Pierre-Jan (1876 – 1916)

Par la plume et par l’épée

Nicolas Jan

1. Le témoin

Pierre-Jan est le nom d’auteur de Pierre Jan, né en 1876 à Dinan (Côtes d’Armor). Il se destine d’abord à la peinture, puis à l’écriture, mais vit surtout une vie de Bohème à Paris avant de vivre de sa plume comme journaliste. Mobilisé dans l’artillerie territoriale, il demande à passer dans une unité de front en janvier 1916. Affecté au 26e BCP, il est en secteur en Champagne, puis combat à Verdun et dans la Somme à Bouchavesnes. Il y est tué lors d’un assaut le 7 octobre 1916.

2. Le témoignage

Nicolas Jean, arrière-petit-fils de Pierre-Jan, a fait paraître aux éditions Anovi « Par la plume et par l’épée – Pierre-Jan, homme de lettres et caporal au 26e Bataillon de Chasseurs à Pied » (2008, 372 pages). L’ouvrage est surtout une biographie, alimentée par une longue enquête : présentation de la famille de Pierre-Jan, de ses fréquentations littéraires, du monde du journalisme, de sa guerre…. N. Jan s’appuie sur des articles, des essais, des lettres et un court journal de marche qu’a laissé Pierre-Jan, il donne souvent la parole à son aïeul. Nous avons donc ici enchevêtrés une biographie, un témoignage ainsi que le récit de N. Jean sur l’aventure qu’a représenté pour lui la réalisation de ce livre.

3. Analyse

Journalisme    Notre témoin fréquente avant-guerre des artistes et des poètes, des brasseries d’avant-garde, et s’il est lié à Ernest Lajeunesse, Paul Brulat ou Francis Carco, il n’arrive pas à produire d’œuvre significative.  Stabilisé dans le domaine du journalisme à Nice (« La Grande France, l’écho de l’Esterel, le Petit Niçois), il est en août 1914 rédacteur en chef du « Littoral ». Ces titres conservateurs sont parfois animés par d’anciens antidreyfusards et Pierre-Jan est politiquement conservateur, déjà très germanophobe avant 1914.

Territorial                  Son titre s’arrête en août et le journaliste est mobilisé au 57e RA à Vincennes : au « groupe territorial » de la 73e batterie, il se morfond à aménager des chemins de fer à voie étroite pour munitions (Camps retranché de Paris).

Romancier                 Son affectation lui laisse le loisir de la rédaction des « Contes du Poilu », qu’il destine d’abord à son fils Yves, né en 1910. La documentation est trouvée dans de nombreux articles de presse recopiés ou découpés, qui constituent la trame des contes. On peut par exemple citer un extrait du « Père noël et le petit sapin » (p. 158) : « bien entendu, il n’est pas dans mes intentions de visiter à la Noël les demeures de petits Boches, des petits Autrichiens et des petits Bulgares. J’entends les punir en bloc de la conduite horrible de ceux de leurs papas qui font la guerre en sauvages et en voleurs. » L’écriture de ces contes, « sans grand talent » (N. Jan), sera assez rapidement interrompue. Peut-on parler ici de culture de guerre ? Méfiant envers ce concept « fourre-tout » qui ne dit pas grand-chose, je soulignerais ici le fait que la germanophobie est celle d’avant-guerre, exploitée et développée certes, mais cette culture de guerre, c’est la culture d’avant-guerre, c’est la même…

Lettres, courrier        N. Jan présente toute une série de lettres de son aïeul, dont sa demande d’affectation au front, à 39 ans en janvier 1916, dans l’infanterie et de préférence les chasseurs à pied.         Une lettre d’amis niçois, à qui il annonce sa décision, montre que la femme de celui-ci n’est pas au courant de cette démarche (p. 170) « tu peux compter sur notre discrétion auprès de ta femme. » Si son ami le félicite, sa femme n’est pas de son avis : « Je trouve que lorsqu’on a une femme aussi charmante que la vôtre et que l’on est père de famille, on doit se sacrifier aux siens. Je ne vous en admire pas moins. »

