Galopin, Arnould (1863-1934)

Le témoin

Arnould Galopin est né à Marbœuf (Eure) le 9 février 1863, d’un père instituteur qui exerçait également la fonction de secrétaire de mairie. Après des études au lycée Corneille de Rouen puis à Paris, son service militaire effectué, il devient maître répétiteur avant de s’orienter vers le journalisme, métier qu’il exercera pendant une dizaine d’années, notamment pendant la période de la Grande Guerre, pour différents médias comme La Nation ou Le Soir. Il publie son premier ouvrage, Les Enracinées, en 1903, ainsi qu’un roman de cape et d’épée, puis se lance ensuite dans l’écriture de romans feuilletonnisés tels L’espionne du cardinal ou La petite Loute. Il prend la relève d’Henry de la Vaulx pour la rédaction des fascicules de Cent mille lieues dans les airs puis, obtenant un succès avec le Docteur Oméga, récit d’un voyageur sur la planète mars, en 1906, dans la revue Mon beau livre. Ayant de surcroît cosigné des ouvrages avec Emile Driant, alias le Capitaine Danrit, il est qualifié du titre de « Jules Verne moderne ». Il continue d’écrire dans des domaines divers, touchant à nombreux styles littéraires (jeunesse (il publie 2 500 fascicules d’aventures pour les enfants), sentimental, policiers, historique voire science-fiction) pour Fayard et Tallandier, participant à la réédition de mémoires historiques, puis se met au service d’Albin Michel tout en publiant également des feuilletons pour Le Journal ou Le Petit Journal. Pasticheur de talent, dans un style simple et élégant, on lui doit les personnages de Ténébras, rival de Fantômas, et d’Allan Dickson, coéquipier remplaçant Watson auprès d’un Sherlock Holmes vieillissant. En 1922, il récidive en publiant les mémoires d’Edgar Pipes, pastiche d’Arsène Lupin. Pendant la guerre, il se mue en correspondant de guerre et publie, outre Sur la ligne de feu, son pendant maritime Sur le front de mer, lequel sera couronné par l’Académie française. Il va d’ailleurs y ajouter plusieurs romans sur le thème de 14-18, tel Les gars de la flotte, tous chez Albin Michel, dont deux seront repris en films : Les Poilus de la 9ème (qu’il rencontre fortuitement dans une tente anglaise lors d’une visite d’un camp en décembre 1915 !) et La Mascotte des Poilus. Auteur finalement d’une centaine d’ouvrages, Arnould Galopin décède brutalement à Paris le 9 décembre 1934. Sa biographie complète sur | Arnould GALOPIN (franceserv.com)

Résumé de l’ouvrage

Alors qu’il est correspondant de presse pour le quotidien Le Journal (page 56), il brosse dans Sur la ligne de feu 17 tableaux répartis du 10 septembre 1914 au 15 avril 1916, portraitisant ainsi « nos soldats », « nos alliés » qu’il complète par des anecdotes « sur la mer ». Il rend tout au long de l’ouvrage un long hommage aux alliés anglés, écossais et surtout indiens, sikhs et gourkhas, redoutables guerriers, ce sur le front, à l’arrière comme sur mer.

Analyse
Bien que publié en 1917, l’ouvrage, issu d’un journaliste, Sur la ligne de feu. Carnet de campagne d’un correspondant de Guerre (E. de Boccard, Paris, 1917, 208 pages) est sans étonnement un modèle de « bourrage de crâne » issu d’un « reporter » qui, si il est vraisemblablement allé au front, en fantasme la réalité de la guerre, magnifiant ses acteurs, caricaturant l’ennemi et héroïsant les alliés, de toutes origines de l’Empire colonial anglais, en diables implacables, victorieux et invincibles. Quelques rares informations sont dégageables avec toutes les réserves inhérentes à ce style testimoniale particulier, par trop impacté par une vision journalistique tronquée de la réalité de la guerre. En contrepoint, le livre vaut en tous cas pour le long défilé des archétypes de la littérature de bourrage de crâne, en multipliant les tableaux outranciers destinés à des civils crédules et avides d’aventures victorieuses et inoffensives. Etonnamment, alors qu’il s’évertue à cacher l’ensemble des patronymes, il en rétablit un toutefois (dans une note page 87) en indiquant que l’objet de sa page de bravoure est le lieutenant Langlamet, professeur de mathématique au lycée de Cherbourg.
L’ouvrage est agrémenté de 20 illustrations de lieux, matériels ou de soldats de toutes origines alliées.


