Université Montpellier-III), « La Désertion Dans une Guerre de Libération : La Désobéissance dans l’armée de la Grande Assemblée Nationale de Turquie (1919-1922) et les « Cours d’Indépendance » »
 
Bruno Benvindo (Université Libre de Bruxelles), « Déserter le front belge. La guerre et ses marges en 1914-1918 »
Cette communication analysera les pratiques d’obéissance et de désobéissance en guerre, au travers des désertions sur le front belge entre 1914 et 1918. Nous proposerons une approche tant qualitative que quantitative du phénomène, cette dernière constituant un indispensable détour pour cerner à la fois l’ampleur, l’évolution chronologique et les limites des défections.
Plus encore que les désertions ‘ordinaires’ (c’est-à-dire vers l’arrière), les passages à l’ennemi seront au centre de l’attention, en tant que manifestations collectives, extrêmes, de désobéissance. Les soldats qui, par petits groupes, traversent le no man’s land pour se rendre aux Allemands constituent une catégorie extrêmement marginale sur le plan numérique, mais néanmoins révélatrice des tensions qui se nouent au sein de certaines unités, à des périodes particulières du conflit. Les profils sociologiques des transfuges apparaissent étonnement homogènes : une écrasante majorité de ces déserteurs sont des hommes du rang, presque tous flamands, exerçant avant guerre des professions manuelles. Dans la spécificité du cas belge où l’ennemi est aussi l’occupant, les soldats vont être la cible d’une intense propagande visant à encourager/décourager la désertion, de la part des militants de la cause flamande, des occupants allemands et des autorités belges.
L’analyse des passages à l’ennemi met en évidence la variation des possibles selon les moments du conflit, les dynamiques de groupe et le rôle de ‘leaders’ contestataires au sein d’unités spécifiques, la question des ‘minorités’ nationales dans un Etat en guerre, ainsi que la prégnance des appartenances identitaires d’avant-guerre. On reviendra enfin sur les motivations et le sens de ces désobéissances, fractures minoritaires, marginales dans un contexte de conformisme et de ténacité collective.
 (haut de page)

Fabienne Bock, Thierry Bonzon (Université de Marne-la-Vallée), « Les élus de la nation : interlocuteurs et médiateurs (1914-1918) »
Entre le « consentement » supposé de la majorité de la population et les manifestations ouvertes de désobéissance, la communication proposée s’intéresse aux multiples tensions qui traversent la société française en guerre. En interrogeant cette « zone grise » — entre acceptation et contestation des conditions de la guerre, voire rejet du conflit —, elle s’emploie à mieux comprendre la façon dont se construit l’obéissance. Cette dernière est ici envisagée comme l’aboutissement d’un processus complexe de négociation constante entre les individus, les groupes sociaux et les représentants du pouvoir.
Le maintien des institutions républicaines fait de la Chambre des députés un des lieux où s’opère ce processus de négociation, que ce dernier se réalise par le biais de la délibération ou plus simplement par les réponses que la Chambre apporte aux requêtes et protestations qui lui sont adressées. C’est pour l’essentiel cette documentation que nous nous proposons d’examiner : plaintes envoyées par des militaires à la Commission de l’armée, doléances reçues par la Présidence de la Chambre dans le cadre du droit de pétition ou encore courriers reçus par les députés eux-mêmes à l’occasion d’interventions en tribune.
De telles sources, négligées, voire jamais exploitées jusque-là, renseignent d’abord sur le fonctionnement concret de la Chambre comme lieu d’apaisement des tensions (quel sort est réservé aux requêtes individuelles ou collectives portées devant les députés ?). Elles témoignent ensuite de l’estime dans laquelle est tenu le pouvoir représentatif. Elles donnent enfin de précieuses indications sur les limites à l’acceptation des sacrifices que les individus et les groupes sont prêts à endurer au nom de la victoire.
En examinant les protestations portées par les citoyens au pouvoir représentatif, il s’agit bien d’entrer de plain pied au cœur de ce processus fragile, complexe, évolutif, qui préside à la construction de l’obéissance des civils et des militaires en temps de guerre.

Romain Ducoulombier (IEP de Paris), « La Sociale sous l’uniforme : obéissance et résistance à l’obéissance dans les rangs du socialisme et du syndicalisme français, 1914-1918 »
L’éclatement de la guerre est une rupture majeure dans l’histoire du socialisme international et du syndicalisme révolutionnaire : elle a donné lieu à une littérature immense qui paradoxalement, n’a pas privilégié l’étude des processus de soumission et de résistance à l’obéissance que les militants socialistes et syndicalistes ont éprouvé sur eux-mêmes tout au long de la Grande Guerre. Cette question pourtant cruciale de l’homme de gauche au front – en particulier des conséquences de cette expérience sur son destin politique, son imaginaire révolutionnaire et social et ses ruptures biographiques personnelles – mérite d’être posée : c’est que nous proposons, à partir d’archives inédites puisées à des fonds majeurs d’ouverture récente (Marcel Sembat, Maurice Thorez/Henri Barbusse en particulier).
L’homme de gauche au front est-il un poilu comme les autres ? Certes, les cas de désertion et d’insoumission pour raisons « idéologiques » sont rarissimes, voire inexistants. Malgré cette absence, qui fit couler tant d’encre et détermine en partie l’histoire ultérieure de la gauche et de sa scission, certains individus au front ont manifesté une insoumission morale et une résistance contrôlée aux réalités et aux excès de la chose militaire, selon des logiques qui sont parfois – mais pas nécessairement – exclusivement de gauche : la querelle laïque et la lutte pour la Sociale se prolongent au front et dans les hôpitaux, sur des modes plus ou moins ouverts, et plus ou moins subtils que renseignent ces nouvelles pièces d’archives. Ces hommes en ont d’ailleurs parfois payé le prix par leur dispersion dans d’autres unités, leur renvoi dans des unités combattantes, ou par des vexations plus lourdes qui ont en retour entretenu leur insoumission.
Les mutins de 1917 étaient-ils pour autant déterminés à être de gauche ? Si l’imaginaire mutin s’est inspiré de certains mythes, de certaines images et chansons de gauche, les mutineries ne sont pas à proprement parler des mouvements révolutionnaires ; mais la contestation d’inspiration socialiste de la chose militaire et de la guerre au front n’a-t-elle pas entretenu une défiance relative qui devait éclater au grand jour au moment favorable ? La contestation de gauche au front apporte-t-elle donc une contribution spécifique à la genèse du phénomène mutin ? Telles sont les questions que cette contribution se propose d’aborder.

