Fau, Pierre (1878-1949)

Né à Castres le 26 juin 1878 dans une famille de la bourgeoisie protestante de l’industrie textile. Séjour en Allemagne (Leipzig, Berlin) de 1899 à 1901. Marié en 1907 à Mazamet dans le même milieu ; travaille alors dans l’entreprise de son beau-père. Pas d’enfants. Sa mauvaise vue le fait classer dans le service auxiliaire, mais il est repris dans le service armé le 12 novembre 1914. Après un séjour au dépôt du 143e RI à Carcassonne, il est envoyé en avril 1915 au 346e RI qui a eu de lourdes pertes.
Il a rédigé son témoignage le 1er mai 1922 afin de fixer ses souvenirs. Il ajoute qu’il s’est efforcé « de passer sous silence les heures trop pénibles de cette partie » de sa vie : « Pour celles-là je n’ai pas besoin d’aide-mémoire, je ne les oublierai pas. » Mais le lecteur de son témoignage ne les connaitra pas. Le texte n’était destiné qu’à lui-même. Ses héritiers l’ont conservé et l’ont confié pour édition à la Société culturelle de sa ville natale : Pierre Fau, Pour me souvenir, Mémoire de guerre 1914-1918 d’un bourgeois castrais, Cahiers de la Société culturelle du pays castrais, 2014, format A4, 48 p. Le fascicule contient un tableau généalogique, une liste des secteurs évoqués, avec les croquis correspondants, et des photos de l’album de Pierre Fau. Parmi les secteurs : le Bois-le-Prêtre, le tunnel de Tavannes, le Bois-le-Comte près de Baccarat, le sud de l’Alsace et Pfetterhausen.
Il reconnait que sa nomination d’agent de liaison cycliste en octobre 1915 a été pour lui un événement capital et il fait tout pour conserver un poste, certes quelquefois dangereux, mais qui le fait échapper aux attaques (p. 17) et lui permet assez souvent de bénéficier de meilleures conditions de vie que les hommes en ligne. Il ne veut surtout pas de « l’honneur vague et dangereux d’un grade quelconque » qui risquerait de modifier une « situation de 1er ordre pour ce qui était des troupes du front ».
Les moyens financiers dont il dispose rendent assez souvent possible d’échapper à la condition commune. En août 1915 (p. 12) : « Je vais prendre mes repas non à la roulante mais dans un café où l’on me fait la cuisine. » Même date (p. 13) : « Excellent vin des Vosges. » Septembre 1916 (p. 18-19) : « Le Bois-le-Comte est pour nous un vrai paradis. […] On ne se croirait pas à la guerre. Je vais tous les jours à Baccarat où j’ai pris une chambre à l’hôtel, où je déjeune tous les jours. » Et encore en janvier 1917 (p. 20) : « Je vais tous les jours à Lunéville où j’ai une chambre à l’hôtel des Vosges. Je déjeune aussi à l’hôtel où la cuisine est excellente. »
Il critique les mercantis. À Dugny en août 1916 (p. 15) : « C’est du reste là, la dernière étape avant la mort pour tant de jeunes gens, que l’on rencontre le plus de mercantis de la race la plus abjecte. » En septembre 1917, à Dannemarie (p. 26), il a affaire à « une Alsacienne qui, avec des sentiments très francophiles, exploite de son mieux les soldats ».
On trouve encore des notations intéressantes :
– p. 10 : le 75 qui tire trop court
– p. 12 : la proximité avec Fritz qui fait que, toutes les nuits, on travaille côte à côte
– p. 28 : un coup de main qui échoue à cause de l’artillerie amie qui « fait des victimes parmi les nôtres »
– p. 33 : « le Caporetto français » lors de l’offensive allemande de mai 1918, la débâcle des artilleurs et des civils, tous mêlés sur les routes
– p. 44 : un projet d’attaque criminel alors que l’armistice va être signé.
En tant qu’agent de liaison, il peut témoigner de certains faits spécifiques :
– p. 16 : apporter « le résultat de combats imaginaires, ceci étant destiné dans l’esprit du lieutenant à se faire valoir auprès du colonel »
– p. 18 : un agent de liaison « couché avec 40° de fièvre » sommé d’aller à la ville voisine envoyer un télégramme à la femme d’un capitaine pour annoncer qu’il va venir en permission
– p. 32 : l’expérience lui ayant fait comprendre l’inutilité de certaines missions, il ne les fait pas.
Ajoutons encore ce colonel en fuite, passé en conseil de guerre, mis à pied puis à qui on a rendu un commandement. Conclusion de Pierre Fau (qui n’est pas un esprit particulièrement subversif) : « Un simple soldat aurait naturellement été fusillé. »
Pierre Fau est démobilisé le 19 février 1919, cinq jours après Louis Barthas.
Rémy Cazals, janvier 2016

