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Quelle archéologie pour les traces de la Grande Guerre ?

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Prisons et prisonniers militaires, par Valériane Milloz


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Compte-rendu du colloque sur l’archéologie de la Grande Guerre qui s’est tenu à Suippes (Marne), Maison des Associations, les 27, 28 et 29 septembre 2007

Sommaire:

Réception des participants par monsieur André Mauclert, maire de Suippes et Michel Godin, maire de Perthes-les-Hurlus

« Jamais un conflit n’a laissé autant de traces sur une si grande surface »
André Mauclert

Présentation par Yves Desfossés, conservateur régional de l’archéologie de Champagne-Ardenne :

Ce colloque s’inscrit dans la problématique de l’archéologie dans la contemporanéité. Quelle archéologie pour les traces de la Grande Guerre ? Le titre est aux marges de la polémique tant cette discipline appliquée à la période contemporaine est en phase de mûrissement. Faut-il fouiller ? Faut-il appliquer les techniques archéologiques à la période contemporaine ? Les archéologues sont dubitatifs.
Dans son rappel historique, Yves Desfossés fait un étonnant parallèle avec la muraille de Chine. En effet, le système défensif généré par la double ligne de défenses parallèles qui s’étend de la Mer du Nord aux Vosges apparaît comme le plus important de l’Histoire. Dans ce terrain profondément bouleversé, une des premières confrontations de l’archéologie à l’Histoire se situe dans le secteur de Bapaume à Lille pour la construction du TGV Nord. Frédéric Adam et la fouille de la sépulture multiple d’Alain Fournier marquera l’évènement qui a interpellé la communauté archéologique et l’origine du questionnement
L’application de l’archéologie à cette période bouleversée peut occasionner une gêne à prendre compte, celle de la présence des munitions. A l’étude, elle apparaît moins problématique (80 obus par hectare dans les tranchées de sondage) tant les cultivateurs ont largement dépollué. Si une fouille de tranchée n’apporte pas grand-chose, plus gênante est la découverte d’un soldat. Dès lors, l’archéologue fouille aussi par devoir de mémoire. Si la multiplicité des exhumations fait apparaître des gestes à connotation sociale ou des interrogations quantitatives, - Acti-parc a permis la découverte de 31 britanniques et aucun soldat allemand – cette discipline nouvelle implique aussi l’archéologue dans les champs non habituels de la mémoire.
Malheureusement, aujourd’hui encore, ce type de fouilles dépend de la sensibilité des archéologues et aucune opération n’est programmée pour l’heure. Des chantiers pourraient voir le jour dans l’avenir. Des problématiques méritent en effet l’étude : les souterrains d’Arras, la guerre des mines de la crête de Vimy. Le Mark IV « Deborah » de Flesquières – ultime témoin des 470 chars impliqués dans cette bataille – découvert en novembre 1998 par Philippe Gorczynski a été classé en 2002 à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.

 

Intervention de Frédéric Adam, archéo-anthropologue de l’INRAP de Metz :

Etat des lieux de l’archéologie de la Grande Guerre en Lorraine entre 1991 et 2007

Si le site de Noiseville en 1991 permet la première fouille appliquée à des soldats tombés en août 1870, c’est bien la fouille de la sépulture multiple de Saint-Rémy-la-Calonne, le 4 novembre 1991, qui assoit la discipline. Première fouille dotée de moyens, puisque imposée par le ministre de la culture de l’époque, elle met en place la problématique de l’application de l’archéologie à la Grande Guerre. Frédéric Adam introduit la volonté de comprendre l’histoire intime de ce lieu et de la présence de ces 21 corps inhumés, et se donne pour tâche leur traitement anthropologique.

Les apports de cette première expérience apparaissent multiples : identification nominative de 19 disparus, restitution aux familles des corps de défunts oubliés, reconstitution de la bataille et compréhension des circonstances de la mort, validation des techniques anthropologiques de morphologies et de détermination des sexes, rôle des métaux dans la décomposition des corps, révélations taphonomiques multiples, etc. Apparaissent donc indéniables les nombreuses avances de cette discipline nouvelle, mais également de l’anthropologie et de la taphonomie permises par cette opération.

