Alain (Emile-Auguste Chartier) (1868-1951)

1. Le témoin

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Emile-Auguste Chartier dit Alain est né à Mortagne-au-Perche le 3 mars 1868. Philosophe, journaliste et professeur de français, il publie dès 1903 plusieurs milliers de chroniques sous le nom d’Alain et est connu comme pacifiste avant guerre. A la déclaration des hostilités, bien que non mobilisable, il s’engage dans l’artillerie et est affecté au 3e régiment d’artillerie lourde. Gravement blessé au pied à Verdun le 23 mai 1916, il fait un court séjour aux services météorologiques de l’armée, sera démobilisé en 1917, restera estropié et reprendra sa carrière de professeur. Son nom reste attaché au pacifisme et à l’antifascisme. Il décède au Vésinet le 2 juin 1951 et est enterré au cimetière du Père Lachaise.

2. Le témoignage

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Emile-Auguste Chartier dit Alain, Souvenirs de guerre. Paris, Hartmann, 1937, 246 pages, non illustré, portrait en frontispice.

Alain écrit ses souvenirs en 1931 et précise en faire « quelques ajustements, mais sans rien changer à cette couleur des opinions » (page 243) en mai 1933. Ces souvenirs présentés d’une manière vaguement chronologique comportent peu de dates et quelques lieux seulement pourront aider à suivre le narrateur dans ses trois années de périple. On trouve néanmoins dans l’ouvrage quelques tableaux assez bien descriptifs de ces lieux occupés par Alain et de nombreux détails techniques, restant superficiels toutefois. La période couverte s’étale d’octobre 1914 à octobre 1917.

3. Analyse

Alain a 46 ans lorsqu’il s’engage comme volontaire au 3e RAL en octobre 1914 et rejoint avec sa batterie le village de Beaumont, entre Toul et Saint-Mihiel. Dès lors, l’écrivain-philosophe-soldat relate les épisodes marquants qui lui reviennent à l’esprit et qui vont lui donner le prétexte à une réflexion profonde et débridée sur la guerre et les impressions qu’elle lui inspire. Employé dans plusieurs postes, rarement très loin des combats, Alain, simple brigadier malgré ses lettres et son cursus, va parcourir la guerre jusqu’en octobre 1917 et observer, parfois commander mais surtout réfléchir à sa condition et à celle des hommes qu’il côtoie. Il donne libre court à son esprit critique et juge tant le détail que la nature humaine avec un soupçon de révolutionnarisme. Il parle aussi objectivement de la technique, de ses métiers et des lieux qu’il parcourt, ceci sans soucis de continuité ou de lien, laissant courir sa plume au gré de ses souvenirs. On sent toutefois présente dans la fin du récit une certaine lassitude de la guerre et c’est sans regret que l’auteur quitte le front en octobre 1917.

L’attrait de ces souvenirs réside tant par la richesse des impressions qu’ils contiennent que par l’origine de leur auteur. Alain, philosophe-soldat nous fait plonger dans le minuscule univers de son champ de vision et fait surgir quelques réflexions sur le monde qu’il nous présente de manière débridée. Ainsi, par delà le simple récit d’un combattant de l’immédiat arrière front se trouvent illustrés un état d’esprit et une vision fort justes de personnages divers, décrits au gré des rencontres. Philosophe soldat, la guerre semble un laboratoire de l’âme humaine qu’Alain analyse en temps réel. Un ouvrage donc riche de sentiments (lire ses impressions en montant à Verdun, page 198 ou ses sentiments de permissionnaire après 17 mois de front, page 154), de réflexions logiques ou philosophiques d’une portée très abordable  – parfois même naïve (Alain se demande (à Souain) si la viande d’un cheval blanc est comestible, comme le dit la rumeur, page 115) – avec également de nombreux détails techniques utiles sur l’artillerie ou des tableaux simplement décrits (tels les jeunes conscrits qu’il dépeint comme : « Cette jeunesse avait quelque chose de vieux » page 168). Quelques thèmes récurrents sont abordés tels l’espionnite (pages 62 et 64). Il évoque également Norton Cru (page 21), parle de la gnôle, « l’eau des braves » (page 147) (voir aussi sur l’alcool, remède de troupe pour le vaccin contre la typhoïde : « boire à mort et dormir 24 heures » page 179), et l’on retient sa citation « Le front commence au dernier gendarme » (page 43).

4. Autres informations

Rapprochements bibliographiques – bibliographie de et sur l’auteur

Alain (Chartier Emile) Souvenirs de guerre. Paris, Hartmann, 1937, 246 pages.

Alain (Chartier Emile) Mars ou la guerre jugée. Paris, Gallimard, 1921, 258 pages.

Alain (Chartier Emile) Correspondance avec Elie et Florence Halevy. Paris, Gallimard, 1958.

Alain (Chartier Emile) Suite à Mars. Convulsions de la force. Paris, Gallimard.

Alain (Chartier Emile) Propos d’un Normand. Tome V : 1906-1914. Paris, N.R.F., 1960, 312 pages.

Alain (Chartier Emile) Méditation pour les non-combattants. 21 propos d’Alain (1907-1914). Paris, 1914, 32 pages.

Alain (Chartier Emile) Le Citoyen contre les Pouvoirs. Paris, Simon Kra, 1926.

Alain (Chartier Emile) De quelques-unes des causes réelles de la guerre entre nations civilisées. Paris, Foulatier et Bourgne, 1988.

