Le témoin
Pierre Fernand Catusseau est né le 10 mai 1895 à Saint-Émilion, canton de Libourne (Gironde) dans une famille de viticulteurs au lieu-dit Pindefleurs, un cru Saint-Émilion réputé. On connait mal ses études, interrompues par la mort de son père en 1912, moment où il a dû prendre en main l’exploitation. Il écrit un français correct. En décembre 1914, il est incorporé au 100e RI, puis au 109e. Caporal en juin 1915 ; sergent en octobre (les galons sont arrosés au Saint-Émilion). La famille est aisée : il demande et reçoit de très nombreux mandats. Blessé et évacué le 25 octobre 1917 dans l’attaque de la Malmaison. Mort le 8 mai 1987.
Le témoignage
La famille a conservé les lettres envoyées à sa mère entre le 3 janvier 1915 et le 3 décembre 1917. Son petit-fils Jean-Luc Michelet les a transcrites et réunies avec reproduction de nombreux documents dans un petit livre hors commerce tiré à 50 exemplaires pour la famille et les amis. Les originaux seront déposés aux Archives départementales de la Gironde.
Deux aspects originaux par rapport à la plupart des témoignages
Une première originalité des lettres, c’est qu’on n’y découvre pas d’autocensure pour rassurer sa mère. Dès juillet 1915, à Lorette, il décrit une situation terrible, des morts à chaque pas ; à Souchez, c’est intenable. Il décrit la boue, la faim, la soif, le froid (en particulier en janvier 1917), « les mauvaises odeurs des macchabées », les bombardements. La lettre du 9 décembre 1915 décrit précisément les torpilles allemandes : « Ils nous ont envoyé des torpilles de 50 kg ce qui est je crois plus terrible qu’un obus, car tu la vois arriver en l’air à 200 mètres de hauteur et tu ne sais exactement où elle va tomber ; c’est impressionnant je t’assure, elle éclate avec un fracas épouvantable. » La guerre est un « terrible fléau » qu’il faut souhaiter voir finir au plus tôt. Fernand est conscient de sa décision de tout raconter : il demande pardon à sa mère en expliquant que c’est pour lui un soulagement.
Deuxième originalité : il ne craint pas de dire où il se trouve à telle date. Le 8 novembre 1915, par exemple : « Nous prenons les tranchées à gauche de la route d’Arras, au Bois en Hache à gauche de Souchez. »
Analyse
Pour sa Patrie et la défense de ses intérêts
Le 5 juillet 1915, depuis Souchez, Fernand Catusseau termine une lettre par la phrase : « Ton fils pour la vie, qui combat glorieusement pour sa Patrie et la défense de ses intérêts. » Sans doute est-ce une allusion au risque d’une défaite pour la prospérité des activités économiques de la France, donc de la vente du vin. Mais le thème de la Patrie revient souvent, de même que la forte critique de l’ennemi. Le 4 septembre 1915, il souhaite « anéantir au plus tôt cette insolente nation ». Le 2 octobre, il se dit heureux d’avoir « massacré pas mal de boches ». Il aime le spectacle magnifique des revues, les émouvantes remises de décorations.
On peut cependant noter quelques nuances. Le 23 septembre 1916, dix-septième jour de tranchées, il écrit : « On parle même de nous faire attaquer de nouveau, mais je crois qu’ils ne feront pas grand-chose de nous. C’est vraiment trop pour une fois. » Le 18 octobre, il souhaite obtenir une permission extraordinaire pour les vendanges, tout en admettant qu’elles « sont terminées et dans de bonnes conditions ». Soigné à l’arrière pour sa blessure, il écrit à sa mère : « Je suis heureux d’être enfin à l’abri et je t’assure que j’y resterai le plus possible. »
Il ne dit rien des grandes fraternisations de décembre 1915 mais, le 18 novembre, il décrit une période calme au cours de laquelle « les boches causaient avec nous ». En juin 1916, les paroles échangées sont plutôt des moqueries, mais restent un dialogue.
Le lien avec « le pays »
Dans sa correspondance avec sa mère chargée de l’exploitation familiale en son absence, reviennent très souvent les demandes de nouvelles de Saint-Émilion. Fernand souhaite connaitre l’état de la récolte et l’évolution du prix du vin. Le 28 août 1917, jour de pluie et de grand vent, il souhaite qu’il n’en soit pas de même chez lui « car pour la maturité cela pourrait bien nuire et amener la pourriture ». Le 30 septembre, il attend avec impatience le résultat des vendanges et il rappelle à sa mère qu’il faut bien mécher les fûts destinés à la nouvelle récolte.
Un lien avec sa région est également constitué par le « journal de tranchées » (imprimé à Bordeaux), Le Poilu St Émilionnais de l’abbé Bergey, qu’il mentionne à plusieurs reprises. Le journal dont une édition en facsimilé a été publiée récemment signale la blessure et la citation de Fernand Catusseau dans deux numéros d’octobre-novembre 1917 et avril 1918. L’abbé Bergey et son journal ont une notice dans le présent dictionnaire des témoins ; leur existence est rappelée dans le récent livre de Rémy Cazals, Écrire… Publier… Réflexions sur les témoignages de 1914-1918, Edhisto, 2025.
Des informations sur la vie des poilus
Les poilus fabriquent des bagues et autres objets. La rubrique « poux » est traitée comme souvent avec humour : « Les poux continuent toujours à se déployer en tirailleurs sur mon dos. » Il y a des repas juste bons pour être balancés sur le parapet. Les conserves venant de la maison sont les bienvenues.
La chasse permet aussi d’améliorer l’ordinaire. Au repos, le 6 janvier 1916, il écrit : « Nous sommes dans un pays très giboyeux, il y a des faisans, du lièvre et du lapin à foison, nous en mangeons tous les jours. Mais il a paru une circulaire interdisant la chasse car vraiment c’était pire que dans les tranchées la fusillade ! » La suite est du 18 janvier : « C’est couvert de gibier, nous les attrapons au lacet maintenant puisqu’il est interdit de tirer des coups de fusil. »
Le 6 février 1917, Fernand Catusseau évoque « une bien triste cérémonie ». « J’étais désigné avec 8 Sergents de mes camarades pour servir de peloton d’exécution à un misérable poilu condamné à mort, c’est une bien mauvaise besogne. Enfin lorsque l’on est commandé, l’on ne peut pas reculer. Je ne te développe pas plus ceci car ce n’est rien de beau, tu en sais suffisamment. »
Le 30 septembre, une note originale : « Nous sommes à l’instruction des tanks depuis 2 jours, nous ne sommes pas trop mal, notre travail consiste à manœuvrer pour les mettre un peu sur la voie de la réalité afin qu’ils puissent connaitre toutes les embûches que peuvent leur faire les Allemands. Ils font du magnifique travail, tout le monde en est émerveillé, aussi j’espère que les boches seront bien servis. »
Rémy Cazals, décembre 2025