Irene Guerrini, Marco Pluviano (Université de Gênes), « 1917, l’été de feu de la désobéissance en Italie »
1) Rapido panorama delle norme che regolavano la repressione dei reati di indisciplina, disubbidienza, ammutinamento e rivolta nel Codice penale militare ed esame dell’attività regolamentare a questo proposito esercitata dal Comandante supremo Luigi Cadorna tramite lo strumento dei bandi e delle circolari (atti amministrativi che assumevano vigore e valore di legge). Cenno sulle pressioni del Comando Supremo sui tribunali militari (ordinari e straordinari) e sulle rimozioni degli ufficiali ritenuti non sufficientemente severi nella gestione disciplinare della truppa. Le indicazioni di Cadorna andarono al di là delle severissime sanzioni previste dal Codice fino a imporre con larghezza il ricorso alla giustizia sommaria per arrivare alla prescrizione, in determinati casi, della decimazione in caso di gravi reati collettivi. Concluderemo questa prima parte presentando alcuni dati sulle condanne emesse dai tribunali e l’indicazione dei soggetti colpiti dalla giustizia militare: combattenti al fronte e nelle retrovie, civili residenti nella Zona di guerra e lavoratori civili dipendenti dell’esercito e delle aziende militarizzate.
2) Dopo aver fornito alcuni cenni sugli eventi militari principali del periodo (10ª e 11ª offensiva dell’Isonzo e Battaglia dell’Ortigara), passeremo ad esaminare la situazione disciplinare al fronte. Analizzeremo le rivolte più conosciute delle brigate Ravenna (marzo) e Catanzaro (luglio) e i numerosi “eventi minori” che costellarono questo periodo di grave stanchezza (in tutti i sensi) delle truppe e le misure prese per reprimerli.
3) Considerazioni sullo stato d’animo dei comandi, in particolare il diffuso timore che la crescita dell’indisciplina nell’esercito italiano potesse condurre ad una edizione italiana delle Mutineries o addirittura sfociare in una situazione paragonabile a quella russa. La repressione fu il principale strumento utilizzato da Cadorna per mantenere i soldati in linea mentre le iniziative di organizzazione del consenso al fronte (Case del Soldato) e di forme efficaci di propaganda furono decisamente insufficienti.
4) Reazioni del mondo politico all’indisciplina dei combattenti e all’azione repressiva di Cadorna (Comitati parlamentari segreti, dibattito nel dopoguerra) e situazione di fermento nel fronte interno con proteste diffuse e di massa contro la guerra e le difficili condizioni di vita, che culminarono con le proteste di Torino nel mese di agosto, represse nel sangue.
5) Per concludere, affronteremo il tema del comportamento militare dei reparti maggiormente segnati dalle rivolte e dall’indisciplina, dedicando attenzione all’evoluzione nel tempo del rapporto disobbedienza/obbedienza e all’alternanza del ruolo di ribelli/eroici combattenti da parte degli stessi soldati.

Paul Jankowski (Brandeis University), « Obéissance et désobéissance à Verdun »
Crise de discipline au Chemin des Dames en 1917, ténacité surhumaine à Verdun en 1916 : même après d’importants travaux sur le Chemin des Dames, de nombreux ouvrages savants et populaires répandent cette dichotomie réductrice. Or, d’importantes défaillances eurent lieu à Verdun, des
deux côtés: redditions en masse ou sursauts locaux d’humeur, contenus ou endigués, assortis d‘au moins deux graves crises du moral, plus sourdes mais plus vastes, une dans la 2ème armée française en juin, l’autre dans la 5ème armée allemande en août. Les mobiles d’indiscipline furent-ils les mêmes des deux côtés ?
De même, les motifs d’obéissance prêtent à examen. Si, selon la version canonique, les Français agirent en défenseurs acharnés du sol national et d’un lieu supposé sacré ou symbolique, qu’en est-il des Allemands? L’obéissance ne varia pas en fonction de la nationalité des combattants, mais selon d’autre causes agissantes bien plus complexes, selon, par exemple, ce que Rudolf Koch, survivant allemand, nomma devoir, habitude, peur du mépris, mais certainement pas conscience d’un but précis.
Cette communication tâchera donc d’apporter quelques éléments d’une comparaison entre le comportement disciplinaire des combattants français et allemands à Verdun.

Alexandre Lafon (Université Toulouse-II/Crid 14-18), « Obéissance et désobéissance dans le témoignage d’Henri Despeyrières »
En amont du mouvement d’indiscipline massif de 1917, je voudrais présenter une étude centrée sur le comportement collectif des combattants face aux ordres les mobilisant théoriquement pour la violence, dans le cadre de leur présence en première ligne, à travers l’étude de la correspondance d’Henri Despeyrières, combattant lot-et-garonnais, mobilisé en août 1914 et disparu sur le champ de bataille en septembre 1915 en Artois. Au-delà des sources officielles, peu à même de révéler le « vivre et laisser vivre », son témoignage, non retouché, s’avère une source pertinente, pour la période où ce combattant fut présent au front.
 Il s’agira de mettre en lumière le rôle des rapports tissés entre les hommes dans le développement du « vivre et laisser vivre » dévoilé (soldats, sous-officiers et officiers de contact), et de comprendre les liens entre la nature de celui-ci, les acteurs impliqués et le contexte dans lequel il se déploie. Trois questions simples guideront alors cette étude : qui ? Comment ? Quand ? En d’autres termes : Dans quelle(s) situation(s) se manifestent contournement des ordres/refus d’obéissance? De quelle manière sont-elles relatées par le témoin ? Quel rôle et quelle place s’assigne-t-il lui-même? Et plus généralement, quelle est l’implication des « groupes » (échelles de l’escouade, de la section, de la compagnie…), de la hiérarchie (grades) dans leurs manifestations? Dans la chaîne de commandement, à quel niveau, si il existe, l’espace concevable entre l’obéir et le désobéir s’insère-t-il, et quelle est sa portée? Quel(s) aspect(s) du rapport entre les hommes met-il en valeur ?
Il ne faudra pas perdre de vue que le témoignage d’Henri Despeyrières n’est qu’un point de vue, la relation d’une expérience certes singulière d’un combattant des tranchées, mais il paraît essentiel de privilégier les études poussées de carnets et de correspondances en en dégageant les spécificités (identité sociale et militaire du témoin, poids de l’expérience des tranchées et des liens de sociabilité tissés au front). Ceci afin de ne pas privilégier uniquement l’exemplification à partir d’extraits, mais laissant de côté le « paradigme de l’indice » trop rarement accompagné de la mise en perspective du contexte de l’énonciation et de l’identité de l’auteur cité, accumuler les comparaisons d’expériences qui permettent seules de dévoiler la complexité des comportements et des réalités de la vie au front.