Gontier Georges Alain à la guerre. Paris, Mercure de France, 1963, 179 pages

Vollerin Alain Alain et Tresch. 1914-1918. Un philosophe, un peintre dans les tranchées. Une rencontre improbable. Paris, Mémoire des Arts, 2005, 95 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

Complément : Alain, Lettres aux deux amies, Paris, Les Belles Lettres, 2014, 681 p. Les deux amies sont Marie-Monique Morre-Lambelin et Marie Salomon, largement citées par ailleurs dans Marie-Louise et Jules Puech, Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916 présentée par Rémy Cazals, Ampelos, 2015.

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Roux, Franck (1893-1964)

1. Le témoin

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Franck Roux est né à Brignon (Gard) le 25 septembre 1893. Il y exerce la profession d’agriculteur (son livret militaire précise « propriétaire »). Mobilisé à la 11e compagnie du 52e R.I. de Montélimar (14e corps d’armée, 27e division, 54e brigade), il fait une courte campagne et est fait prisonnier dans les Vosges en septembre 1914. Il passera quatre années de captivité en Allemagne dans deux fermes de la région de Stuttgart. Il se marie en décembre 1919 et naîtront de cette union quatre enfants. Il décède le 10 avril 1964.

2. Le témoignage

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Franck Roux, Ma campagne d’Alsace-Lorraine. 1914. (Les sapins rouges). Nîmes, Lacour-Redividia, 1997, 47 pages, non illustré, portrait en frontispice.

Sous le nom d’auteur de l’ouvrage est ajouté « Agriculteur Gardois ». Le texte a été mis en forme et présenté en octobre 1993 par Robert Roux, son fils qui signe un épilogue en octobre 1996 sur la base d’un texte « recopié » en captivité. L’ensemble du texte, très sommaire (38 pages), s’étale du 1er août au 8 septembre 1914. Robert Roux indique le 11 octobre 1997 avoir souhaité rééditer le carnet de guerre de son père, un petit calepin noir de format 14×9 cm, par « devoir de mémoire« .

3. Analyse

Franck Roux est soldat au 52e R.I. de Montélimar quand la guerre le transporte vers Rambervillers où il arrive le 7 août 1914. Le 13, il franchit la frontière où il est placé en réserve des combats qui se déroulent en avant du col du Bonhomme, là où l’auteur va connaître son baptême du feu, le 15. C’est alors l’avance et les combats en Alsace, à Steige ou au col de Saales, avant l’ordre de repli sur le col de Prayé le 21 août à 23 heures. Le bataillon de Roux garde le col dans des retranchements les deux jours suivants avant de se replier une nouvelle fois par Senones et Moyenmoutier au cours de la nuit du 23 au 24. Ce dernier jour, le 52e combat pour reprendre Saint-Blaise « après une vive résistance » et avant l’attaque des bois de la forêt du Grand Fays pendant deux journées terribles où quatre assauts à la baïonnette rendent exsangues les compagnies qui y ont pris part, laissant à celle de Roux, la 11e, 80 survivants sur 250. Après un ultime assaut manqué pour la reprise de Saint-Blaise le 27, c’est à nouveau le reflux vers l’ouest, par Etival, Saint-Michel-sur-Meurthe, La Salle puis La Bourgonce. Entre le 29 août et le 3 septembre, les 52e, 75e, 140e R.I. et le 11e B.C.A. multiplient les attaques sur Saint-Remy qui restera finalement aux mains des Allemands pendant que les Français refluent vers La Salle. Le 4, les engagements reprennent dans ce village avec plus d’acharnement encore quand vers 18 heures, 120 défenseurs, dont le narrateur, sont faits prisonniers après une défense acharnée du village. Dès lors, c’est la lente évacuation vers l’Allemagne par Etival, Raon-l’Étape, avant Strasbourg et le camps de Stuttgart où il arrive le 7 septembre 1914. C’est là qu’ont été recopiées les pages du carnet du soldat Roux.

D’une typographie souvent médiocre, il manque à ce carnet édité à minima par les soins du fils de l’auteur, les précisions utiles à l’Historien. En effet, même si aucune date n’est omise entre le 1er août et le 8 septembre 1914, on regrette la brièveté des évènements retracés, trop souvent représentés par des descriptions imprécises d’avances et de reculs successifs et dont le flou est accru par l’absence regrettable d’une topographie détaillée, non corrigée par le présentateur, comme Albertvillers pour Rambervillers (page 10) ou par une imprécision géographique du style « un bois » et « une ferme à côté d’un bois » (page 22). Même si l’on peut suivre l’auteur dans les grandes lignes de son déplacement, la description des combats est superficielle. C’est lors des combats de Saint-Blaise que le flou tend à perdre le lecteur qui, pour peu qu’il connaisse la topographie, ne se retrouve pas dans les phrases : « On progresse en avant du village, traversant une grande prairie. (…) On arrive aux premières maisons du village !  » (pages 22-23). « Une pluie d’obus » s’abat dans le cimetière de Saint-Blaise (page 24). La prairie de Saint-Blaise est « labourée par les obus » (page 26). L’attaque du massif du Fays (supposée plus que révélée uniquement par « la crête du bois » (page 24) est réalisée avec le 252e de réserve (localisée le lendemain à Taintrux par ailleurs) (page 25) et dont on n’entend plus parler le 29 août où les unités réelles sont mentionnées (page 29), etc. On ne trouve pas toutefois les clichés habituels de la littérature de bourrage de crâne. En cela, même s’il reflète une certaine fidélité dans la réalité des évènements vécus, simplement décrits par leur auteur, le carnet de Roux est un témoignage étique. On notera une préface et un épilogue un peu simplistes, n’apprenant rien de plus au lecteur sur le parcours ou le vécu de l’auteur.