Renseignements tirés de l’ouvrage :

Liste des « tableaux » rapportés par l’auteur et dates :
Nos soldats
Quelques heures vécues au milieu de la bataille (10 septembre 1914)
Une charge décisive (18 septembre 1914)
Parmi les ruines (20 septembre 1914)
Horrible aspect d’un champ de bataille (22 septembre 1914)
Sous les obus (5 octobre 1914)
Procédés de Barbares (10 octobre 1914)

Trois braves (16 octobre 1914)
La leçon de français (30 octobre 1914)
Nos alliés
Dans le camp des indiens (6 novembre 1914)
Le départ pour le front (7 novembre 1914)
L’enthousiasme belliqueux des terribles Gourkhas (10 novembre 1914)
Les Ecossais marchent en jouant la Marseillaise (16 novembre 1914)
Les Gourkhas à l’assaut des tranchées (18 novembre 1914)
Les Castors (25 novembre 1914)
Un camp anglais (30 décembre 1914)
Le triomphe de « Jack ». Comment un ballon de football amena la destruction d’un bataillon de la Garde prussienne (août 1916)
Sur la mer
Devant Zeebruge (13 décembre 1914)
Le pirate capturé (15 avril 1916)

Eléments utiles au fil de la lecture :

Page 12 : Obus Robin, dits craquelins, obus à balle type 1897
17 : Illustration du train blindé « Vendetta »
36 : Voit des cadavres flottants qui « même après la mort, s’étreignent » !
46 : Balles allemandes tirées de trop loin, n’ayant pas assez de force pour pénétrer profondément
51 : Espions allemands déguisés en femmes
61 : Obus peu dangereux, éclatant sans dommage trop haut
63 : Artilleurs allemands tirant sur les villages pour s’éclairer
97 : Espionnite
84 : Cavaliers piétinant les morts, barbarie
88 : Thann, l’école, l’instituteur
99 : Vue d’indiens Sikhs (fin 156) et de Gourkhas (surnommés les castors (p.150))
127 : Bhangs, hachich indien
135 : Ecossais
142 : Sur le combattant anglais par rapport aux français
144 : Honneur du combat à l’arme blanche des Sikhs
156 : « Capstan », tabac anglais
157 : Vue de camp anglais
167 : Chien
170 : Voit des funiculaires

176 : Footballeurs du 8e Est Surrey qui attaquent avec un ballon de foot
177 : Mads, camarades en anglais

Yann Prouillet – juillet 2023

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Gómez Carrillo, Enrique (1873-1927)

1. Le témoin

Enrique Gómez Carrillo est né à Guatemala le 27 février 1873. Critique littéraire, chroniqueur, journaliste diplomatique, il est le fils de l’historien Agustín Gómez Carrillo, recteur de l’université de San Carlos et de Joséphine Tible Machado, d’origine belge, de laquelle il tient sa connaissance de la langue française. Il travaille en 1890 au Courrier du Soir du Guatemala et rejoint Paris où il est nommé consul de ce pays (1898) et d’Argentine (1899). C’est au double titre de diplomate et de correspondant de guerre qu’il parvient à effectuer plusieurs visites à l’arrière du front de France en 1914-1915, desquelles il va tirer un ouvrage testimonial paru en 1915. Il effectuera d’autres voyages, suivis d’ouvrages tout au long du conflit. Après une grande carrière littéraire, il décède à Paris le 29 novembre 1927 où il est enterré au cimetière du Père Lachaise.

2. Le témoignage

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Enrique Gómez Carrillo, Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Paris, Berger-Levrault, 1915, 381 p., non illustré.