Incorporé au 26e BCP, après un temps assez court d’entraînement, il se retrouve en ligne en Champagne en avril 1916 ; on a à cet occasion une lettre « d’ambiance », que Pierre-jan adresse à un ami, qui la fait publier dans le périodique « L’Espagne » (25 avril 1916, titre « Une lettre du front »). La tonalité ne se différencie guère de celle des quotidiens de l’époque, on peut lire par exemple : « Ces hommes n’attendent que le moment de foncer en avant, d’entreprendre la guerre en rase campagne dont ils rêvent. », ou quand il évoque un éclat d’obus « Un seul morceau de fonte, épais et mal taillé, le drôle ! a fait le geste de me gifler au passage » sans oublier « notre brave petit 75 ». Pierre-Jan n’est pas seul comme littérateur au 26e BCP de Vincennes, N. Jan y signale André Salmon, Henri Massis ou Louis Thomas (qui signe Capitaine Z.) ; il a eu la bonne idée d’aller voir ce que Norton Cru disait de la fiabilité des journalistes faisant l’expérience du front (ici pour A. Salmon) : « les élucubrations de ces journalistes en uniforme ne valaient guère mieux que celles des [journalistes] civils. (…) .

Carnets de guerre                 Pierre-Jan a commencé à tenir un carnet de route dès son départ de Vincennes, mais hélas il n’en reste que quelques extraits (tranchées de Champagne, et engagement à Verdun). Il décrit sa situation en secteur, une attaque boche vers Navarin, l’arrivée d’un prisonnier (p. 206) « Une tête massive, taillée à coup de serpe, un menton qui avance en galoche. (…). On le croirait surgi d’une de ces pages du Simplicissimus où les caricaturistes boches ont toujours si bien réussi à faire des portraits ressemblants et vrais des soldats du Kaiser. Que peut-il se passer dans l’âme de ce grand diable au faciès bestial ? (…) » Ici aussi son style de diariste reste marqué par son écriture journalistique. Les notes de Verdun (fin juin – début juillet 1916) montrent d’après N. Jan un progrès vers la vérité (p. 224) «C’est quand il ne songe plus à faire du journalisme que son récit se fait bien plus réaliste ! » À la lecture, c’est aussi mon avis, avec une bonne description de la recherche d’une mitrailleuse disparue à Tavannes ou d’un secteur sous le feu vers Vaux-Chapitre le lendemain 25 juin 1916. C’est le 7 octobre 1916, dans le secteur de Bouchavesnes (ferme du Bois Labé), que Pierre-Jan est tué d’une balle dans la tête ; avec son camarade Jean Lafaurie, tué en même temps, ils suivaient la première vague d’assaut, et tentaient de mettre en batterie leur mitrailleuse.

L’enquête                   L’auteur Nicolas Jan donne à la fin du livre toute une série d’informations sur sa recherche ; il évoque les impasses de l’enquête, les rencontres fructueuses (François Caradec le conseille sur le monde littéraire), il visite beaucoup d’archives, fait le pèlerinage du Père Lachaise, puis de Bouchavesnes. Il raconte aussi un événement dramatique survenu dans le petit Musée des Chasseurs, qui se trouve au Fort de Vincennes, juste à côté des archives militaires : il y rencontre le colonel Puel de Lobel, conservateur, pour discuter de Pierre-Jan et d’une publication dans la revue le « Cor de Chasse », mais son interlocuteur, âgé et visiblement malade, se lève, s’effondre et décède sur place (p. 340). Certes ce conservateur est« mort dans son musée » mais après ce drame, notre enquêteur « rentre penaud, le moral au plus bas, mes documents sous le bras, dans un RER glauque… » C’est une singulière anecdote où passé et présent, vieillesse et jeunesse, témoignage oral et interruption brutale de la transmission se télescopent… Notre enquêteur en vient à poser la question : « Le récit de la vie de Pierre-Jan, personnage secondaire de ce Paris artistique et littéraire de la Belle-Époque, méritait-il qu’on y consacre autre chose que quelques lignes dans des revues spécialisées ? Peut-être l’implication familiale était-elle trop forte. » Par sa démarche, il en vient ainsi à séparer expérimentalement, lui le non-spécialiste, l’Histoire de la Mémoire. Il insiste aussi sur l’amélioration de la qualité du témoignage tardif de Pierre-jan, confronté à la réalité des combats, « ces instantanés pris dans le feu de l’action, quand il ne pense pas à faire du journalisme et laisse de côté le bourrage de crâne, sont plus révélateurs de ce qu’il a vécu que sa prose réfléchie et travaillée d’avant l’action ! »