4. Autres informations

L’ouvrage est à rapprocher de Delabeye, B. (Lt) Avant la Ligne Maginot. Admirable résistance de la 1ère armée à la frontière des Vosges. Héroïque sacrifice de l’infanterie française. Causse, Graille & Castelnau (Montpellier), 1939, 278 pages, qui fournit les déplacements et des caractéristiques similaires dans la description du 140e R.I., régiment frère du 52e en août et septembre 1914.

Yann Prouillet, juillet 2008

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Gallieni, Joseph (1849-1916)

1. Le témoin

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Joseph Simon Gallieni est né le 24 avril 1849 à Saint-Béat, en Haute-Garonne. Militaire de carrière ayant laissé une profonde empreinte dans les opérations de colonisation menées par la France en Afrique avant la Grande Guerre, il est rappelé sous l’uniforme le 26 août 1914 comme gouverneur militaire de Paris, ville qu’il organise en camp retranché. Ayant eu une influence certaine dans le revirement des armes au cours de la bataille de la Marne, il est nommé ministre de la Guerre sous le ministère Briand. Il meurt le 27 mai 1916 à Versailles et est inhumé à Saint-Raphaël après des obsèques nationales. Joseph Gallieni est fait maréchal de France à titre posthume en 1921.

2. Le témoignage

Joseph Gallieni, Les carnets de Gallieni. Paris, Albin Michel, 1932, 317 p., non illustré. Portrait en frontispice.

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Texte présenté par Gaétan Gallieni, son fils et annotés par Pierre-Barthélemy Gheusi, son officier d’ordonnance, qui donne quelques éléments sur la démarche d’édition, autorisée par « la mort des uns » et justifiée par « les commentaires tardifs ou entachés d’erreurs (…) de quelques autres » (page 10). Gheusi indique que Gallieni « notait, chaque jour (…), sur un agenda in-octavo, le résumé succinct des heures qu’il venait de vivre. Il y a trois carnets. Les deux premiers – 1914 et 1915 – sont entièrement remplis. Celui de 1916 s’arrête, en avril, la veille de la première opération qu’il devait subir (…) à Versailles » (page 10). Le corpus d’écriture représente ainsi 850 pages.

3. Analyse

Le général Gallieni débute son journal de guerre le 1er janvier 1914 alors qu’il occupe les fonctions de commandant d’armée. Peu versé dans la politique, qu’il a en horreur, il se contente de noter jour par jour ses impressions et ses activités journalières. Le 17 mars 1914, il est, selon ses supérieurs, atteint par la limite d’âge et remercié par le Gouvernement. Toutefois, c’est l’Histoire qui va le rappeler vers la capitale où les bruits de guerre de l’été vont se concrétiser le 2 août 1914. Dès lors, Gallieni est rappelé par lettre de Commandement lui confiant les fonctions d’adjoint à titre de successeur éventuel du général Joffre, commandant en chef du groupe des Armées de l’Est. Toutefois, le mois d’août se passe pour lui sans emploi effectif et le G.Q.G. le tient même particulièrement à l’écart en le privant des nouvelles dont sa fonction aurait dû le rendre destinataire. Le 26 août, il est nommé commandant du Camp Retranché et des Armées de Paris et lui est dévolue la charge d’organiser de la défense de la capitale. Il remplace en cela le général Michel, dont l’incurie n’a rien permis d’effectuer pour cette organisation alors que la menace d’invasion se précise. Gallieni va devoir tout mettre en œuvre pour sauvegarder la ville et en défendre les murs, pierre par pierre. Ainsi, à force de travail et de demandes, il va réaliser les travaux nécessaires à cette mise en état de défense de Paris ainsi que la mise en place d’une armée de réserve susceptible de prêter main forte à celles déjà engagée dans la bataille de retraite qui se poursuit au nord. Le 1er septembre, le jour se fait sur la situation militaire de l’ensemble des armées alliées : c’est l’invasion par la marche forcée vers le sud et les Allemands aux portes de la capitale. Le même jour, le gouvernement quitte Paris pour se rendre à Bordeaux, laissant à Gallieni les clés de la ville à défendre coûte que coûte. Celui-ci proclame le 3 septembre qu’il remplira son mandat jusqu’au bout et donne à Maunoury ses dispositions afin de couvrir le nord du Camp Retranché. Cette disposition se révélera primordiale et sera complétée, le 4 par l’ordre n°11 qui va déterminer la « manœuvre hardie qui devait sauver la capitale« . Le 6, Maunoury s’avance vers l’Ourcq et le lendemain, 600 taxis réquisitionnés pour transporter les troupes vont lui prêter main-forte et menacer sérieusement le flanc droit de la 1ère armée allemande. Si gravement que le recul général des armées ennemies sera la seule façon de les sauver de l’encerclement. « Le miracle de la Marne » vient de s’amorcer et la gloire devra en revenir à Gallieni seul ou l’Histoire mentira ! (d’où sa question « Y a-t-il eu bataille de la Marne » ? page 201 et son analyse de la répartition des rôles). Nos armées ayant repris l’offensive, la situation générale s’améliore le 12 septembre 1914 et Gallieni peut être tout à sa tâche de réorganisation du Camp Retranché et traiter les affaires intérieures dans la capitale. Il réorganise d’ailleurs la Presse le 20 (page 99) et contribue à l’état moral général du « cœur » de la France. Le danger écarté, le Gouverneur va dès lors également s’apercevoir des manœuvres du G.Q.G. et de l’hostilité à peine voilée de Joffre qui ne lui sait pas gré du retournement salvateur. En fait, il a du mal à cacher à l’esprit clairvoyant de Gallieni sa propre confusion dans la tenue des opérations générales. Mais Gallieni continue sa tâche malgré ces dissensions et surtout la maladie qui le ronge. Il veut toutefois obtenir un poste plus actif, maintenant que le front s’est cristallisé et que le danger immédiat d’investissement semble définitivement écarté. Il n’obtiendra pas cette fonction, Joffre voulant l’écarter et disposant d’assez de pouvoir devant le gouvernement pour cela. Le 12 mars 1915, Maunoury est blessé et Joffre offre à Gallieni le commandement de sa 6ème armée, ce que refuse le Gouverneur de Paris. Cela va également contribuer à révéler à cet homme intègre les coteries et les jeux politiques cumulés aux incuries de commandement et d’organisation touchant à la défense nationale. Poussé par tout son entourage et malgré son désir farouche de ne point toucher à la politique, Gallieni accepte sous conditions le poste de ministre de la Guerre en remplacement de Viviani, « n’ayant pas réussi« . Ce poste ne satisfera jamais le militaire qui va dès lors se retrouver en première ligne des coups montés et de la bassesse politique. Mal à l’aise et parfois naïf dans l’arène, il va tenter toutefois de faire œuvre utile pour la cause commune et ce dévouement sera tantôt fébrilement reconnu par tous, tantôt traduit par une volonté de pouvoir qui n’aurait jamais aucun fondement dans la volonté même du personnage, profondément intègre. Palabres, débats, temps perdus et dégoût que l’on peut ressentir à chaque page vont accélérer chez Gallieni les soucis d’une maladie qui le tenaille depuis le début et qui ne lui laisse aucun repos. Le 10 mars 1916, à bout de force et vidé de son énergie, il obtient du Gouvernement l’agrément de sa démission et quitte ses fonctions pour intégrer l’hôpital de Versailles afin d’y subir des opérations qu’il n’aurait jamais dû remettre. Il ne quittera plus cet établissement et s’éteindra le 27 mai 1916.

