Plantié, Léon (1878-1917)

Léon Plantié est né à Fauguerolles (Lot-et-Garonne) le 23 décembre 1878 dans une famille de cultivateurs. Il est allé à l’école jusqu’au niveau du certificat d’études ; il n’est pas certain qu’il l’ait obtenu. Dans ses lettres il fait beaucoup de fautes d’orthographe. Mais il sait écrire de belles pages sur le rôle du courrier (p. 122), sur la nature (p. 177), sur son arrivée par surprise lors d’une permission (p. 478). Il n’est pas dépourvu du sens de l’humour. Il sait aussi parfaitement gérer son exploitation : une toute petite propriété et une terre en fermage ; la culture du tabac et l’embouche de jeunes bovins… Service militaire à Agen de 1899 à 1902 ; il reste 2e classe (photo p. 42). Le 28 juin 1909, il épouse Madeleine, du même milieu paysan, mais sur laquelle nous ne sommes pas renseignés. Le couple a un fils, Étienne, né en novembre 1913. Un travail intense et le sens des affaires ont donné quelque aisance aux Plantié. Avec leurs économies, il ont acheté des titres d’emprunts russes. Dans ses lettres, Léon parait détaché de la religion catholique. En août 1914, il est mobilisé au 130e régiment d’infanterie territoriale. Pendant une partie de la guerre, il occupe des postes relativement peu exposés, mais il doit passer dans un régiment d’active en 1917 (le 5e RI) en première ligne d’un secteur « mauvais » où il est tué le 16 août près du Chemin des Dames à Paissy. C’est une époque où le couple était occupé à planifier une nouvelle situation pour l’après-guerre. Il est toujours émouvant de découvrir le courrier d’une femme écrivant à son mari dont elle ignore encore la mort, lettre portant la mention brutale : « Retour à l’envoyeur. Le destinataire n’a pu être atteint. »

Écrire

Madeleine s’est remariée en 1920. Elle a cependant conservé la correspondance de 1914-1917 dans une caisse en bois, arrivée entre les mains de son arrière-petite-fille, Cécile Plantié, professeure de français dans un collège de Bordeaux, qui l’a publiée : Que de baisers perdus… La correspondance intime de Léon et Madeleine Plantié (1914-1917), préface de Clémentine Vidal-Naquet, Presses universitaires de Bordeaux, 2020, 520 p. La séparation du couple a produit une abondante correspondance (1500 lettres). Au début, Léon a dû insister à plusieurs reprises pour que sa femme prenne la plume régulièrement. Le 28 novembre 1914, il se comparait à un alcoolique qui serait privé de sa dose habituelle : « si moi je n’ai pas de tes lettres, je suis malheureux ». Et le 1er mai 1915 : « Nous avons besoin du pain, c’est la nourriture des corps, mais actuellement les lettres sont une nourriture de l’âme. » Léon demande à Madeleine de conserver ses missives : « plus tard, il me semble que je serai content de repasser ces longues lettres » (14 mars 1915). Le 24 mars, à propos des lettres de Madeleine, il décrit une situation fréquente : « Quant à moi ne m’en veux pas, je les ai gardées longtemps mais quand je m’en suis vu encombré j’ai fait comme tous les autres et je les ai faites brûler. » En août 1915, le couple trouve une solution pour que soient sauvegardées les lettres dans les deux sens. Léon écrit à la suite des textes de Madeleine, ou dans les marges, ou par-dessus même comme le montrent quelques illustrations.

L’amour

L’étude de nombreux témoignages d’origine populaire a montré que la plupart des combattants ne sont pas devenus des brutes, que la guerre a permis de découvrir ou de redécouvrir l’amour conjugal et l’affection pour les enfants (voir notre livre collectif 500 témoins de la Grande Guerre et les notices sur notre site). Dans la correspondance Plantié, l’amour est le thème principal, exprimé parfois de façon romantique (p. 395, envoi d’un poème), ou avec des points de suspension de pudeur mais explicites, et même avec les mots les plus précis (p. 162, 468). Le manque rend les lettres indispensables. Elles disent le regret de Léon de ne pas voir grandir son fils, de ne pas pouvoir jouer avec lui (5 janvier 1915). Elles abordent aussi un thème précis (5 décembre 1914) : « Dis à notre fils que jamais quand il sera homme il ne soutienne le parti, n’importe quel qu’il soit, qui veuille faire la guerre. » Il faut lui apprendre à crier « À bas la guerre ! » (18 août 1915).