C’est donc cette double aventure qui fait l’originalité de cet ouvrage, avec le monde vu par un journaliste patriote et cocardier, qui veut aller au bout de ses valeurs et qui finit par en mourir, alors qu’il pouvait l’éviter, et la longue enquête de son descendant, mêlant sentiments subjectifs et mémoriels à une démarche d’abord très déterministe, puis, la réalité se dessinant, de plus en plus objective et historique. La femme de Pierre-Jan s’est remariée en 1922, et son fils Yves, le grand-père de Nicolas, est toujours resté secret sur son père, qui les avait quittés pour faire son devoir ; c’est aussi un livre sur l’impossibilité de renouer avec les disparus, sur le temps qui s’enfuit, sur la mélancolie…

Vincent Suard, février 2025

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Bauty, Edouard (1874-1968)

En Alsace reconquise. Impressions du front 1915, Édouard Bauty, Paris, Berger-Levrault, 1915, 63 p.

Résumé de l’ouvrage :
Journaliste, rédacteur en chef de La Tribune de Genève, Édouard Bauty participe à une visite sur le front des Vosges en août et septembre 1915. Son périple l’amène d’abord dans le secteur du Ban-de-Sapt, rencontrant les prisonniers allemands capturés après la reprise de La Fontenelle le mois précédent, puis en Alsace, dans les secteurs de Thann et du Hartmannswillerkopf. Ses tableaux descriptifs de ces secteurs de la guerre de montagne et des hommes qui la font ont été publiés dans son journal sous le titre Sur le front d’Alsace et en parallèle dans un opuscule enrichi de dix documents photographiques avec cette préface : « On y trouvera des impressions rendues avant tout avec le souci de la sincérité, une sincérité scrupuleuse devant être la première des préoccupations de quiconque écrit. Elles peuvent avoir, à ce titre, une certaine valeur documentaire. Elles montrent, notamment, que la guerre n’est pas toujours ce que l’on croit. Ainsi, toute la première partie de ce récit d’un voyage au front est remplie de tableaux de paix et il faut arriver à la seconde, qui conduit sur la ligne la plus avancée de combat, pour se voir mêlé à une existence mouvementée et dramatique. Ce contraste est une des caractéristiques de la guerre actuelle. Il convenait peut-être de s’efforcer de le fixer avec exactitude ».


Éléments biographiques
:

Édouard Bauty est né le 13 avril 1874 à Lausanne (Suisse). L’Observateur suisse, dans une courte nécrologie datée du 11 octobre 1968, précise qu’il a fait des études de théologique avant de devenir journaliste. Il est correspondant suisse à Paris ainsi que, pendant 75 ans, au Journal des Débats (1789-1944). Il est aussi dessinateur, caricaturiste, illustrateur et peintre (cf. la couverture de son ouvrage En Alsace reconquise). Il devient rédacteur en chef de La Tribune de Genève, journal fondé en 1879 et dont le premier numéro paraît le 1er février, ce de 1911 à 1918, remplaçant Alfred Bouvier. Il est lui-même remplacé par Edgard Junod, jugé plus francophile encore. Son article dans En Alsace reconquise ne démontrait par immédiatement pourtant une germanophilie exacerbée immédiatement décelable et ses liens avec Edmond de Pourtalès, notamment pour, en 1917, régler le cas d’Edmond Privat, correspondant autrichien de La Tribune jugé par trop austrophile, milite pour la réelle identification de ce journal en ce sens, dans une terre si centralement tiraillée entre les deux grands blocs en opposition. Édouard Bauty meurt le 4 septembre 1968 à Genève.