Stéfanie Prezioso (Université de Lausanne), « Les volontaires face à la désobéissance: le paradoxe italien »
Les jeunes interventionnistes italiens, qui s’engagent volontairement dans le conflit, en 1915, se trouvent de fait dans une situation paradoxale face aux critères qui peuvent fonder l’obéissance (notamment celui de l’adhésion aux objectifs proclamés de la guerre). Pour certains d’entre eux, en effet, la participation délibérée au conflit est conçue comme un moyen de transformer radicalement la société italienne. Leur engagement se construit donc en opposition aux appareils institutionnels et aux discours dominants. Les autorités italiennes se méfient d’ailleurs de cette composante interventionniste, utile jusqu’à l’entrée en guerre de l’Italie, mais potentiellement subversive. Néanmoins, à partir de Caporetto (fin octobre-début novembre 1917), les interventionnistes vont assumer une importance stratégique au sein de l’appareil de propagande militaire italien : ils vont se lancer sur le terrain de la « médiation sociale ». Après deux années de vie de tranchée et d’expérience de guerre, Caporetto marque en effet une césure importante dans leur manière d’envisager leur rôle tant dans la société que dans l’armée italiennes.
Cette contribution vise à mettre en perspective ces évolutions en fonction du rapport ambigu et paradoxal des volontaires interventionnistes à la discipline militaire. En effet, il s’agira d’envisager tout d’abord l’attitude de ce groupe social dans sa spécificité. En d’autres termes, les volontaires interventionnistes obéissent-ils aux ordres en fonction d’une soumission graduelle aux contraintes de la vie militaire, à laquelle ils s’adaptent comme les autres ? Ou ne serait-ce pas plutôt en fonction des critères particuliers qui régissent leur engagement, et donc de la construction, tout au long du conflit, d’une identité qui leur serait propre ? Par ailleurs, quel rôle joue l’expérience de guerre dans cette adaptation graduelle ou cette construction spécifique ? Il s’agira également d’envisager comment ces volontaires, dont certains deviennent officier de réserve, conçoivent le fait de donner un ordre et d’y obéir, tant dans la première phase de leur engagement, que dans celle qui suit Caporetto, alors que les interprétations de la “débandade” italienne prendront précisément en point de mire les manquements supposés à la discipline. Au-delà des généralisations souvent abusives concernant les volontaires, cette contribution devrait permettre d’éclairer sous un jour nouveau les ressorts et les mécanismes complexes de l’obéissance et de la désobéissance en temps de guerre.

Emmanuel Saint-Fuscien (EHESS/AHMOC), « « Forcer l’obéissance » : intentions, formes  et enjeux d’une pratique militaire dans l’activité combattante (1914-1918) »

Demi-journée 2 : « Les mutineries de 1917, acteurs et pratiques » (9 novembre, après-midi, Craonne)

André Bach (Crid 14-18), « La gestion des mutineries par le haut commandement »
Le Haut Commandement a été surpris par le mouvement des mutineries. Les actions de désobéissance collectives apparues en avril et tout au long du mois de mai ont d’abord été traitées de la même manière que  lors des incidents analogues survenus dans les années précédentes : gestion au niveau subalterne ( corps d’armée et armée), conseils de fermeté,  demande d’enquête sur l’encadrement de contact censé être inférieur à  sa tâche de commandement. Le changement de perception et de réaction a été provoqué par la mutinerie à la fin du mois de mai des 36° et 129° RI qui, par la politisation apparente des thèmes soulevés, le mode d’action utilisé : recherche de l’adhésion au delà des unités de base, bataillon, régiment,  est brusquement apparue comme une menace grave et d’une nature nouvelle. Suivie au plus prêt par le général Pétain, l’action menée alors va chercher à prendre de vitesse le mouvement en  délocalisant les unités agitées,  en les envoyant dans des secteurs calmes, où dès lors,  fragmentées et isolées,  on va  rechercher en leur sein les «  meneurs », grâce  en particulier à l’aide de  commissaires spéciaux infiltrés dans les régiments.
Parallèlement se met en place un outil de reprise en main, chargé tout d’abord de comprendre ce qui était en train de se passer. Le laboratoire utilisé en a été le Service de Renseignements aux Armées, qui, supervisé directement par le général Debeney, chef d’état-major général et le lieutenant-colonel Serrigny, chef de cabinet du général Pétain, va mener la reconquête de l’opinion des poilus. La cheville ouvrière du projet repose sur deux hommes : le Lieutenant-colonel Zopf et le lieutenant Bruyant, le premier prenant alors la tête au sein du SRA du «  Bureau des services Spéciaux ». Une vaste opération de prise en compte,  des raisons du mécontentement est mis en place grâce à un contrôle postal bien ciblé et bien rôdé, aux comptes-rendus de l’encadrement de contact et des indicateurs tant dans la troupe que dans les gares. Grâce aux informations recueillies, la politique de communication englobant les services d’information du GQG a veillé à la diffusion des messages et a orienté les prises de décision, décisions dont la perception par les hommes  a pu  être analysée à jet continu au travers des informations occultes ou non remontant du terrain. L’espèce de filet d’observation jeté sur les combattants restera en vigueur jusqu’à la fin de la guerre tout en se maintenant particulièrement serré jusqu’en octobre 1917, l’hypothèse  étant que l’étouffement en fin juin ne préjugeait pas de l’extinction du mouvement et de la disparition des causes qui l’avaient fait naître. Dorénavant les poilus seront sous surveillance permanente. Le contrôle protéiforme  se dissimulant sous les sigles de «  Contrôle Postal, Service du Moral, Affaires politiques, Propagande aux Armées.. » persistera  atténué, dans l’après guerre. A la revendication essentielle de paix blanche répondront des textes dont un, très argumenté du général Pétain. Pour les revendications quasi corporatives : permissions, meilleurs traitement et nourriture, primes de rendement… les mesures seront prises très rapidement dans le sens demandé pour détacher le maximum d’hommes des réclamations d’ordre politique. Une surveillance minutieuse veillera à empêcher l’arrivée au front des journaux contestataires et les poilus contestataires et écoutés de leurs camarades seront éloignés de leurs unités d’appartenance, soit outre mer soit dans des formations où ils seront particulièrement surveillés.  Tout ceci ne doit pas faire oublier la phase répressive, judiciaire et disciplinaire mais cette dernière a été relativement peu meurtrière, en particulier du fait de l’attention du Parlement et du Ministre de la Guerre, Painlevé, qui ont veillé ce qu’elle soit la plus limitée possible tant en nombre de victimes qu’en durée.