À bas la guerre !

Par ordre d’importance des thèmes de cette correspondance, la condamnation de la guerre vient en deuxième position. Il est vrai que Léon regrette en août 1914 de ne pas partir tout de suite pour aller tuer « quelques Prussiens » (p. 49). « Je ne peux lire les atrocités qu’ils commettent sans frémir », précise-t-il, le 2 septembre. Par la suite, on ne trouvera qu’une seule mention des « sales Boches » criminels et barbares (p. 192). Mais, dès le 8 septembre 1914, Léon affirme : « Ma Patrie, c’est toi et mon enfant. » La critique de la guerre revient sans cesse, accompagnée d’imprécations contre les responsables : les Grands, riches, spéculateurs, capitalistes, nobles réactionnaires qui voulaient « foutre la République de jambes en l’air » (p. 207). « J’en ai assez de ces gens-là, partisans de la guerre, de ces tueurs d’hommes, de ces mangeurs d’enfants de 20 ans » (18 avril 1915). Tous ces patriotes jusqu’au-boutistes préfèrent causer « au coin d’un bon feu » (12 octobre 1914) ; qu’ils viennent dans les tranchées ! La guerre est « maudite » (27 novembre 1914), « putain » (10 mai 1915), « déshonneur du siècle » (2 août 1915). Léon voit plus haut en affirmant qu’il y a un seul genre humain, il ne devrait y avoir qu’une seule patrie qui rassemblerait Français, Allemands, Russes, Anglais. Aucun de ces peuples ne veut la guerre « car ils aiment eux aussi et ils sont aimés par leurs familles, alors ils veulent vivre » (17 décembre 1914). S’il ne fallait que la signature des poilus, la Paix serait vite là (13 janvier 1915). L’indignation de Léon Plantié s’exprime avec force contre l’emprunt de la Défense nationale.

Ne pas souscrire !

En décembre 1915, les lettres de Léon reviennent à plusieurs reprises sur l’emprunt de la Défense nationale (p. 308 à 338). Cet argent est collecté pour faire durer la guerre et tuer des hommes : « Nos assassins, sans mentir, versent de l’or et de plus font une propagande ignoble pour le faire verser. […] Vous autres, derrière, vous n’hésitez pas non plus à leur fournir de l’argent et de l’or pour acheter et faire des choses qui peut-être serviront à tuer un des vôtres. Ah ! si vous entendiez toutes les malédictions qui vous pleuvent dessus et vous tombent sur la tête, sûrement vous ne le feriez pas, mais on vous berne et on vous bourre le crâne et vous vous laissez faire, les uns bien volontairement et les autres innocentement. » En versant, Madeleine est devenue la complice de ceux qui veulent « nous » faire tuer. Léon lui pardonne, mais souhaite que ses camarades ne l’apprennent pas « car ils me mangeraient tout vif ». L’attitude de Léon Plantié rappelle celle de l’instituteur Émile Mauny et les reproches qu’il adressait à sa femme (voir ce nom dans notre dictionnaire). Ici, le thème du refus de verser est exposé en même temps que se déroulent des fraternisations.

Fraternisations

Au cours du même mois de décembre 1915, Léon fournit un témoignage de plus sur les fraternisations entre soldats ennemis. Bien que Cécile Plantié place ces lettres dans une partie sur la Somme, divers indices montrent qu’il s’agit des fraternisations en Artois, après des pluies torrentielles, celles qu’a merveilleusement décrites le caporal Barthas. Les indices sont la présence du 280e RI, régiment de Barthas, devant le 130e territorial, et le lieu-dit Le Labyrinthe. Léon relie les fraternisations au fait que « les troupes n’en veulent plus » (11 décembre 1915) : « Et pour preuve, c’est qu’ils fraternisent tous ensemble, en effet il n’est pas rare de les voir tant d’un côté comme de l’autre, faire échange de pain, de conserves ou de tabac, et pour cela ils montent sur les tranchées et se promènent comme sur un champ de foire, sans qu’un coup de fusil soit tiré de part ni d’autre. » Léon ne peut participer directement à ces fraternisations, n’étant pas en première ligne, mais il les voit : « Je travaillais à 400 mètres des 1ères lignes et j’ai pu m’en rendre compte. » Madeleine répond que les Allemands des tranchées sont « des hommes comme vous autres » (15 décembre). On ne peut retenir le commentaire de Cécile Plantié affirmant que le phénomène des fraternisations « s’est répandu comme une trainée de poudre simultanément sur tout le front ouest » (p. 364). Elle aurait eu une meilleure idée si elle avait cité le fameux texte de Louis Barthas, son appel à la construction d’un monument fraternel, et la réalisation de celui-ci en 2015 près de Neuville-Saint-Vaast, inauguré par le président Hollande.