Elle fut aussi riche d’enseignements sur les oppositions des acteurs traditionnels de la discipline, DRAC mais également Anciens Combattants, mais aussi la quasi-totalité de la communauté archéologie de l’époque.

De 1991 à 2004, peu de choses. A Messein, on signale la découverte d’une bouteille à correspondance pour un soldat américain ; de 1997 à 2004, les travaux effectués par les responsables de la cellule d’archéologie militaire de la Société Philomatique Vosgienne – cf. leur rapport dans le n°15 de 2007 de « Mémoire des Vosges ».

En 2005, le contournement de Bienville révèle au décapage un pont provisoire jeté sur l’Orne mais surtout plusieurs sépultures d’officier et de soldats tombés le 25 août 1914.
En 2007, deux opérations tendraient à prouver que les interventions s’étoffent en Lorraine : Stenay, caserne Chanzy sur un camp de prisonniers allemands des deux guerres et centre d’essai médical américains, notamment pour l’application du DDT, et Sorcy-Saint-Martin sur un camp de soldats bien en arrière du front du saillant de Saint-Mihiel.

Aujourd’hui des partenariats se mettent en place, avec le Mémorial de Verdun par exemple. Rien ne semblerait donc ternir cette amélioration d’une situation qui ne peut que jouer en faveur de la mémoire si ce n’est l’action toujours irrémédiablement destructrice des pilleurs de champs de bataille.

Intervention de Guy Flucher, archéologue de l’INRAP de Picardie :

L’exemple du cimetière provisoire de Soupir

La fouille récente, dans le cadre d’un chantier archéologique, du parc du château de Soupir a révélé un important complexe d’inhumation provisoire d’environ 355 corps de soldats tombés à différentes périodes de la guerre et exhumés en 1919 pour être regroupés dans la nécropole actuelle. Seuls 12 % de ces anciennes tombes ont pu être fouillées. Cette opération a apporté des informations sur les modes d’inhumation, les pratiques culturelles et les prescriptions militaires applicables à cette période et à leur éventuelle modification dans la durée.

Au cours de la fouille, un plan établi en septembre 17, accompagné d’un registre numératif, a contribué à répondre aux questions révélées par le terrain. Ainsi, des avancées considérables liées à l’application des connaissances sur le traitement de la mort militaire en temps de guerre ont été permises dans les champs liés :

  • au mode d’inhumation (tente-suaire ou cercueil, ou sans linceul)
  • à sa sociologie (pas d’adéquation entre le statut du défunt et son mode d’inhumation)
  • à la technique (numération des corps par plaques complémentaires aux numéros de sépulture) 
  • aux conditions d’exhumation, en le cas d’espèce réalisée par des soldats, des coloniaux et des membres de pompes funèbres. Corps par ailleurs extraits à la pelle, sans finesse et abandonnant dans les tombes de multiples restes sans cohésion et dont l’étude apporte en elle-même quelques surprises (il y reste souvent le crâne, les bras et les mains et l’on y trouve encore des objets personnels dont des pièces d’identité).

Dès lors apparaît évidente la contrainte entre administration et nécessité du traitement rapide de la mort de masse. 30 % des corps seront restitués aux familles mais pour les autres, que d’impéritie, confirmée par les mémoires du maire de Cœuvres Berthier de Sauvigny. La nécropole de Soupirne bénéficiant pas d’un plan évolutif, seule une taphonomie fine, avec enregistrement altimétrique permettant de discerner l’inhumation d’un simple rejet des os en sépulture, permet d’en mesurer l’ampleur.
Pour Guy Flucher, cette archéologie trouve sa justification car « toutes les archives du sol relèvent de notre responsabilité »

Intervention de Sylvain Thouvenot archéologue de l’INRAP de Picardie :

