Graham, Stephen (1884-1975)

1) Le témoin

Journaliste, auteur de récits de voyage, essayiste et romancier, Stephen Graham a écrit deux ouvrages sur la Grande Guerre : A Private in the Guards (1919) et The Challenge of the Dead (1921).

Né à Édimbourg en 1884, il quitte l’école à l’âge de 14 ans et travaille à Londres dans l’administration. C’est en lisant Dostoïevski qu’il se prend de passion pour la Russie et décide d’apprendre la langue de l’auteur de L’Idiot. Son premier voyage en Russie date de 1906. De retour en Grande-Bretagne, il n’a plus qu’une seule envie : repartir à Moscou. En 1908, il s’installe dans la capitale russe et se marie l’année suivante. Stephen Graham vit des cours d’anglais qu’il dispense et des articles qu’il envoie aux journaux anglais. Il voyage ensuite dans le Caucase et le Nord de la Russie et publie les récits de ses expéditions, entamant ainsi une carrière d’écrivain-voyageur qui durera toute sa vie. Il se trouve dans les montagnes de l’Altaï quand la guerre éclate et envoie au Times des articles relatant les combats sur le front russe.

De retour en Grande-Bretagne, il rend compte de la guerre sur le front oriental et donne des conférences sur la spiritualité russe. En septembre 1917, il rejoint les Scots Guards et entame ses classes en tant que simple soldat au camp de Caterham. Baptisé la Petite Sparte par la troupe, ce camp se distingue par la sévérité de sa discipline. Après un bref passage à la caserne londonienne de Wellingon, à Londres, pendant lequel il monte plusieurs fois la garde devant Buckingham Palace, il part pour la France en mars 1918. D’abord affecté au secteur d’Arras, il participe à la guerre de mouvement du printemps à l’automne 1918. Après l’armistice, les Scots Guards pénètrent en Allemagne et occupent Cologne.

De retour en Grande-Bretagne, Stephen Graham se demande quel nouveau tournant prendra sa vie, les Occidentaux étant désormais indésirables en Russie. En 1921, il revient sur les champs de bataille et s’interroge sur l’avenir de l’Europe. Le sacrifice de ceux qui sont tombés au champ d’honneur n’est-il pas en passe d’être oublié ? Le compte rendu de son itinéraire dans les villes en ruines de France et de Belgique sera publié sous le titre The Challenge of the Dead, en 1921. Stephen Graham ne peut cacher sa tristesse face aux villes en ruines et à la faculté qu’a l’être humain d’oublier. Il estime qu’un jour les cimetières militaires qu’aménage la Commission Impériale des Sépultures de Guerre ne seront plus visités par personne. Si l’avenir lui donnera tort, on ne peut qu’attester l’amertume qui a saisi tous ceux qui se sont rendus sur le front occidental au lendemain de la guerre. L’ampleur des ruines ne pouvait qu’engendrer un sentiment d’abattement que la foi en l’avenir ne parvenait pas toujours à surmonter.

Par la suite, Stephen Graham continuera de mener une vie de globe-trotter, avec notamment de longs séjours aux Etats-Unis et en Yougoslavie, qui donneront lieu à des récits de voyage. Il publiera également plusieurs romans et travaillera pour la BBC pendant la guerre.

A l’instar d’un Cendrars ou d’un Kessel, Stephen Graham faisait partie de ces écrivains-voyageurs pour qui l’aventure n’était pas un simple mot et qui n’ont jamais hésité à prendre des risques pour rendre compte de l’état du monde par le biais de l’écriture, mêlant avec talent l’art du reportage à celui de la littérature romanesque.

2. Le témoignage

A Private in the Guards est publié en 1919. Le livre inclut des articles précédemment publiés dans la Saturday Westminster Gazette, le Times, le Spectator et The English Review.

3. Analyse
Les premiers chapitres consacrés à la période d’entraînement en Grande-Bretagne occupent plus d’un tiers de l’ouvrage. L’auteur tient à nous montrer tous les aspects de la formation militaire pour nous amener à réfléchir sur les notions de discipline et d’esprit de corps. Les recrues sont humiliées, verbalement ou physiquement. Les punitions ne sont pas toujours justifiées et l’atmosphère exécrable. Cette description sans concession sera jugée excessive par bon nombre de lecteurs, outrés que l’on puisse ainsi critiquer le fonctionnement de l’armée. D’autres témoignages attestent pourtant de la brutalité inutile qui régnait sur les champs de manœuvre, notamment au célèbre Bull-ring d’Étaples.
Dans les chapitres relatant les combats en France, Stephen Graham décrit la brutalité de la guerre et s’attarde notamment sur les mauvais traitements que subissent les prisonniers allemands. Selon une règle tacite, les prisonniers sont même devenus indésirables et les prétextes pour s’en débarrasser deviennent monnaie courante. Pourtant, quand les Scots Guards occupent Cologne à la fin de l’année 1918, Stephen Graham est frappé par l’absence de ressentiment entre les soldats britanniques et la population allemande. Il note toutefois que la guerre a rendu les comportements plus agressifs, avec une forte dose de violence intériorisée.
Ces commentaires acerbes pourraient laisser penser que l’auteur s’inscrit dans une démarche de dénonciation et de pacifisme. Il n’en est rien. Stephen Graham constate, pointe du doigt les abus mais ne remet pas en question le fonctionnement de l’armée. La première phrase du livre énonce clairement que plus la discipline est sévère, plus le soldat sera valable. Le regard que l’auteur porte sur son expérience combattante est fondamentalement ambigu. Et c’est en cela qu’il est intéressant. Il comprend et atteste de la nécessité d’une discipline implacable pour gagner la guerre tout en déplorant le coût humain. Ce paradoxe moral est exposé sans être véritablement tranché. Un des chapitres s’intitule « War the brutaliser », préfigurant le concept de « brutalisation » que développera l’historien George L. Mosse au début des années 1990 à propos du champ politique allemand après la guerre [mais les travaux de Benjamin Ziemann ont montré que la plupart des soldats allemands aspiraient à une vie paisible au sortir de la guerre].
Le point de vue de Stephen Graham est celui d’un journaliste engagé. Sa position de simple soldat n’appartenant pas au monde ouvrier lui permet d’être un observateur privilégié de la troupe. Ses commentaires sur le niveau culturel, les mœurs et le langage des hommes du rang ne sont guère flatteurs. Un de ses officiers lui ayant demandé d’interroger ses camarades et ses officiers pour écrire une chronique du bataillon, il s’attelle à cette tâche. Nous avons ainsi au milieu de l’ouvrage un retour en arrière pour présenter l’historique des Scots Guards depuis août 1914. Ces passages ne sont pas ceux qui présentent le plus d’intérêt. Par contre le chapitre consacré aux morts, qui puise quant à lui dans le vécu de l’auteur, constitue un véritable brûlot qui expose à la lumière la plus crue la déshumanisation qu’implique l’expérience combattante. Stephen Graham nous décrit sans ménagement le comportement de certains survivants envers les morts au bout de quatre ans de guerre. Chez de nombreux soldats, l’extraordinaire manque de respect envers les morts était devenu un comportement habituel. Il donnaient des coups de pied dans les cadavres, perçaient leurs poches du bout de leurs fusils, les déshabillaient et se moquaient de leurs expressions faciales. Les morts sont dépouillés de toutes leurs possessions, y compris les bagues et médailles religieuses. Les lettres et photos sont par contre laissées sur le champ de bataille car elles n’ont aucune valeur marchande. Stephen Graham dénonce ces comportements qui restent cependant marginaux au vu de la grande majorité des témoignages britanniques publiés, dans lesquels le respect envers les morts est amplement attesté. Soucieux du problème d’identification des corps et de l’attente douloureuse dans laquelle sont plongées les familles de disparus, il lui arrive régulièrement de récupérer ces lettres et d’écrire aux familles concernées. Le chapitre concernant les aumôniers nous propose également un tableau acerbe de la communauté cléricale, qui ne tombe cependant jamais dans la caricature. La tâche des aumôniers semble impossible et beaucoup d’entre eux laissent tomber le Sermon sur la Montagne pour prêcher une haine justifiable de l’ennemi.
Les derniers chapitres concernent la traversée de la Belgique après l’armistice et l’occupation en Allemagne. La haine qui avait animé les Britanniques pendant quatre ans n’a plus cours. Il existe même entre Britanniques et Allemands une « affinité raciale » évidente. Comme le dit un des hommes de l’unité de Graham : « J’ai passé quatre ans et demi là-bas, en France et en Belgique, et je peux te dire que ceux dont je me sens le plus proche sont les habitants de ce pays. » Là aussi, Stephen Graham n’hésite pas écrire des choses qui déplairont aux lecteurs et à exposer la dure réalité de l’homme en guerre, sans recours à aucune idéologie.
Francis Grembert, mars 2016

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Longuet, Octave (1888-1944)