Autres aspects de la vie sur le front

Sur la vie dans les tranchées, Léon Plantié n’apporte pas de nouveau, mais il décrit les bleus baissant la tête chaque fois qu’ils entendent un obus (p. 87), il évoque les vaches de son exploitation mieux traitées que les poilus (p. 119), les rats qui ont tellement proliféré que leurs ressources sont devenues insuffisantes (p. 204), les poux, eux aussi de plus en plus nombreux (p. 417 : « les veinards, ils ont fait l’amour, eux, et nous autres nous nous en passons »). La nourriture est exécrable, les envois familiaux sont indispensables ; on manque cruellement de légumes. Un moment, cependant, en janvier 1915, étant « bien avec le cuisinier des officiers », il peut écrire : « Souvent ils mangent les bons morceaux, auxquels je ferais bien honneur et qu’il faut que je m’en passe, mais souvent aussi avec les restes je prends quelques bons régals. » Plus tard (10 mai), son escouade fait chauffer sa popote « en puisant du charbon chez les officiers ». La boue est bien sûr présente dans le témoignage ainsi que les frissons en voyant venir une nouvelle campagne d’hiver (4 juillet 1915). Ce thème avait été souligné dans 500 témoins de la Grande Guerre.

Léon condamne les offensives stériles qui font tuer tant de monde (le 27 juin 1915, puis le 28 avril 1917). Lors d’un retour de permission, il décrit, le 28 mai 1917, les soldats cassant les vitres des trains par désir de vengeance, et criant : « Vive la Russie, vive la Révolution, à bas la guerre. » Tandis que les femmes, à Paris, réclament la paix et le retour de leurs hommes.

Un thème encore : dès le 8 octobre 1915, Léon comprend qu’après la guerre « des touristes ou des curieux viendront visiter les tranchées » et que des familles essaieront de retrouver les tombes de leurs morts.

Le travail des femmes

Cette correspondance renseigne également sur le travail des femmes à l’arrière avec le cas de Madeleine. Une des rares lettres conservées du début de la guerre (26 septembre 1914) raconte « une rude journée » à labourer et à curer l’étable. Léon lui donne des conseils, mais en précisant (p. 150) : « Tu feras ce que tu pourras et tu laisseras le reste. » Parce que c’est trop dangereux, il lui interdit de mener seule un taureau à la foire (p. 181). Il s’indigne de rester lui-même sans rien faire au camp de Mourmelon alors qu’il pourrait soulager sa femme dans ses multiples travaux. En effet, Madeleine écrit le 30 novembre 1916 qu’elle mène « une vie de galérienne ». Elle se débrouille cependant assez bien, sachant prendre ses responsabilités dans la vente du tabac et le commerce des jeunes bovins, par exemple. Le 14 mai 1916, elle écrit : « Laisse-moi maîtresse je t’en prie jusqu’à la fin de la guerre, et après comme tu voudras je te cèderai la place bien volontiers. »

Regrets

Sur la forme, Cécile Plantié a voulu respecter l’authenticité des lettres. Mais la seule véritable authenticité réside dans les documents originaux ou dans une reproduction en fac-similé d’excellente qualité. Qui peut prétendre retranscrire exactement des textes à l’orthographe imparfaite ? Une mauvaise lecture peut supprimer des fautes ou en ajouter. L’orthographe des Plantié étant ce qu’elle est, certaines notes me paraissent inutiles (par exemple préciser que le mot « espectateur » doit être lu comme « spectateur », ou « assasins » comme « assassins », ou encore « aluminion » comme « aluminium »). Je regrette aussi quantité de « (sic) » tout à fait intempestifs. En toute logique, il aurait fallu en placer après toutes les fautes (mais aussi, alors, après les quelques coquilles décelées dans les commentaires de la présentatrice). Surtout, beaucoup de « (sic) » proviennent de la méconnaissance d’un procédé d’écriture qui consiste, pour l’épistolier quand il tourne la page, à reprendre en haut le dernier mot de la page précédente. Alors, dans ce livre, on a profusion de formules comme « te te (sic) », « et et (sic) », « c’est de m’en c’est de m’en (sic) », etc. Dans cette notice, j’ai choisi pour mes transcriptions de rectifier l’orthographe.

