Delon, Louis (1894-1964)

Fils de gantier, né à Valence (Drôme) le 16 juillet 1894, il devient lui-même gantier à Millau (Aveyron). Il est mobilisé au 72e RI, puis il passe dans les régiments d’infanterie coloniale, le 42e en décembre 1915, le 6e en juillet 1918. Il combat dans l’armée d’Orient et il est victime du paludisme. Pour le « soigner », rien ne vaut le froid et on l’envoie à Arkhangelsk avec le 21e bataillon de marche, peu avant l’armistice du 11 novembre. Motif officiel : empêcher que ce port devienne une base pour les sous-marins allemands. Les soldats s’aperçoivent bien vite qu’il s’agit de combattre les bolcheviks. Le seul témoignage qu’ait laissé Louis Delon concerne le séjour à Arkhangelsk et particulièrement la mutinerie de mars 1919. L’épisode est exposé par Patrick Facon, d’après les documents d’archives, notamment 7N 816 et 817 du SHAT, dans son article de 1977 de la Revue d’histoire moderne et contemporaine (p. 455-474). Louis Delon a recopié sur un cahier conservé par sa famille une série de témoignages favorables aux mutins : lettres de réclamation contre le manque de nourriture et de couvertures, contre les brimades de certains officiers, etc. Surtout, l’argument central est celui-ci : « Les journaux français qui nous parviennent nous rapportent les paroles prononcées au parlement par le ministre de la Guerre : « Depuis le 11 novembre 1918 le bruit du canon a cessé pour tous les Français. » Ici, bien après cette date, mille coups de canon ont été tirés par l’ennemi en vingt-quatre heures ! Sommes-nous Français ? » Traités de lâches, accusés de salir le drapeau, les mutins répondent qu’ils se sont battus pendant quatre ans sur tous les fronts contre les ennemis, mais que la France n’est pas en guerre contre la Russie. Enfermés dans une baraque, on leur envoie un provocateur (« ce n’était ni plus ni moins qu’un fumiste envoyé ici par les officiers ») qui se présente comme ayant « des idées complètement révolutionnaires », à quoi les hommes répondent qu’il n’en est pas de même pour eux, qu’ils se moquent un peu de la politique et qu’ils réclament seulement leurs droits.
En conseil de guerre pour « refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre », le commissaire du gouvernement renonce finalement à soutenir l’accusation. Du sous-lieutenant Rivaud, défenseur, Patrick Facon nous apprend qu’il était avocat à la cour d’appel de Paris. Louis Delon a retranscrit un résumé de son habile plaidoirie : « Sommes-nous en guerre avec la Russie ? […] Après la signature de l’armistice avec les Allemands, nos soldats ne pouvaient-ils pas se croire en droit de refuser de marcher contre les bolcheviks ? L’article 227 du code de justice militaire punit de la peine de mort tout commandant d’unité qui continuerait, après la signature d’un armistice, à donner des ordres pour continuer les hostilités. Ce ne sont pas ces soldats qui sont assis au banc des accusés qui méritent d’être punis mais bien celui ou ceux qui sont la cause que les soldats alliés continuent à combattre en Russie. » Le verdict rapporté par Patrick Facon comme par Louis Delon : deux mois de prison avec sursis. Il n’empêche que les mutins, au lieu de rentrer en France, sont envoyés en bataillon disciplinaire au Maroc. Louis Delon finit par retrouver Millau où il se marie en juin 1921, reprenant son métier de gantier.
Rémy Cazals

Photo de Louis Delon dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 179.