Octave Jean Baptiste Longuet est né le 19 octobre 1888 à Brest (Finistère) où son père était second maître mécanicien de 1ère classe sur le cuirassé garde-côte Le Vengeur. La famille vécut à Toulon et Bizerte au gré des affectations du père. Octave étudia aux Arts et Métiers d’Angers avant de faire le service militaire de 1909 à 1911, en partie en Tunisie. Il en sortit sous-lieutenant de réserve et fut mobilisé en août 1914 avec ce grade dans l’artillerie de défense des côtes. Après une période d’instruction au camp de Meucon, près de Vannes, sa batterie fut envoyée en Champagne pour la préparation d’artillerie de l’offensive du 25 septembre 1915. En Alsace, en secteur calme, de février à juin 1916. En appui de l’offensive de la Somme, de juin à décembre. A nouveau en Champagne et en Alsace, de décembre 1916 à mars 1918, et en Belgique jusqu’à l’armistice. Capitaine depuis le 18 avril 1918.
C’est le petit-fils du capitaine Longuet, Michel Delannoy, lui-même militaire de carrière, qui a retrouvé les 500 photos, dont 90 % sont bien légendées et dont la moitié ont été remarquablement reproduites dans le livre Capitaine Longuet, officier artilleur de la Grande Guerre, chez l’auteur (delmi83@sfr.fr), 2013, 227 pages, index des lieux et des matériels photographiés.
Le livre s’ouvre sur deux photos très originales. C’est d’abord un autochrome (le seul de la collection) représentant le lieutenant Longuet posant devant sa pièce, l’énorme 270 de côte en avril 1915. L’autre montre le départ de Brest de deux cuirassés, le 2 août 1914. Ensuite, le premier séjour en Champagne est particulièrement bien documenté. Les photos d’Octave Longuet montrent les mastodontes de l’ALGP (Artillerie Lourde à Grande Puissance), le grand nombre des serveurs (et d’abord des installateurs car, pour mettre en place un 270 de côte, il faut huit heures de travail de 15 hommes), les phases du chargement des pièces, les tirs. Et les résultats des tirs de ces pièces, et des autres, sur les forêts, les habitations, les tranchées. Les très bonnes photos de Longuet montrent les paysages dévastés, les tranchées en partie détruites, les abris de fortune, les tombes de soldats allemands et français parfaitement entretenues par les survivants, mais que l’artillerie ne peut évidemment respecter. Longuet n’était pas le seul photographe de la Grande Guerre et ses photos ne nous surprennent pas, dans l’ensemble, mais elles sont précisément situées : le Bois Sabot, la Tranchée de Cologne, le cimetière du Bois de Spandau, le Trou Bricot, la Maison Forestière, les ruines de Perthes-les-Hurlus. Sur les croix de bois du cimetière de la Maison Forestière, on distingue nettement le nom de plusieurs soldats du 80e régiment d’infanterie de Narbonne, que l’on pourrait identifier de plus près en consultant les fiches des morts pour la France sur le site Mémoire des Hommes.
Les photos d’Alsace représentent les parages de Thann sous la neige. On retrouve les engins de guerre dans la Somme où les photos montrent les différentes opérations du montage d’un 240 au nord de Bray en juillet 1916, avec les différents problèmes techniques rencontrés. On y voit encore le 305 de marine, l’obusier de 400, autres mastodontes, les troupes britanniques et les prisonniers allemands, un des premiers tanks anglais, et toujours des ruines, Curlu, Hem, la ferme de Monacu.
Octave Longuet se marie en mai 1919 ; il est démobilisé en juillet et reprend la vie civile dans diverses entreprises liées au bâtiment. Il ne dépasse pas le grade de capitaine dans la réserve : les notes de ses supérieurs rappellent ses « beaux services de guerre » mais regrettent qu’il ne fréquente pas les écoles de perfectionnement des officiers de réserve. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il se trouve avec sa famille à Auriac en Dordogne lorsque, le 30 mars 1944, la Gestapo et 300 hommes de la division Brehmer de la Wehrmacht, à la recherche des maquis, investit le bourg, exécute Octave Longuet, son fils André, le maire de la commune et deux métayers espagnols, et brûle la maison.
Rémy Cazals

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Thiesset, Henriette (1902- )

Nous avons reçu cette notice, de notre collègue professeur d’histoire Nathalie Jung-Baudoux :

Henriette Thiesset est née en 1902 dans la ville de Ham (80). Elle vit avec sa mère, Blanche, chez ses grands-parents, Henri Ficheux, chef de gare de la ville et son épouse Elvire. En août 1914, la ville est envahie par les troupes allemandes. Il est trop tard pour fuir. La famille s’installe dans une maison de Saint-Sulpice et commence alors le temps de l’occupation et des privations. Il faut loger les troupes, les nourrir et être à tout moment à leur service. La jeune Henriette décide de tenir un journal dès le début de l’occupation. Elle y raconte les humiliations subies, les événements quotidiens touchant le quartier et les environs. Si au début de la guerre Henriette s’inspire des pensées des adultes, traduisant leurs angoisses et le nouveau rythme de vie, elle se forge rapidement sa propre vision du monde qui l’entoure. Attentive aux souffrances des autres, elle décrit les soldats français, russes, anglais, ainsi que les manières de l’occupant, les doutes de certains soldats alsaciens, polonais et mosellans. Elle retranscrit le témoignage d’habitants envoyés au camp d’Erfurt :

« A Erfurt, les autorités ignoraient leur arrivée, on leur fit subir un interrogatoire pour leur faire avouer qu’ils étaient des francs-tireurs. Comme rien n’était prêt pour les recevoir, on les mit coucher sous la tente en attendant mieux. Un jour, on les fit tous ranger pour enlever les boutons de cuivre, un autre jour pour les porte-monnaie, mais pendant la fouille des premiers les autres avaient fait disparaître les leurs.
Un peu plus tard, on les mit dans des baraquements, nouvellement construits, et pendant quatre mois ils couchèrent sur la même paille, qu’on remplaça enfin par de mauvaises paillasses.
Ils étaient 16 000 dans le camp, des soldats français, des Russes, des civils. Les Russes malpropres introduisirent la vermine dans le camp, il fallut les mettre à part et vacciner tout le monde contre le typhus. La cuisine, organisée par un bufetier de la gare [sic], touchait 14 sous par jour pour nourrir chaque homme, et ne leur en donnait pas la moitié. La France heureusement envoye [sic] du pain, mais quelquefois les Allemands pillent le convoi.
Les Français ont pris plusieurs fois la défense des Russes trop maltraités. Un jour, un Russe éloigné à cause du typhus étant sorti pour ramasser une croûte de pain, un factionnaire l’attacha à un poteau pour le fouetter, mais les Français ramassèrent des pierres pour jeter au factionnaire. Craignant une révolte, les Allemands supprimèrent les punitions aux Russes.
On circule dans le camp, on y joue, les jeunes organisent des concerts. Dans l’intérieur du camp on vend du thé, du café et une rebutante charcuterie qui vaut très cher. Quelquefois, des enfants acceptent de l’argent pour faire les commissions des prisonniers, mais il arrive qu’ils gardent l’argent pour eux.
Tous les jours, quelques prisonniers vont en corvée en dehors de la ville.
Les colis arrivent aussi facilement que l’argent, surtout, ceux qui viennent de la France non envahie, quelquefois un journal s’y trouve glissé, comme pour emballer quelque chose. Au début, les Allemands avaient voulu donner l’argent à mesure, 30 marks à la fois, mais toujours on disait que le surplus avait été emprunté à un camarade, et le moyen ne réussit pas.
Un Alsacien, pris dans les armées françaises, a été fusillé parce que ses parents lui ont écrit sous son véritable nom.
Lorsque les prisonniers revinrent, ils crurent d’abord aller en France, mais passèrent par les Ardennes et apprirent alors qu’on les dirigeait sur Saint-Quentin. Après quelques formalités, on les rendit à leurs familles joyeusement étonnées.
Le pauvre M. Jaëck qui nous a raconté cela, n’a sans doute pas tout dit, car il craint que son fils soit prisonnier, il ne veut pas effrayer sa famille. »

Henriette Thiesset mentionne aussi les conséquences des mesures municipales sous la pression des Allemands. Proche du front et pourtant loin des sources d’information, son récit montre la pesanteur de l’attente, les espoirs de paix déçus, les craintes d’un lendemain incertain.
Lorsque la ville est libérée, que le Président Poincaré vient à Ham, tous pensent être au bout du chemin et un avenir est envisageable. Henriette cherche à se remettre à niveau et à devenir institutrice. Elle réussit le concours d’entrée et part étudier à Amiens. L’offensive allemande reprend. Tous les Hamois reçoivent l’ordre d’évacuer. Commence alors l’exil pour une partie de la famille, la grand-mère ayant refusé de quitter la ville. Henriette raconte alors la difficile recherche d’un logement sur Rouen, l’aide des populations et des religieux. Puis vient enfin le retour dans un pays dévasté suite à la pratique destructrice des Allemands lors de leur repli. Henriette recueille le récit de sa grand-mère qui a subi de terribles privations et a été évacuée en Belgique. Son grand-père Henri, épuisé par tant d’efforts, est atteint de la grippe espagnole et meurt le 22 février 1919. La ville de Ham est dévastée. Henriette, sa mère et sa grand-mère s’installent dans un petit bâtiment encore debout au fond du jardin. Tout est à rebâtir.
Nathalie Jung-Baudoux
*Journal de guerre d’Henriette Thiesset, 1914-1920, annoté par Nathalie Jung-Baudoux, Encrage Edition, 2012, 304 p. L’ouvrage comporte un index, les poésies de guerre d’Henriette Thiesset, d’autres témoignages et extraits de journaux de guerre (Docteur Dodeuil, M. Cagnon puis Mme Laurence Rousseau sur la ville de Roye), de nombreux documents d’archives sur Ham et sur quelques familles des environs.

Complément :

Les quatre cahiers manuscrits constituant le témoignage de Henriette
Thiesset font partie du fonds « La Guerre dans le ressort de l’Académie
de Lille » et sont conservés à la BDIC sous la cote F D 1126/07/C.695
On peut les visionner sur le site web de la BDIC dans la rubrique
« L’Argonnaute » en recherchant « Thiesset » ou alors par le lien suivant
(http://argonnaute.u-paris10.fr/ark:/14707/a011435678431tBxzgs)

Aldo Battaglia
Responsable des collections de peintures et dessins
Musée d’histoire contemporaine – BDIC
Hôtel national des Invalides
75007 Paris

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Balard, Auguste Germain (1881-1961)

