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Des nouvelles d'Italie, par Rémy Cazals

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1. DE AMICIS Edmondo, Le livre cœur, notes et postface de Gilles Pécout, Paris, Editions Rue d’Ulm, collection « Versions françaises », 2005, 490 p.

En Italie, comme en bien d’autres pays, l’éducation au XIXe siècle met en avant l’armée de la nation, l’héroïsme, les exploits guerriers. Dans Cuore, publié en 1886, qui connut un énorme succès dans les écoles, se suivent trois chapitres intitulés « Garibaldi », « L’armée », « L’Italie ». Le livre met en scène les élèves d’une école dont le professeur de gymnastique est lui-même un ancien des Mille de Garibaldi (p. 190). Les élèves vont admirer un défilé militaire, et leur attitude respectueuse leur vaut l’approbation d’un « vieil homme qui avait à la boutonnière le ruban bleu de la campagne de Crimée » (p. 44). Un récit édifiant raconte l’héroïsme d’un « petit tambour sarde » lors de la guerre de 1848 contre l’Autriche (p. 91-99) ; il est suivi, en guise de conclusion, d’une page intitulée « L’amour de la patrie ».

La traduction française et les commentaires de Gilles Pécout sont très utiles pour situer le livre de De Amicis dans le processus de « nationalisation » des jeunes Italiens. Dans deux essais iconoclastes, repris à la fin de l’ouvrage, Umberto Eco prend le parti de Franti, l’unique mauvais élève, effronté, qui ne respecte pas les valeurs reconnues. Mais les textes d’Umberto Eco datent de 1962 et 1972 : une autre époque.

 

2. GIBELLI Antonio, Il popolo bambino. Infanzia e nazione dalla Grande Guerra a Salò, Torino, Einaudi, 2005, 412 p., illust.

Avec Cuore de De Amicis et dans la première décennie du XXe siècle, le processus de « nationalisation » des jeunes Italiens s’est poursuivi. La Grande Guerre a ensuite fourni un champ d’expérience beaucoup plus large, anticipant sur les méthodes « d’enveloppement » et d’embrigadement qui allaient prendre une dimension démesurée sous le régime fasciste et son avatar, la « République sociale » de Salò de 1943, jusqu’à la défaite.

Antonio Gibelli montre que, de 1915 à 1945, les enfants ont été pris dans la mobilisation nationale pour une politique de puissance, pour la guerre, pour la fabrication du consentement à l’Etat totalitaire. L’enfance est devenue une « construction théorique » dans un parcours qui va du premier uniforme de balilla à l’entrée dans l’armée. Contribuent à cette construction les récits d’aventures et de conquêtes, la fascination de l’Afrique, le thème de l’amélioration de la race par la vie au grand air et la présence du danger (une partie du livre développe la comparaison entre « balillismo » et scoutisme). C’est aussi l’époque où l’image de l’enfant fait une irruption décisive dans la publicité commerciale dont les techniques doivent être comparées à celles de la publicité politique.

Le travail très documenté d’Antonio Gibelli utilise les sources les plus variées, avec le souci de ne pas négliger les exercices scolaires, les cartes postales, les affiches, les lettres écrites aux combattants (tout cela très contrôlé). Le cahier de 16 pages d’illustrations en couleurs en donne une idée.

L’auteur ajoute que l’endoctrinement des enfants et des adolescents constitue seulement un aspect du contrôle général des masses considérées elles aussi comme infantiles, immatures, ayant besoin d’être guidées et encadrées. Notons que, pour une première approche, en français, le lien entre les pratiques gouvernementales de 1915-1918 et celles de la période fasciste sont présentées dans la communication de Giovanna Procacci, « Italie : la répression des dissensions intérieures », dans La Grande Guerre, pratiques et expériences, Toulouse, Privat, 2005, p. 67-76 (actes du colloque de 2004 à Soissons et Craonne, avec une large participation des membres du CRID 14-18).

Je profite également de ce compte rendu pour signaler le livre Les écoliers de Tournissan, 1939-1945, publié en 1978 par Privat à l’initiative de la Fédération audoise des œuvres laïques (comme Les carnets de guerre de Louis Barthas, et la même année). Ce livre reproduit des textes écrits par les enfants de ce village des Corbières pendant la Deuxième Guerre mondiale, en échappant complètement à l’endoctrinement de Vichy. Mais les quatre ans de l’Etat français n’étaient pas les vingt ans du régime de Mussolini.

 

3. GIBELLI Antonio, L’officina della guerra. La Grande Guerra e le trasformazioni del mondo mentale, Torino, Bollati Boringhieri, 2003 [1ère éd. 1991], 276 p.

Ce papier consacré à l’Italie permet de signaler le nouveau tirage de ce livre qui montre, dans la Grande Guerre, première guerre technologique de masse, l’avènement du monde moderne : industrialisme, efficacité et standardisation ; entrée insidieuse de l’Etat dans la vie privée de chacun ; affirmation de l’écriture, de la photo, du cinéma. Antonio Gibelli, dont on connaît le rôle dans la constitution des Archives ligures d’écriture populaire (www.dismec.unige.it/webalsp/alsp.htm) s’appuie largement sur les témoignages écrits des combattants, lettres et carnets intimes, édités ou inédits, et sur les travaux des médecins, psychiatres et psychologues qui lui permettent d’explorer le « versant traumatique » du conflit, révélant son action destructrice sur le mental et le corps des combattants. Il insiste sur la rigueur de la mobilisation, la quasi impossibilité d’y échapper, sur le traumatisme et la mort.

A la fin du livre, importante note sur les sources d’écriture populaire en Italie (voir aussi, dans la bibliographie du CRID 14-18, le compte rendu du livre de Fabio Caffarena, Lettere dalla Grande Guerra).

4. Un catalogue :

Le 6 avril, à l’université des Lettres de Gênes, a été présenté au public le catalogue La Grande Guerra in archivio. Testimonianze scritte e fotografiche, produit par Archivio Ligure della Scrittura Popolare, sous la direction de Fabio Caffarena, Rosalba Sapuppo et Carlo Stiaccini. Il contient l’inventaire de 91 fonds de lettres, journaux personnels et mémoires ; 5 fonds photographiques ; une liste de 49 travaux universitaires autour du thème ; une bibliographie de 78 titres, dont 77 en italien et 14-18, le cri d’une génération, de Rémy Cazals et Frédéric Rousseau, membres du CRID 14-18 ; les index des noms de personnes et de lieux (13 entrées pour Caporetto, 8 pour Carso, etc.).
Consultation : www.dismec.unige.it Contact : alsp@lettere.unige.it

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