La gestion des morts du plateau de Ploizy-Courmelles de 1918 à nos jours

Lors de la création dans le secteur de Ploizy d’une ZAC de 158 hectares, 12 (soit 7,6 %) ont pu bénéficier d’une fouille spécifique concernant un secteur de combats se situant dans la période du 29 au 31 mai 1918. Elle a révélé plusieurs centaines de structures datant de la Première guerre mondiale et un important semi de tombes provisoires, non traitées anthropologiquement toutefois. Si l’on note la découverte d’aucune arme à feu, plusieurs pratiques funéraires sont mises au jour sur la pratique d’inhumation (tente-suaire et ceinturon servant de sangle, manipulation avec gestes de fraternité) dont certaines à décrypter (orientation des corps et des têtes en position est-ouest, tête à l’ouest pour les Allemands et à l’est pour les Français).
Par delà le site, la question du « que faire de ces sépultures » renvoie à des problèmes éthiques, sociologiques et scientifiques et il apparaît évident pour Sylvain Thouvenot qu’il vaut mieux au 21ème siècle être un corps de soldat américain ou allemand qu’un poilu français.


Intervention de Gilles Prilaux, archéologue de l’INRAP de Picardie :

Actiparc Arras, une opération d’archéologie préventive en première ligne

Les travaux de la future ZAC d’Arras, prévue sur 300 hectares ont mis au jour un gigantesque secteur de combats représentant un linéaire de 120 kilomètres de tranchées. Quinze fouilles y ont été réalisées après une nécessaire convention avec le service local de déminage. Celui-ci procède à l’établissement d’un livret rappelant le mode opératoire, à l’enlèvement des munitions, à la sensibilisation des archéologues au déminage, à la mise en place d’un correspondant sécurité et à la levée GPS des munitions découvertes (au nombre de 200, ce qui est finalement peu eu égard à la surface décapée) ainsi que la formation au traitement du blessé chimique.

6 000 structures, 31 soldats et 1 atelier d’artisanat de tranchées sont ainsi découverts. Ce dernier, formant dépotoir de 60 mètres de long est en fait le reliquat de l’occupation, en 1919, des prisonniers de guerre allemands employés à la construction de la ligne de chemin de fer Arras-Lens.

Mais l’intérêt fondamental de cette opération réside dans la découverte de la sépulture multiple des « Grimsby Chums », 20 corps de soldats britanniques, dont deux pulvérisés et reconstitués, retrouvés coude à coude et dont l’anthropologie confirme un lien communautaire.

Dès lors, confortée par la présence d’un des fils de ces héros oubliés, il est constaté là aussi pour les archéologues une orientation sensible et une implication mémorielle de la discipline.

 

Intervention de Alain Jacques, service archéologique de la ville d’Arras :

20 ans d’archéologie de la Grande Guerre en Arrageois.

Nombreuses sont les opérations qui ont révélé des découvertes, parfois singulières (comme la croix gammée de Carlsberg) ou l’emploi de matériel civil. Là aussi, les pratiques d’exhumation révèlent des visages tournés vers l’adversaire mais aussi le dépouillement des corps dont le respect s’éteint quasi complètement vers la fin de la guerre.
D’égal intérêt est l’étude des carrières médiévales sous Arras. Pouvant accueillir 24 000 hommes, l’équivalent de la population arrageoise de la Grande Guerre, 24 kilomètres en sont aujourd’hui inventoriés. Fermées en 1919, elles révèlent 3 000 graffitis, un QG, un hôpital de 700 lits - créé sous l’impulsion du major Thomson -, une véritable ville souterraine dont l’étude reste à réaliser

Questions et interventions publiques :
Jean-Pierre Verney réfute la notion de devoir de mémoire et indique que pour le traitement des corps, la loi suffit. Il confirme la conclusion de Gilles Prilaux sur la pauvreté des moyens français mis en œuvre dans le traitement mémoriel actuel des restes mortels découverts : un peu plus d’1 € 50 pour le poilu contre près de 100 € pour le tommy !