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Bergerie, André (1893-1915)

Le journal de campagne tenu par le sapeur-mineur André Bergerie est un des plus brefs qui soit : rédigé au crayon sur un minuscule carnet publicitaire « Vermouth-Cinzano » de dimension 7 x 5 cm, il débute le 19 octobre 1914 pour s’achever le jeudi 31 décembre. Ce journal a été interrompu par une grave blessure qui a entrainé sa mort, officiellement enregistrée le 7 janvier 1915.
Le document a été conservé par Désiré Sic (voir la fiche à son nom), qui a inscrit au dos l’annotation suivante : « Carnet de route du s/m Bergerie, tué au bois des Zouaves, agent de liaison de l’adjudant Sic (en souvenir) ». Sa transcription représente une dizaine de pages dactylographiées.
Le site « Mémoire des hommes » nous indique laconiquement que André, Vital, Paul Bergerie est né le 3 janvier 1893 à Bordeaux, qu’il était sapeur à la compagnie 19-2M du 7e Génie, et qu’il est décédé à Louvois (Marne) le 7 janvier 1915 des suites de ses blessures, soit quasiment le jour anniversaire de ses 22 ans. Son nom semble introuvable dans les archives départementales de la Gironde. Il faut se tourner vers le journal de marche et d’opérations de la compagnie 19-2 M pour glaner quelques détails supplémentaires sur le comportement de ce soldat et les circonstances de son décès.
Son nom n’apparait pas dans la formation initiale de la compagnie du Génie, effectuée à Casablanca (Maroc) le 9 août 1914. Selon son journal, le sapeur Bergerie a rejoint la compagnie à Verzenay vers le 22 octobre, après avoir transité par Lyon en train à la mi-octobre.
Après la « guerre des frontières », la retraite, puis la stabilisation du front, la compagnie est installée depuis octobre 1914 à quelques kilomètres à l’est de Reims, dans le secteur du bois des Zouaves et du fort de la Pompelle. Elle travaille au renforcement des positions et s’engage dans la guerre des mines, mais peut participer aussi à des « coups de mains ». Ainsi les 21-22 décembre, le commandement a décidé de « prononcer une attaque sur les tranchées allemandes formant saillant dans le bois des Zouaves ». Le JMO indique que la compagnie doit fournir un détachement pour accompagner les colonnes de tirailleurs algériens chargés d’enlever les tranchées allemandes sur le saillant. « Les hommes étaient porteurs de cisailles, d’outils de destruction (haches, serpes) et de charges de dynamite, l’ordre reçu étant le suivant : Se porter en avant avec l’élément de tête des colonnes d’assaut, faire la brèche dans les défenses accessoires de l’ennemi, enlever la tranchée, la dépasser, se maintenir sur la position jusqu’à ce que le matériel servant à la construction d’une tranchée soit apporté à pied d’œuvre. Diriger les auxiliaires d’infanterie pour la construction de cette tranchée et aider au placement du réseau brun de protection ».
Parmi les noms des 11 sous-officiers ou sapeur mineurs qui se sont « particulièrement distingués » lors de cette opération meurtrière, figure celui de Bergerie, ce qui lui vaut, avec 9 autres, une citation à l’ordre de la division marocaine.
Cependant, le JMO indique à la date du 3 janvier 1915 que « le s/m Bergerie est blessé très grièvement par un éclat d’obus au bois des Zouaves », ce qui entraine son décès rapide.
Désiré Sic relate ce décès, qui semble l’avoir particulièrement affecté, d’abord à sa mère par lettre du 3 janvier 1915, puis à son épouse le 6 janvier :
À sa mère : « Aujourd’hui encore je viens de voir tuer à coté de moi un pauvre garçon qui m’était très dévoué. Au moment où il s’y attendait le moins et où je le croyais en lieu sûr, il a reçu un éclat d’obus dans la tête qui l’a étendu à mes pieds sans que je ne puisse rien faire pour lui. J’en suis désolé. Trouver la mort dans un abri, alors qu’il y a une dizaine de jours il était à mes côtés comme agent de liaison dans une manœuvre qui consistait à couper les fils de fer allemands et où sur 12 hommes que j’avais, j’en ai laissé 6 ! C’est abrutissant. Je perds en ce brave garçon un camarade précieux, ils sont si rares ! C’est pour notre chère France tout cela, mais c’est égal la victoire sera chèrement payée ! »