Les 454 pages du manuscrit de Germain Balard posent la question de la date de l’écriture. L’entrée en guerre constitue l’entrée en matières sur 2 pages qui évoquent l’assassinat de Jaurès et le procès Villain ; la rédaction est donc postérieure à 1919. L’auteur raconte alors sa jeunesse en 76 pages et sa mobilisation à Perpignan en 5 pages. À partir de son départ pour le front, le 10 avril 1915, le récit, parfaitement daté, est une rédaction à partir d’un carnet de notes précises. La guerre (avec ses suites immédiates) occupe jusqu’à la p. 442. Viennent enfin 12 pages de remarques isolées de 1924 et de 1930-32. La dernière phrase est : « Le monde est en train d’évoluer rapidement. »
La longue biographie permet de dire que Germain est né le 3 janvier 1881 à Saint-Juéry (Tarn), de père inconnu. Sa mère a ensuite épousé un sabotier qui donna son nom à l’enfant. Celui-ci fréquenta irrégulièrement l’école, mais réussit à obtenir le certificat d’études et entra en apprentissage à 12 ans pour devenir tailleur de limes. Tant en usine que dans l’agriculture, il fit plusieurs métiers manuels jusqu’à la date du service militaire commencé à Carcassonne, mais non terminé pour raisons médicales. Sa grande chance, en 1906, fut d’être embauché comme livreur par un pharmacien de Toulouse qui l’initia à l’étude des médicaments et l’encouragea à acquérir une culture d’autodidacte. La situation était bonne et Germain se maria en 1909 avec une couturière. Réformé, il fut « récupéré » en décembre 1914 et envoyé comme infirmier à l’ambulance 5/16 en Champagne en juin 1915. À 34 ans, c’était un libre-penseur, anticlérical, un homme curieux de tout, ayant une haute idée des règles morales à respecter et une capacité d’indignation qui allait rencontrer de nombreuses occasions de fonctionner. Ainsi, face à un prêtre chauvin : « Lui qui se dit éducateur d’une certaine jeunesse, est capable de lui enseigner un nombre infini d’erreurs, plus grossières les unes que les autres. Aussi, comme conclusion à cette discussion, je lui conseille de revenir à l’école et de travailler la philosophie. » Il pense qu’il faudrait punir les responsables de la guerre ; qu’il faut lutter contre le « badernisme ». Il critique les profiteurs et les embusqués, la censure et le bourrage de crâne, les absurdités de la vie militaire. Il décrit un des médecins chefs de l’ambulance comme drogué, incompétent, fainéant et despotique.
Après la Champagne, l’ambulance est regroupée avec d’autres pour former un HOE à Landrecourt près de Verdun en août 1916. Là, il voit descendre des survivants : « Le 143e RI descend des lignes, passe près de nous. C’est avec un serrement de cœur très pénible que l’on voit à quel état squelettique sont réduits ses bataillons. Sur 3000 hommes qui étaient montés, il en redescend 700, et dans quel état ! Cependant leurs clairons sonnent et leurs tambours résonnent à la traversée de Landrecourt. Beaucoup d’entre eux se redressent dans un suprême effort d’énergie pour marquer le pas ; mais plus nombreux encore sont ceux que tout laisse indifférents, traînant péniblement ce qu’ils ont pu rapporter de ce lieu infernal, parce qu’ils savent qu’on ne leur demandera pas d’autre effort avant longtemps, qu’on va les prendre en auto à quelques mètres de là. Il n’y a pas quinze jours que ce régiment était monté en ligne au complet. »
En juin 1917, retour de permission, Balard décrit l’effervescence dans les trains où les poilus cassent toutes les vitres et conspuent les gendarmes, « aussi à chaque arrêt y a-t-il des individus qui descendent du train et incitent les autres à descendre et à ne pas revenir au front ». Lui-même n’y participe pas, mais estime que les hommes arrêtés par les gendarmes « auront toujours assez de mal pour se soustraire aux griffes de la justice militaire ». Le 28 octobre 1917, notation originale, il dit entendre la Madelon pour la première fois.
L’offensive alliée en 1918 fait découvrir des territoires dévastés. Ainsi au retour d’une permission, le 3 septembre, dans les parages de Villers-Cotterêts : « Je parcours de récents champs de bataille : des trous d’obus partout, des arbres fauchés par la mitraille tombés un peu partout et n’importe comment, des canons ennemis abandonnés au petit bonheur. J’arrive à Longpont que je connaissais comme petite ville accidentée très coquette et propre ; je ne rencontre plus que des ruines partout ; pas une maison n’a été épargnée. […] Je remarque des tombes un peu partout, sur les bords de la route, dans les champs. Elles sont reconnaissables à la terre fraîchement remuée, un piquet qui supporte un casque ou un sabre, une vareuse ou des restes de capote ; quelques-unes ont une croix avec un nom. […] Là, sur un petit plateau, deux tanks inutilisables. » Et, le 15 septembre, le travail repris à l’ambulance : « Les blessés affluant de toutes parts, je me trouverais débordé sans l’aide de deux prisonniers allemands dont un est particulièrement dévoué. Ils me sont d’un grand secours étant donné que j’ai un seul blessé français – on n’a pas voulu le mettre dans une salle où il aurait été seul – tous les autres sont allemands. »
Le 11 novembre, le mot « armistice » est écrit en lettres capitales : « Pour savoir ce que ce mot représente, il faut avoir vécu la journée d’aujourd’hui parmi les poilus, parmi les civils qui ont quelqu’un de leurs proches sur la ligne de feu, parmi ce qu’il est convenu d’appeler le peuple ! »
RC
*Virginie Auduit, Carnet de guerre d’un ambulancier 1914-1918, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse Le Mirail, 1998 (avec 75 pages d’extraits du témoignage).

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Marcq, Alphonse (1867-1943)

Ce maraîcher de Craonne est né à Ailles (Aisne) le 25 août 1867. D’un premier mariage, il a une fille et un fils, Jean, soldat tué à Doncourt le 22 août 1914, Alphonse restant dans l’ignorance du sort de son fils pendant toute la durée de la guerre. Veuf, il s’est remarié en 1901. Il avait une instruction suffisante pour être désigné comme instituteur en septembre 1916 à La Selve où il avait été évacué. La transcription de son journal (du 1er août 1914 au 15 mars 1919) est conservée à la mairie de Craonne.
La première partie décrit l’arrivée des Allemands au village le 2 septembre 1914, les combats tout autour au cours du même mois, le bombardement (« c’est un chassé-croisé épouvantable d’obus ») qui oblige à vivre dans les caves où on a pu cacher quelques poules, et d’où on peut sortir « au péril de sa vie » pour aller récupérer quelques pommes de terre dans les champs. « Les routes et les jardins sont coupés de tranchées dans tous les sens », écrit-il le 29 septembre. Quelques jours après, il faut évacuer vers Sissonne, puis La Selve, où se manifeste une réelle solidarité.
Pendant quatre années, le journal d’Alphonse Marcq est rythmé par le bruit du canon. La canonnade est plus ou moins espacée ou « dure », comme lors de l’offensive de la Somme (en octobre 1916), lors de celle du Chemin des Dames en 1917, tandis qu’arrivent de nouveaux évacués et que se concentrent les renforts allemands. En « pays envahi », les Allemands imposent réquisitions, amendes, confiscations, travail forcé, thèmes bien connus et plus largement décrits par Albert Denisse (voir ce nom). Ici encore, on voit jusqu’où peut aller l’organisation bureaucratique tatillonne : empêcher les chevaux de manger les épis quand on les fait paître (23 juillet 1916) ; interdire de jeter des boîtes de conserve vides dans les abris contre les aéros (30 mai 1917) ; condamner au travail forcé les personnes qui répondraient « j’aime mieux faire de la prison que de payer une amende »… Dans cette accumulation d’interdictions et de menaces, on distingue une double obsession : celle des épidémies ; celle de ne rien laisser perdre. Ainsi, celui que les circonstances ont fait instituteur doit-il « aller avec les enfants de l’école glaner du seigle tous les après-midi ». Les habitants « résistent » en cachant leur vin et leurs volailles, en produisant de la farine au moulin à café, en braconnant (comme Alphonse Marcq lui-même). Le 14 juillet 1916, « les demoiselles arborent chacune un bouquet tricolore à la boutonnière en revenant des champs ». Mais il est difficile d’obéir aux avis lancés par avion de refuser de travailler pour l’armée allemande lorsque des sanctions très fortes sont affichées visant ceux qui veulent « rester à ne rien faire » (4 mars 1916).
Cette politique générale de spoliation bien précisée, certains Allemands sont aimables (même des Prussiens) ; ils aident les populations à survivre ; on assiste à des distributions gratuites de viande de cheval accidenté ; certains Allemands sont « reçus très affectueusement ». Les contacts font apparaître que les soldats désirent le retour de la paix (16 janvier et 12 décembre 1916) ; un Bavarois glisse à Alphonse : « Allez monsieur Bayern mit Frankreich ». Les soldats, autant que les populations du pays envahi, crèvent de faim, ce qui explique leurs pillages ; il y a même des combats entre gendarmes et soldats (1er septembre 1917) : « Les gendarmes tirent sur les maraudeurs de pommes de terre qui leur répondent de même. Un soldat et un gendarme sont tués à Sissonne, le soldat d’abord par le gendarme qui se fait tirer ensuite par les camarades du défunt. »
Dès juillet 1918, Alphonse Marcq comprend que les Allemands reculent. Bientôt il faut envisager une nouvelle évacuation qui le porte vers les Ardennes. Il faut à nouveau vivre dans une cave, mais pour peu de temps : les Français sont là le 9 novembre et l’armistice survient deux jours plus tard. Tout n’est pas terminé. Le 15 janvier 1919, un voyage à Craonne est qualifié de « triste pèlerinage ». Le 28 janvier, le constat reste pessimiste : « Nous traînons toujours notre malheureuse vie d’affamés. » Alphonse décide alors de s’installer à Montaigu, à quelques kilomètres au nord du village détruit. Il y restera jusqu’à son décès en avril 1943.
Rémy Cazals

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Bertier de Sauvigny, Albert (1861-1948)

1. Le témoin

Issu d’une grande famille de l’ancienne noblesse d’origine bourguignonne. Entretient des relations sociales avec ce milieu. Semble partager des idées politiques plus ou moins conservatrices. Membre du C.I.O. avant la guerre. Propriétaire du château de Coeuvres. Maire de cette commune durant toute la guerre (ne quitte sa commune qu’entre le 31 mai et le 20 juillet 1918). Malgré son engagement durant la guerre, n’est réélu ni 1919 ni en 1925.

2. Le témoignage

Pages d’histoire locale 1914-1919. Notes journalières et souvenirs, Imprimerie de Compiègne, 1934, 525 p. Edition illustrée (dessins de l’auteur ?) Carte. Préface. 17 annexes.

Réédition Soissonnais 14-18, 1994, 523 p. Fac-similé de l’édition originale. Photographies et documents divers (c’est cette réédition que nous utiliserons ici).