Emmanuelle Cronier (Université Paris-I), « Le rôle des permissionnaires parisiens dans la révolte de 1917 : un front contaminé par Paris ? »
Lors de la mise en place des permissions du front en juillet 1915, la fréquentation des Parisiens par les combattants était perçue par les autorités militaires comme une menace pour le moral du front. Rapidement cependant, elles constatent, avec les autorités civiles, qu’elles sont au contraire bénéfiques pour le moral des combattants et pour celui des civils, bien qu’elles perturbent les logiques de censure des informations mises en place lors de l’entrée en guerre.
Le mouvement de révolte du printemps 1917 va de nouveau donner corps à cette perception du combattant comme une proie et une victime du pacifisme, du défaitisme, ou de l’incitation à la désertion, dont la capitale serait le terreau, politisée, peuplée d’individus louches cherchant à débaucher les combattants en congé. Cette vision infantilisante des combattants a l’avantage de dédouaner l’Etat-major de toute responsabilité dans la révolte, donnant aux autorités en charge de l’Intérieur la mission de prendre des mesures pour éviter la contamination des permissionnaires par la « propagande révolutionnaire ».
Il s’agit donc d’examiner ici la pertinence de l’analyse qui prévaut en 1917 chez les autorités militaires d’une contamination du front par Paris au printemps 1917 : dans quelle mesure le brassage opéré à Paris entre civils et permissionnaires du front a pu jouer un rôle dans la révolte de 1917 ?
Dans quelle mesure les permissionnaires parisiens ont-ils été pris pour cible par les discours pacifistes ou défaitistes en 1917 ? Ont-ils participé à la deuxième vague de grève parisienne de 1917 ? Quelle a été leur perception de ces discours et de ces pratiques et les ont-ils relayés au front ? Enfin, il faut confronter ces faits avec l’interprétation proposée par les militaires à la révolte de 1917.

Patrick Facon (Université de Saint-Quentin en Yvelines), « Les mutineries de 1917, du front ouest à l’armée d’Orient »
Peu connues, presque demeurées dans l’oubli, les mutineries qui touchent l’armée d’Orient en 1917 constituent un phénomène complexe,  lié à des facteurs aussi divers que la lassitude de la guerre, l’échec des offensives du printemps au nord de Monastir, les atteintes parfois mortelles du paludisme et l’absence totale de permissions. Marquées par une série de désertions à l’étranger et à l’intérieur presque sans précédent, mais aussi et surtout des actes de désobéissance (refus de monter en ligne) qui se propagent dans plusieurs unités et menacent d’en contaminer d’autres, elles se produisent à la même époque que celles de France (en juin et juillet) et se caractérisent par leur durée et le fait en tout point singulier qu’elles concernent de nombreux sous-officiers et ne semblent pas désapprouvées par certains officiers. Une autre des singularités de cette crise est qu’elle se relie directement, par certains de ses aspects, aux événements qui surviennent en France. De graves incidents touchent, en effet, à plusieurs reprises, dans le Midi de la France, des formations en instance de départ pour le front de Salonique, dans des camps de transit ou dans des trains, et même à Brindisi, base par laquelle les combattants franchissent le canal d’Otrante pour rejoindre le Péloponèse. Archives de l’armée d’Orient et dossiers de la justice militaire permettent de cerner dans sa profondeur cet événement exceptionnel, quelque peu masqué par les mutineries qui touchent les unités du front occidental, mais dont les conséquences se révèlent des plus fondamentales. L’affaire contraint en effet le haut commandement à procéder à la relève des soldats qui combattent sans discontinuer en Serbie et en Grèce depuis octobre 1915, modifiant en profondeur le substrat de l’armée d’Orient. Elle amène aussi bien des chefs de corps du front français à tenter se débarrasser, à l’occasion de la relève évoquée précédemment, d’un certain nombre de leurs hommes qui ont participé à des actes de mutineries, en les expédiant à Salonique.