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Bloch, Marc (1886-1944)

D’une famille alsacienne juive ayant opté pour la France en 1871, fils de l’historien Gustave Bloch, Marc Bloch est né à Lyon le 6 juillet 1886. Lui aussi s’est dirigé vers le métier d’historien, passant par l’ENS et l’agrégation. En 1914, il est professeur au lycée d’Amiens ; il a déjà écrit des articles d’histoire médiévale et sa thèse est en cours. Sergent au 272e RI dans la Meuse, il fait la retraite et la Marne et s’installe dans la guerre de position en Argonne. Adjudant en novembre 1914, il est évacué pour cause de typhoïde de janvier à juin 1915. En Argonne avec le 72e jusqu’en juillet 1916, il échappe à l’offensive de Champagne de septembre 1915 et à Verdun. En mars 1916, il est nommé sous-lieutenant. Il participe à l’offensive de la Somme. De janvier à mars 1917, il est en Algérie, du côté de Constantine. En juin, sur le Chemin des Dames. En août, lieutenant, il est officier de renseignements. Il finit la guerre comme capitaine.
Ses « écrits de guerre 1914-1918 » sont très divers : des carnets contenant des notes laconiques ; des rapports en style officiel, rédigés par lui, mais signés par le colonel ; quelques lettres, dont des testaments à envoyer à sa famille en cas de décès ; des listes de livres à lire, ce qui montre qu’il n’avait pas oublié son projet intellectuel ; des souvenirs rédigés en 1915 ; un article de réflexion publié en 1921. Les « Souvenirs » ont été écrits pendant sa convalescence, « avant que le temps n’efface leurs couleurs aujourd’hui si fraîches et si vives ». Ils montrent d’abord le Paris de la mobilisation, paisible, solennel : « la tristesse qui était au fond de tous les cœurs ne s’étalait point » ; « les hommes pour la plupart n’étaient pas gais ; ils étaient résolus, ce qui vaut mieux ». Dans la retraite, le « cruel tableau » de l’exode des paysans, les pillages, la vie dans la boue, le 75 qui tire trop court, autant de notations présentes dans les carnets des fantassins. Concernant les chefs, Marc Bloch note qu’il ne connaît « qu’un moyen de persuader une troupe de braver un péril : c’est de le braver soi-même ». « Comme tout le monde, ajoute-t-il, j’ai constaté l’extrême insuffisance de notre préparation matérielle et de notre enseignement militaire. » Et : « Je n’ai pas toujours été content de tous les officiers. Je les ai trouvés parfois médiocrement attentifs au bien-être de leurs soldats, trop ignorants de la vie matérielle des hommes et trop peu désireux de la connaître. »
Dans la liste des livres à lire, figure celui de Fernand van Langenhove, Comment naît un cycle de légendes. Francs-Tireurs et atrocités en Belgique (Paris, 1916). Cet ouvrage et quelques autres ont servi de base à l’article de Marc Bloch, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », paru dans la Revue de synthèse historique en 1921. Dans l’histoire, dit-il, de faux récits ont été capables de soulever des foules. Or, la guerre de 1914-18 peut être considérée comme « une sorte de vaste expérience » en ce domaine, qui montre qu’une légende ne se crée que si l’erreur trouve « dans la société où elle se répand un bouillon de culture favorable ». Dans le cas de la guerre récente, il faut souligner le rôle de l’émotion et de la fatigue qui affaiblissent le sens critique, de la censure et du bourrage de crâne qui perturbent le sens du vrai et du faux, mais aussi le « renouveau prodigieux de la tradition orale » et l’importance des lieux de rencontre, notamment les cuisines qui furent comme « l’agora » du petit monde des tranchées.
Même s’il n’est pas possible de le développer ici, il est clair que l’œuvre historique ultérieure de Marc Bloch fut marquée par son expérience de la guerre, qu’il s’agisse de l’étude topographique des paysages ruraux ou de la réflexion comparative sur la défaite de 1940. Résistant sous l’Occupation, Marc Bloch fut pris par les Allemands et fusillé le 16 juin 1944, dix jours après le Débarquement.
RC
*Marc Bloch, Écrits de guerre 1914-1918, textes réunis et présentés par Étienne Bloch, introduction de Stéphane Audoin-Rouzeau, Paris, Armand Colin, 1997, illustrations.
*Olivier Dumoulin, Marc Bloch, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.

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