Une dédicace : « A mes fils, en mémoire de leur aîné mort pour la France. »

Les souvenirs d’Albert Bertier de Sauvigny constituent une source de premier ordre pour mieux connaître la vie d’un village de l’immédiat arrière front, Coeuvres dans l’Aisne, durant toute la guerre et l’immédiat après guerre. Ils laissent apparaître deux types de narration, mêlant d’ailleurs deux typographies distinctes.

L’une est constituée à partir de notes journalières qui semblent ici retranscrites mais ont été à l’évidence complétées voire complètement réécrites par la suite, sans que l’on puisse vraiment savoir si le contenu de ce journal a été ici utilisé dans sa totalité. Ces notes sont parfois introduites par une phrase du type : « Je relève dans mon journal : (…) » (p 23).

L’autre est une mise en récit de ces notes, faisant entrer ce type de témoignage dans la catégorie des souvenirs de guerre. Ce second type de narration s’appuie alors sur d’autres sources que celles dont l’auteur a pu être le témoin direct (cf. ci-dessous, fin du chapitre I).

Le récit est alerte, vivant, avec une chronologie très précise. Il fourmille de détails dont l’intérêt est variable si l’on sort d’une perspective purement locale. La position sociale de Bertier facilite ses relations tant avec les autorités militaires (allemandes ou françaises) qu’avec un certain nombre de notables locaux ou nationaux. Ces souvenirs abordent également la période de l’immédiat après guerre avec l’évocation de l’année 1919 (recherche et identification des corps, gestion des cimetières provisoires, reconstruction du village).

3. Analyse

Vu la longueur du témoignage, nous adoptons ici une approche volontairement synthétique qui variera en fonction de l’intérêt des chapitres. Le contenu des annexes (souvent riche) est mentionné mais ne sera analysé que très brièvement.

Avant-propos

P I à IX : implication de l’auteur dans le comité international d’organisation des J.O. à la veille de la déclaration de guerre.

Première partie : du 22 juillet au 31 décembre 1914

Chapitre I (p 1 à 10)

Visite privée en Allemagne du 22 au 26 juillet 1914 puis départ précipité pour l’Angleterre où l’auteur apprend l’existence de l’attentat de Sarajevo et ses conséquences.Retour en France début août : mobilisation. Arrivée à Coeuvres le 2 août : première réquisitions militaires.« Des notes prises journellement par moi pendant mon séjour auprès de mes administrés, puis – après mon départ volontaire pour l’armée jusqu’à mon retour au pays – un journal tenu par mon ami Maurice Desboves et une fréquente correspondance échangée soit avec lui, soit avec le secrétaire de mairie, soit avec mon garde-régisseur Leblanc, m’ont permis de reconstituer l’existence quotidienne de mon village pendant ces années inoubliables. » (pp 9-10)

Chapitre II (p 11 à 22)

2 juillet et jours suivants : départ des premiers mobilisables de Coeuvres : « (…) personne à ce moment ne se rend compte de la terrible réalité. » (p 11) L’auteur reçoit l’aide des habitants du village pour faire face à cette situation. Destruction des plaques du bouillon Kub (rumeur apparue dès le début du conflit). Réquisitions militaires et création d’une Commission de ravitaillement. Union sacrée au niveau de la presse régionale. Protection d’une ressortissante autrichienne suspecte conduite à Paris. Arrivée des réfugiés de Verdun (dans le cadre du plan d’évacuation de la région fortifiée). Début de la vague d’espionnite. Avalanche de circulaires et télégrammes due à la proclamation de l’état de siège (directives absurdes). Mise en place de dispositions en faveur des familles nécessiteuses (abus). Etablissement de barrages et de contrôles dans la traversée des villages (espionnite aigue ; l’auteur mentionne un retour accru de cette tendance après la bataille de la Marne).

Chapitre III (p 23 à 32)

24 au 30 août : désertion de certains fonctionnaires et notables face aux menaces d’invasion.

L’auteur pressent que cette région de l’Aisne sera envahie et occupée. Arrivée des populations du Nord. Départ conseillé des familles de « quelques notabilités » malgré un télégramme du général commandant la 2e Région (rassurant…) Trains pour Paris bondés. Premières rumeurs concernant les atrocités commises par les Allemands. Absence de directives émanant des autorités civiles. Présence des troupes anglaises.

Chapitre IV (p 33 à 38)

31 août : repli en ordre de l’armée anglaise (mais pillages). Patrouilles de Uhlans signalées (accrochages avec des gendarmes). Départ de certains habitants, d’autres entendent rester : « De-ci de-là des conciliabules ont lieu dans la soirée, de maison à maison. Le pitoyable défilé des fuyards ne produit pas le même effet sur tous. Il affole les uns et les entraîne à l’exode ; au contraire il détermine d’autres à rester, qui déclarent : « Si je dois mourir, j’aime mieux que ce soit chez moi que par les chemins ! » » (p 36)

Chapitre V (p 39 à 60)

1er septembre : poursuite du retrait des troupes anglaises, talonnées par les Allemands (cette retraite semble s’accomplir cette fois dans un certain désordre). Un officier britannique quelque peu paniqué conseille à l’auteur de partir. Des habitants du village qui se sont mis en route sont refoulés, probablement par les autorités militaires. Un sous-officier anglais, réfugié chez un habitant et ivre, accuse le maire d’être un espion. Même comportement avec d’autres habitants. Bertier est obligé d’intervenir pour le calmer et s’en débarrasser.

Irruption d’un dragon allemand à la recherche de soldats anglais. Il braque son arme sur le maire mais dialogue calmement en français. A l’arrivée des patrouilles allemandes, Bertier fait connaître sa qualité de maire et demande à être l’interlocuteur privilégié (les échanges se font toujours en français avec les officiers). Le maire donne des consignes afin que chacun reste chez soi. Des traînards de l’armée anglaise déambulent toujours dans une certaine confusion qui ne peut qu’affoler la population civile et entraîner des répressions (les atrocités allemandes semblent connues de l’auteur dès cette période). Un jeune civil est tué par les patrouilles de Uhlans (corps abandonné puis récupéré par ses camarades). Installation des Allemands (Bavarois) dans le château de Coeuvres (propriété du maire). Passage du duc de Slesvig-Holstein (beau-frère de Guillaume II), il s’installe temporairement au château et félicite le maire d’être resté à son poste. Un cantonnier et sa famille, prisonniers des Allemands, bénéficient de l’intervention du maire pour être libérés. Les Allemands, selon les propos du journal du maire, emploie un stratagème leur permettant de justifier une éventuelle répression : ils affirment avoir subi des pertes, fussent-elles imaginaires… Le duc reçoit un télégramme de Guillaume II lui annonçant la défaite des Russes. Bertier demeure sceptique mais considère que la guerre est véritablement perdue, au vu de l’avancée allemande et de leur proximité par rapport à Paris. Le duc invite Bertier à souper, ce dernier décline catégoriquement l’ « invitation »… Evocation du comportement du même duc au château de Bellignies (Nord) qui appartenait à la famille de Croÿ. Ce dernier obligea les châtelains à dîner en sa compagnie, les menaçant d’abandonner une ambulance en cas de refus (cet épisode a été raconté par Marie de Croÿ à l’auteur en 1931 ; il est également relaté dans les mémoires de Marie de Croÿ dont on trouvera la référence dans la 4e partie).

Bertier s’enquière de ses administrés : il a surtout des craintes pour les fermes isolées de sa commune. La boulangerie est particulièrement sollicitée par la troupe d’occupation.

Poursuite du passage des troupes allemandes qui donne l’impression d’une totale défaite. Les habitants sont contraints à mettre des seaux d’eau devant le seuil de leurs maisons pour que les soldats puissent se désaltérer. Hymnes de victoire : dans 3 jours, ils seront à Paris…

Le soir, Bertier est à nouveau obligé d’intervenir auprès d’un haut gradé allemand (le prince de Saxe-Meiningen) pour sauver de l’exécution son adjoint Debuire. Cette rumeur s’avère finalement fausse sans que Bertier parvienne à élucider son origine. Harassé par cette journée mouvementée, Bertier doit néanmoins continuer à administrer sa commune occupée, notamment avec l’arrivée des services postaux militaires allemands. L’état-major qui occupait le château le quitte à 3 heures du matin.

Chapitre VI (p 61 à 78)

2 au 7 septembre : flot ininterrompu de troupes allemandes. Pillages sans ordres de réquisition mais un officier allemand accorde 250 kg de farine pour la population civile. Un officier qui porte un nom polonais semble très affecté par la tâche qui lui a été confiée : enterrer les morts.

Un médecin allemand soigne un dragon grièvement blessé. Ce dernier confie au maire un certificat de bons soins.

Certains officiers du Slesvig « pacifiques et corrects » (p 66) ont peu de sympathie pour les Prussiens. Le cadavre d’un civil est à nouveau découvert. Evocation du canon vers Château-Thierry (bataille de la Marne). A partir du 7 septembre, les troupes allemandes refluent vers le nord.

Chapitre VII (p 79 à 98)

9 et 10 septembre : reflux de la cavalerie (non engagée) puis de l’infanterie allemande. Arrivée au château de l’état-major de la 1ère armée (Von Klück, qui fait bonne impression à l’auteur). Installation des lignes téléphoniques.

Chapitre VIII (p 99 à 106)

11 septembre : départ de Von Klück et de son état-major. Reflux d’isolés allemands. Arrivée de la cavalerie française puis de l’infanterie. Combats sporadiques d’arrière garde. Les Français ne sont pas sûr de pouvoir tenir le village (risque de bombardement allemand).

Chapitre IX (p 107 à 122)

12 au 14 septembre : arrivée des avant-gardes françaises du 7e CA. Enterrement de soldats allemands et français. Evocation rétrospective des exploits de l’escadron Gironde (cf. également annexe I). Canonnades vers le nord (passage de l’Aisne). Installation de troupes françaises dans le village. Les combats pour passer l’Aisne s’avèrent particulièrement difficiles car les Allemands se sont retranchés sur les plateaux qui la jouxtent (bataille de Fontenoy et du plateau de Nouvron). Arrivée des premiers blessés français (63e DI). L’armée fournit des vivres à la population du village.