Jean-François Jagielski (Crid 14-18), « La « rumeur des Annamites » durant les mutineries de 1917 »
« Mais quelle ne fut pas ma surprise, hier soir, de voir arriver au pays, clairons en tête, mitrailleuses, canons, etc… des poilus du 129e et du 36e R.I., environ quelques centaines, invitant les autres poilus à les imiter. Ils ont parcouru Soissons et toutes les communes avoisinantes. Aujourd’hui, il devait y avoir une conférence à une heure et le lendemain, départ pour Paris pour y tuer les Annamites qui faisaient la guerre à leurs femmes . » Cette lettre d’une habitante de Buzancy, adressée à son époux mobilisé sur le front, évoque en l’alimentant, l’une des plus singulières rumeurs qui se propagea au moment des mouvements d’indiscipline du printemps 17. Dans Les fausses nouvelles de la Grande Guerre, Lucien-Graux rappelle la dimension atypique de cette rumeur : « (…) lorsqu’il y eut à Paris des grèves de midinettes, aux mois de mai et juin 1917, le bruit se répandit, tenace, au front, que les Annamites étaient postés derrière des mitrailleuses, au coin des rues de la capitale, et qu’ils avaient mission de tirer, au premier signal. Cette folle rumeur courut de l’Yser à Belfort. C’était la Révolution à bref délai. On sait combien peu un tel racontar était fondé. Il accrocha assez, dans les régiments, pour que les permissionnaires, à ce moment, montrassent un étonnement sans bornes, en découvrant, des cours de la gare du Nord et de l’Est, une ville paisible  (…)»
La présente communication entend mesurer l’ampleur de diffusion de cette rumeur et montrer qu’elle s’est appuyée, comme c’est souvent le cas en la matière, sur un substrat de réalité ayant subi des distorsions tant chronologiques que factuelles. Elle s’efforcera également de montrer que cette rumeur est fortement tributaire de celles qui se propagèrent à l’automne 14 tout en affirmant sa propre originalité : dénoncer le jusqu’auboutisme du gouvernement et des hautes autorités militaires ; s’en prendre à l’Etat providence qui n’a pas su durablement protéger les familles et enfin s’en prendre aux boucs émissaires traditionnels que sont les « embusqués » et les troupes non combattantes.

André Loez (Université Montpellier-III/Crid 14-18), « Éléments pour une sociologie des mutins de 1917 »

Louis Panel (Université Paris-IV), « La gendarmerie face aux mutineries de 1917 »
La Gendarmerie nationale fut au cœur de la crise de 1917. Chargée, aux armées, de faire respecter l’ordre et les directives du commandement, au moyen de ses détachements prévôtaux, elle fut également responsable de la sécurité de l’État à l’intérieur, notamment dans les campagnes, à travers son réseau de brigades et ses pelotons employés au maintien de l’ordre.
 Quels sont les moyens dont dispose la gendarmerie quand éclate la crise d’indiscipline au printemps 1917 ? L’avait-elle vu venir et quels étaient l’expérience et les conceptions des gendarmes en matière de révoltes militaires à ce moment ?
 Que mit elle en œuvre pour répondre aux instructions du général en chef de retour à l’ordre et de restauration de la discipline ? Quels furent ses résultats ?
 Enfin comment la crise de 1917 fut, dans la gendarmerie, le déclencheur d’une série de réformes réclamées depuis près de 50 ans et mises en œuvre par Clemenceau, et dont la plupart sont encore en place au XXIe siècle ?

Denis Rolland (Crid 14-18), « La violence durant les mutineries de 1917 »

Demi journée 3 : « Obéir et désobéir en guerre au xxe siècle » (10 novembre, matin, Laon)

Dalila Aït El-Djoudi (Université Montpellier-III), « Obéissance et désobéissance en guerre d'Algérie »

François Buton (CNRS CURAPP/Crid 14-18), « Actes d’obéissance et de désobéissance des rappelés pendant la guerre d'Algérie : problèmes historiographiques et enjeux empiriques »
La communication se propose d’aborder la question de l’obéissance et de la désobéissance pendant la guerre d’Algérie à partir d’une étude monographique sur le rappel des appelés du contingent, replacée dans l’ensemble des travaux sur l’opposition à la guerre des soldats du contingent (travaux généraux de Ageron, Stora, Pervillé, Branche, Thénault, notamment ; recherches plus spécialisées de Jauffret, Quémeneur, et tout récemment Grenier sur les protestations des rappelés, les actes d’insoumissions, les désertions) et dans un choix raisonné de témoignages d’anciens soldats (par exemple dans les ouvrages de Vittori).
En prenant pour terrain les manifestations de protestation dans une ville, Amiens, où rien d’exceptionnel ne semble s’être produit à l’automne 1955 et au printemps 1956 (la ville n’est jamais citée à notre connaissance), il s’agit d’interroger les contextes proprement sociaux d’activation, de réactivation, ou au contraire de neutralisation des actions de protestation engagées par des réservistes (ou d’autres acteurs) au moment de leur rappel. Le parti-pris est ainsi de saisir ensemble les conditions de l’obéissance et de la désobéissance.
Afin de déplacer un point de vue historien qui tend à focaliser le regard sur les rappelés eux-mêmes et leur parole, le pari consistera à croiser les sources officielles pour comprendre ce qui se passe à Amiens du point de vue des pouvoirs publics (rappelons que le président du Conseil général et député de la Somme,  Max Lejeune, est secrétaire d’État à l’armée de terre puis ministre du Sahara en 1956-1958), de la presse locale, des organisations politiques, voire de « l’opinion publique » telle qu’elle est saisie par les autorités précitées (témoignages des familles, des employeurs, etc.). Le dépouillement prévoit ainsi le dépouillement des articles de presse, des archives préfectorales (affaires politiques, sociales, économiques ; affaires militaires ; élections ; protection civile, police et gendarmerie), des archives militaires (recensement, PV des conseils de révision) et des archives policières (tous fonds conservés aux Archives départementales de la Somme).

Christian Chevandier (Université Paris-I), « Grève? mutinerie? insurrection? Les policiers parisiens en août 1944 »
Entre le mardi 15 août 1944, jour où un mot d'ordre de grève est lancé  par trois mouvements de Résistance de la police, et le samedi 26,  lorsque la Libération est célébrée par une grande manifestation sur  les Champs-Elysées, le groupe social des policiers parisiens a  participé aux événements avec une telle intensité qu'ils ont constitué  près du sixième des insurgés tués dans les combats de la Libération de  Paris.
La question que tentera de résoudre cette communication est celle de  l'engagement d'un groupe social, caractérisé par un culture de  l'obéissance et une activité de maintien de l'ordre, lors d'une  situation de crise où plusieurs de ses valeurs entrent en  contradiction. Il conviendra de tenter de caractériser ce(s)  comportement(s) en faisant la part du collectif et de l'individuel, en  prenant en compte les différents niveaux d'intervention, en en  caractérisant avec précision les modalités et en voyant comment  l'inscription dans un continuum ou la rupture avec des pratiques  antérieures permet de saisir l'originalité du phénomène. Un intérêt  particulier sera accordée à une chronologie extrèmement fine (il n'y a  rien de commun entre la grève le 16 août et celle qui aurait lieu  trois jours plus tard) et à tous les éléments symboliques (port de  l'uniforme, d'un brassard, adjonction des lettre FFI à l'inscription  "police" ou du mot "police" au sigle FFI) qui donnent un sens précis à  des actes accomplis dans un contexte précis.
L'étude d'un corpus de documents contemporains permettra ainsi de  caractériser éventuellement l'action des policiers parisiens en août  1944 comme relevant de la grève, de la mutinerie, de l'insurrection.