Le texte est traduit de l’espagnol par J.-N. Champeaux, journaliste à L’Information qui nous renseigne dès l’envoi sur le ton de l’ouvrage, suite de « pages justicières » issues de voyages au front du 15 novembre 1914 au 10 mars 1915.

3. Analyse

Gómez Carrillo, diplomate et correspondant de guerre espagnol, parcourt le front et ses arrières du 15 novembre 1914 au mois de mars 1915. Il consigne et décrit ses visions et ses impressions du conflit bien qu’il ne le côtoie que postérieurement ou ne s’en approche que de manière très relative. Dès lors, de la banlieue parisienne à Pont-à-Mousson, nous suivons ce très francophile témoin dans son parcours qui nous amène sur les ruines de la Marne, la forêt d’Argonne, Verdun, le Grand Couronné et les abords de Metz. Pendant son périple, Gomez Carrillo retrace en forme de journal d’impressions datées les évènements, petits ou grands et reporte les légendes et les anecdotes de l’invasion. Il fait également de nombreuses références et rétrospectives historiques sur les sites traversés, fustigeant l’Allemand et magnifiant l’esprit français et ses valeurs. Quelques réflexions opportunes de cet éminent lettré imagent ce récit à la fois personnel et emprunté à l’Histoire.

Nous sommes donc avec cet ouvrage aux limites de la littérature testimoniale, bien qu’il s’ouvre sur cette phrase : « 15 novembre 1914. Nos visions de guerre commencent aux portes de Paris… », ce « témoin civil » est à la marge de ce genre littéraire. Les envolées lyriques, les nombreuses rétrospectives historiques ou les aspects touristiques des sites que l’auteur dit traverser ne font toutefois pas oublier – et rehaussent plutôt – la pauvreté documentaire de ce périple et de l’ouvrage. Fort bien écrit et très érudit, ce livre n’est en fait qu’une image très démonstrative des intoxications patriotiques du moment de sa rédaction. En effet, outre des erreurs géographiques grossières (Gómez-Carrillo semble placer la commune vosgienne de Raon-l’Étape entre Commercy et Sermaize-les-Bains, sur la route de l’Argonne, page 138), l’auteur se fait surtout le rapporteur des clichés populaires et ineptes de la propagande du début du conflit. Prisonniers ennemis qui se rendent pour de la nourriture, fraternisations multiformes (pages 94, 124, 207) et accords tacites répétés entre les belligérants, espionnite exacerbée (pages 103), prisonniers volontaires en nombre (pages 94, 184, 205) exactions allemandes sans nom, etc., se multiplient à chaque chapitre et révèlent qu’en fait de correspondance ou de témoignage de guerre, Gomez Carrillo n’a vu du front et des sites de l’invasion que ce que l’autorité militaire a bien voulu lui laisser voir et que ce que la propagande a bien voulu lui laisser dire. Un livre finalement bien pauvre d’enseignements mais riche d’un bourrage de crâne qui représente en soi un modèle du genre et une des meilleures illustrations de ce type de littérature de guerre. On note toutefois une réflexion sur le Miracle de la Marne : « Pour la première fois dans l’histoire, la France avait appris dans le cours d’un désastre à organiser le triomphe » (page 354).

4. Autres informations

Rapprochement bibliographique

Cet ouvrage est à comparer à celui de Courtin-Schmidt, De Nancy aux Vosges. Reportages de guerre, Nancy, Dupuis, 1918, 265 pages.

Bibliographie de l’auteur

Gomez Carrillo Enrique Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Nancy, Berger-Levrault, 1915, 381 pages.

Gomez Carrillo Enrique Au cœur de la tragédie. Sur le front anglais. Nancy, Berger-Levrault, 1917.

Gomez Carrillo Enrique Le sourire sous la mitraille. De la Picardie aux Vosges. Nancy, Berger-Levrault, 1916, 348 pages.

Gomez Carrillo Enrique Le mystère de la vie et de la mort de Mata Hari. Paris, Charpentier-Fasquelle, 1925, 227 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

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