Chapitre X (p 123 à 130)

15 au 20 septembre : combats pour la prise des plateaux du nord de l’Aisne (pluie). Retour de certains habitants qui avaient fui. Remise de plaques d’identité à un major chargé de l’assainissement du champ de bataille. Fixation des lignes et entrée dans la guerre de position.

Chapitre XI (p 131 à 160)

21 septembre au 17 octobre : installation de l’état-major de la VIe armée (Maunoury) dans la château de Coeuvres. Près de 5 000 hommes vivent dans le village (premières tensions entre les autorités civiles et militaires au sujet des réquisitions et de l’installation des troupes). Interdiction des débits de boisson pour la troupe. Visite de Gabriel Hanotaux (distribution d’argent). Pénurie de charbon et de vivres. Mesures de police à l’égard des civils considérées comme vexatoires. Espionnite. Départ de l’état-major de la VIe armée.

Chapitre XII (p 161 à 172)

18 octobre au 18 novembre : visite de l’épouse du maire de Fontenoy (situation très difficile dans ce village de première ligne).

Visite de Melles B. et C. fiancée et sœur du maréchal des logis C. mort à l’ambulance le 20 septembre et inhumé au cimetière de Coeuvres. Elles sont accompagnées d’un ami, ancien commissaire à Besançon. La fiancée insiste pour qu’on exhume le corps du soldat. Refus motivé de Bertier dans la mesure où le corps est enterré en fosse commune, ce qui oblige à exhumer les autres corps. La fiancée s’incline devant cette raison.

Ouverture d’une fosse commune  où reposent des Anglais au Rond de la Reine [parmi ces corps, celui du neveu de Lord Cecil ; un monument le commémore aujourd’hui ; Doumer évoquera le devenir de ce corps lors dans le procès-verbal de la séance du 31 mai 1919 de la Commission Nationale des Sépultures militaires, cf. AN F2 2125]. Voyeurisme d’une passante lors de ces exhumations.

Chapitre XIII (p 173 à 182)

21 novembre au 24 décembre  : établissement à Coeuvres de l’état-major du 7e CA (nouvellement commandé par le général De Villaret). Visite du sous-préfet. Arrivée de wagons de charbon (suite à l’intervention d’Hanotaux ; évocation de la création du Comité des Réfugiés de l’Aisne). Enterrement d’un soldat allemand. Sur la croix figure l’inscription : Hic jacet ignotus Teutonicus miles. Création de compagnies agricoles. Conseils de révision (Villers-Cotterêts, Vic-sur-Aisne). Visite de deux femmes au général De Villaret (dont une actrice) malgré l’interdiction de la zone aux civils.

Deuxième partie : du 1er janvier 1915 au 31 décembre 1917

Chapitres XIV à XXIV (p 185 à 286)

1915 : le village est devenu un lieu de cantonnement des troupes (va-et-vient incessant de diverses unités). Afflux de troupes en vue de l’attaque de la cote 132 (affaire de Crouy). Blessure des généraux Maunoury (VIe armée) et De Villaret (7e CA) lors d’une visite aux tranchées. Bombardement du village. Mandats pour occupation du village par l’armée (indemnités de cantonnement lucratives pour certains habitants). Déjeuner avec l’abbé Payen qui a accompagné jusqu’au peloton d’exécution 2 soldats (exécution dans un hameau de Saint-Cristophe-a-Berry). Visite d’une ambulance : 2 soldats blessés ont commis des violences sur leur sergent et ont fait une tentative de suicide commune. Un capitaine du Génie réquisitionne du matériel pour inventer et fabriquer un lance-grenade sous forme d’arbalète. « La mission d’annoncer ces tristes nouvelles aux parents des pauvres soldats tombés au Champ d’Honneur, revient bien souvent et constitue l’un des côtés douloureux du rôle des maires. » (p 223). 4 août 1915 : l’état-major du 7e CA quitte le village pour s’installer à Longpont. 1er octobre : réouverture de l’école du village.

1916 : nombreux décès dans l’ambulance entraîne la création d’un nouveau cimetière (ambulance importante, les blessés viennent de loin). Arrivée de la main d’œuvre travaillant pour la défense du Gouvernement militaire de Paris (mauvaise réputation, cégétistes…). Lutte des autorités militaires contre la vente de vin par les civils.

1917 : le village se vide de militaires suite au recul allemand. Cantonnement de troupes participant à l’offensive du Chemin des Dames (repos). Mutinerie du 370 RI. Arrivée de 5 escadrilles de chasse à la ferme de Vaubéron (installation de hangars). Nomination d’un délégué et d’un suppléant de la commune à la Commission cantonale des dommages de guerre.

Troisième partie : du 1er janvier au 23 octobre 1918.

Chapitres XXV et XXVI  (p 289 à 312)

1918 : les cultivateurs se plaignent qu’un grand nombre d’ouvriers quittent les fermes pour aller travailler à l’avant (meilleures rémunérations). Propagande allemande envoyée par ballonnets (Gazette des Ardennes). Les habitants ne touchent plus depuis 6 mois leurs indemnités de cantonnement. Visite de Guy de Lubersac stationné au camp d’aviation de Vaubéron (cf. également annexe XV).

Chapitre XXVII (p 313 à 328)

Mai : installation du CI de la 1ère DI. Départ de certains habitants après l’attaque allemande du 27 mai sur le Chemin des Dames. Défilé incessant de troupes. Installation de l’état-major du 1er CA (général Lacapelle). Mise en sécurité des archives communales. 31 mai : arrivée massive de troupes. Evacuation des civils par camions militaires et sur ordre de l’autorité militaire (quelques « obstinés irréductibles prétendant qu’on n’a pas le droit de les obliger à partir », pp 323-324). Bertier quitte le village pour Paris sous les premiers bombardements.

Chapitres XXVIII et XXIX (p 329 à 332)

Juin : évacuation et dispersions des habitants du village évacué vers la Normandie et la Bretagne. Récit de l’« odyssée de ceux de mes administrés qui étaient restés dans Coeuvres après l’évacuation » (témoignages indirects).

Chapitre XXX (p 357 à 368)

20 juillet : retour de Bertier à Coeuvres : le village a beaucoup souffert des offensives et contre-offensives. La propriété du maire est en partie détruite. Présence de trous individuels et de cadavres allemands dans les parages du village (effets des gaz). Bertier est invité à aller déjeuner à l’état-major du XXe CA (château de Montgobert). Autorisation pour une deuxième visite à Coeuvres occupé par les Britanniques dont l’état-major est installé dans les creutes environnantes (aménagées grâce à la récupération des biens des habitants évacués).

Chapitre XXXI (p 369 à 376)

Août-septembre : nouvelle visite à Coeuvres. Retour de 4 habitants (retours tolérés par l’autorité militaire qui pourtant ne les autorise pas officiellement). Des équipes militaires sont réquisitionnées pour moissonner. Nomination à l’Officiel de Bertier comme chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire. Multiplication des retours clandestins de civils. Visite de Bertier à Paris : intervention auprès du Comité Central des Réfugiés de l’Aisne.

Chapitre XXXII (p 377 à 386)

14 septembre : réinstallation définitive de Bertier dans sa commune (chez l’habitant). Cantonnement de troupes et intervention du Génie pour réparer les habitations (futur STPU à l’efficacité douteuse…). Utilisation des prisonniers pour le déblaiement du village (collecte d’obus non explosés ; un supplément de nourriture pour ceux qui aident de leur mieux). Manque de baraques (n’arriveront qu’en novembre). Action appréciée du CARD (Comité américain des Régions dévastées d’Ann Morgan, cf. annexe VII) et de l’Association de l’Aisne dévastée (fondée en juin 1916).

Chapitre XXXIII (p 387 à 390)

Octobre : récupération de carton bitumé dans un magasin du STPU. Début de la longue correspondance du maire aux familles qui ont perdu un proche dans le secteur : « Je me suis fait un devoir de répondre moi-même très exactement aux parents qui recherchent des militaires disparus dans notre région. » (p 389) Le retour des sinistrés est ralenti par la pénurie de maisons habitables (et secteurs non déminés). Réclamation du maire pour obtenir plus de prisonniers allemands (sentiment d’injustice).

Quatrième partie : du 24 octobre 1918 au 3 mai 1925

Chapitre XXXIV (p 393 à 398)

12 novembre : le retour du silence : pas d’avion, pas d’artillerie. Cérémonie à Paris pour la réception de la Légion d’Honneur. Début des exhumations et réinhumations. Visite du sous-préfet accompagné d’un architecte canadien. Projet de coopérative de reconstruction.

Chapitre XXXV (p 399 à 412)

Janvier 1919 : recherche de cadavres non inhumés. Mise en chantier de la coopérative de reconstruction (apparition des architectes démobilisés). Arrivée des familles à la recherche des disparus, de morts ou de blessés. Une mère voulant soigner son fils gazé est à son tour victime du gaz. 9 mars : violente diatribe de l’auteur à l’égard des politiciens qui bradent la victoire (vise Clemenceau que Bertier ne semble pas porter en son coeur…). On compte les victimes du conflit… Difficultés face au ravitaillement. Correspondance avec les familles à le recherche de leurs morts : certaines familles entendent que leurs morts reposent là où ils sont tombés, près de leurs camarades. Projet de création d’une voie de 0,60 pour aider à la reconstruction (ne sera finalement pas utilisée…).

Chapitre XXXVI (p 413 à 422)

Mai : la remise en état des terres et du village permet d’exhumer de nombreux cadavres. Loi du 17 avril 1919 sur les dommages de guerre (charte dite des sinistrés). 15 juin : création de la coopérative de reconstruction (27 adhérents). Procession et visite dans les cimetières militaires provisoires. Localisation des tombes isolées. Visite des familles. Intervention de Bertier à l’Assemblée des Etats-généraux des Régions libérées de Laon en faveur de la question des tombes isolées (Bertier dénonce à plusieurs reprise l’absence puis l’incompétence des services de l’Etat-civil du champ de bataille, cf. annexe V). 3 septembre : départ de Bertier pour Douaumont afin d’y rechercher son fils (ce qui explique sa sollicitude à l’égard des familles de disparus…). Recherche qui demeure sans résultat. Second voyage sans résultat. 12 octobre : « Assemblée générale de la Coopérative. Les architectes et les entrepreneurs nous promettent monts et merveilles. » (p 420)

Chapitre XXXVII (p 423 à 430)

Déplacement du cimetière du village vers l’extérieur, à côté du cimetière militaire. 30 novembre : élections municipales, Bertier n’est pas réélu, victime d’une kabale locale… Il continue à travailler au sein de la coopérative de reconstruction (où la favoritisme s’installe… mais à mettre en relation avec sa non réélection…). Erection du monument aux morts en 1926 (cf. annexe XII). La commune reçoit la croix de guerre.