Le journal de guerre de Gallieni est incontournable à plus d’un titre : d’abord par la personnalité et les fonctions de son rédacteur mais aussi par la richesse des détails et des impressions qu’il contient. Cet ouvrage est de surcroît doublé par de nombreuses et pertinentes annotations, véritable livre dans le livre de l’officier d’ordonnance Gheusi. Ainsi tout au long de ces pages se font jour des renseignements incontournables sur les opérations militaires de la bataille de la Marne et des indications précises sur la vision globale des décisions prises à ce moment, ainsi que sur le commandement, mais également une multitude de détails sur la vie politique et militaire au plus haut degré des responsabilités (G.Q.G. exclu). Ce journal, qui couvre donc la période du 1er janvier 1914 au 10 mars 1916 dépeint fidèlement les jeux des intrigues et des ragots tant politiques que militaires.

4. Autres informations

Eléments bibliographiques de et sur l’auteur

Bernhard Jacques Gallieni. Le destin inachevé. Gérard Louis, 1991, 364 pages.

Brulat Paul Histoire populaire du général Gallieni (1849-1916). Albin-Michel, 1936, 123 pages.

Cahisa Raymond Joffre, Foch, Gallieni, Fils des Pyrénées. Pyrénéa (Villeneuve-de-Rivière), 1943, 238 pages.

Charbonnel Henry (Col) De Madagascar à Verdun. Vingt ans à l’ombre de Gallieni. Karolus, 1962, 459 pages.

Charles-Roux F. – Grandidier G. Lettres du général Gallieni de 1896 à 1905. Société d’Editions Maritimes et Coloniales

Cladel Judith Le général Gallieni. Berger-Levrault, 1916, 129 pages.

D’Esme Jean Gallieni. Plon, 1965, 320 pages.

Gallieni Joseph (Cdt) Voyage au Soudan français. Haut Niger et pays de Ségou : 1879-1881. Hachette.

Gallieni Joseph (Cdt) Mission dans le Haut-Niger et à Segou. Société de Géographie, 1885.

Gallieni Joseph (Col) Deux campagnes au Soudan français (1886-1888). Hachette.

Gallieni Joseph (Col) Sénégal et dépendances. Pénétration au Soudan. Société de Géographie, Toulouse.

Gallieni Joseph (Gal) La pacification de Madagascar (1896-1899). Chapelot.

Gallieni Joseph (Gal) Trois colonnes au Tonkin (1894-1895). Chapelot, 1899.

Gallieni Joseph (Gal) Neuf ans à Madagascar (1896-1905). Hachette.

Gallieni Joseph (Gal) Mémoires du maréchal Gallieni. Défense de Paris (25 août – 11 septembre 1914). Payot 1920, 269 pages.

Gallieni Joseph (Lt-col) Une colonne dans le Soudan français (1886-1887). Baudouin.

Gheusi P.-B. La gloire de Gallieni. Comment Paris fut sauvé. Le testament d’un soldat. Albin Michel, 1928, 253 pages.

Gheusi P.-B. Guerre et théâtre. Mémoires d’un officier du général Gallieni pendant la guerre. Berger-Levrault 1919, 374 pages.