Commentaires sur l’ouvrage :
Par son avant-propos révélant que cet opuscule a d’abord été publié par la Tribune de Genève, ces « impressions de guerre », qui ont l’apparence d’un témoignage, sont plutôt des tableaux journalistiques, mâtinés de propagande militaire francophile, délimitant ainsi par trop leur intérêt testimonial. Celui-ci existe toutefois comme un rapport verbalisé d’un de ces « voyages d’études » comme la guerre en a provoqué des centaines pour tout autant de journalistes, d’observateurs militaires, politiques ou de personnalités qui ont multiplié ces visites au front afin de sentir le « souffle de la guerre ». Lors d’une approche en première ligne à HWK, ne dit-il pas : « Nous nous contentons du reste, fort bien de leurs balles qui ne nous causent aucun mal et qui font à nos oreilles une musique presque agréable » ! (p. 48). Sa vision du camp des centaines de prisonniers de la contre-attaque de juillet 1915 à La Fontenelle est toutefois intéressante (page 19) mais elle n’est pas exempte de tableaux d’une guerre d’un civil qui vient au front comme il va au zoo, se nourrit de la vision que l’on veut bien lui servir, et dont la véracité est bien entendu sujette à caution. Ainsi, sur le HWK, il entend, à l’été 1915, lors que ce champ de bataille connaîtra la guerre de décembre 1914 à janvier 1916, cette annonce surréaliste de l’officier qu’il fait visiter a la délégation : « vous remarquerez, Messieurs (…) que l’on ne sent plus aucune odeur à l’Hartmannswillerkopf. Mais tout ce sol sur lequel vous êtes est rempli de cadavres. Nous en avons enterré là plus de sept cents. Nous les avons recouverts d’une quantité énorme de désinfectant. Et sur la terre qui les cache, nous avons semé de l’avoine et du blé, pour activer le retour à la poussière de tous ces corps » (p. 49). Sa visite au lieu relate finalement un cantonnement idéal, assaini, hygiénisé (voir la description des douches p. 51) mais ou toutefois un poilu peut manque de … soulier. Suit alors l’anecdote d’une chaussure boche tombée miraculeusement du ciel après un bombardement, et bien utile à un poilu qui manquait précisément de souliers ! (p. 53). Enfin l’ouvrage s‘achève sur une vue de deux généraux, dont un non dénommé. Mais le tableau d’un général de Maud’huy proposant à un soldat sa voiture pour aller embrasser sa famille proche qu’il n’a pas vu depuis longtemps (p. 56) achève de teinter l’ouvrage à la fois de la qualité de son auteur et de son époque de publication. L’ouvrage s’achève dans le Sundgau et la plaine reconquise, dans le voisinage d’Altkirch et de Dannemarie.

Renseignements tirés de l’ouvrage :

Toponymes ou secteurs indiqués dans l’ouvrage – période août et septembre 1914 :
Saint-Dié – Ormont – vue sur le Ban-de-Sapt (p. 12 à 21), Le Hohneck (21) – Mittlach (24-28) – Kruth (28-30) – Saint-Amarin (31-33) – Thann (34-36) – Hartmannswillerkopf (37-55) – Altkirch – Dannemarie (58 à 63).

Yann Prouillet, novembre 2024

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Bainville, Jacques (1879-1936)

Journal- 1901-1918, Paris, Plon, 1948, 221 p.