Annexes

Annexe I : le raid de la 5e DC [épisode le l’escadron Gironde]

Annexe II : Ambulances ayant fonctionné à Coeuvres [simple liste]

Annexe III : Aide de l’armée à l’agriculture

Annexe IV : Evacuation et exil

Annexe V : Tombes isolées et cimetières [particulièrement riche]

Annexe VI : Récupération

Annexe VII : Le Comité américain des Régions dévastées

Annexe VIII : La reconstitution

Annexe IX : Les familles décimées

Annexe X : Dans les régions envahies

Annexe XI : De Douaumont à Coeuvres [quête du fils disparu]

Annexe XII : Le monument aux morts [inauguration non exempte de règlements de compte politiques, comme ce fut souvent le cas…]

Annexe XIII : Les morts de la commune de Coeuvres-et-Valsery

Annexe XIV : Les instituteurs de l’Aisne [exécution par les Allemands d’instituteurs après la guerre de 1870]

Annexe XV : Le Marquis de Lubersac [pilote durant la guerre ; s’investit beaucoup ensuite dans la reconstruction]

Annexe XVI : Elections et nouvelle municipalité du 3 mai 1925 [dans un contexte de querelles politiques locales]

Annexe XVII : Entre bons Français

4. Autres informations

CLERMONT Emile, Le passage de l’Aisne, Grasset, 1921, 128 p. [rééd. Soissonnais 14-18, 2002, 158 p.]

DE CROY Marie, Souvenirs de la princesse Marie de Croÿ, Plon, 1933, 281 p.

HARDIER Thierry, JAGIELSKI Jean-François, Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925), Imago, 2001, 375 p.

ROLLAND Denis, La grève des tranchées, Imago, 2005, 448 p. [sur la mutinerie de Coeuvres, pp 197-203]

J.F. Jagielski, mars 2009

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Gómez Carrillo, Enrique (1873-1927)

1. Le témoin

Enrique Gómez Carrillo est né à Guatemala le 27 février 1873. Critique littéraire, chroniqueur, journaliste diplomatique, il est le fils de l’historien Agustín Gómez Carrillo, recteur de l’université de San Carlos et de Joséphine Tible Machado, d’origine belge, de laquelle il tient sa connaissance de la langue française. Il travaille en 1890 au Courrier du Soir du Guatemala et rejoint Paris où il est nommé consul de ce pays (1898) et d’Argentine (1899). C’est au double titre de diplomate et de correspondant de guerre qu’il parvient à effectuer plusieurs visites à l’arrière du front de France en 1914-1915, desquelles il va tirer un ouvrage testimonial paru en 1915. Il effectuera d’autres voyages, suivis d’ouvrages tout au long du conflit. Après une grande carrière littéraire, il décède à Paris le 29 novembre 1927 où il est enterré au cimetière du Père Lachaise.

2. Le témoignage

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Enrique Gómez Carrillo, Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Paris, Berger-Levrault, 1915, 381 p., non illustré.

Le texte est traduit de l’espagnol par J.-N. Champeaux, journaliste à L’Information qui nous renseigne dès l’envoi sur le ton de l’ouvrage, suite de « pages justicières » issues de voyages au front du 15 novembre 1914 au 10 mars 1915.

3. Analyse

Gómez Carrillo, diplomate et correspondant de guerre espagnol, parcourt le front et ses arrières du 15 novembre 1914 au mois de mars 1915. Il consigne et décrit ses visions et ses impressions du conflit bien qu’il ne le côtoie que postérieurement ou ne s’en approche que de manière très relative. Dès lors, de la banlieue parisienne à Pont-à-Mousson, nous suivons ce très francophile témoin dans son parcours qui nous amène sur les ruines de la Marne, la forêt d’Argonne, Verdun, le Grand Couronné et les abords de Metz. Pendant son périple, Gomez Carrillo retrace en forme de journal d’impressions datées les évènements, petits ou grands et reporte les légendes et les anecdotes de l’invasion. Il fait également de nombreuses références et rétrospectives historiques sur les sites traversés, fustigeant l’Allemand et magnifiant l’esprit français et ses valeurs. Quelques réflexions opportunes de cet éminent lettré imagent ce récit à la fois personnel et emprunté à l’Histoire.

Nous sommes donc avec cet ouvrage aux limites de la littérature testimoniale, bien qu’il s’ouvre sur cette phrase : « 15 novembre 1914. Nos visions de guerre commencent aux portes de Paris… », ce « témoin civil » est à la marge de ce genre littéraire. Les envolées lyriques, les nombreuses rétrospectives historiques ou les aspects touristiques des sites que l’auteur dit traverser ne font toutefois pas oublier – et rehaussent plutôt – la pauvreté documentaire de ce périple et de l’ouvrage. Fort bien écrit et très érudit, ce livre n’est en fait qu’une image très démonstrative des intoxications patriotiques du moment de sa rédaction. En effet, outre des erreurs géographiques grossières (Gómez-Carrillo semble placer la commune vosgienne de Raon-l’Étape entre Commercy et Sermaize-les-Bains, sur la route de l’Argonne, page 138), l’auteur se fait surtout le rapporteur des clichés populaires et ineptes de la propagande du début du conflit. Prisonniers ennemis qui se rendent pour de la nourriture, fraternisations multiformes (pages 94, 124, 207) et accords tacites répétés entre les belligérants, espionnite exacerbée (pages 103), prisonniers volontaires en nombre (pages 94, 184, 205) exactions allemandes sans nom, etc., se multiplient à chaque chapitre et révèlent qu’en fait de correspondance ou de témoignage de guerre, Gomez Carrillo n’a vu du front et des sites de l’invasion que ce que l’autorité militaire a bien voulu lui laisser voir et que ce que la propagande a bien voulu lui laisser dire. Un livre finalement bien pauvre d’enseignements mais riche d’un bourrage de crâne qui représente en soi un modèle du genre et une des meilleures illustrations de ce type de littérature de guerre. On note toutefois une réflexion sur le Miracle de la Marne : « Pour la première fois dans l’histoire, la France avait appris dans le cours d’un désastre à organiser le triomphe » (page 354).

4. Autres informations

Rapprochement bibliographique

Cet ouvrage est à comparer à celui de Courtin-Schmidt, De Nancy aux Vosges. Reportages de guerre, Nancy, Dupuis, 1918, 265 pages.

Bibliographie de l’auteur

Gomez Carrillo Enrique Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Nancy, Berger-Levrault, 1915, 381 pages.

Gomez Carrillo Enrique Au cœur de la tragédie. Sur le front anglais. Nancy, Berger-Levrault, 1917.

Gomez Carrillo Enrique Le sourire sous la mitraille. De la Picardie aux Vosges. Nancy, Berger-Levrault, 1916, 348 pages.

Gomez Carrillo Enrique Le mystère de la vie et de la mort de Mata Hari. Paris, Charpentier-Fasquelle, 1925, 227 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

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Muzart, Georges (1869-1961)

1. Le témoin

Né le 11 mars 1869 à Fismes (Marne). Géomètre-expert de formation (fonction qu’il remplira jusqu’en 1927). Service militaire au 3e Génie d’Arras. S’installe à Soissons en 1898. Elu conseiller municipal de cette ville en avril 1912. Mobilisé du 2 au 31 août 1914 comme G.V.C. puis de décembre 1916 à février 1917 (rappel de la classe 1889). Maire de Soissons en 1915 par délégation préfectorale jusque fin 1916. Conseiller d’arrondissement à partir de 1919 (radical-socialiste). Reçoit la Légion d’Honneur pour son comportement durant la Grande Guerre (décret publié au J.O. du 10 janvier 1921). Premier adjoint au maire en 1925. Occupe différentes fonctions durant l’entre deux guerres : président de la chambre des géomètres experts de l’Aisne, président du syndicat agricole de petite et moyenne culture, président de la société coopérative de reconstruction. Suite au décès du maire de Soissons, Fernand Marquigny, prend la succession de celui-ci en 1942. Se retire de la vie publique après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Décédé le 1er août 1961.

2. Le témoignage

La première version publiée de ce témoignage l’a été dans le journal La Dépêche de l’Aisne.

La première version éditée de ce témoignage s’intitule Soissons pendant la guerre, Editions Soissonnais 14-18, 1998, 261 p., ISBN 2-9508870-2-3 (préface de Denis Rolland et Jean-Luc Pamart, illustrations photographiques). Cette édition comprend deux annexes qui ne font pas partie du témoignage de Muzart : « Visite de Georges Clemenceau en 1919 » (p 241-249) et « Visite de Raymond Poincaré, le 12 février 1920 et remise de la Croix de la Légion d’Honneur à la ville » (pp 249-260). L’édition de 1998 ne respecte pas la version présentée dans la presse : elle ne traite que de la période allant de 1914 à 1925 alors que le manuscrit (conservé par la famille) couvre la période allant jusqu’en 1944 ; un redécoupage en chapitres a été établi, découpage que nous reprenons dans l’analyse de ce témoignage. Les préfaciers indiquent la suppression de « rares passages » tout en précisant que « la forme, malgré certaines lourdeurs, n’a pas été modifiée. » (voir préface p 5)

Notons enfin que ce témoignage cite régulièrement le contenu de certains documents officiels (affiches, délibérations, comptes-rendus de conseil municipaux, etc…) et rapporte le contenu d’autres témoignages de civils et militaires (oraux ou écrits) qui ont été confiés sans doute tardivement à l’auteur (pp 55-56, 78-80, 109-118 par exemple). Il se veut également un témoignage visant « à rétablir la vérité historique » (p 122), notamment lorsque les propos du témoin ou des témoins cités contredisent les versions officielles défendues par les militaires (affaire de Crouy).