Gheusi P.-B. Gallieni. 1849-1916. Charpentier-Fasquelle, 1922, 249 pages.

Gheusi P.-B. Gallieni (1849-1916). Fasquelle, 1922.

Gheusi P.-B. Gallieni et Madagascar. Petit Parisien, 1931.

Gheusi P.-B. La vie prodigieuse du maréchal Gallieni. Plon, 1939, 127 pages.

Klein Charles-Armand Avec Gallieni, portraits varois. Equinoxe, 2001.

Laval Edouard La maladie et la mort du général Gallieni. Perrin, 1920.

Leblond Marius-Ary Gallieni parleEntretiens du « Sauveur de Paris », ministre de la Guerre avec ses secrétaires. Albin Michel, 1920, 316 pages.

Liddell Hart Basil-Henry (Cpt) Réputations. Joffre. Falkenhayn. Haig. Gallieni. Foch. Ludendorff. Pétain. Allenby. Liggette. Pershing. Payot, 1931, 269 pages.

Lyet P. (Cpt) Joffre et Gallieni à la Marne. Berger-Levrault, 1938, 160 pages.

Marcellin Marcellus Gallieni, Grand de France. Paris, Spes, 1932, 189 pages.

Mayer Emile (Lt-col) Trois maréchaux : Joffre, Gallieni, Foch. Paris, Nouvelle Revue Française, 1928, 235 pages.

Michel Marc Gallieni. Fayard, 1989, 363 pages.

Percin Alexandre (Gal) Deux hommes en guerre. Sarrail et Gallieni. Fournier, 1919.

Pilant Paul Le rôle du général Gallieni (août-septembre 1914). Paris, La Renaissance du Livre, 1922, 132 pages.

Vetty Louis Joffre. Foch. Gallieni. Toulouse, Chantal, 1942, 216 pages.

Weiss René L’hommage de Paris à Gallieni, son sauveur. Imprimerie Nationale, 1927, 102 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

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Castex, Anatole (1888-1916)

1. Le témoin

Anatole Castex est né le 16 novembre 1888 à Masseube dans le Gers. Il demeure 8 boulevard Saint-Pierre à Mirande (Gers). Ancien élève du petit séminaire d’Auch et du collège de Girmont, ancien sillonniste de 1909-1910, « très marqué par son milieu social fortement influencé par l’église catholique, [il] était aussi fervent patriote. L’idée de « Revanche », de sacrifice pour la patrie, allait de pair avec sa foi chrétienne » (pages 49-50). De la classe 1908 (numéro de matricule 677 au Corps et 130 au recrutement de Mirande), il fait son temps au 88e R.I. et atteint le grade de sergent-major. La guerre le surprend alors qu’il est sur le point d’entrer à Saint-Maixent. Il est nommé officier le 6 septembre 1914 au 288e R.I. d’Auch – Mirande (17e Corps – 34e division – 38e brigade) et est tué au grade de capitaine le 6 septembre 1916 entre 18 et 19 heures dans le bois de Vaux-Chapitre (Meuse) « alors qu’il tentait de colmater avec ses compagnies de mitrailleuses une brèche à gauche des carrières » (pages 49-50). Sa tombe n’a jamais été retrouvée.

2. Le témoignage

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Henry Castex, Verdun. Années infernales. Journal d’un soldat au front d’août 1914 à septembre 1916. Paris, Albatros, 1980, 187 pages (réédité chez Imago en 1996), non illustré. Présenté par son fils, l’historien Henry Castex, le parcours d’Anatole Castex a été reconstitué à l’aide des lettres qu’il envoyait à sa sœur ou à ses parents et pour quelques-unes conservées, à son épouse. Pour le présentateur, « ce témoignage irrécusable exprime les espoirs, mais aussi les désillusions de toute une génération de Français sacrifiés, martyrisés. Il révèle aussi que les combattants, gradés ou non, avaient conscience des erreurs commises en 1916 par le G.Q.G. qui n’avait pas cru à une attaque de grand style sur Verdun » (page 50). Il s’agit donc d’un ouvrage de lettres de guerre présentées en forme de carnet aux dates non suivies.