Résumé de l’ouvrage :
Du 30 août 1901 au 27 décembre 1918, Jacques Bainville, journaliste, historien et académicien français fait œuvre, dans un pseudo journal, d’éditorialiste en multipliant les tableaux et réflexions politiques, journalistiques et militaires des 18 premières années de ce XXe siècle européen. Peu de sujets ne sont pas évoqués dans une analyse plus ou moins profonde, puisée dans l’histoire ou la diplomatie, des faits qui influencent la marche du monde et des peuples, républicains comme monarchiques voire dictatoriaux. Maurrassien, nationaliste et royaliste d’extrême droite, il analyse ce monde en distillant ses propres convictions, notamment fustigeant l’unité allemande rendue possible par les défaites françaises successives depuis Napoléon et notamment la dernière guerre franco-prussienne. Dans ses centaines d’éditoriaux, il évoque tour à tour l’Histoire (dont ancienne), la politique, intérieure comme extérieure des états, la diplomatie, la prospective politique, le pangermanisme, les états européens, les questions militaires, la politique économique allemande, son Kulturkampf, et relativement paradoxalement peu l’histoire des combats de la Grande Guerre pendant les cinq années de ses analyses qui correspondent à la période juin 1914, novembre 1918.

Commentaires sur l’ouvrage :
Jacques Bainville est né le 9 février 1879 à Vincennes (Val-de-Marne) dans une famille attachée aux valeurs républicaines. De son mariage, en 1912, avec Jeanne Niobey naîtra un fils, Hervé, en 1921. Montrant très précocement une propension à l’écriture, il débute une œuvre littéraire prolifique dès l’âge de 20 ans et se fait connaître comme journaliste, introduit par Charles Maurras, et historien. Ayant profondément analysé l’Allemagne et la menace qu’elle représente par son unification, surtout depuis la défaite de 1871, qu’il impute à la France, il dénonce l’unité de ce pays, grande menace pour l’Europe. Il fustige le pacifisme républicain et parvient à être élu à l’Académie Française, succédant à Raymond Poincaré. Il adhère à l’avènement des fascismes et ne cache pas son attirance pour la dictature. Il rejoint, à l’instar de Léon Daudet ou Paul Bourget, l’Action Française et s’en fait le zélateur. Il meurt à Paris le 9 février 1936. Son journal est précédé d’une note de l’éditeur qui rappelle qu’il fait partie intégrante de « Collection Bainvillienne » de cet auteur prolixe ; plus de 37 titres, des articles et 17 parutions posthumes. C’est le cas du présent ouvrage et, de fait, il ne s’agit pas strictement d’un journal de guerre mais d’un recueil d’éditoriaux ou de réflexions datées. On en compte ainsi 16 pour la période de guerre de 1914, la première date prise en compté étant le 28 juin, 31 pour 1915, 28 pour 1916, 27 pour 1917 et 51 pour 1918. Mais il n’est pas un analyste stratégique ou tactique ; il faut ainsi attendre le 25 juillet pour que Bainville fasse directement allusion à la guerre qui vient. Au final, sur la totalité de la période, peu d‘articles concernent les opérations militaires. Dès lors Jacques Bainville est un moins un témoin décrivant « à chaud » les jours de guerre et leurs mutations et leur influence prévisible tout au long d’un conflit évolutif et à l’issue incertaine, qu’un éditorialiste politique. Aussi peu d’informations sont à dégager de cette suite d’articles sauf à étudier les déclencheurs des pensées politiques de leur auteur. Quelques réflexions opportunes toutefois.