Une intervenante questionne Guy Flucher sur la préparation de la fouille du château de Soupir. Il semblerait pour elle qu’une certaine impréparation en amont se soit fait jour. L’archéologue rappelle trois points à sa décharge : la fouille ne portait pas à l’origine sur le cimetière provisoire, les moyens alloués n’étaient pas adaptés (deux semaines pour deux archéologues appuyés par une pelle mécanique) et un chantier réalisé dans l’urgence ne favorisant pas la préparation en amont. Guy Flucher en profite par rappeler qu’il n’existe plus aujourd’hui d’exhumateurs, que les fondements légaux de la discipline datent de 1915 et que la triste réalité est que le travail actuellement est fait majoritairement par des jardiniers !

 

Intervention de Marc Dewilde, de l’institut archéologique flamand :

Les débuts de l’archéologie de la Grande Guerre en Flandre

En 2002 à l’instigation du ministre de la culture et dans le cadre d’un chantier programmé pour la construction d’une autoroute de contournement d’Ypres, il est commandé une évaluation des traces de la Grande Guerre dans ce secteur. Débute alors une archéologie historique, basée sur de la prospection, l’utilisation des documents mais aussi le recueil de l’Histoire orale des gens des pays. Neuf sites se révèlent à fouiller, révélant des tranchées allemandes peu profondes mais dotées de hauts parapets et parados, un système complexe de puisards, tuyaux, auges destinés à évacuer une eau omniprésente et confectionné à l’aide de beaucoup de recyclage. Peu de matériel est découvert mais les typologies laissent apparaître une volonté plus marquée de protection du soldat allemand à partir de 1915. L’adaptation est également anglaise avec le tapissage sanitaire des fonds de tranchées, notamment par l’adoption du « A frame ».

Mais cette discipline nouvelle se heurte aussi en Belgique aux difficultés liées à la législation, quant au traitement des matériels et des restes humains. En amont, sur la notion même d’archéologie : quand l’âge de l’objet lui confère un statut archéologique ? Doit-on donc attendre 200 ans et l’altération de sa conservation ? Quel est le véritable apport à la connaissance de la guerre ? Il semble évident à Marc Dewilde que le rôle de l’archéologie contemporaine soit de créer une mémoire tangible. Par exemple, l’étude archéologique s’avère déterminante pour le début de la guerre en l’absence de photo aérienne ou d’attestations dans les sources écrites. L’application du chantier étudié a permis de surcroît de répondre en partie à des questions purement militaires et à s’interroger sur l’absence d’exploitation de la brèche crée par l’attaque au gaz d’Ypres en 1915 par exemple.

Concernant le traitement des restes humains, l’apport de la méthodologie archéologique est indéniable même si elle se heurte encore à la réglementation belge actuelle qui ne laisse que 24 heures entre la découverte et l’emport par les autorités judiciaires. De même l’utilisation des détecteurs de métaux, même pour la dépollution pyrotechnique s’avère encore illégale pour la législation flamande et sont exclus du patrimoine archéologique les objets létaux.

Il apparaît nécessaire de procéder à la conservation patrimoniale du paysage de guerre qui représente en Flandre un corpus archéologique considérable. Il convient encore d’apprendre à discerner les zones intéressantes, aidé en cela par la photographie aérienne ou d’effectuer inventaire comparatif obligatoire. Par delà, ces traces de guerre mériteraient une inscription au patrimoine mondial.

 

Intervention de Birger Stichelbaut, de l’institut archéologique flamand :

Etude des photos aériennes de la Grande Guerre sur le front belge.