Vanessa Codaccioni (Université Paris-I), « La désobéissance militaire pendant la guerre d’Algérie au prisme de la théorie de l’action collective : Du geste d’Alban Liechti à la mobilisation des « soldats du refus » »
Si la science politique ne dispose pas d’outil spécifique pour analyser le phénomène de la désobéissance militaire, elle peut en offrir un éclairage nouveau, en proposant notamment une grille de lecture en terme d’action collective. A travers l’étude de la mobilisation des « soldats du refus », nous tenterons de dégager les conditions de son émergence mais aussi les contraintes contextuelles pesant sur ce type d’engagement. Dès lors une question centrale guidera notre travail : La guerre coloniale est-elle une « structure d’opportunité politique » pour les mouvements de désobéissance militaire ou au contraire peut-elle être un frein à ce type de mobilisation ?
Cette contribution visera à mettre en évidence que si la guerre coloniale constitue bien une « fenêtre d’opportunité » pour les phénomènes de désobéissance militaire (le refus de combattre pour les militants communistes en particulier), elle ne peut, en ce qui concerne la guerre d’Algérie, permettre l’émergence d’une réelle action collective.
-« Le refus » : un geste individuel et symbolique
Pendant la guerre d’Algérie, la désobéissance militaire des militants communistes français demeure, pour l’année 1956, réduite au cas d’Alban Liechti. Dans un premier temps, il s’agira donc de se pencher sur l’engagement individuel, notamment de prendre en compte non seulement la trajectoire de ce premier soldat du refus que les raisons invoquées pour expliquer, justifier l’engagement. Quels sont les évènements émotionnellement forts qui ont nourri le pacifisme et l’anticolonialisme d’Alban Liechti ? Quelle lecture personnelle de la guerre d’Algérie a permis son « refus » ?  Dans le même sens, il nous faudra analyser l’acte même de désobéissance : le refus de partir combattre en Algérie, et sa matérialisation : l’envoi d’une lettre ouverte au Président de la République.
-La progressive médiatisation du refus : de la désobéissance individuelle à la désobéissance collective ?
Dans un second temps, il nous faudra donc nous interroger sur le passage d’un acte individuel, le refus d’Alban Liechti, à une réelle action collective que la dénomination « les soldats du refus » semblent confirmer. Mais, peut-on réellement parler de désobéissance collective ? Pour répondre à cette interrogation, nous devrons donc prendre en compte l’apparition d’autres « jeunes patriotes » refusant de partir en Algérie et du contexte de plus grande opportunité politique dans lequel ces nouveaux acteurs s’engagent (fin de l’illusion d’un nouveau Front Populaire, dénonciation de la guerre et de la torture avec la multiplication, dès 1957, des affaires ; revirement de la stratégie communiste soutenant ce type d’initiative). Enfin nous tenterons de mettre à jour l’importance de la médiatisation de la désobéissance, créant l’impression d’une action concertée, collective, alors que l’engagement fut essentiellement réalisé sur une base individuelle.

Sylvain Delouvée, Sophie Richardot (Université Paris-V), « L'apport de la psychologie sociale à la question de l'obéissance »
La question de l’obéissance de l’individu et des groupes est une préoccupation aussi centrale qu’ancienne en psychologie sociale. Elle est abordée dès la fin du XXème siècle par les auteurs de la psychologie des foules qui tentaient d’expliquer leur irrationalité supposée par l’influence déterminante du « meneur ». Elle est évoquée, à la même époque, dans les premiers ouvrages de psychologie sociale par certains auteurs comme Augustin Hamon dans sa Psychologie du militaire professionnel (1894) ou sa Psychologie de l’anarchiste-socialiste (1892). Mais ce n’est véritablement qu’après la seconde guerre mondiale, avec les travaux de Stanley Milgram (1974) sur la soumission à l’autorité et ceux de Philip Zimbardo (1970) sur les comportements pénitenciers, que la question de l’obéissance et de ses conséquences fait l’objet d’une approche scientifique et d’une élaboration théorique rigoureuse.
            Pour Milgram, « l’obéissance est le mécanisme psychologique qui intègre l’action individuelle au dessein politique » (p.17). « Des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité, peuvent, en s’acquittant tout simplement de leurs tâches, devenir les agents d’un atroce processus de destruction […]. Si l’autorité leur demande d’agir à l’encontre des normes fondamentales de la morale, rares sont ceux qui possèdent les ressources intérieures pour lui résister » (p.22). En une série d’expériences célèbres, Milgram a testé la capacité de l’individu à résister à l’autorité, lorsque celle-ci n’est pourtant soutenue par aucune menace extérieure. Il a ainsi démontré, dans son expérience standard, la tendance générale des individus à obéir à un expérimentateur leur enjoignant d’infliger des douleurs extrêmes, voire mortelles, à un prétendu « élève » pour les besoins d’une soi-disante expérience scientifique sur l’apprentissage. Il a également mis au jour, au fil des expériences, les conditions de « félicité » du processus de soumission à l’autorité, élaborant ainsi une véritable psycho-sociologie de l’obéissance.
            Les travaux non moins célèbres de Zimbardo portent « moins sur les formes extrêmes de soumission interpersonnelle face aux ordres d’une autorité injuste que sur les pressions à la conformité qui émergent dans des “situations totales ” dans lesquelles les processus de désindividualisation et de déshumanisation sont institutionnalisés » (1993, p.193). Ils montrent que, placés dans une situation carcérale simulée, des individus a priori « normaux » à qui l’on a affecté au hasard le rôle de gardien plutôt que de prisonnier ont tendance, pour remplir leur mission, à adopter des comportements aberrants, sadiques, “anti-sociaux”.  
            L’objectif de cette communication sera :1. — Tout d’abord, de présenter les recherches de Milgram et de Zimbardo, trop souvent caricaturés en sciences sociales, en en rendant toute la complexité et la subtilité aussi bien méthodologique que théorique (quelques courts extraits vidéo des expériences seront à cette occasion présentés).
2. — On s’interrogera ensuite sur l’apport et les limites de ces études expérimentales à la compréhension des événements historiques ou contemporains de massacre de masse à partir :
a/ des commentaires que les auteurs eux-mêmes ont fait de leurs propres travaux et, à leur suite, certains psychologues sociaux (Blass, 1999)
b/ des études psycho-sociologiques portant sur les cas historiquement spécifiques des « crimes d’obéissance » (Kelman et Hamilton, 1989) ;
c/ des critiques apportées aux études psycho-sociologiques en sciences sociales, notamment en histoire et en science politique (cf. la controverse de C. Browning / D.J. Goldhagen).
3. — Enfin, on exposera les derniers prolongements de ces études en psychologie sociale en évoquant en particulier celles actuellement menées autour du « désengagement moral » (Bandura, 1999) et des processus de légitimation et délégitimation de l’autorité (Kelman, 2001).