Renseignements tirés de l’ouvrage :
37 : Sur la simplification de l’orthographe
44 : « Un paysage n’est rien tant qu’il n’est pas animé par le souvenir des hommes »
58 : Le 11 novembre 1907, Bainville allègue « qu’un chemin de fer stratégique sur la frontière des Vosges fut construit avec précipitation par les Allemands qui annonçaient même, bien haut, que la ligne serait finie pour octobre (le mois des élections). Et le préfet des Vosges écrivait à son ministre que cette construction ne servait qu’à une chose : appuyer la candidature de Jules Ferry en effrayant les populations rurales ».
156 : 26 novembre 1914 : « Sur les origines mêmes et les responsabilités de la guerre, la contradiction est totale, absolue. Le désaccord est formel. Il est dès aujourd’hui visible qu’il se prolongera à travers les siècles, qu’il remplira l’Histoire aussi longtemps qu’une France et une Allemagne existeront ».
157 : Sur la clairvoyante « Action française »
190 : Résumé de la position américaine en février 1917
195 : Tentation de Bainville pour la dictature
: Sur l’Allemagne qui a 4 fois déclaré la guerre à l’Europe (1864, 1866, 1870 et 1914)
203 : 25 janvier 1918, sur le risque de l’oubli : « Car nous devons le prévoir et le craindre, nous ne devons pas nous laisser donner le change : qu’une grande Allemagne libre de ses mouvements se retrouve en face de la France et ces luttes renaîtront dès que les souffrances et les horreurs de la guerre seront oubliées, dès que, sur les souvenirs, sur la lassitude, d’autre sentiments, d’autres intérêts, d’autres besoins prévaudront ».
Yann Prouillet, août 2024

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Galopin, Arnould (1863-1934)

Le témoin

Arnould Galopin est né à Marbœuf (Eure) le 9 février 1863, d’un père instituteur qui exerçait également la fonction de secrétaire de mairie. Après des études au lycée Corneille de Rouen puis à Paris, son service militaire effectué, il devient maître répétiteur avant de s’orienter vers le journalisme, métier qu’il exercera pendant une dizaine d’années, notamment pendant la période de la Grande Guerre, pour différents médias comme La Nation ou Le Soir. Il publie son premier ouvrage, Les Enracinées, en 1903, ainsi qu’un roman de cape et d’épée, puis se lance ensuite dans l’écriture de romans feuilletonnisés tels L’espionne du cardinal ou La petite Loute. Il prend la relève d’Henry de la Vaulx pour la rédaction des fascicules de Cent mille lieues dans les airs puis, obtenant un succès avec le Docteur Oméga, récit d’un voyageur sur la planète mars, en 1906, dans la revue Mon beau livre. Ayant de surcroît cosigné des ouvrages avec Emile Driant, alias le Capitaine Danrit, il est qualifié du titre de « Jules Verne moderne ». Il continue d’écrire dans des domaines divers, touchant à nombreux styles littéraires (jeunesse (il publie 2 500 fascicules d’aventures pour les enfants), sentimental, policiers, historique voire science-fiction) pour Fayard et Tallandier, participant à la réédition de mémoires historiques, puis se met au service d’Albin Michel tout en publiant également des feuilletons pour Le Journal ou Le Petit Journal. Pasticheur de talent, dans un style simple et élégant, on lui doit les personnages de Ténébras, rival de Fantômas, et d’Allan Dickson, coéquipier remplaçant Watson auprès d’un Sherlock Holmes vieillissant. En 1922, il récidive en publiant les mémoires d’Edgar Pipes, pastiche d’Arsène Lupin. Pendant la guerre, il se mue en correspondant de guerre et publie, outre Sur la ligne de feu, son pendant maritime Sur le front de mer, lequel sera couronné par l’Académie française. Il va d’ailleurs y ajouter plusieurs romans sur le thème de 14-18, tel Les gars de la flotte, tous chez Albin Michel, dont deux seront repris en films : Les Poilus de la 9ème (qu’il rencontre fortuitement dans une tente anglaise lors d’une visite d’un camp en décembre 1915 !) et La Mascotte des Poilus. Auteur finalement d’une centaine d’ouvrages, Arnould Galopin décède brutalement à Paris le 9 décembre 1934. Sa biographie complète sur | Arnould GALOPIN (franceserv.com)

Résumé de l’ouvrage

Alors qu’il est correspondant de presse pour le quotidien Le Journal (page 56), il brosse dans Sur la ligne de feu 17 tableaux répartis du 10 septembre 1914 au 15 avril 1916, portraitisant ainsi « nos soldats », « nos alliés » qu’il complète par des anecdotes « sur la mer ». Il rend tout au long de l’ouvrage un long hommage aux alliés anglés, écossais et surtout indiens, sikhs et gourkhas, redoutables guerriers, ce sur le front, à l’arrière comme sur mer.