À son épouse: « Avant-hier encore, un des 6 qui étaient revenus avec moi, un jeune homme que j’aimais beaucoup pour son courage et pour l’attachement qu’il me témoignait, a trouvé la mort à mes côtés. Un éclat d’obus lui a brisé le crâne devant la porte même du « trou » d’où je t’écris. Tout cela est bien triste et les « Boches » ne payeront jamais assez cher tout le mal qu’ils nous font. »
Qui était ce soldat décédé après seulement quelques semaines de combat ? Son journal nous livre quelques précisions, en indiquant en particulier qu’il était marié, malgré son jeune âge, à une dénommée Cécile, qu’il avait des tantes, et qu’il a correspondu avec cette gent féminine. Si on ignore son niveau d’études et sa formation, on apprend cependant que son capitaine (sans doute Bergonzi) s’enquiert le 11 novembre de ses aptitudes, pour lui confier ensuite des relevés de plan d’installations et de tranchées dont il semble s’acquitter fort bien, parfois dans des conditions périlleuses. Peut-être était-il dessinateur, toujours est-il qu’il confectionne le 23 décembre le menu illustré du repas de Noël 1914, dont il nous donne par ailleurs la composition. Par une heureuse circonstance, ce menu a été conservé par l’adjudant Désiré Sic et annoté par lui.
Malgré sa brièveté, le journal du sapeur Bergerie fourmille d’annotations intéressantes, notamment quant aux liens de camaraderie établis avec quelques soldats. Il nous donne aussi des précisions sur ses rapports avec ses supérieurs hiérarchiques. Ainsi « le capitaine est très bon » avec lui, et sa mission de dessinateur lui permet occasionnellement de partager la popote avec les officiers. Il nous décrit aussi l’inanité de deux attaques stériles et particulièrement meurtrières, le péril constant des explosions d’obus et des balles qui sifflent dès que l’on relève la tête. On perçoit aussi la réalité de la guerre des mines qui bat son plein dans ce secteur à cette période, recoupée par les informations du JMO de la compagnie, et que confirment les lettres que Désiré Sic écrit à son épouse. Témoignage assez rare, Bergerie indique, à la date du 23 novembre, qu’il tire sur un Allemand à 40 m, et qu’il l’abat. Les détails macabres ne manquent pas non plus, quant à la présence des cadavres qui dégagent une odeur pestilentielle, ou encore ce casque allemand récupéré comme trophée, mais qu’il rejette avec horreur, « car il est plein de la cervelle de son ancien possesseur » (3 novembre).
En filigrane, transparait l’état d’esprit de ce combattant dans les premiers mois de la guerre. On est frappé par son acceptation : ainsi, faute de place au cantonnement, se résigne t-il « à coucher à la belle étoile sous la pluie » le 27 octobre, pour se réveiller le lendemain « mouillé et tout endolori ». Il se déclare volontaire pour des missions particulièrement périlleuses à deux reprises au moins. Il surmonte sa peur en se raidissant, avec le sentiment « d’accomplir son simple devoir ». « Sans témérité ni folle imprudence », il sera « prudent, froid et courageux, et c’est tout, c’est si simple » (8 décembre).
En résumé, ce journal découvert fortuitement constitue un témoignage émouvant d’un simple soldat qui, comme tant d’autres, a été brutalement plongé dans l’horreur de la guerre de tranchées, et y a participé sans état d’âme apparent, en faisant preuve d’un indéniable courage.
Ce modeste document pourrait être remis à ses descendants, s’ils existent et s’ils se manifestent : colin.miege@hotmail.fr
Colin Miège, juin 2014