3. Analyse

L’intérêt de ce témoignage de semi-civil (quittant assez rapidement son affectation de G.V.C) repose sur deux aspects qui nous paraissent essentiels : la durée sur laquelle porte ce témoignage (des prémices de la guerre jusqu’en 1919) et la place qu’occupe ce témoin dans une ville de province où la quasi totalité des édiles abandonnent la ville face à la menace ennemie ou aux conditions de vie extrêmement délicates puisque Soissons, jusqu’en 1917, est une ville qui se trouve en première ligne.

Prémices et occupation allemande (p 6-57)

La relation de la période qui précède l’occupation de la ville par les Allemands est particulièrement riche. On y voit l’entrée en guerre d’une petite ville de province qui se trouve sur la route de Paris. La description de cette période abonde en notations relatant la mobilisation et le départ de la garnison locale (67e R.I.), les premières mesures prises par les autorités municipales face à la menace de guerre (comité de secours), l’attitude des Soissonnais en cette période de tension (brèves manifestations patriotiques et ambiance d’union sacrée, montée de l’angoisse face à l’absence de nouvelles et à l’afflux de réfugiés colportant les premières rumeurs d’atrocités allemandes, rapide apparition de l’espionnite) et la première prise de contact avec les réalités de la guerre (trains de blessés, mise en place d’ambulances, mobilisation des services hospitaliers, premières inhumations).

Avec l’arrivée des Allemands, le témoignage se précise encore : abandon de la ville par les troupes franco-anglaises, disparition des édiles locales à de rares exceptions près, peur et violence des troupes allemandes envers les civils (boucliers humains, pillages, viols, menaces de brûler la ville, exécutions sommaires, prise d’otages). Muzart fait alors partie des rares élus qui sont demeurés en ville et qui décident, par la force des choses, de devenir les interlocuteurs de l’armée d’occupation. Les Allemands se servent (vins, vivres) ou ont recours aux réquisitions que l’auteur doit essayer de satisfaire au mieux sans toutefois aller trop loin et devenir ainsi complice de l’ennemi. La position est délicate et ce, d’autant plus, qu’il faut remettre en état de fonctionnement les commerces ou les industries de première nécessité (boulangeries, moulins) pour nourrir la population civile qui est restée dans la ville ainsi que les réfugiés (populations venant de Belgique et du Nord, Verdunois). Bénéficiant d’un laisser-passer lui permettant d’aller réquisitionner la campagne, Muzart décrit également les violences que subissent les fermes aux alentours de Soissons.

L’apparition de convois allemands se dirigeant vers le nord, bientôt suivis de soldats, laisse entendre aux habitant de la ville que la situation évolue. Le reflux des troupes allemandes s’accompagne d’un renforcement des pillages. Les nouvelles réquisitions ne pouvant être satisfaites, l’autorité allemande se raidit et menace d’emmener le témoin pour en faire un prisonnier. Ce dernier est alors contraint à la fuite.

Après la Marne (pp 59-108)

Les Français entrent dans la ville le 13 septembre. Les Allemands font sauter l’ensemble des ponts qui permettent le franchissement de l’Aisne. Un groupe de sapeurs allemands, victime d’une panne de camion, est fusillé sommairement. Ces destructions bloquent l’avance des poursuivants et les contraignent à construire des ponts provisoires au moment où les Allemands s’installent sur les hauteurs septentrionales qui dominent la ville. Soissons connaît alors une première vague de bombardements intenses, obligeant les populations civiles à s’installer durablement dans les caves des habitations. La position des troupes françaises demeure inconfortable. Dominées par un ennemi qui a décidé de s’installer durablement en creusant les premières tranchées, éprouvées par les récents combats de la Marne, elles ne parviennent pas à déloger les Allemands des hauteurs de Pasly et Cuffies. L’état-major de la 45e D.I. (général Arrivez) s’installe à l’hôtel de ville qui est copieusement arrosé d’obus. C’est à cette époque que se répandent les premières et tenaces rumeurs d’espionnite comportées tant par les civils que par les militaires. L’une d’entre elles prétend que le maire de Soissons, Becker, aurait été fusillé pour avoir, avant la guerre, préparé l’installation de l’artillerie ennemie dans les carrières de Pasly. En fait, depuis l’arrivée des Allemands, le maire de Soissons a quitté la ville et c’est sans doute cet « abandon » qui est à l’origine de la « légende infâme ».

Avec l’installation des états-majors apparaissent rapidement des tensions entre le pouvoir civil et militaire. Les militaires, qui ont tendance à voir des espions partout, se méfient des civils. Muzart intervient auprès de Maunoury (commandant la VIe armée) pour sauver du peloton d’exécution deux de ses concitoyens accusés à tort d’espionnage.

Il prend à nouveau en charge la délicate question du ravitaillement des civils et des militaires dans la ville en réorganisant le « Fourreau économique ». Cette question est d’autant plus sensible que la ville ne possède plus les fonds qui ont été emmenés par le receveur municipal au moment de l’avance des Allemands. Ne sont restés à Soissons que « les habitants qui n’avaient pas les ressources suffisantes pour entreprendre un voyage vers un but incertain. » Ces habitants pauvres – femmes, vieillards et enfants – ne peuvent subvenir à leurs besoins que par leur travail. Or toutes les activités économiques ont été arrêtées. Un ravitaillement public est organisé. Le prix des denrées de première nécessité est contrôlé afin d’éviter toute spéculation. Les services municipaux sont en cours de réorganisation. Ils assurent l’évacuation des cadavres de chevaux ainsi que le déblaiement des maisons incendiées ou bombardées. Le manque de ravitaillement et d’argent oblige les plus nécessiteux à s’engager dans ces travaux de première urgence. Du travail contre des denrées, tel est le système adopté, faute d’argent…

La ville de Soissons reçoit la première visite du préfet de l’Aisne. A cette occasion Muzart est nommé maire de la ville et le préfet lui demande de révoquer les fonctionnaires municipaux qui ont déserté leur poste, ce que refuse l’intéressé. Muzart apprend qu’un comité de solidarité en faveur de la ville – il s’agit du Comité central des Réfugiés de l’Aisne – est en train de se constituer à Paris. Quelques jours plus tard, Muzart reçoit la visite du président de ce comité, Gabriel Hanotaux. Peu de temps après cette visite arrivent les premiers colis de vêtements et de vivres de ce comité dont la distribution est réservée aux plus nécessiteux. Un comité de secours est constitué dans la ville pour assurer équitablement la distribution de ces dons. L’évêque de Soissons, Mgr Péchenard, en prend la direction.

Le sous-préfet Andrieux qui avait évacué ses services sur Oulchy-le-Château, se réinstalle à Soissons. Les services postaux sont également réorganisés. En cette période de réaménagement des services de l’Etat, le nouveau maire est amené à prendre une série d’arrêtés visant à organiser la vie des Soissonnais dans une ville à proximité immédiate du front. L’installation d’un nouveau général à l’Hôtel de Ville, détend les relations entre les autorités militaires et civiles. L’arrivée dans l’état-major du général Legay du député du Nord Cochin permet de mettre à l’abri les objets de valeur du musée ou de la cathédrale ainsi que l’évacuation des manuscrits de la bibliothèque vers la B.N. Une passerelle et un pont de bateaux sont jetés sur l’Aisne par les Anglais, permettant ainsi de relier le quartier Saint-Waast au reste de la ville.

De nouvelles rumeurs s’installent dans la ville. L’une d’elles prétend que les carrières qui dominent la ville auraient été repérées par l’armée allemande bien avant la guerre pour leur servir de base de repli. Muzart dément clairement ces allégations pourtant reprises dans les mémoires de Mgr Péchenard qui se contente alors de paraphraser les allégations de Léon Daudet.

Les civils constatent l’inefficacité des attaques partielles pour reconquérir les crêtes ou des tentatives de destruction des réseaux allemands par le Génie à l’aide de cisailles. L’inexpérience et l’entêtement du commandement sont criants…

Le retour du secrétaire général de la mairie à la fin septembre provoque un mini scandale parmi le personnel municipal resté en poste. Muzart l’écarte définitivement. L’autorité militaire évacue sans ménagement la population civile du quartier de Vauxrot qui se trouve en première ligne et qui doit servir à l’installation d’une tête de pont au nord de l’Aisne (préparation de « l’affaire de Crouy »). Des renforts coloniaux arrivent pour cette opération. Les enfants de moins de 14 ans et les vieillards doivent évacuer la ville.

L’ « affaire de Crouy » (pp 109-123)

Muzart relate les événements de la bataille de Crouy en s’appuyant sur le témoignage du commandant Schneider du 231e R.I. « qui séjourna avec son régiment à Soissons du 13 septembre au 1er mai 1915. » Cette relation souligne combien le manque de préparation pour cette attaque était criant : cartographie du secteur d’attaque plus qu’approximative, encombrement extrême des boyaux avant même que l’attaque n’ait démarré, mauvais positionnement des troupes d’assaut par rapport aux plans établis, impréparation des postes de commandement, dotation en matériels de guerre nettement insuffisante, liaisons entre les unités d’assaut quasi inexistante… Comme pour la plupart des offensives françaises de la Grande Guerre, l’effet de surprise est nul : avant même le déclenchement de l’offensive, les Allemands bombardent copieusement les pentes et amènent immédiatement des renforts. Chez les assaillants, dans l’obscurité de la nuit du 8 au 9 janvier, souffle un vent de panique qui augure mal pour la suite car les pertes sont déjà sévères. Ne pouvant avancer, les Français peuvent tout au plus conserver les tranchées qui ont été conquises au début de l’offensive par les troupes marocaines. La situation empire encore lorsque les Allemands contre-attaquent et atteignent la saillant de Saint-Paul aux abords de la ville. Seule l’intervention très tardive de la 14e D.I. parvient à contrecarrer l’attaque allemande et empêche que la situation ne tourne à une véritable débâcle française. Le témoignage du commandant Schneider souligne enfin que l’échec de cette offensive est dû plus à la mésentente entre deux divisionnaires qu’aux conséquences de la crue de l’Aisne qui furent présentées à l’époque comme la raison principale de ce revers.