Maladresses et erreurs historiques

Des commentaires « historiques » sont maladroits. Par exemple lorsque Léon critique « le commandement », Cécile pense qu’il vise les caporaux (p. 107). Page 126, elle écrit cet étonnant passage : « Du 23 janvier au 3 février [1915], Léon et ses camarades sont aux tranchées. Jamais au front, ils sont malgré tout en première ou deuxième ligne pour effectuer diverses tâches d’intendance. » En annonçant la mort de son arrière-grand-père, Cécile Plantié écrit (p. 497) : « Un obus français mal calibré l’a atteint. » Le cas s’est produit assez souvent mais, ici, on n’a pas la source de cette information. Et que signifie « mal calibré » ? Voici encore un commentaire (p. 108) qui n’a aucun rapport avec le texte original, et même aucun sens : « Parfois même, il [Léon] tiendra un discours rigoureusement anticommuniste, accusant ces derniers d’avoir fomenté la guerre afin de parvenir au pouvoir. » Je n’arrive pas à comprendre d’où peut venir cette phrase aberrante.

Pour terminer :

La présentatrice du témoignage d’un lot-et-garonnais aurait pu s’appuyer sur 500 témoins de la Grande Guerre et le dictionnaire des témoins sur le site du CRID 14-18 pour découvrir d’autres combattants lot-et-garonnais. Son arrière-grand-père y figure à présent à son tour.

Rémy Cazals, mai 2021

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Frémond, Désirée (1885-1976)

Née à Epieds-en-Beauce (Loiret) le 15 avril 1885. Épouse d’Abel Gilbert (voir ce nom). Pendant la guerre, elle envoie lettres et colis à son mari et elle doit faire marcher la forge en son absence. Les lettres de Désirée n’ont pas été conservées mais on en trouve l’écho dans celles de son mari.
Voir Françoise Moyen, « Paysanne, femme d’artisan, Le travail des femmes à la campagne pendant la Grande Guerre », dans Travailler à l’arrière 1914-1918, Actes du colloque international de mai 2013, Carcassonne, 2014, p. 101-111 avec photos de Désirée et de ses enfants [la paysanne évoquée dans le titre est Céleste Chassinat (voir ce nom) ; la femme d’artisan est Désirée Frémond].

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Chassinat, Céleste (1878-1922)

Née à Yèvre-la-Ville (Loiret) le 10 mai 1878. Épouse d’André Charpin (voir ce nom). Pendant la guerre et la captivité de son mari, elle lui envoie lettres et colis et elle fait tourner l’exploitation agricole. Les lettres de Céleste n’ont été conservées que pour la période d’août 1914 à janvier 1915, ainsi que quelques-unes de l’automne 1918. Elles constituent un témoignage précieux sur le rôle des femmes à la campagne. Elle est décédée le 3 octobre 1922.
Photo de Céleste dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 131.
Voir aussi Françoise Moyen, « Paysanne, femme d’artisan, Le travail des femmes à la campagne pendant la Grande Guerre », dans Travailler à l’arrière 1914-1918, Actes du colloque international de mai 2013, Carcassonne, 2014, p. 101-111 avec photos de Céleste et de ses enfants [la paysanne évoquée dans le titre est Céleste Chassinat ; la femme d’artisan est Désirée Frémond (voir ce nom)].

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Brusson, Gabrielle (1873-1963)