Véritable œil de l’armée, l’aviation belge de la Grande Guerre va réaliser près de 50 000 photos aériennes du territoire, conservées au musée royal d’armée belge. Traitées par l’application des techniques actuelles, une base de données est en cours de réalisation et ce ne sont pas moins de 6 000 clichés traités à ce jour. Ce corpus a permis de réaliser une cartographie densitométrique puis une localisation par système informatique géographique en comparaison au cadastre moderne par l’application de 8 a 15 points caractéristiques par logiciel géocodé de classement. Ces outils permettent une interprétation des traces. Elle est agrémentée d’une base comparative permettant de croiser stéréoscopie et photogramétrie (utilisée avec GPS 9 points sur terrain non modifié). Une modélisation numérique permet en outre le positionnement des tranchées, leur reconformation tridimensionnelle révélant une altitude de 1 mètre à 1 mètre 50 au-dessus du sol. Cette digitalisation des traces par typologie se donne pour objectif d’inventorier la Flandre occidentale d’Ostende à Ypres soit 600 km². A ce jour, 120 km² ont été traités et 60 000 traces relevées. Cet outil, qui révèle la densité du patrimoine à conserver, se met au service de la politique d’aménagement du territoire. Cette méthodologie permet également en amont l’affinement des fouilles mais aussi plus prosaïquement d’apprendre et de restituer les organisation en profondeur (cimetière, hôpitaux, hangars à zeppelins, etc.)
Là aussi, la discipline est un élément méthodologique influant sur la décision politique et un outil du choix de protéger ou de détruire.

Question de Nicolas Offenstadt à Birger Stichelbaut : Quel est l’apport de la photographie  aérienne par rapport aux canevas et plans directeurs topographiques ?
Réponse de ce dernier : D’une autre nature, la photographie aérienne permet une vue plus globale et historique que les cartes mais aussi plus précise. L’application des techniques scientifiques et graphiques actuelles est favorisée par ce corpus ; les cartes étaient parfois manquantes, surtout en début de guerre.

 

Intervention de Peter Barton, Royaume-Uni :

Perception du champ de bataille à travers les photographies panoramique

Pourquoi ces photos panoramiques ont-elles été réalisées ? Du côté anglais, dans le secteur d’Ypres, il apparaît que le soldat anglais se trouve topographiquement sous les positions allemandes. Photographier le front apparaît dangereux et peut, pour la technique panoramique, prendre jusqu’à 30 minutes. Les premières datent du 9 septembre 1914 (vallée de l’Aisne) mais tous les fronts sont concernés. Elles apparaissent dès lors comme des « vues par le soldat » à différentes époques. Au-delà, ces panoramas permettent de localiser des photos posées comme des fraternisations ou d’illustrer le témoignage du combattant et parfois le comprendre. Elles sont également utiles pour appréhender le travail colossal d’organisation du terrain mais aussi de mieux rendre compte de l’ampleur des pertes qui en deviennent plus impressionnantes encore.

 

Intervention de Nicolas Offenstadt, Université Paris I – CRID 14-18 :

Comment faire travailler ensemble historiens et archéologues ?

L’intégration de l’archéologie de la Grande Guerre dans l’Histoire est évidente (trench art, épigraphie, etc.) et ce lien est très contemporain. L’archéologue possède une connaissance précise des outils de mesure du patrimoine or celui-ci disparaît sans qu’on sache même en mesurer l’importance.

Les raisons en sont multiples. Ainsi, les travaux d’aménagement du territoire (principalement, à la suite de la crise économique, dans un monde en renouveau donc dans des espaces en cours de restructuration) peuvent ainsi être structurants (cas des terrils réemployés) comme déstructurants (passage de la N2 dans la région de Laffaux dans un des secteurs les plus denses des combats de la guerre sur le Chemin des Dames) et ce sans aucune concertation historienne voire mémorielle. Il est répondu en ce cas d’espèce aux « conservateurs » l’absence d’intérêt de ce patrimoine sacrifié mais qui l’a analysé ?
La remise en culture par les agriculteurs (il suffit pour s’en convaincre de comparer les cartes IGN des années 1980 au terrain d’aujourd’hui pour constater la disparition du petit patrimoine), l’usure du temps, les vols et les dégradations mais aussi plus subtilement les recompositions de la vie actuelle, effaçant le passé sont autant de facteurs érosifs.
Pourtant la Grande Guerre induit un fort enjeu mémoriel et il existe une indéniable « demande de 14-18 » par la population. Elle justifie l’implication complémentaire et incontournable des historiens amateurs. Leur rôle est très important en tant que collecteurs de la mémoire des lieux et sont les réceptacles de la mémoire orale. Ils ont une culture matérielle de 14-18.