 Philippe Garraud (IEP de Rennes/CNRS CRAPE), « Les relations entre les généraux allemands et le nazisme : entre adhésion, “mise au pas”, conformisme et prise de distance »
 Dans l’étude des relations entre le régime nazi et l’armée allemande, on est progressivement passé en quelques décennies d’une interprétation initiale « apologétique » (l’armée allemande n’a pas adhéré au régime nazi, s’en est tenue à un rôle purement militaire et professionnel et est indemne de compromission avec le régime) à une nouvelle interprétation dominante privilégiant l’adhésion idéologique au nazisme.
La première interprétation est affectée d’un biais méthodologique certain, dans la mesure où  elle est très largement fondée sur le discours justificateur des acteurs (mémoires de généraux en un nouveau contexte politique donné), repris par des historiens militaires sans examen critique (Liddell Hart). La seconde, même si la nazification croissante au fil du renouvellement de l’encadrement et des troupes n’est pas contestable, privilégie trop exclusivement l’adhésion idéologique comme seul ressort de l’obéissance (Bartov, Solchany, Wette). Si l’armée allemande a bien été l’instrument d’Hitler, qui en assurait personnellement le commandement, et de son projet, sa participation ne reposait pas seulement sur l’adhésion idéologique mais également sur des mécanismes plus complexes, organisationnels en particulier.
Pour sortir de cette opposition simplificatrice et réductrice, de « la fausse alternative de la contrainte et du consentement », on préférera raisonner en termes de « faisceau de facteurs » en essayant de transposer cette problématique sur un tout autre terrain chronologique, géographique et politique, dont on ne peut cacher qu’il particulièrement sensible du fait des enjeux politiques et idéologiques qui lui sont liés. Sans nullement occulter la nazification et l’idéologisation croissante de l’armée allemande, une telle démarche compréhensive permet d’intégrer d’autres moyens ou facteurs permettant d’obtenir la coopération, le consentement et l’obéissance que la seule adhésion idéologique au régime nazi et à son projet :
- L’adhésion à des valeurs patriotiques, nationales et nationalistes, amplement mobilisées voire monopolisées par le régime nazi mais relativement autonomes, ainsi que des valeurs culturelles et professionnelles propres ne prédisposant nullement à la désobéissance (discipline).
- La subordination croissante de l’institution militaire au pouvoir politique nazi, processus qui se traduit par la réorganisation du haut commandement : en particulier la constitution de l’OKW qui remplace le ministère de la guerre en 1938 et permet l’intégration « fonctionnelle » de l’armée au régime nazi : de fait l’armée allemande perd alors son autonomie traditionnelle, quel que soit le rapport personnel des généraux au nazisme.
- Le renouvellement permanent du haut commandement de 1938 à la fin de la guerre : toute velléité de désaccord sur le plan militaire est sanctionnée par l’élimination, ce qui permet tout au long de la guerre la promotion des généraux les plus dévoués au régime.
- L’intéressement professionnel (possibilités de carrière offertes par la constitution d’une armée puissante et en très forte croissance), voir personnel des généraux (distribution de gratifications en argent ou en domaines) : ces facteurs lient les généraux au régime, sans nécessiter obligatoirement une entière adhésion idéologique.
- Le coût social mais aussi physique de la désobéissance ouverte du fait de la surveillance policière, de la répression et des sanctions dans un Etat totalitaire (on considère généralement que 15 000 militaires allemands ont été condamnés à mort et exécutés au cours de la guerre, outre 15 000 civils allemands)
Mais en dépit des contraintes et des incitations au consentement très fortes qu’ils représentent, ces différents facteurs d’obéissance n’interdisent pas pour autant totalement des formes de prise de distance à l’égard du régime voire de rupture d’obéissance ou même de désobéissance (tous termes à peser soigneusement), même si elles ont été limitées en nombre, variables dans le temps et souvent velléitaires, mais qui sont trop généralement considérées comme quantité négligeable ou déconsidérées du seul fait de leur orientation politique conservatrice :
- Opposition de certains généraux à l’expansion territoriale et à la guerre dès 1938 (crise au  sujet de l’invasion de la Tchécoslovaquie) : c’est à cette date que se constitue le noyau initial de l’opposition militaire autour du général Beck.
- Protestations individuelles de certains généraux, même si elles empruntent le plus souvent au discours dominant du régime (Blaskowitz en Pologne).
- Existence de noyaux d’oppositions et de « complots » sous différentes formes (1938, 1940, 1943, 1944) qui, s’ils n’ont pas eu d’effets et pas changé le cours de l’histoire, n’en ont pas moins existé aux plus hauts niveaux de l’appareil militaire allemand (OKH, armée de l’Intérieur et Abwehr).
- Freinage des « directives criminelles » à l’Est : entre le tiers et la moitié des unités (et donc des généraux commandants de divisions) ne s’y soumettent pas d’une manière ou d’une autre (selon une étude inédite citée par Kershaw, p. 1345-6)
- Constitution d’une opposition en URSS appelant au renversement du régime (NKFD-BDO) à partir de 1943 qui finit par rassembler un nombre significatif de généraux en 1944 : pour tardive et limitée dans ses effets qu’elle ait été, elle témoigne néanmoins d’une rupture d’obéissance. 
Si on intègre ces différentes variables et données qui ont très inégalement retenu l’attention en un « faisceau de facteurs » déterminant tant les comportements collectifs qu’individuels, on peut alors espérer parvenir à une vision beaucoup plus fine et complexe, moins mécanique et monocausale, rendant compte de la pluralité relative des attitudes et des comportements (adhésion, conformisme, obéissance, prise de distance, opposition), sans qu’il  soit bien évidemment question de se livrer — faut-il le préciser ? — à une quelconque tentative de réhabilitation totalement dépourvue de sens.