Née Gabrielle Rous. Épouse d’Antonin Brusson, patron de l’entreprise de pâtes alimentaires Brusson Jeune de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) ; elle a trois enfants, André qui est mobilisé et à qui elle écrit, Jeanne et Marie-Louise (voir les notices Brusson).
Pendant la guerre, on manque de personnel qualifié, et la femme d’Antonin doit s’improviser caissière à la rentrée des vacances d’été de 1916 : « Quand on revient ici, on rentre dans la fournaise ; adieu les moments de liberté et de farniente. Il faut toujours songer à la lutte pour la vie, aux affaires, aux ennuis de toutes sortes qui surgissent de partout. Dès le lendemain de notre arrivée, j’ai été convoquée à remplacer M. Gourdou à la caisse. » Un peu plus tard, elle ajoute : « Aujourd’hui, c’était jour de quinzaine. Près de dix mille francs de monnaie me sont passés entre les doigts, et je t’assure que la tâche n’est pas commode avec ces horribles billets de 1 franc et de 0,50, sales et dégoûtants, ainsi que ces tickets de carton qui remplacent la monnaie de billon. Je suis très satisfaite parce que ma caisse tous les soirs est juste. J’aime assez mon nouveau métier, mais il absorbe tous mes instants. Je te dirai que je signe maintenant par procuration ; ton Père m’a donné cette marque de confiance que je ferai tous mes efforts pour conserver et accroître constamment. »
Dans une lettre du 27 mars 1917, c’est-à-dire avant le grand mouvement d’indiscipline dans l’armée, Gabrielle décrit à son fils « la mutinerie des ouvrières » : « Elles ont passé toute la semaine chez elles, essayant de comploter et d’amener la grève générale, ce à quoi elles n’ont pas réussi. Mercredi matin, à l’arrivée du train de Bessières, tout le groupe était à la gare pour attendre les ouvrières, les interpeller et chercher querelle et bataille. Mais un seul gendarme, qui s’était rendu là tout exprès, a suffi pour les tenir en respect. L’une d’elles a essayé de lui tenir tête, il l’a menacée de la prison, cela a servi de leçon. Tout est rentré dans le calme. Elles comptaient sur le maire pour se faire donner raison. Il n’est arrivé de Montauban que vendredi. Une grande réunion a eu lieu à la mairie, après laquelle M. Ourgaud est venu rendre compte à ton Père, essayer de le fléchir pour obtenir quelque chose et lui demander de bien vouloir se rendre à la mairie pour discuter avec ces fortes têtes. Mais ton Père a refusé carrément de s’y rendre et n’a fait que de très légères concessions qu’il a autorisé le maire à leur soumettre. Sur ce, elles sont toutes rentrées lundi matin sans tambour ni trompette et, dans les ateliers où je me suis rendue deux fois, elles sont silencieuses et ne lèvent pas les yeux de sur leur travail, au moins pendant ma présence. Je crois qu’elles auront eu une bonne leçon et qui leur servira. Une semaine de chômage à cette époque n’est pas désirable. […] Maintenant, tout a repris le cours normal ; l’usine donne son plein. »
Rémy Cazals
*Rémy Cazals, « Lettres du temps de guerre » dans le livre collectif du CAUE de la Haute-Garonne, La Chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, Toulouse, Loubatières, 1993, p. 70-128, illustrations. Photo de Gabrielle Rous et de ses deux filles dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 102.

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Dury (famille)

Sous le titre De la Terre à la Guerre, Sébastien Langlois a décrit « la vie d’une famille bourguignonne pendant la Première Guerre mondiale » (Viévy, Editions de l’Escargot Savant, 2014, 352 p.). Le livre résulte de l’intérêt pour l’histoire de la Grande Guerre de ce chargé des collections numériques à la bibliothèque patrimoniale et d’étude de la ville de Dijon, et de la découverte fortuite de 200 lettres principalement adressées aux parents, Jules et Claudine Dury, par fils et neveux. L’histoire de la famille est celle de petits paysans du Brionnais, partie la plus au sud du département de Saône-et-Loire, spécialisés dans l’embouche du bétail, travaillant pour les grandes familles, en particulier celle du marquis local. Des paysans conservateurs, fortement marqués par l’empreinte religieuse catholique. Avant la guerre, déjà, les jeunes quittaient la terre pour aller vers l’artisanat ou le petit commerce dans les villes voisines et jusqu’à Paris, perspective effrayante pour certains (p. 41). Cinq fils et un gendre furent mobilisés en 1914 ; bilan : 2 morts, 1 blessé grave, 1 prisonnier.
Le livre, imprimé en Pologne, est bien édité et illustré de nombreuses photos. L’auteur a choisi, dans une première partie, de décrire les divers aspects de la guerre en s’appuyant sur les extraits de lettres significatifs ; la deuxième partie, sur un papier de couleur différente, donne la transcription intégrale des lettres en respectant une orthographe souvent défectueuse.
La correspondance débute en fait avant 1914 avec quelques lettres du régiment qui signalent les ravages d’épidémies dans un milieu où règne la promiscuité (p. 23) et qui énoncent une grande vérité (p. 27) : « Celui qui n’a pas d’argent au régiment n’est pas heureux. »
Suivent les chapitres qui présentent les diverses phases de la guerre, à l’arrière avec les femmes qui doivent prendre en main la vie économique et dont certaines avouent leur fatigue (p. 66). Pour les soldats, c’est la vie dans les tranchées, la boue (p. 79) : « Jamais j’ai vu une parreille mélasse, on en a jusqu’au ventre » ; le filon des secteurs calmes qui contraste avec les moments où l’infanterie n’est que chair à canon ou pions lancés dans des attaques meurtrières ; la soupape de sécurité que constituent les permissions.
La correspondance montre l’importance des liens avec la famille, le « pays », les copains. Les « saveurs du village », beugnettes (p. 25) et fromages de chèvre (p. 84) sont toujours les bienvenues.
Si les membres de cette famille disent toujours qu’il faut chasser les Boches pour avoir, enfin, la paix, on trouve quand même quelques pensées autres. Par exemple en juillet 1915 lorsque la cousine Marie souhaite à son frère Louis, blessé par balle (p. 122) : « Je demande qu’il guérisse bien mais lentement tu comprends ! » Ou lorsque Stéphane Dury, en avril 1917, estime que « lai gros » sont responsables de la guerre, ces « bandit la qui nous font detruire aujourd’hui ». Il rejoint même « l’utopie brève » du refus de produire pour hâter la fin de la guerre, rencontré chez bien d’autres combattants d’infanterie : « Nous autres on sait qu’on est tous pour être détruit on voudrait qu’il n’y est absolument rien ils s’y arreté peutêtre s’il n’avait rien a se mètre sous la dents se n’est pas eu qu’il veule travallier la terre ceux qui nous font tuer ils sont bien trop feniants. »
Rémy Cazals, décembre 2014