3. Analyse

Henri Castex, historien, a retrouvé la correspondance de son père, Anatole Castex, sous-officier puis officier au 288e R.I., adressée à sa sœur ou à ses parents entre le 13 août 1914 et le 6 septembre 1916, date de sa mort dans les carrières du Bois de Vaux-Chapitre. Dans un premier temps, Castex nous rappelle ce que fut la bataille de Verdun où plutôt, selon lui, des « deux Verdun » ; la première bataille s’est déroulée d’août 1914 à août 1916 et la deuxième d’août à novembre 1916. Il justifie clairement ce découpage chronologique singulier, qui rehausse le caractère pénible de la seconde période, avec le suivi du régiment de son père. Ce résumé succinct rappelle aussi « pourquoi Verdun ?« , point faible du dispositif français selon le GQG allemand qui veut « saigner à blanc » l’armée française par sa supériorité d’artillerie. Il clôt cet exposé par l’explication de son engouement pour la guerre, provenant de sa jeunesse, orphelin de guerre et bercé de pèlerinages sur les lieux de la mort de son père, dans lesquels il a ressenti un étrange sentiment de présence. L’introduction faite, Castex nous fait suivre sur le terrain le 288e R.I., régiment de réserve du 88e. C’est l’unité de son père qui quitte les vallées gasconnes le 13 août 1914 pour rejoindre Suippes et Sainte-Menehould avec la 67e D.I. Il reçoit un baptême du feu difficile le 24 sur la ligne Bouligny/Affleville et Eton. Replié au nord de Verdun, le régiment supporte une première attaque allemande dans les bois de Consenvoye-Haumont, où il perd 241 hommes. La guerre de position enterrera l’unité d’octobre 1914 à juin 1915 devant Saint-Mihiel et l’attaque allemande du 21 février 1916 la trouvera entre le Mort Homme et la Meuse. Il supportera bravement le terrible choc pour n’être relevé qu’au 14 mars. En septembre, le deuxième Verdun où les pertes seront plus terribles encore dans les attaques des 6 au 8 septembre qui coûteront à nouveau 1 007 hommes et 36 officiers. Le 22, il est relevé et se rend vers Pont-à-Mousson où il participe à une nouvelle guerre de position à partir du 30 septembre 1916. Là s’arrête ce court historique de régiment pour passer à l’essence même de ce livre et de la volonté de l’auteur ; la vie du soldat au front d’août 1914 à septembre 1916 par les lettres d’Anatole Castex, son père. Le présentateur se propose en effet d’extraire des correspondances envoyées à sa sœur et à ses parents le comportement des combattants de cette unité de réserve. Pour ce faire, Henri Castex regroupe de manière thématique et chronologique les correspondances selon les sentiments exprimés par le rédacteur ou sa situation géographique. Le 25 août 1916, Anatole Castex annonce qu’il retourne à Verdun. Il n’en est pas effrayé et dit partir « l’âme tranquille et sereine » avec l’envie d’en découdre à la première occasion, en faisant « ronfler » ses mitrailleuses. C’est en effet au cours d’une tentative de colmatage d’une brèche à gauche des carrières de Vaux-Chapitre qu’il est tué le 6 septembre 1916 à la tête de sa compagnie de mitrailleurs. L’ouvrage se termine par une bibliographie sommaire. Henri Castex nous donne à lire un livre simple, reflet des correspondances de son père. Le résumé de la bataille de Verdun est présenté de manière originale, faisant état de deux batailles, mais incomplète et manquant de clarté dans sa justification. On comprend toutefois à l’étude détaillée de l’ouvrage que Castex légitime ce sentiment de deux batailles distinctes par les deux affectations successives du 288e R.I. dans le secteur de Verdun où il va supporter deux violentes attaques en septembre 1914 (celle qui coûta la vie à Henry-Alban Fournier) et le 21 février 1916 avant d’y revenir le 23 août pour participer aux nouvelles attaques de septembre 1916. Les lettres sont sobres, familières et les sentiments de leur auteur sont simples, tournés vers Dieu et la beauté des choses. Très vivantes, parfois candides, elles illustrent les émotions du combattant, balancé entre le devoir, la confiance, la mélancolie et l’attente d’une fin rapide des souffrances réelles des combattants. Henri Castex les utilise sans ajout, avec quelques commentaires opportuns et sa présentation thématique aiguille le lecteur sur les sentiments du scripteur. L’ouvrage est finalement utile à l’historien pour le complètement des informations sur les sentiments des combattants et leur perception de la guerre. Même si l’analyse psychologique n’est pas profonde, plusieurs émotions sont exposées simplement (l’espoir, la confiance, le sentiment religieux, la perception de l’environnement, mais aussi le fatalisme, le cafard et la pesanteur de l’attente de la fin des souffrances réelles) et avec une certaine candeur. On retrouve également quelques caractères récurrents : espionnite, idées fausses du manque de chevaux, d’essence et de vivres, d’hommes chez l’ennemi ivre d’éther (page 105) ou rage contre les embusqués (pages 70 et 112), animaux mascottes, etc. C’est donc finalement dans la partie lettres de guerre que le lecteur trouvera le plus intéressant de l’ouvrage qui apporte un autre regard, tout aussi utile que celui des milliers d’autres combattants qui ont transcrit leurs sentiments et que l’on a édités. Castex a retenu semble-t-il le meilleur des correspondances et les a reporté judicieusement.

Yann Prouillet, juillet 2008

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Delabeye, Benoît (1888-1962)

1. Le témoin

L'auteur lieutenant
Benoît Delabeye est né le 7 avril 1888 à Pont-de-Beauvoisin (Savoie), de Jean et de Clotilde Millon. Après avoir fait ses classes au 140e R.I. de Grenoble, d’où il sort au grade de caporal, il parvient à revenir à ce régiment à la mobilisation malgré des problèmes de vue. Nommé sergent sous le feu, le 27 août 1914, il est affecté à l’instruction des jeunes soldats en mars 1915 et est lieutenant en 1916. Affecté ensuite au 89e puis au 131e R.I., il continue la campagne aux confins algéro-marocains, dans le Sahara. En 1918, il est nommé chef du 2e bureau de l’état-major des territoires du Sud. Démobilisé en août 1919, il reste en Algérie, où il s’est marié le 1er mars 1919, avec Renée Juliette Marie Moureau. Il est encore domicilié à Alger, où il tient un commerce de vins et alcools à son nom, en 1952, date à laquelle il reçoit la Légion d’Honneur. Il avait déjà été cité à deux reprises en juillet et septembre 1919 et décoré de la Croix du Combattant Volontaire en 1931. Il semble avoir terminé sa carrière après 23 années de services et campagnes comme lieutenant d’artillerie. Il décède le 14 septembre 1962 à Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise).

