Léon Deries, La terre qui ne meurt pas, collection France, Librairie Berger-Levrault, 1918, 64 pages.
1. L’auteur
Armand, Jean, Léon Deries, né à Angers (Maine-et-Loire) le 22 septembre 1859 était agrégé d’université et enseignant. Il est inspecteur académique de la Manche de 1892 à 1923, date à laquelle il part à la retraite. Agé de 55 ans en 1914, il semble ne pas avoir été mobilisé. On lui connait une fille, Madeleine, qui sera également une brillante universitaire. Il écrit une dizaine d’ouvrages dont ce La terre qui ne meurt pas, qui semble être le seul qui traite entièrement de la Grande Guerre. Qualifié de « fin lettré, un humaniste distingué, connaissant à fond les littératures anciennes, un chercheur passionné de l’inédit, doué d’une vive intelligence et d’une érudition à laquelle s’ajoutait une activité débordante (selon sa biographie dans Wikipédia citant L’Ouest-Eclair) », il décède le 5 avril 1933 à Saint-Lô (Manche) à l’âge de 73 ans.
2. Analyse
Dans un petit opuscule de la « Collection France », Léon Deries livre 14 chapitres hommages à la terre et à ceux qui la travaillent. Il fait une analyse qui se veut profonde du lien entre l’homme et le terroir, rappelant d’abord leur lien ancestral, parfois perdu dans les habitudes ; il dit : « Nous vivons et nous ne savons même plus à qui nous sommes redevables de notre existence » (page 17). Circonstances obligent, il multiplie les figures de style, parfois audacieuses, faisant le lien entre les différentes composantes d’une nation en arme. Ainsi, il compare les paysans qui n’ont pas été mobilisés, ces vieillards « doublement vieux, vieux par les années et vieux aussi par les souffrances » (page 46) à une armée dont le fusil est l’outil, la faux ou le râteau : « Pauvre armée aux rangs clairsemés, défaillante et débile, dont les efforts auraient été impuissants si à elle ne s’étaient jointes deux autres armées, l’armée des femmes et l’armée des enfants ! » (page 18). Il n’oublie pas que ce sont bien les femmes qui ont assuré les vendanges à la place des hommes, lesquels ont déserté la terre qui nourrit pour celle qui combat, tue et meurt dans une guerre qui nivèle une terre elle-même désertifie (page 44). Il évoque tout autant la « mobilisation des enfants » (page 51), ces fils qui ont remplacés les pères aux champs, et ces filles à la conduite des bêtes devant la charrue, certains donnant leur vie également dans les accidents d’un quotidien besogneux qui lui aussi comporte bien des dangers mortels. Deries n’oublie pas non plus le retour diminué des mutilés, ces « revenants dans les campagnes » (page 56). Au final, cet hommage à la terre, aux hommes, aux femmes et aux enfants qui nourrissent, se destine à tous les contemporains, avec des adresses plus particulières, distillées ci et là au fil des pages. Ainsi, il proclame : « Touristes du souvenir qui plus tard visiterez ces royaumes de la mort, devenus des royaumes de la vie, découvrez-vous. Vous ne rencontrerez plus le grand vieillard qui est allé dormir avec les aïeux son dernier sommeil, mais vous rencontrerez ses fils et petits-fils, et, en les saluant, ayez pour l’aïeul un souvenir, un pieux souvenir de respect, amour et de reconnaissance » (page 47). On ne peut à la lecture de ces mots que penser aux paysans qui ont redonné jusqu’à aujourd’hui leur aspect aux terres du Nord, du Chemin des Dames ou de la Champagne. Toutefois, le chapitre « L’entente des cœurs et l’entr’aide des bras », qui célèbre une concorde intérieure arasant les querelles de toutes sortes entre les français, est un vœux pieux. Les dernières lignes closent l’hommage aux gens de la terre, de la vigne, de l’herbe ou de l’arbre, et révèlent ce que l’ouvrage proclame, en ce début de 1918 (l’ouvrage est publié en février) : « C’est parce qu’ils ont pour elle le même amour indéfectible que la terre de France n’est pas morte, qu’elle survit et survivra au plus formidable ouragan qui ait jamais secoué le monde jusqu’au plus profond de ses entrailles » (page 63).
La table des matières résume la progression de l’opuscule : « A la fin de juillet 1914 », « L’appel du 1er août », « La plaie béante de la France des champs », « La campagne de France à vol d’oiseau », « Un miracle de patience et d’énergie », « À la porte de Paris », « Aux pays des herbages », « Aux bords de la Loire », « Au pied des Alpes », « Sur le sol des pardons », « Au seuil de la bataille », « L’entente des cœurs et l’entr’aide des bras », « Les revenants dans les campagnes » et « La terre de France qui vit toujours ».
Yann Prouillet, juillet 2025