Le carnet a été déposé par Colin Miège aux Archives municipales de Bordeaux. Colin Miège a retrouvé la tombe du soldat Bergerie : nécropole nationale de Sillery, près de Reims, tombe n° 4926.

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Tropamer, André (1893-1968)

Ce simple soldat est issu d’une famille bordelaise de magistrats, ce qui lui vaut d’être accueilli à la popote d’un commandant de sa parenté, et de disposer d’un appareil photographique. Il a constitué après la guerre un recueil de 200 tirages sur papier (photos prises en secteur calme) complété par un texte intitulé « Itinéraire », rédigé sur 18 feuillets, qui décrit brièvement les conditions de vie d’un agent de liaison. Le fonds, qui appartient à Bernard Sargos, est présenté avec trente reproductions par Damien Becquart dans La Lettre du Chemin des Dames, n° 25, 2012.
Le 14 mars 1915, André Tropamer rejoint le 127e, un régiment du Nord où il est mal accueilli ; son baptême du feu date du 5 avril en Woëvre. Il se trouve ensuite en Champagne, dans l’Aisne, à Verdun et dans la Somme : « Que de places vides dans nos rangs », constate-t-il, le 9 septembre 1916. Au début de 1917, son régiment approche du Chemin des Dames. Le 16 avril, il ne livre que des notes laconiques, mais évocatrices : « Les deux premières lignes boches sont aisément franchies mais nous sommes arrêtés, avec de lourdes pertes, sur la troisième, à 600 m. à peine de notre base de départ – Désordre et confusion inouïs parmi les morts, les blessés râlants et les tirailleurs sénégalais, nos voisins de gauche, qui courent en tout sens, ayant perdu la tête dans le vacarme – Liaison des plus dures et des plus périlleuses à assurer. » Une précision, le 22 avril : « Neige et pluie abondante qui transforme le terrain en un lac de boue où l’on enfonce au-dessus des genoux. Pour assurer la liaison – et combien lentement – je dois retirer avec les mains chaque jambe, l’une après l’autre, de la boue, et cela sous des rafales d’obus. »
Dès que possible, il revient à des préoccupations pacifiques : écouter le chant des rossignols, photographier ses camarades, apprivoiser une pie, un geai… Au printemps 1917, il n’occulte pas les mouvements de révolte des Russes qui hurlent « Nicolas kaput », mais aussi des Français : « Au camp de Mailly, manifestation quasi-révolutionnaire parmi les troupes qui s’y trouvent. Aucune répression. J’en suis stupéfait ! » Et lorsqu’il revient de permission en train, le 21 juin, il se tient à l’écart du mouvement contestataire en précisant qu’il le désapprouve.
Rémy Cazals

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