Analyse
Bien que publié en 1917, l’ouvrage, issu d’un journaliste, Sur la ligne de feu. Carnet de campagne d’un correspondant de Guerre (E. de Boccard, Paris, 1917, 208 pages) est sans étonnement un modèle de « bourrage de crâne » issu d’un « reporter » qui, si il est vraisemblablement allé au front, en fantasme la réalité de la guerre, magnifiant ses acteurs, caricaturant l’ennemi et héroïsant les alliés, de toutes origines de l’Empire colonial anglais, en diables implacables, victorieux et invincibles. Quelques rares informations sont dégageables avec toutes les réserves inhérentes à ce style testimoniale particulier, par trop impacté par une vision journalistique tronquée de la réalité de la guerre. En contrepoint, le livre vaut en tous cas pour le long défilé des archétypes de la littérature de bourrage de crâne, en multipliant les tableaux outranciers destinés à des civils crédules et avides d’aventures victorieuses et inoffensives. Etonnamment, alors qu’il s’évertue à cacher l’ensemble des patronymes, il en rétablit un toutefois (dans une note page 87) en indiquant que l’objet de sa page de bravoure est le lieutenant Langlamet, professeur de mathématique au lycée de Cherbourg.
L’ouvrage est agrémenté de 20 illustrations de lieux, matériels ou de soldats de toutes origines alliées.


Renseignements tirés de l’ouvrage :

Liste des « tableaux » rapportés par l’auteur et dates :
Nos soldats
Quelques heures vécues au milieu de la bataille (10 septembre 1914)
Une charge décisive (18 septembre 1914)
Parmi les ruines (20 septembre 1914)
Horrible aspect d’un champ de bataille (22 septembre 1914)
Sous les obus (5 octobre 1914)
Procédés de Barbares (10 octobre 1914)

Trois braves (16 octobre 1914)
La leçon de français (30 octobre 1914)
Nos alliés
Dans le camp des indiens (6 novembre 1914)
Le départ pour le front (7 novembre 1914)
L’enthousiasme belliqueux des terribles Gourkhas (10 novembre 1914)
Les Ecossais marchent en jouant la Marseillaise (16 novembre 1914)
Les Gourkhas à l’assaut des tranchées (18 novembre 1914)
Les Castors (25 novembre 1914)
Un camp anglais (30 décembre 1914)
Le triomphe de « Jack ». Comment un ballon de football amena la destruction d’un bataillon de la Garde prussienne (août 1916)
Sur la mer
Devant Zeebruge (13 décembre 1914)
Le pirate capturé (15 avril 1916)

Eléments utiles au fil de la lecture :

Page 12 : Obus Robin, dits craquelins, obus à balle type 1897
17 : Illustration du train blindé « Vendetta »
36 : Voit des cadavres flottants qui « même après la mort, s’étreignent » !
46 : Balles allemandes tirées de trop loin, n’ayant pas assez de force pour pénétrer profondément
51 : Espions allemands déguisés en femmes
61 : Obus peu dangereux, éclatant sans dommage trop haut
63 : Artilleurs allemands tirant sur les villages pour s’éclairer
97 : Espionnite
84 : Cavaliers piétinant les morts, barbarie
88 : Thann, l’école, l’instituteur
99 : Vue d’indiens Sikhs (fin 156) et de Gourkhas (surnommés les castors (p.150))
127 : Bhangs, hachich indien
135 : Ecossais
142 : Sur le combattant anglais par rapport aux français
144 : Honneur du combat à l’arme blanche des Sikhs
156 : « Capstan », tabac anglais
157 : Vue de camp anglais
167 : Chien
170 : Voit des funiculaires

176 : Footballeurs du 8e Est Surrey qui attaquent avec un ballon de foot
177 : Mads, camarades en anglais

Yann Prouillet – juillet 2023

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