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Eychenne-Bareil, Juliette (1907-1989)

1. Le témoin

Juliette Bareil est née le 7 juillet 1907 à Carcassonne dans un milieu modeste. Elle a une sœur aînée de dix ans plus âgée.

2. Le témoignage

Ce témoignage oral, recueilli et transcrit par Claude Marquié, a été publié dans Années cruelles. 1914-1918 de Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès, Villelongue d’Aude , Atelier du Gué, coll. Terres d’Aude, 1983, 143 p.

3. Analyse

Ses souvenirs de la mobilisation rendent surtout compte de l’agitation à la gare : « j’avais alors sept ans, ma sœur aînée qui en avait dix-sept m’emmenait avec d’autres jeunes filles à la gare voir passer les soldats qui partaient pour le front. Quel enthousiasme ! On aurait dit qu’ils allaient à la fête ! Des cocardes tricolores partout, des fleurs aux fusils… Ils chantaient joyeux : « Tous à Berlin ! » Tout le monde s’embrassait. » Si ces manifestations d’enthousiasme ont marqué Juliette Eychenne, elles sont souvent restées circonscrites aux gares ou aux villes. En publiant ce témoignage avec ceux d’autres civils, comme Berthe Cros, Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès permettent au  lecteur de nuancer ce tableau et de se faire de la mobilisation une image plus juste.

Dans son témoignage, Juliette Eychenne dresse un tableau saisissant de Carcassonne en guerre. Tout d’abord, l’espace urbain est marqué par l’apparition d’hôpitaux provisoires pour faire face à l’afflux massif de blessés : « les écoles étaient transformées en hôpitaux militaires : Saint-Stanislas, André Chénier, l’Ecole Normale de Garçons et d’autres locaux […] Saint-Stanislas ne désemplissait pas de grands blessés, on ne savait où le mettre, toutes les écoles et même les grands magasins étaient occupés ». Ensuite, c’est toute l’économie qui se met au service des besoins de la guerre : « Les hommes étant partis, ceci explique qu’on ait utilisé les femmes dans les usines pour faire des obus. L’usine Plancard […] était une fonderie qui se consacra à la fabrication des obus grâce aux femmes qui considéraient ce genre de travail comme un acte patriotique ; mais c’était très pénible.

Il y avait aussi, rue Pasteur, une grande blanchisserie qui lavait le linge pour la caserne : les machines étaient rudimentaires et beaucoup de choses se faisaient à la main, le plus pénible pour ces femmes était d’étendre dehors par tous les temps, même s’il gelait. D’autre part, beaucoup de femmes confectionnaient des vêtements militaires à domicile ; tout cela était peu payé, ma mère travaillait tous les jours, mais malgré tous ses efforts, c’était quand même la misère. » Juliette Eychenne rappelle à ce propos les interminables queues pour quelques pommes de terre, la faim et les problèmes de ravitaillement.

08/03/2009

Marty Cédric.

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