Quelques expériences, révélées par « Materials of conflict » illustrent un indéniable rôle économique et lieu d’échange. Les apports sont multiples y compris de « bas en haut » y compris dans le milieu « ultra scientifique ».

L’enjeu est donc savant et induit de nécessaires rapprochements entre archéologie et histoire comme en témoignent les apports croisés de l’atelier d’artisanat de tranchée d’Arras, le char de Flesquières, la camaraderie des « Grimsby Chums » ou la découverte archéologique d’archives écrites – cas de la bouteille de Messein.

L’archéologie peut-elle donc être vue comme outil de lutte contre la dérive « culturalisante » ? Indéniablement elle aide à disséquer l’histoire des pratiques et donc lutte contre la déréalisation de la guerre. Elle érige le soldat comme producteur.
Comment dès lors peut-on accroître l’interpénétration entre les disciplines historiennes et archéologiques ? La réponse tiendrait peut-être dans la nécessaire réalisation d’une véritable épigraphie de la Grande Guerre. Si les médiévistes ont réalisé un corpus des écrits anciens, il reste à réaliser sur les inscriptions de la guerre. A ce titre, la thèse de Thierry Hardier, du CRID 14-18, sur les creutes du Chemin des Dames est très attendue comme le sont les relevés des souterrains d’Arras.

L’exemple de Sainte-Paule en Beaujolais, 373 âmes en 1914 peut être révélateur. Nicolas Offenstadt a procédé à un relevé d’un corpus des inscriptions dans le village : monument aux morts (lieux de combats, érection, souscription à la mairie, révélant consensus des habitants et de l’Etat, lieu de décès, parabole sur les disparus), cimetière (mémoire du fils, discours du deuil et de la souffrance, substitution au pèlerinage du deuil, lien au corps absent (trop loin ou manquant), corrélation avec l’Histoire sociale, autres inscriptions à comparer, identité sociale (mutilé de guerre, pupille de la nation, etc.). Cette étude rapide démontre le manque de corpus comparatif pour appréhender les réels apports de cette richesse documentaire.

Une petite commune, un monument aux morts, un cimetière et un croisement des sources permettent d’appréhender l’ampleur d’une analyse épigraphique, entrant plus profondément dans le tissu social. La variété du discours donne une idée de l’espace du déploiement du deuil, il n’y donc pas de sens à séparer l’étude archéologique de son prolongateur historique.

 

