Dury (famille)

Sous le titre De la Terre à la Guerre, Sébastien Langlois a décrit « la vie d’une famille bourguignonne pendant la Première Guerre mondiale » (Viévy, Editions de l’Escargot Savant, 2014, 352 p.). Le livre résulte de l’intérêt pour l’histoire de la Grande Guerre de ce chargé des collections numériques à la bibliothèque patrimoniale et d’étude de la ville de Dijon, et de la découverte fortuite de 200 lettres principalement adressées aux parents, Jules et Claudine Dury, par fils et neveux. L’histoire de la famille est celle de petits paysans du Brionnais, partie la plus au sud du département de Saône-et-Loire, spécialisés dans l’embouche du bétail, travaillant pour les grandes familles, en particulier celle du marquis local. Des paysans conservateurs, fortement marqués par l’empreinte religieuse catholique. Avant la guerre, déjà, les jeunes quittaient la terre pour aller vers l’artisanat ou le petit commerce dans les villes voisines et jusqu’à Paris, perspective effrayante pour certains (p. 41). Cinq fils et un gendre furent mobilisés en 1914 ; bilan : 2 morts, 1 blessé grave, 1 prisonnier.
Le livre, imprimé en Pologne, est bien édité et illustré de nombreuses photos. L’auteur a choisi, dans une première partie, de décrire les divers aspects de la guerre en s’appuyant sur les extraits de lettres significatifs ; la deuxième partie, sur un papier de couleur différente, donne la transcription intégrale des lettres en respectant une orthographe souvent défectueuse.
La correspondance débute en fait avant 1914 avec quelques lettres du régiment qui signalent les ravages d’épidémies dans un milieu où règne la promiscuité (p. 23) et qui énoncent une grande vérité (p. 27) : « Celui qui n’a pas d’argent au régiment n’est pas heureux. »
Suivent les chapitres qui présentent les diverses phases de la guerre, à l’arrière avec les femmes qui doivent prendre en main la vie économique et dont certaines avouent leur fatigue (p. 66). Pour les soldats, c’est la vie dans les tranchées, la boue (p. 79) : « Jamais j’ai vu une parreille mélasse, on en a jusqu’au ventre » ; le filon des secteurs calmes qui contraste avec les moments où l’infanterie n’est que chair à canon ou pions lancés dans des attaques meurtrières ; la soupape de sécurité que constituent les permissions.
La correspondance montre l’importance des liens avec la famille, le « pays », les copains. Les « saveurs du village », beugnettes (p. 25) et fromages de chèvre (p. 84) sont toujours les bienvenues.
Si les membres de cette famille disent toujours qu’il faut chasser les Boches pour avoir, enfin, la paix, on trouve quand même quelques pensées autres. Par exemple en juillet 1915 lorsque la cousine Marie souhaite à son frère Louis, blessé par balle (p. 122) : « Je demande qu’il guérisse bien mais lentement tu comprends ! » Ou lorsque Stéphane Dury, en avril 1917, estime que « lai gros » sont responsables de la guerre, ces « bandit la qui nous font detruire aujourd’hui ». Il rejoint même « l’utopie brève » du refus de produire pour hâter la fin de la guerre, rencontré chez bien d’autres combattants d’infanterie : « Nous autres on sait qu’on est tous pour être détruit on voudrait qu’il n’y est absolument rien ils s’y arreté peutêtre s’il n’avait rien a se mètre sous la dents se n’est pas eu qu’il veule travallier la terre ceux qui nous font tuer ils sont bien trop feniants. »
Rémy Cazals, décembre 2014

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