2. Le témoignage

Delabeye, Benoît (Lt), Avant la ligne Maginot. Admirable résistance de la 1ère armée à la frontière des Vosges. Héroïque sacrifice de l’infanterie française. Montpellier, Causse, Graille & Castelnau, 1939, 278 pages, non illustré, portrait en frontispice.

L'ouvrage

Sous le nom d’auteur de l’ouvrage est ajouté « combattant volontaire de l’infanterie ». L’ouvrage de souvenirs, très précis, car basé sur un carnet de route dont il est fait mention en dernière page, comporte une datation épisodique. La chronologie peut toutefois être aisément reconstituée jour par jour du 3 août au 12 septembre 1914, période concernée par le témoignage. Bien que rédigée en 1934, la retranscription des souvenirs du caporal n’a pas été déformée par les apports anachroniques de l’Histoire, postérieurs aux sentiments spécifiques de 1914, comme pourrait le laisser présager le titre. Toutefois, l’auteur ne se prive pas de quelques analyses a posteriori. Benoît Delabeye annonce en fin d’ouvrage un deuxième volume, reprenant le reste de sa campagne. Ce livre n’a jamais été publié à notre connaissance.

3. Analyse

Le 3 août 1914, le caporal Delabeye se voit signifier qu’il ne pourra faire la campagne qui s’annonce du fait d’une myopie particulièrement incapacitante. Loin d’agréer à cette décision, il va user d’un stratagème pour faire son devoir et, au quatrième jour de la mobilisation, intégrer le 140e R.I. Le lendemain, le train va l’emmener de Grenoble à Bruyères, dans les Vosges, pour un cantonnement à Lépanges-sur-Vologne où le régiment défile devant le général Dubail. Dès lors, le 140e va marcher vers l’Alsace et faire halte à Fraize, au pied du Bonhomme le 11 août. Le baptême du feu, terrible, aura lieu le 14 au col de Sainte-Marie, où l’auteur est pris dans la tourmente d’un déluge d’artillerie qui fera ses premiers tués et blessés. Le régiment toutefois peu de jours plus tard à Sainte-Marie-aux-Mines, libre de l’ennemi qui a retraité devant les troupes françaises. Deux jours d’accalmie précèdent vite un reflux allemand, contenu, mais qui va porter le régiment vers d’autres cimes vosgiennes par Provenchères-sur-Fave et le col de Saales dans la vallée de la Bruche. Le 22 août, Delabeye reçoit l’ordre de retraite sur le massif du Donon, entre les cols du Hantz et de Prayé. La 27e division toute entière recule et descend lentement la vallée du Rabodeau et Delabeye fait halte à La Petite-Raon. Cette retraite se poursuit alors que s’engage le 25 août la bataille de la Meurthe. A cette date, il gravit le massif de la Haute-Pierre au dessus de Moyenmoutier et regarde sans agir la bataille de Saint-Blaise qui coûtera la vie à de nombreux cadres et soldats du 140e. La retraite se poursuit le long de la Meurthe, traversée près de La Hollande et qu’il faut mettre en état de défense. Nous sommes le 27 août et dans l’action, le caporal est nommé sergent et le bataillon rejoint Saint-Michel-sur-Meurthe qui va très bientôt être la cible de l’artillerie ennemie. La 28e D.I. se situe elle vers Saint-Dié quand va s’engager la bataille de « la Combe de Nompatelize » et que la compagnie de Delabeye ne compte plus que 148 fusils sur 232 embarqués à Grenoble. « Je croyais entendre le glas sonner au clocher des villages de ceux qui gisaient là… » (page 130). Cette défense de Saint-Michel, le sergent y participe à sa manière, par une fuite éperdue sous le feu de l’ennemi qui presse et qui le suit jusqu’au massif de la Mortagne, vers la Croix Idoux. « Engourdis, courbaturés, épuisés par la dure épreuve, les anciens roulent plutôt qu’ils ne marchent… » Les deux divisions décimées du 14e Corps d’Armée mettent les crêtes du massif de la Mortagne en état pour l’ultime défense sur la route d’Epinal. Mais la grande bataille ne survient pas, l’ennemi a décroché au cours de la nuit du 9 au 10 septembre. Les Français peuvent souffler et parcourir à nouveau le terrain laissé libre par un ennemi que l’on croit en retraite, vision d’un champ de bataille d’après l’Apocalypse. Delabeye découvre alors que toutes les divisions ont été durement éprouvées et que le 21e Corps a subi d’énormes pertes dans le massif de la Chipotte. Pourtant, toute la 1ère Armée sort victorieuse d’avoir soutenu et résisté aux coups de butoirs allemands dans ces journées terribles. A 15 heures le 11 septembre 1914, le 2e bataillon du 140e R.I. s’engage dans la vallée du Rabodeau en reconnaissance vers Senones. Il découvre que l’ennemi ne s’y est pas installé et rebrousse chemin, faute de combat. Le régiment fait alors une pause, laissant l’ennemi souffler comme lui-même. Delabeye fait alors le constat douloureux du petit nombre des officiers restants après la tuerie. Le bilan, tragique, est de 19 officiers tués, 12 blessés, 4 disparus soit 35 sur 58 et 1 500 hommes sur 3 400 arrivés de Grenoble ont été mis hors de combat. Il découvre également que depuis 6 jours s’est engagée, de Paris à Verdun, une formidable rencontre qui tourne actuellement à l’avantage des Français mais qui révèle que les Allemands ont été à Meaux et Châlons-sur-Marne, « dans les plaines de France« . L’ordre de bataille qui vient d’être signifié par le colonel rappelle notre caporal à la dure réalité. L’ennemi doit être rejeté au-delà des Vosges et la bataille annoncée pour le lendemain risque de proroger l’hécatombe. Mais en même temps que survient la nouvelle d’une future nomination au grade de sous-lieutenant de notre héros lui arrive, le 11 septembre 1914 à minuit, l’ordre de repli qui précède le départ vers l’autre bataille qui s’amorce ; la Course à la Mer.