Le 14 janvier, Muzart rencontre Maunoury et lui demande un ordre écrit lui intimant de faire évacuer Soissons. La réponse orale du commandant de la VIe armée va dans ce sens. Toutefois Maunoury fait parvenir à Muzart un courrier contredisant ses propos et lui conseillant uniquement « de faire pression » sur les Soissonnais pour évacuer définitivement la ville. Comme le souligne à juste titre l’auteur, « en insérant au communiqué que la ville de Soissons avait été évacuée, n’allait-on pas affoler l’opinion publique ? » L’autorité militaire – en pleine bataille – ne peut (et ne veut…) accorder son concours à l’évacuation massive des civils et ne sont finalement évacués que les vieillards et les infirmes. Il faut attendre l’arrivée de la 63e D.I. pour que l’organisation d’un réel système défensif aux abords de la ville soit mis en place.

La guerre au quotidien (pp 125-156)

Les efforts de l’artillerie allemande se concentrent sur l’usine élévatoire de Villeneuve-Saint- Germain afin de priver la ville en eau courante. L’usine, placée sur une éminence, est protégée par une enceinte bétonnée. Une seconde captation d’eau est organisée. L’hôtel de ville, repéré par les Allemands, est en partie abandonné. Les archives municipales sont déplacées à Hartennes. Seule une permanence est maintenue dans les locaux de la mairie. Malgré la remise en état du moulin de Chevreux, l’approvisionnement en blé et farine demeure problématique. Il en est de même pour la viande. Les épiceries sont rares mais parviennent à satisfaire le ravitaillement. Les Soissonnaises sont mises à contribution pour la fabrication de masques à gaz voués aux civils. Des abris contre bombardement sont réalisés, notamment dans les caves d’une banque et celles de l’hôtel de ville. Les services hospitaliers sont réorganisés. C’est un médecin militaire qui assure l’essentiel des consultations.

La qualité des relations entre autorités militaires et civiles dépend fortement des interlocuteurs sollicités. Muzart dénonce les agissements d’un commandant major de la garnison qui, ayant senti que des tensions existaient entre le préfet et le sous-préfet, cherche à « donner libre cours à ses instincts d’autoritarisme » que lui autorise l’état de siège. Ce représentant de l’autorité militaire affirme son pouvoir en jouant avec la délivrance des laisser-passer qui ne sont accordés qu’à ceux qu’il peut soudoyer.

Le charbon fait défaut. Des stocks appartenant à la Compagnie du Nord sont rachetés par la ville et distribués aux habitants sur présentation d’un bon signé du maire. La situation empire lorsque le préfet décide de réquisitionner ces stocks, décision contre laquelle Muzart ne peut agir. Du fait de cette décision autoritaire, les relations entre la ville et l’autorité préfectorale se dégradent également. Muzart intervient cependant avec succès auprès de Franchet d’Esperey pour se débarrasser définitivement du major de garnison.

Certains habitants de Soissons opèrent des déménagements de leurs biens meubles. Muzart encourage cette démarche et parvient même à organiser un service régulier autorisant l’amélioration de la qualité de ces transports. L’autorité militaire consent, de son côté, à évacuer certains stocks précieux laissés à l’abandon, notamment des cuirs. Les convois sont organisés nuitamment pour ne pas éveiller l’attention des artilleurs allemands. Des collections archéologiques du musée et des ouvrages de la bibliothèque sont à nouveau mis à l’abri.

A l’image de Reims, Soissons devient une ville-martyre. Elle est fréquentée par « des visiteurs de marque. » Hommes politiques (Sarraut, Damimier, Klotz), hommes de lettres (Loti, Kipling, Ginisty) et journalistes (Babin de l’Illustration) la parcourent et narrent dans de nombreuses publications le quotidien d’une ville du front. C’est aussi l’époque où Muzart est sollicité pour témoigner en faveur de tel ou tel civil susceptible de recevoir – à tort ou à raison – la croix de guerre qui est accordée à une certains nombres de femmes pour leur réel dévouement (épouse du sous-préfet, directrices d’hôpitaux, etc).

Les tiraillements au sein de l’autorité civile, entre le préfet et le sous-préfet, se poursuivent et entraîne la constitution de « clans » qui s’entredéchirent, tout en favorisant leur clientèle respective… L’autorité du maire est même quelque peu écornée par ces querelles de palais où l’attribution de décorations ou de prix aux civils paraît prépondérante (affaire Macherez pour l’attribution du prix Audiffred décerné par l’Académie des Sciences morales et politiques).

Conseil municipal de guerre (pp 157-184)

La difficulté de réunir dans la ville en état de siège un conseil municipal oblige Muzart à convoquer cette réunion, le 4 novembre 1916, à Paris dans les locaux de la mairie du 10e arrondissement qui accueillait déjà le Comité de l’Aisne. Les mémoires de Muzart reproduisent ici in extenso le procès-verbal de ce conseil municipal transplanté.

L’année 1917 (pp 185-206)

Les querelles au sein de l’autorité civile ne se sont pas éteintes. Loin s’en faut. En novembre 1916, Muzart, qui est entré en conflit ouvert avec le préfet au moment de l’attribution du prix Audiffred à Mme Macherez en lui refusant son soutien, se voit menacé par ce dernier de mettre fin à son sursis d’appel qui lui a été octroyé afin d’exercer les fonctions de maire. Muzart (qui appartient à la classe 89 !) acquiesce à la décision préfectorale et se rend au dépôt du 9e Territorial à Dreux dans lequel il demeure affecté jusqu’en février 1917. Un nouveau maire est nommé par le préfet. Muzart est finalement mis en sursis d’appel comme agriculteur et revient dans le Soissonnais à Arcy-Sainte-Restitue où il dirige une exploitation agricole. Conservant sa qualité de conseiller municipal, il reste en contact avec sa ville (dans laquelle il semble résider assez fréquemment) et se tient parfaitement au courant des événements du quotidien qu’il continue à relater pour la période où il n’occupe plus les fonctions de maire, tout en participant aux différents conseils en tant que conseiller municipal « mobilisé ».

L’anéantissement (pp 207-213)

Suite à l’enfoncement du front sur le Chemin des Dames le 27 mai 1918, Muzart est contraint d’abandonner avec sa famille la ferme d’Arcy-Sainte-Restitue. Les réfugiés si dirigent vers Oulchy-Le-Château puis Fossoy (environs de Château-Thierry). Contraints d’évacuer du fait de la violence des combats, ils quittent l’Aisne pour la région d’Auxerre. Là, Muzart intervient auprès du préfet afin d’améliorer le sort des axonais nouvellement arrivés. Apprenant le recul des armées allemandes sur l’Aisne, il décide de repartir pour Arcy-Sainte-Restitue. La ferme n’a subi que des dégâts mineurs mais les cultures ont souffert des combats. Les champs « sont débarrassés de tout ce qui pouvait gêner le passage de la moissonneuse. » De retour à Soissons, Muzart ne peut que constater les nouveaux et importants dégâts qu’ont provoqués les bombardements aériens.

La vie repend (pp 215-240)

La ville n’est plus qu’un champ de ruines où ne demeurent que certains bâtiments épargnés. Le retour des Soissonnais est pénible : « Leur consternation était navrante à voir, la plupart revenaient du centre ou des côtes, ne pouvaient malgré quelques nouvelles reçues, se faire à la vision qu’ils avaient de nos ruines. »

Le retour de la municipalité permet d’organiser les premiers secours. « Chacun se loge comme il peut dans ce qui reste de maisons, se confectionne un abri avec les débris utiles qu’il peut trouver. » Un hôtel épargné rouvre ses portes. Muzart, dont le domicile a été détruit, réacquière un nouveau domicile à Soissons. En février 1919, Fernand Marquigny, premier adjoint démobilisé, prend les fonctions de maire et préside le premier conseil municipal d’après guerre. Les priorités sont naturellement d’organiser la reconstruction de la ville : intervention des S.T.P.U, construction de baraquements provisoires pour l’accueil des ouvriers de la reconstruction, réouverture des commerces, remise en état des infrastructures essentielles. C’est la période où chaque propriétaire qui a subi des dommages de guerre doit constituer un dossier d’indemnisation qui devra être adressé aux commissions de réparations que l’Etat vient d’instituer.

Fin 1919 sont organisées les élections municipales. Le vote des Soissonnais se porte majoritairement sur les anciens membres de la municipalité et tout particulièrement sur ceux qui eurent des responsabilités durant la guerre. Muzart est facilement réélu (y compris aux élections du conseil d’arrondissement). Sur proposition de Fernand Marquigny, il refuse cependant la charge de maire qu’il estime ne pouvoir remplir convenablement et soutient la candidature de ce dernier.

La reconstruction permet de modifier la ville « en lui donnant de belles et grandes places, de larges avenues, des grandes rues permettant le roulage nouveau en assurant la sécurité et la commodité aux piétons ». Manquant d’argent, l’Etat français incite les villes détruites à contracter des emprunts de démarrage auprès de banques étrangères. En 1921, le Canada est sollicité. Le 14 février de la même année, la ville reçoit la Croix de Guerre, « conséquence directe de la distinction de la Légion d’Honneur qui lui avait été accordée le 12 février 1920. » Soissons s’enrichit « d’un stade de toute beauté permettant aux habitants de se délasser, de se distraire ». Le nouveau maire devient député, la ville est ainsi « représentée à la Chambre des Députés ».

4. Autres informations

Anonyme, Soissons avant et pendant la guerre, Guide illustré Michelin des champs de bataille, 1919, 63 p.

Babin Gustave, « Soissons sous le canon », L’Illustration du 6 mars 1915.

Barbusse Henri, Lettres de Henri Barbusse à sa femme 1914-1917, Flammarion, 1937, 261 p.

Baudelocque, Une œuvre de guerre – 1914-1920 – Le Comité Central des Réfugiés de l’Aisne. Son organisation – Ses ressources – Son action, Imprimerie Risch, s.d., 202 p.

Péchenard P.L. (Mgr), Le Martyr de Soissons. Août 1914-juillet 1918, Gabriel Beauchesnes, 1918, 432 p.

J.F. Jagielski, juin 2008

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