Karine Lamarche (ENS), « Obéissance et désobéissance dans l’armée israélienne aujourd’hui »

Julien Mary (Université Montpellier-III/Crid 14-18), « Le devoir militaire : obéissance et cohésion. Essai de psycho-histoire du discours éducatif militaire français de la fin du XIXe siècle à l’immédiat après Première Guerre mondiale »
En termes psychosociologiques, l’armée est une foule ; mais si c’est là l’une des caractéristiques premières de toute formation collective, l’armée n’est pas une foule comme les autres : elle appartient à la catégorie freudienne « des foules permanentes, conventionnelles, ayant un degré d’organisation très élevé » . L’action première de l’autorité militaire tend à créer puis à maintenir cette foule dans un état d’organisation, ses membres devant être « cousus ensemble » , disciplinés et solidaires. Schématiquement, l’âme collective de l’armée semble ainsi réglée « pyramidalement » sur l’interaction de deux piliers organisationnels : la discipline en axe vertical, et la solidarité en axe horizontal.
« Au combat, les forces morales priment »  : diverses et variées, l’éducation militaire leur confère la mission de motiver les soldats, dispersés sur le champ de bataille, dans une discipline acceptée et volontaire. La mission des militaires prend ainsi le nom hautement moral de « Devoir », notion que l’armée doit inculquer à ses membres en temps de paix afin de « préforger » leur moral de guerre. A l’intérieur, les forces morales doivent imprégner foi et conscience professionnelle au soldat : découlant de l’idée de devoir, elles y concourent toutes en retour.
1871-1914 : plus de quarante ans de paix sur le territoire français. Nécessaire en temps de guerre, l’armée française se revendique désormais d’utilité publique en temps de paix. Il est dorénavant demandé au chef militaire, dont la mission principale demeure le maintien sa troupe en état de combattre, d’agir socialement en tant qu’éducateur, de connaître ses hommes et d’user de psychologie, afin notamment de se révéler apte à expliquer aux soldats les règles du devoir militaire, les persuader de son impérative nécessité, éduquer leur volonté et recueillir leur consentement. Les essais de psychologie et de sociologie militaire fleurissent ainsi à l’époque étudiée, et ceci particulièrement après-guerre.
Cette étude à vocation pluridisciplinaire, dans son objet comme dans sa démarche, utilisera tout particulièrement les grilles d’analyse fournies par les « grands » psychologues et sociologues contemporains de notre objet d’étude, afin de dégager les principaux ressorts psychosociologiques employés sous le terme générique de devoir par les essais et manuels d’instruction et d’éducation militaires parus en France à l’époque étudiée, matériau du reste peu exploré par la recherche historique. Le discours éducatif militaire français évolue-t-il de manière significative de la fin du XIXe siècle à l’immédiat après Première Guerre mondiale ? Y a-t-il une conception spécifiquement française du devoir militaire ? Souhaitant inscrire la Première Guerre mondiale dans le temps long, nous verrons que le devoir militaire ne s’exprime pas de la même manière avant, pendant, et après le premier conflit mondial, et que ce même terme regroupe des acceptions sensiblement différentes selon le public auquel  le discours éducatif s’adresse.

Claudine Vidal (CNRS), « Grands tueurs et petits tueurs : la question de l'obéissance dans le génocide des Rwandais tutsis »

Demi journée  4 : « La mémoire des mutineries de 1917 » (10 novembre, après-midi, Laon)

Gwénaël Lamarque (Université Bordeaux-III), « Les mutineries de 1917 au regard des cultures politiques françaises : une mémoire encore conflictuelle ou en voie d'apaisement? (1998-2007) »

Nicolas Mariot (CNRS CURAPP/Crid 14-18), « Le "nombre" des mutins, enjeu historiographique et épistémologique »

Nicolas Offenstadt (Université Paris-I), « La mémoire des mutineries dans les années 1960 »

Emmanuelle Picard (INRP), « La mémoire des mutineries dans les manuels et les programmes scolaires »

 Markus Poehlmann (Université de Salford), « Une occasion manquée ? les mutineries de 1917 dans la stratégie et l’historiographie allemandes »
The paper will examine the events of 1917 from a German perspective. It will address two distinct questions. First: Why did the German army not seize the opportunity to attack its major enemy on the Western Front in a moment of weakness? And second: How were the mutinies interpreted in the German military historiography and in the memoirs of her former political and military decision makers after 1918?
To answer the first question, we will focus on the formulation of Germany’s grand strategy for 1917 and the question of how far this strategy allowed seizing tactical/operational opportunities at all. In this context, we also will examine what the German army actually knew about the events on the other side of no man’s land, because this knowledge – be it partial and late knowledge, or even ignorance – would be the very base for any military consideration.
The second question about the post-1918 interpretation of the French mutinies is of particular interest because it was Germany herself that collapsed at the end of 1918 following the fatal erosion of her army and a process that the late German historian Wilhelm Deist once characterized as a “secret military strike”. Given the fact that either country had witnessed a serious collapse of morale and of military order, it will be instructive to see what conclusions with regard to the envisioning of Germany’s politico-military command structure and the problem of upholding military morale in a future war were drawn from this historical experience.

Pierre Schoentjes (Université de Gand), « Être « héros si on compte six au lieu de dix ». Images de mutins dans la littérature de fiction »

 

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