Un ouvrage formidable à tous les points de vue et dans tous les domaines. D’abord le style, que l’auteur a voulu naturel et sans emphase. Il démontre par sa spontanéité et sa simplicité tous les aspects d’un simple combattant de première ligne parmi des millions d’autres, certes lettré, mais éloigné de toute connaissance stratégique d’ensemble. Dès lors, Delabeye regarde, non pas avec ses yeux de myope, mais avec sa petite connaissance de l’humain et son souci d’une vie qu’il tient à garder. Et dans l’ouvrage de rapporter fidèlement non seulement ses faits d’armes, bien petits dans l’immense tourmente qui l’entoure, mais aussi et surtout les détails qui peuvent paraître futiles mais qui rendent le récit si vivant et expressif que sa lecture en est  particulièrement fluide. Parfois tragi-comique, le caporal Delabeye a fourni à l’historien un des récits de souvenirs de combattants les plus attrayants et les plus vivants. L’auteur nous décrit assez précisément les lieux traversés, les combats auxquels il prend part (ou qu’il subit), les personnes qu’il côtoie (les noms ne sont pas occultés), avec une belle dévotion pour les officiers qu’il envie, et enfin les actes qu’il exécute. Ceci dans un soucis de détail qui, loin d’apporter de la lourdeur inutile, anime l’ouvrage. Ainsi, il est possible de suivre Delabeye chronologiquement et géographiquement de manière précise, ce qui permet de vérifier et de confronter cette richesse de renseignements avec les autres textes existant sur le même sujet. Sans conteste, l’ouvrage de Delabeye est une référence première dans le témoignage sur les opérations de la 1ère armée dans la Haute Meurthe. Sa qualité exclut de surcroît les clichés habituels repris par les mauvais témoins qui allèguent les cruautés allemandes achevant les blessés, les espions de tous poils et les milliers de morts qui tapissent les champs de batailles. Même si ces sentiments et ces craintes sont réels chez le combattant d’août-septembre 1914 et que Delabeye en fait une allusion rapide (voir page 274 pour les habitants d’Etival) à la fin de l’ouvrage.

Sur les enseignements à tirer dans l’étude détaillée des combats et des faits de guerre du 140e R.I., Avant la ligne Maginot fait également référence en ce domaine par la relative précision des dates (sans être toutefois un carnet de route) voire des heures et l’excellente précision des lieux parcourus. Une multitude très riche de renseignements d’ensemble ou de détails sont donc à puiser de ces pages. Ainsi la mention d’une notice pour la distribution de pain et de café aux premiers prisonniers allemands, ceci pour tuer les légendes des prisonniers maltraités (page 125). Enfin, la présentation, classée en parties (mobilisation – concentration, baptême du feu – combats en Alsace, repli – bataille d’arrêt sur la Meurthe – repli de l’armée allemande) divisées en 32 chapitres courts (4 pages en moyenne) rend la lecture rapide et claire. L’ouvrage n’est pas illustré (sauf le portrait de l’auteur) ni doté d’une table des matières. Toutefois, le recadrage des évènements par les dates oblige le lecteur à suivre le texte de très près, les faits décrits étant souvent à prendre dans une continuité temporelle longue (plusieurs jours décrits heure par heure) et ininterrompue. Aucun flou ni imprécision préjudiciables n’ont été décelés sauf l’affaire du général Stenger, appelé Stanger, placée anachroniquement le 12 août 1914.

Avant la ligne Maginot est donc à classer dans le panel très restreint des ouvrages dont l’utilisation pour l’étude est indispensable tant les enseignements sont à retirer dans l’ensemble de cet ouvrage qui offre un témoignage de tout premier ordre sur les opérations d’Alsace et la bataille de la Haute Meurthe.

4. Autres informations

L’ouvrage est à rapprocher de Franck Roux, Ma campagne d’Alsace-Lorraine. 1914. (Les sapins rouges). Lacour-Redividia (Nîmes), 1997, 47 pages, qui fournit les déplacements et des caractéristiques similaires, bien que nettement plus sommaires, dans la description du 52ème R.I., régiment frère du 140ème en août et septembre 1914.

Delabeye est revenu après guerre sur les lieux de ses combats de la Meurthe et a fait poser une plaque commémorative sous le porche de l’église de Saint-Michel-sur-Meurthe, elle porte les inscriptions suivantes : « Le Lieutenant Delabèye a offert cette plaque en mémoire & à la gloire de ses 620 camarades du 140e Rég. d’inf. Alpine (27e division), SAVOYARDS, DAUPHINOIS, tombés au Champ d’Honneur  dans les sanglants combats du 27 Août au 7 Septembre 1914 pour la défense de Saint Michel sur Meurthe où ils ont arrêté et fixé l’invasion Allemande sur ce point. Puisse leur exemple inspirer aux générations à venir l’Amour du Sacrifice et le Culte de la PATRIE. Requiescant in pace. En frontispice du texte est placé une croix latine surmontant de deux palmes entrecroisées et l’inscription DIEU HONNEUR PATRIE. »

Yann Prouillet, juillet 2008

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