Intervention de Rémy Cazals, Université Toulouse II – le Mirail – CRID 14-18

Une démarche d’archéologue : l’historien et les écrits de combattants

1. Un écrit de combattant (carnet, correspondance) est d’abord un objet matériel, qu’il faut savoir découvrir, dans les armoires ou les greniers, qu’il faut parfois sauver in extremis. Cet objet peut se présenter sous divers aspects. Son accès est parfois indirect dans un premier temps, photocopie ou transcription familiale.
Comme dans l’archéologie moderne, la prise en compte du contexte est indispensable. Il faut connaître l’auteur : état civil, situation sociale, position militaire. Il faut connaître les conditions de la rédaction. On peut tirer grand profit de la méthode suivie par Jean Norton Cru dans Témoins à propos des textes publiés avant 1929.
Le contexte est parfois perturbé : création littéraire ou témoignage direct ? censure, autocensure ? renseignements parfois insuffisants sur l’auteur et les conditions de l’écriture.
2. Un objet situé dans son contexte sera plus qu’un autre capable d’apporter des infos pour l’histoire. Des apports immédiats : aspects de la vie quotidienne ; mais aussi présentation concrète de situations telles que le baptême du feu, la découverte de la guerre des tranchées, l’adaptation, l’apprentissage du commandement et de l’obéissance, la désobéissance ; et encore le moment de la capture, les lieux et les formes de sociabilité, les normes et valeurs, etc.
La richesse de l’apport est encore plus considérable si on effectue confrontations et croisements. Il faut aller au-delà de « l’objet pris isolément ». Si à Louis Barthas on ajoute des dizaines de témoignages d’origine populaire, « tout un paysage se dessine » (expressions empruntées à un livre d’archéologie). Ces confrontations font apparaître aussi les divers types de guerre, selon que l’on se trouve au front ou à l’arrière front, dans l’infanterie ou dans l’artillerie, etc.
S’appuyer sur les objets réels empêche de se lancer dans les théories aventureuses comme celle du « consentement patriotique exacerbé » : les écrits de combattants constituent en fait un recueil des multiples stratégies d’évitement. Ainsi Jean Leymonerie, armée d’Orient, mettant en avant sa qualité de membre de la Société archéologique du Périgord pour s’embusquer dans une équipe de fouilles en Macédoine.
3. Comme l’a rappelé Nicolas Offenstadt, il existe dans le public « une demande de 14-18 ». C’est dans un musée que les archéologues exposent les objets découverts ; quand l’objet est un manuscrit, la « publication » c’est l’édition sous forme de livre.
Dans un musée, on sélectionne les œuvres ; les autres sont mises dans les réserves. On ne peut pas tout exposer/éditer. Le public risque donc d’avoir une vision biaisée. Dans le passé, seules étaient éditées les œuvres d’intellectuels. Aujourd’hui, il n’en est plus de même, mais un livre doit trouver ses lecteurs. Un témoignage honnête sur 14-18, mais qui décrirait, sans talent, la vie loin des combats, n’aura guère de chances d’être publié. Pourtant, il apporte un éclairage et l’historien doit en tenir compte.
Conclusion : dans les deux cas, objets gallo-romains et manuscrits de 14-18, la démarche des archéologues et des historiens est la même. C’est une démarche scientifique. En même temps, ils participent à la sauvegarde d’un patrimoine qui pourra être admiré par les contemporains et interrogé par les questionnements nouveaux des générations futures.

Journée du 28 septembre

Dans la matinée, transfert à Arras avec arrêt à Flesquières (Nord) pour voir le char Mark IV Deborah et écouter Philippe Gorczynski, son inventeur, expliquer ses méthodes (d’une grande rigueur) et les conditions de l’exhumation du « bel objet ».
Au cours de l’après-midi, très chargée, une première séance a abordé l’élargissement du champ de la recherche à d’autres conflits : période napoléonienne, guerre civile espagnole, 2e Guerre mondiale. La deuxième séance a permis à des personnalités dirigeantes de l’archéologie de livrer leurs réflexions sur le métier et sur la spécificité de l’archéologie de la Grande Guerre.
La liste de ces communications est donnée en début de ce compte rendu.

Matinée du 29 septembre (Arras)

Une table ronde a réuni les archéologues de terrain autour du médiateur, Jean Bourgeois, lui-même archéologue, professeur à l’université de Gand, avec la participation de Rémy Cazals, historien. Celui-ci a souligné le grand intérêt du programme du colloque, la solidité de l’organisation et la convivialité. Historiens et archéologues ont en commun une démarche qui vise à renforcer la connaissance du passé et à sauvegarder un patrimoine. Les archéologues n’ont pas à attendre des historiens les réponses aux problèmes qui se posent pour l’étude du très contemporain. Les échanges lors du colloque ont montré que problèmes et réponses ont été bien examinés par les archéologues eux-mêmes, et il est demandé aux organisateurs du colloque de les réunir sous forme de synthèse en conclusion des Actes dont la publication est souhaitée par tous. Dans l’immédiat, il est proposé aux archéologues d’accueillir les résultats de leurs recherches sur le site du CRID 14-18.

Compte-rendu par Rémy Cazals (Crid 14-18 - Université Toulouse-Le Mirail) et Yann Prouillet (Crid 14-18 - société philomatique des Vosges)                                                                  

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